Tibet, Gurla Mandata, 7760 m
Expédition au Gurla Mandata, 7760 mTexte et photos : l’équipe de Vercors expéditions Quand un sommet himalayen devient un prétexte à une belle aventure entre amis et un moyen de partager avec des écoliers du Vercors toutes les émotions d’un voyage… C’est l’histoire de six copains, Johan, Jérémie, Jean-François, Rudy, Thomas et Nicolas partis à la conquête du Gurla Mandata, une montagne perdue dans le très reculé Tibet au royaume de Gugé, coincé entre Népal et Inde, une région pure, austère et rustique. Cette expédition authentique, sans sherpas, nous transporte vers les hautes altitudes d’une terre sauvage et grandiose. |
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Autrans, 13 juin 2005. À l’heure où je recopie et remanie mon carnet de voyage relatant notre expédition au Gurla Mandata, pourtant terminée depuis 5 semaines, voilà que ma respiration s’accélère, mes jambes flageolent légèrement et je crois percevoir dans ma boîte crânienne comme un léger sifflement lancinant, familier et tant redouté. Je termine les dernières pages de ce roman d’amateur, commencé le 27 mars 2005, date de notre départ pour le Tibet. À ce niveau, mon récit reprend les derniers moments de notre tentative d’ascension finale. Nous sommes à 7200 m. Le sommet en compte 560 de plus et à cet instant, nous luttons autant physiquement que moralement pour grappiller le peu de distance qui nous sépare encore du pied de l’arête sommitale, si loin, si proche, semblant nous narguer… Katmandou, 29 mars 2005Ville de Katmandou, quartier de Thamel. Jérémie et Johan, les plus aguerris à ce type de tractations, mènent les négociations dans les commerces et marchandent au plus juste nos derniers besoins en matériel de haute altitude : pantalons, vestes, moufles, chaussons en duvet de plumes d’oie, qui nous font ressembler à des bibendums colorés : peu avantageux esthétiquement mais très utiles en haute montagne. Il nous fallait aussi quelques pieux à neige, une corde à fixer et un réchaud à gaz. Cette haute altitude, grande inconnue pour nombre d’entre nous, force invisible et pesante, sera notre principal adversaire. A priori notre « Gurla » n’est pas un sommet très technique. Certes quelques crevasses géantes et menaçantes ponctuant l’itinéraire sont répertoriées, mais pour ce gros 7000m, il s’agira plus d’avoir de bonnes conditions météo (capricieuse dans cette région), pas de pépins physiques – difficilement gérables vu l’isolement – et un soupçon de chance, si précieuse en expé. Dernier 7000 vierge, le Gurla Mandata n’a été que très tardivement gravi : la première fois en 1985 par une expédition sino-japonaise et moins d’une dizaine de fois au total. La première française a été réalisée en 1999 par l’équipe de Vertical et Jean-Michel Asselin. Vue générale du Gurla Mandata (namona’nyi ) depuis les berges du lac sacré Raskiastal (Lagaan Tso) AcclimatationCe mercredi 30 mars, le bus qui nous éloigne pour 5 semaines du Népal, slalome tous klaxons hurlants entre les pousses-pousses et les véhicules déboulant à contre sens. La conduite au Népal s’apparente plus à un sport d’esquive, où le code de la route est bafoué en toute simplicité dans un zen déroutant pour nous, Européens excités du volant. Passées ces premières frayeurs, les villages que nous traversons sur la route de l’amitié nous offrent un panel de couleurs chatoyantes noyées dans une verdure rafraîchissante : ça sent les vacances. Au fur et à mesure que nous progressons sur cette route sinueuse et taillée à flanc de montagne, la rusticité et l’insalubrité des lieux nous éclaboussent. Après avoir satisfait aux contrôles d’identité et formulaires administratifs, nous passons la nuit dans le village tibéto-chinois de Zunghmu, plutôt glauque. Ce n’est que le lendemain que nous découvrirons le vrai visage du Tibet : ses maisons rases aux toits de branches, aux fenêtres ornées, et aux murs couverts de bouses de yacks (utilisées comme combustible quasiment toute l’année). Nous sommes désormais à 4600m et nous ne redescendrons pas plus bas des 4 prochaines semaines. Les hauts plateaux s’ouvrent à nous. À cause de l’altitude et d’une montée brutale en 4x4, nous avons déjà quelques nuits blanches à notre actif, et les longues journées de trajet sur les routes rocailleuses et poussiéreuses finiront de nous mettre à plat. Malgré la fatigue et les maux de tête assommants, nous sommes sensibles à la grande beauté des lieux : dunes de sable et lacs bleutés contrastant avec la blancheur immaculée des sommets environnants. Jouant au chat et à la souris avec notre officier de liaison chinois, nous parvenons non sans quelques astuces à enrichir le site de nos écoliers du Vercors en belles images et commentaires appropriés. 3 avril. Nous resterons quelques jours à Darchen pour effectuer à notre tour ce fameux trek, l’occasion de tester notre capacité à supporter l’effort en altitude, sac au dos, avec notamment ce col à 5630m. Nico, épuisé par une mauvaise gastro, restera alité pour récupérer. En route pour le Gurla7 avril. Encore un peu de piste pénible et nous abandonnons pour 3 semaines nos véhicules au niveau d’un camp où nous attendrons 4 jours nos 19 yacks, attente pendant laquelle nous essuierons une sévère tempête de vent et de neige, où même les sorties pipi s’avèrent acrobatiques. Les 3 tentes 2 places vont s’effondrer tour à tour nous obligeant à sacrifier l’une d’entre elles, la promiscuité débute. Ce vent percute nos frêles maisons de toiles mais nous finissons par nous en accommoder, jusqu’au jour où la tente mess, vieillissante et lacérée par les rafales, finit par s’arracher littéralement du sol à l’heure du dîner.
Dans la tornade, nos affaires, sacs, ustensiles de cuisine, bouteilles de gaz ainsi que nos bols de soupe chaude sont aspirés dehors dans un fracas terrifiant. Ce qui nous amusait au début finit par atteindre notre moral. Exposés de plein fouet aux rafales, nous sommes sans défenses et dans l’obligation de faire le dos rond. La situation devient précaire car la tente mess est un véritable frigo, la neige envahissant l’intérieur par le moindre interstice. Deux jours plus tard, les yackmen ont enfin répondu à nos sollicitations, la procession se met en marche pour grimper sur le dos du Gurla. Chargés comme les yacks, nous prenons sans regrets la direction du camp de base situé 1000m plus haut.
Camp de base12 avril. La vie au camp de base est un véritable havre de paix comparée aux jours précédents. Le campement est installé sur d’anciens emplacements faisant face à un superbe glacier composé de magnifiques pénitents de glace, certains atteignant aisément 30m de haut. Nous décorons la tente mess « recousue » avec les dessins faits par les écoliers d’Autrans et commençons à prendre nos marques dans cet univers de glace vive, de neige saupoudrée et de rochers ; nous sommes seuls, essoufflés mais heureux !
Lecture, tarot, fous rires, repos, correspondance électronique, envois tous les 2 jours de récits et photos sur le site des écoliers, entraînements sur le glacier, remplissent nos journées. Seul Tzintzing, notre cuistot népalais au sourire constamment accroché au visage, partage ce quotidien ; l’officier chinois, lui, est resté dans la vallée pour plus de confort ; l’ambiance est excellente. Malgré une météo instable, les panneaux solaires nous permettent de maintenir un peu de charge dans les batteries de la valise satellite ; nous recevons avec joie les mails d’encouragement de nos proches. Les enfants du Vercors nous font part de leurs inquiétudes « courez vite s’il y a une avalanche », de leurs questions « pouvez-vous nous ramener un bout de nuage dans une bouteille ?» Nous inventons pour eux un jeu de l’oie sur le thème du Gurla, Internet c’est magique !
Peu à peu les navettes s’organisent au gré de la forme de chacun et les déposes de matos se suivent en direction du camp 1. Le cheminement depuis le camp de base longe le grand glacier sur 400m puis bute sur un mur impressionnant de 300m, raide à 60°. À cette altitude, il nous faut 3 heures pour faire 800m de dénivelé ; nous ne sommes pas habitués à tant de lenteur.
Voilà plus d’une semaine que nous sommes au camp de base. Nous avons tous passé une nuit au camp 1 à 6400m et fait plusieurs allers-retours sur la montagne. Il est temps de larguer les amarres : le jour J est fixé, ce sera le 20, après demain ! AscensionAvec un départ groupé, l’effort est moins pénible mais pas facile pour autant. De nouveau, le mur à 60° nous casse les jambes. Johan et Jérémie décident de dormir au camp 1 tandis que Tom, Rudy et Nico, après un rapide casse croûte lyophilisé et un semblant de sieste, poussent la marche jusqu’au camp 2, 400m plus haut. Pour tous le rendez-vous est fixé le lendemain matin à 8h au camp 2 pour tenter le sommet ; la météo a l’air stable, malgré ce vent persistant. 21 avril, 8h : 2 cordées s’élancent péniblement, la marche est ponctuée de nombreux arrêts dont un pique-nique d’altitude à 7000m. Nous apercevons les 2 lacs sacrés, le Manasarovar et le Rakshas aux vertus médicinales et dans lesquels prennent leur source les principaux fleuves d’Asie centrale : l’Indus, le Gange, le Brahmapoutre. Les pauses nous font plus de mal qu’autre chose : chaque départ est pénible, mais quel bonheur de se coucher dans la neige… Le moral oscille, il faut se refermer sur soi pour trouver la force de continuer, de ne pas céder au découragement, mais quelle pesanteur ! 7300m, le temps se dégrade aussi vite que notre état physique, des crevasses plus grandes et plus longues nous contraignent à une dépense d’énergie supplémentaire. Il n’y a qu’à lever la tête pour apercevoir l’arête sommitale, qui nous paraît à la fois si proche et hors de portée. La soif est grande, la chaleur écrasante, le moral au plus bas, nous décidons de rebrousser chemin dans un élan collectif car notre vigilance est trop entamée. Aurons-nous une autre chance de tenter le sommet ? Nous sommes très déçus de devoir abandonner si proche du but. Jérémie et Thomas décident de passer une nuit de plus au camp 1, tandis que Nicolas et Rudy, dépités, regagnent le camp de base, laissant derrière eux tout espoir de revenir. 22 avril, Tom et Jérémie repartent vers le sommet, mais seul Jérémie a les jambes pour tenter quelque chose : il continue seul pendant que Tom s’échoue sous la tente du camp 2. Nous allons rester 7 heures durant suspendu au talkie. Pas de sommet pour l’équipe, mais pas de déception amère non plus ; nous voulions une expédition authentique, sans sherpas ni oxygène, à la seule force de notre motivation. La vraie réussite de cette entreprise fut de faire partager ces moments uniques à tout un village et à ses écoliers, aussi excités que nous. Tant pis pour le sommet du Gurla ; vivre trois semaines sur cette montagne perdue fut un grand moment pour nous six ! Vivre ses rêves, c’est toujours une réussite.
L’équipe de Vercors Expédition remercie pour leur soutien : les écoliers du Vercors, Lestra, Quechua, Crispi, IEC, 1001 piles, le festival du film d’Autrans, les écrans du Vercors, l’Olympic sport, Soleil noir, GTS, SRA SAVAC, la commune d’Autrans et la communauté de communes, Gaz et Electricité de Grenoble, Ataos.
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