Te Araroa trail
Quelques phrases volées sur mon carnet de route lors de ma traversée de la Nouvelle-Zélande à pied en solitaire.
Durée : 121 jours
Distance globale :
1849km
Dénivelées :
+9635m /
-8805m
Alti min/max : 0m/1825m
Carnet publié par lesvoyagesdelise
le 27 oct. 2020
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Le topo (mise à jour : 27 oct. 2020)
Description :
3’000 km à pied en solitaire à travers les deux îles principales de la Nouvelle-Zélande.
Le compte-rendu (mise à jour : 27 oct. 2020)
Vendredi 13.12.19 (J 10)
Réveil à 7h. J’ingurgite des lentilles et prépare mon sac. Je décolle à 9h. (Bordel, je n’arriverai jamais à partir à 8h !)
Il paraît qu’en 9h de marche, aujourd’hui j’atteindrai le Telford campsite*, où je pourrai poser ma tente ce soir. Il fait sec, chaud, beau, venteux, pluvieux, frisquet... Bref, j’ai tout eu, en termes de météo ! Les paysages sont superbes. Une rivière se dessine au milieu d’une immense vallée verte. Nous longeons ensuite cette rivière le long de la plaine sur plusieurs kilomètres. (Caro est là !) Mes pieds me font lamentablement souffrir depuis le début d’après-midi. Ce ne sont pas tant les écorchures ou les ampoules qui me font mal. C’est plus comme si mes pieds devaient se réadapter à porter des chaussures, comme si le sang ne circulait pas bien, comme si on écrasait, compressait, comprimait mes orteils et toute la plante et les côtés des pieds à longueur de journée. « Il faut former les chaussures », me disent les gens. « Ou déformer les pieds », ais-je envie de répondre. Je finis par trottiner et boiter à moitié. La journée me paraît longue parce que la douleur me plombe le moral. La douleur, comme la faim, me prend tout parfois : mon énergie, ma motivation, ma bonne humeur, ma positivité, et même mon esprit.
Caro et moi marchons parfois ensemble, parfois séparément. Nous parlons peu, ce qui me convient très bien. J’ai toujours préféré aux autres les gens qui parlent peu mais qui agissent. L’autre jour, j’ai appelé Paul et Alice (mon frère et sa chérie). Alice m’a demandé si je croisais du monde le soir dans les huts. Je lui ai répondu que oui, cela arrivait, mais que sociabiliser est, ici, bien la dernière de mes priorités et de mes envies. Me retrouver seule me fait du bien. J’ai toujours eu de la peine avec l’autre, avec les gens. Et puis, ce sont toujours les mêmes discours, les mêmes questions, les mêmes mots prononcés et les mêmes intonations. « D’où viens-tu ? Tu fais quoi ? Ton prénom ? Pour combien de temps ? » Inutile, superficiel, consommateur de temps et d’énergie. Bref, passons.
Nous marchons dans un décor qui fait penser au Seigneur des Anneaux. Le vent se lève, alors que nous nous apprêtons à descendre dans une autre plaine. Il est tard et on se les pèle. J’ai mis des couches : veste en plume, bonnet et gants.
Nous arrivons au fameux camping à 21h30. Bordel ! Nous avons la vue, au loin, sur des montagnes enneigées et sommes bercées par le bruit du ruisseau à côté duquel nous campons. Je suis très heureuse de bivouaquer comme toujours, ou presque... Il est vrai que les conditions météo peuvent grandement en altérer l’expérience. Il faisait froid en fin de journée, mais là, allongée dans ma maison de nylon, il fait bon. J’apprécierais des journées de marche de huit ou neuf heures au lieu de onze ou douze heures. En fait, là, je me réjouis d’être à Queenstown dans une semaine. Enfin... si mes pieds et mes ongles tiennent toujours la route d’ici là.
Repas du soir : purée de pommes de terre et (oh bonheur !) chocolat chaud. Je dors au sec et au chaud. Je me suis réveillée pendant la nuit pour enlever une couche de vêtements.
Pensée du soir : Je crève de mal partout.
Vendredi 20.12.19 (J 17)
Je me réveille à 6h. Il fait un froid de canard. Je remets un peu de bois sur les braises de la veille et me prépare une tisane et un petit-déjeuner. Je décolle à 7h et avance dans le froid. Les 10km jusqu’au parking se passent en musique et en chansons. Le terrain est facile : plat, dégagé, proprement dessiné et dénué de boue, de troncs d’arbres en travers du chemin et de tout autre obstacle. La rivière de Greenstone se trouve à ma droite. Ensuite, je traverse des parcs à moutons. Je les salue. Je salue toujours les êtres que je croise. Ils sont ici chez eux, et je n’aime pas l’idée de les déranger dans leurs occupations. Il ne pleut pas aujourd’hui. Seulement quelques gouttelettes éparses, mais rien en comparaison à l’orage de la veille.
J’arrive au parking aux alentours de 9h30. Il est vide de gens, bien que quelques véhicules y soient stationnés. J’ai un énorme sourire aux lèvres.
Sur le papier, Queenstown est à 40km d’ici. La route, depuis l’endroit où je me trouve, jusqu’à Queenstown, ne fait pas partie des 3'000 km du Te Araroa. Les marcheurs rejoignent généralement la ville en navette (qu’ils ont réservé au préalable) ou en stop. Kinloch, un patelin de quelques maisons, se trouve à 12km d’ici, puis, entre Kinloch et Queenstown, se trouve le village de Glenorchy.
Vu que je n’ai pas réservé de navette, je décide de marcher en direction du village de Kinloch. Je me dis qu’avec un peu de chance, depuis là-bas, je trouverai quelqu’un qui ira dans la même direction que moi et qui pourra me déposer soit à Glenorchy soit à Queenstown. Mon corps sent et sait que ce sont les derniers kilomètres à fouler, à avaler, à parcourir avant de retrouver le luxe d’une douche, d’un vrai lit et plein de nourriture ultra calorique. Il me le fait comprendre en étant tout à coup raplapla, fatigué et affamé. Je m’arrête en bord de route et croise une voiture qui vient en sens inverse. Je la salue de la main, avec un grand sourire. Intérieurement, je me dis que j’ai merdé. Que j’aurais mieux fait de payer une navette au lieu de compter, comme toujours, sur la chance. « Je vais galérer à aller en ville aujourd’hui », me dis-je. Au pire, quand (si ?) une navette passe, je lui ferai signe de s’arrêter pour m’embarquer. Et sinon, tant pis. Je ferai ce que je sais faire de mieux : marcher.
Il commence à pleuvoir. Merde ! J’essaie de mettre mon mental au calme et de trouver un bon rythme. Il ne sert à rien de ruminer sur la situation. Je fais des choix, je les assume. J’accepte. Plus j’avance sur « le long chemin » et plus j’accepte les choses. Je me plains encore beaucoup, mais je suis de plus en plus dans la fatalité et l’acceptation de la réalité.
Il pleut ? Il fait beau ? J’ai faim ? Froid ? Je suis fatiguée ? Ce qui est, est. Point. J’ai perdu la notion du positif ou du négatif, du « c’est bien » ou « c’est mal ». Je fais de plus en plus abstraction de ces concepts-là. J’ai aussi appris, depuis le début de cette aventure, à rire de mes petits malheurs. L’autodérision me sauve. Comme l’autre jour, par exemple, où j’escaladais pour la énième fois une rambarde en bois afin de passer d’un parc à mouton à un autre. Il pleuvait à verse et j’étais équipée d’un poncho à dix balles que j’avais acheté à Te Anau. Il s’est déchiré. C’était la goute de trop et j’avais envie de pleurer, mais au lieu de ça, j’ai ri. Au milieu de nulle part, toute seule, j’ai eu un fou rire. J’ai ri parce que j’ai observé cette situation avec de la hauteur, et que c’était drôle, de ce point de vue-là. Il n’y avait rien de grave, rien d’alarmant, c’était juste comique. « Je le savais, que ce poncho à la con ne ferait pas faire deux jours ! » « Un poncho, c’est un poncho monsieur Ouille ! ». Et c’était reparti de plus belle !
Durant mes journées, j’essaie de me distraire du mieux que je peux. Certains moments, ma propre compagnie m’insupporte : elle devient pesante et lourde. Mais heureusement, la plupart du temps, j’ai un monde intérieur riche et captivant et j’ai parfois la sensation que je pourrais vivre seule éternellement.
Je m’occupe parfois l’esprit avec des jeux de devinettes que je me fais à moi-même. Comme par exemple citer le nom des capitales de différents pays. Argentine ? -Buenos Aires. Suisse ? -Berne. Inde ? -Delhi. Chine ? -Pékin, mais pas sûre... Ou alors réciter les noms des quatorze sommets les plus hauts du monde, ou encore le sommet le plus haut de chaque continent. Mon esprit est aussi grandement occupé par la Suisse ou, plus précisément, les copains de Suisse. Je me remémore les bons moments, les soirées, les fêtes, les coups d’un soir, la glisse sur les pistes de ski. Je pense à papa, à Paul, à la famille, à maman, à Sonia, à celles et ceux qui sont partis trop tôt, à mes premiers voyages, à l’apnée. Je pense aussi au futur, au K2, à l’Himalaya. Il faudra que j’organise tout ça, que je me renseigne sur les futurs itinéraires à prendre. Ce sera beaucoup de préparation, beaucoup d’entraînement. « Est-ce que je vais passer par la case recherche de sponsor ? Ou pas ? » Tout me traverse en fait, absolument tout. J’ai la tête remplie de rêves, le cœur plein d’envie. Je rêve les yeux grands ouverts, tout en marchant sur ce bout de Terre.
Le bruit d’un moteur me fait revenir à la réalité. Je me retourne et voit la même voiture qui, un quart d’heure plus tôt, venait en sens inverse. Je tends le pouce, tout sourire et la voit s’arrêter. « Monte ! Je vais jusqu’à Queenstown ! ». Chance, Karma, bonne étoile, appelons ça comme on veut. Je me sens soulagée et un jet d’excitation parcours mes veines. Je dépose mon sac à dos à l’arrière, et grimpe sur le siège avant. J’ai mon cœur qui bat fort, je suis trop contente, toute excitée. Queenstown, c’est une étape de faite, quelques 323 km parcourus. C’est super ! Je discute avec Sue, j’ai besoin de parler, on a un bon feeling. On s’arrête au bled de Kinloch, je savoure un chocolat chaud et lui offre un café. « Tu n’as pas besoin de me payer un café, Lise ! ». « C’est bientôt Noël ! », lui répondis-je. On se remet en route. En voiture, les paysages défilent vite. Ils sont magnifiques. Nous contournons le lac de Wakatipu qui est entouré de hauts sommets enneigés. C’est le troisième lac le plus grand du pays.
J’observe le panorama par la fenêtre, c’est tout simplement magique. Sue me dépose pile devant l’hôtel que j’ai pris soin de réserver. Elle me dit qu’elle est impressionnée par ce que je fais. Je lui souris timidement et lui réponds que je ne sais pas si je vais y arriver, que le but est encore très loin. « Tu vas y arriver », me dit-elle, avec un sourire franc. « Merci, Sue. Tu me donnes de l’espoir. Tu me donnes encore plus envie d’y croire. »
J’ai un milliard de trucs à faire, cet après-midi. Je prends une douche, je fais la lessive, puis les courses, je mange un morceau. La journée file et je m’endors comme un bébé, dans un bon lit douillet.
15.02.20 (J 50)
Je pars à 8h, sans manger. Ce n’est pas malin je sais, mais bon, là, Radix commence à me sortir par les oreilles. Aujourd’hui, c’est plat à mourir sur 30km. Mon genou me fait mal, même à plat. C’est une longue journée et j’ai hâte qu’elle se termine. Je monte à 1’130m. et je galère à y parvenir. Je ne suis pas à 100% de ma forme et de ma motivation ces derniers jours. Il fait chaud, et je bois plus de 4 litres d’eau durant la journée. J’arrive à Anne hut vers 20h30. Nom de Dieu ! J’ai mal partout et mon genou est fusillé. Tant pis, il n’y a pas moyen que je fasse marche arrière. Jamais, au grand jamais, je ne ferai marche arrière.
19.02.20 (J 54)
J’attends que Dario prépare son monstre de sac à dos et on se met en route. Aujourd’hui, objectif Tarn Hut. J’ai hâte que cette étape soit derrière moi. J’ai hâte d’arriver à St-Arnaud. Je me sens sale, je rêve de prendre une douche, de me laver correctement. Et je crève de faim, ces jours-ci. Je mange beaucoup plus que d’habitude, même si je dois m’efforcer d’avaler ce que j’ingurgite -Radix commence à me dégoûter-. C’est tellement pratique, le lyophilisé ! Grâce à cela, mon sac est très léger mais sinon, la texture reste la même et, par moments, elle m’écœure.
On grimpe dans une forêt afin d’atteindre un col. Je monte en volant. Mon genou ne va pas trop mal lors des montées. Par contre, je sais que j’en chierai pendant la descente. Tant pis, autant me concentrer sur la montée ; la descente, on verra au moment venu.
Je suis au taquet parce que je sais que demain je serai à St-Arnaud.
Marcher Te Araroa, ou n’importe quelle autre randonnée longue distance, équivaut à travailler. Un travail bien rythmé dans lequel, par moments, il faut tout donner. J’ai une routine et des habitudes qui se sont instaurées au fil du temps. Il y a également des objectifs à atteindre ; et c’est quelque chose que je dois prendre un minimum au sérieux, si je veux pouvoir avancer efficacement. Mais je vous l’accorde. Des fois, comme dans n’importe quel travail, on n’a pas toujours envie de se lever le matin pour y aller. Ici, c’est pareil, j’ai pas toujours envie d’y aller. On peut aussi comparer les fins d’étapes aux fins de semaines de travail. On est tout de suite plus motivés quand on sent le weekend approcher, non ?
Lorsque je me retrouve presque en dehors de la forêt, je croise deux SOBOS avec lesquels je discute cinq minutes. La fille me donne une sucette. « Merci, tu as refait ma journée ! » lui dis-je.
Je poursuis ensuite en direction du col. Le chemin est maintenant ouvert et exposé. Le soleil brille, il n’y a que très peu de vent. La vue sur les montagnes est belle. J’attends Dario, et l’encourage lorsque je le vois arriver. Je sais que c’est dur d’avancer avec un sac lourd. La descente n’est finalement pas si pire que ça. J’ai passé une petite demi-heure à peine à sauter d’un gros caillou à un autre et à essayer de ne pas tomber et voilà, la fin de la pente la plus abrupte est derrière moi. Ensuite, elle se fait beaucoup plus douce, sur un joli chemin bien propre.
Je marque un bref arrêt à la Upper Travres Hut pour manger. J’en profite pour faire sécher, sur la barrière extérieure, mes fringues qui puent l’humidité et forment une boule au fond de mon sac. Dario me rejoint alors que je m’apprête à partir. Je suis tellement motivée à être à St-Arnaud que je pourrais faire 20 km de plus aujourd’hui. Dommage que mon genou, lui, ne tienne pas le rythme... Je poursuis mon chemin jusqu’à la John Tait hut, où je dormirai ce soir. J’y arrive vers 15h. Je me rince vite fait dans la rivière et passe le reste de l’après-midi allongée dans mon duvet, le genou souffrant. La hut se remplit petit à petit de SOBO et de marcheurs qui sont venus faire le circuit de trois jours. Elle est presque pleine. Quand Dario arrive, on mange un morceau et on discute un peu. Je dors mal, cette nuit, parce qu’un mec ronfle. Super !
02.03.20 (J 59)
Je traîne au réveil et m’en vais vers 10h00. Je traverse un chemin en forêt qui requiert beaucoup de concentration et de levers de pieds digne de ce nom ! Le terrain est glissant et il faut que je m’agrippe à des branchages pour me tirer en haut de certains passages. Je crains toujours que mon genou se remette à faire mal, même si je sais qu’il ne sert à rien de trop y penser. Ça n’améliorera pas la situation. J’essaie de ne pas trop forcer dessus, et, pour aujourd’hui, m’octroie une demi-journée de repos. Je pense que c’est plus intelligent d’y aller en douceur, même si une partie de moi veut « speeder » et « taper dedans », comme je dis souvent.
La montée pour atteindre le sommet de la montagne que je pouvais observer depuis la Hunters hut, fût de type « costaud » ! En guise de récompense, j’avais non seulement un joli panorama mais aussi du réseau ! Il est très rare que j’aie du réseau lorsque je marche. C’est trop super de pouvoir m’informer de la météo et appeler les gens que j’aime entre deux étapes.
Je me tape ensuite une descente de la mort sur un petit chemin, suivi de deux kilomètres à jongler et sautiller sur des blocs de pierres. J’en ai marre, de la caillasse !
La Top Wairoa hut se présente à moi. Elle est orange, et brille comme un soleil au milieu de ce terrain désertique, perdu au milieu du bout du monde.
Du 11.03.20 au 23.03.20 (J 69 à J 80)
J’ai passé deux jours à Wellington. J’ai marché, lavé mes vêtements et bu des bières avec Laure qui était aussi dans le coin pendant quelques jours. Je suis ensuite montée en direction de Paraparaumu, ce qui m’a pris deux jours de marche environ. J’ai ensuite dormi chez Helen et Andrew mes premiers « Trail Angels *». Des gens absolument adorables, chez qui j’étais tellement bien que j’y suis restée deux nuits. Chrissy m’a rejoint chez eux. Nous avons passé une superbe soirée tous les quatre, et nous sommes reparties sur la route le lendemain.
*Un Trail Angel est une personne qui fournit un service plus que généreux à un randonneur fatigué, que ce soit un endroit pour camper pour la nuit, une chambre pour dormir, une boisson chaude, ou une douche.
La première grosse étape de cette île fut le Tararua Ranges. On m’avait servi du Richmond Ranges à toutes les sauces, mais jamais on ne m’a évoqué les Tararua Ranges comme étant une section difficile et usante. À mes yeux, le Tararua Ranges fut bien pire en termes de conditions météos et de qualité de terrain que le Richmond. Quant à l’autonomie, elle fut égale. Nous avons passé 8 jours hors de la civilisation et en autonomie complète.
Déjà, c’était plus dur parce que j’avais ma toile de tente sur moi, ce qui ajoutait 1.2kg en plus dans mon sac. En matière de nourriture, je ne m’en sortais à nouveau pas trop mal. J’avais pris soin de commander un autre carton Radix, que j’avais fait envoyer chez mes trail angels à Paraparaumu. Quelle organisation !
Le Tararua fût un méli-mélo de boue, de forêts indomptables et interminables, de chaleur humide et de pluie, de froid et de rhume (pour moi) ainsi que de nombreuses heures passées à avancer sur des chemins qui avaient fini par se transformer en ruisseaux à force de se gorger d’eau de pluie. Chrissy m’a partagé énormément de nourriture, ce qui m’a remonté le moral à bloc durant ces quelques jours de bataille.
Mes chaussures m’ont lâchée pile le jour où j’avais la possibilité de bifurquer dans la petite ville de Levin. - Si ça, c’est pas de la chance ! -
Chrissy m’a accompagnée pour acheter une paire de gaudasses, mais je crois, surtout, que c’était le meilleur prétexte pour s’arrêter boire un chocolat chaud et se refaire des provisions de bouffe. (De chocolat, surtout !)
Les gens chez qui nous sommes restées le soir ainsi que ceux qui nous ont pris en stop nous ont parlé du COVID-19. Nous, on était en dehors de tout ça, sans réseau téléphonique, coupées du monde, comme depuis des mois. On savait (moi, surtout) que le Corona Virus avait fait des dégâts et que les copains en France, en Suisse et en Inde étaient confinés. Mais moi, je croyais naïvement que la NZ passerait entre les gouttes. Ce qui ne fut pas le cas, malheureusement. Deux jours plus tard, alors que l’on faisait une grâce mat’ bien méritée dans une petite hut qui puait le rat crevé, les Frenchies ont débarqué. Les Frenchies sont un jeune couple de Français incroyablement adorables avec qui Chrissy avait marché pendant plusieurs semaines. Je les avais rencontrés lors de notre soirée « buvage de bières » au bar de Punga Cov, avant de poursuivre ma route avec Chrissy.
C’était trop super de les revoir et de pouvoir marcher « en bande », chose toute nouvelle pour moi. On a passé deux jours ensemble, avant d’arriver à Palmerston North, où on a tous très vite déchanté. La nouvelle est tombée lorsqu’on était assis sur la terrasse d’un pub, une bière dans une main et une part de pizza dégoulinante de fromage dans l’autre : on avait 48h pour trouver un logement et se confiner, durant un mois au minimum. Fin de l’aventure, fin de l’histoire Te Araroa pour nous tous. La trail allait fermer, ainsi que toutes les huts, les campings, et tout le reste.
Le soir même, Chrissy, les Frenchies et moi avons sauté dans un bus en direction d’Auckland, où nos chemins se sont séparés. Ils sont restés là, chez Chrissy, alors que moi, je suis montée plus au nord, à Whangarei. Une fois arrivée à Whangarei, j’ai pris un café avec Frank et ai récupéré toutes mes affaires sur Addie. Durant le trajet en bus, Donna, une Kiwi à posté sur la page Facebook du Te Araroa qu’elle mettait à disposition une chambre pour quiconque en aurait besoin durant cette période. Je lui ai écrit et ai pleuré de soulagement quand elle m’a répondu qu’elle viendrait me chercher avec tous mes sacs à la marina. Depuis, je vis avec elle dans sa superbe maison qui est située à 25 minutes de la ville. J’ai retrouvé le bonheur de prendre une douche par jour et de manger tout un tas de bonnes choses. En plus y’a un chat et la vue sur l’océan. Alors, le confinement, ce n’est pas si pire que ça, non ?
Réveil à 7h. J’ingurgite des lentilles et prépare mon sac. Je décolle à 9h. (Bordel, je n’arriverai jamais à partir à 8h !)
Il paraît qu’en 9h de marche, aujourd’hui j’atteindrai le Telford campsite*, où je pourrai poser ma tente ce soir. Il fait sec, chaud, beau, venteux, pluvieux, frisquet... Bref, j’ai tout eu, en termes de météo ! Les paysages sont superbes. Une rivière se dessine au milieu d’une immense vallée verte. Nous longeons ensuite cette rivière le long de la plaine sur plusieurs kilomètres. (Caro est là !) Mes pieds me font lamentablement souffrir depuis le début d’après-midi. Ce ne sont pas tant les écorchures ou les ampoules qui me font mal. C’est plus comme si mes pieds devaient se réadapter à porter des chaussures, comme si le sang ne circulait pas bien, comme si on écrasait, compressait, comprimait mes orteils et toute la plante et les côtés des pieds à longueur de journée. « Il faut former les chaussures », me disent les gens. « Ou déformer les pieds », ais-je envie de répondre. Je finis par trottiner et boiter à moitié. La journée me paraît longue parce que la douleur me plombe le moral. La douleur, comme la faim, me prend tout parfois : mon énergie, ma motivation, ma bonne humeur, ma positivité, et même mon esprit.
Caro et moi marchons parfois ensemble, parfois séparément. Nous parlons peu, ce qui me convient très bien. J’ai toujours préféré aux autres les gens qui parlent peu mais qui agissent. L’autre jour, j’ai appelé Paul et Alice (mon frère et sa chérie). Alice m’a demandé si je croisais du monde le soir dans les huts. Je lui ai répondu que oui, cela arrivait, mais que sociabiliser est, ici, bien la dernière de mes priorités et de mes envies. Me retrouver seule me fait du bien. J’ai toujours eu de la peine avec l’autre, avec les gens. Et puis, ce sont toujours les mêmes discours, les mêmes questions, les mêmes mots prononcés et les mêmes intonations. « D’où viens-tu ? Tu fais quoi ? Ton prénom ? Pour combien de temps ? » Inutile, superficiel, consommateur de temps et d’énergie. Bref, passons.
Nous marchons dans un décor qui fait penser au Seigneur des Anneaux. Le vent se lève, alors que nous nous apprêtons à descendre dans une autre plaine. Il est tard et on se les pèle. J’ai mis des couches : veste en plume, bonnet et gants.
Nous arrivons au fameux camping à 21h30. Bordel ! Nous avons la vue, au loin, sur des montagnes enneigées et sommes bercées par le bruit du ruisseau à côté duquel nous campons. Je suis très heureuse de bivouaquer comme toujours, ou presque... Il est vrai que les conditions météo peuvent grandement en altérer l’expérience. Il faisait froid en fin de journée, mais là, allongée dans ma maison de nylon, il fait bon. J’apprécierais des journées de marche de huit ou neuf heures au lieu de onze ou douze heures. En fait, là, je me réjouis d’être à Queenstown dans une semaine. Enfin... si mes pieds et mes ongles tiennent toujours la route d’ici là.
Repas du soir : purée de pommes de terre et (oh bonheur !) chocolat chaud. Je dors au sec et au chaud. Je me suis réveillée pendant la nuit pour enlever une couche de vêtements.
Pensée du soir : Je crève de mal partout.
Vendredi 20.12.19 (J 17)
Je me réveille à 6h. Il fait un froid de canard. Je remets un peu de bois sur les braises de la veille et me prépare une tisane et un petit-déjeuner. Je décolle à 7h et avance dans le froid. Les 10km jusqu’au parking se passent en musique et en chansons. Le terrain est facile : plat, dégagé, proprement dessiné et dénué de boue, de troncs d’arbres en travers du chemin et de tout autre obstacle. La rivière de Greenstone se trouve à ma droite. Ensuite, je traverse des parcs à moutons. Je les salue. Je salue toujours les êtres que je croise. Ils sont ici chez eux, et je n’aime pas l’idée de les déranger dans leurs occupations. Il ne pleut pas aujourd’hui. Seulement quelques gouttelettes éparses, mais rien en comparaison à l’orage de la veille.
J’arrive au parking aux alentours de 9h30. Il est vide de gens, bien que quelques véhicules y soient stationnés. J’ai un énorme sourire aux lèvres.
Sur le papier, Queenstown est à 40km d’ici. La route, depuis l’endroit où je me trouve, jusqu’à Queenstown, ne fait pas partie des 3'000 km du Te Araroa. Les marcheurs rejoignent généralement la ville en navette (qu’ils ont réservé au préalable) ou en stop. Kinloch, un patelin de quelques maisons, se trouve à 12km d’ici, puis, entre Kinloch et Queenstown, se trouve le village de Glenorchy.
Vu que je n’ai pas réservé de navette, je décide de marcher en direction du village de Kinloch. Je me dis qu’avec un peu de chance, depuis là-bas, je trouverai quelqu’un qui ira dans la même direction que moi et qui pourra me déposer soit à Glenorchy soit à Queenstown. Mon corps sent et sait que ce sont les derniers kilomètres à fouler, à avaler, à parcourir avant de retrouver le luxe d’une douche, d’un vrai lit et plein de nourriture ultra calorique. Il me le fait comprendre en étant tout à coup raplapla, fatigué et affamé. Je m’arrête en bord de route et croise une voiture qui vient en sens inverse. Je la salue de la main, avec un grand sourire. Intérieurement, je me dis que j’ai merdé. Que j’aurais mieux fait de payer une navette au lieu de compter, comme toujours, sur la chance. « Je vais galérer à aller en ville aujourd’hui », me dis-je. Au pire, quand (si ?) une navette passe, je lui ferai signe de s’arrêter pour m’embarquer. Et sinon, tant pis. Je ferai ce que je sais faire de mieux : marcher.
Il commence à pleuvoir. Merde ! J’essaie de mettre mon mental au calme et de trouver un bon rythme. Il ne sert à rien de ruminer sur la situation. Je fais des choix, je les assume. J’accepte. Plus j’avance sur « le long chemin » et plus j’accepte les choses. Je me plains encore beaucoup, mais je suis de plus en plus dans la fatalité et l’acceptation de la réalité.
Il pleut ? Il fait beau ? J’ai faim ? Froid ? Je suis fatiguée ? Ce qui est, est. Point. J’ai perdu la notion du positif ou du négatif, du « c’est bien » ou « c’est mal ». Je fais de plus en plus abstraction de ces concepts-là. J’ai aussi appris, depuis le début de cette aventure, à rire de mes petits malheurs. L’autodérision me sauve. Comme l’autre jour, par exemple, où j’escaladais pour la énième fois une rambarde en bois afin de passer d’un parc à mouton à un autre. Il pleuvait à verse et j’étais équipée d’un poncho à dix balles que j’avais acheté à Te Anau. Il s’est déchiré. C’était la goute de trop et j’avais envie de pleurer, mais au lieu de ça, j’ai ri. Au milieu de nulle part, toute seule, j’ai eu un fou rire. J’ai ri parce que j’ai observé cette situation avec de la hauteur, et que c’était drôle, de ce point de vue-là. Il n’y avait rien de grave, rien d’alarmant, c’était juste comique. « Je le savais, que ce poncho à la con ne ferait pas faire deux jours ! » « Un poncho, c’est un poncho monsieur Ouille ! ». Et c’était reparti de plus belle !
Durant mes journées, j’essaie de me distraire du mieux que je peux. Certains moments, ma propre compagnie m’insupporte : elle devient pesante et lourde. Mais heureusement, la plupart du temps, j’ai un monde intérieur riche et captivant et j’ai parfois la sensation que je pourrais vivre seule éternellement.
Je m’occupe parfois l’esprit avec des jeux de devinettes que je me fais à moi-même. Comme par exemple citer le nom des capitales de différents pays. Argentine ? -Buenos Aires. Suisse ? -Berne. Inde ? -Delhi. Chine ? -Pékin, mais pas sûre... Ou alors réciter les noms des quatorze sommets les plus hauts du monde, ou encore le sommet le plus haut de chaque continent. Mon esprit est aussi grandement occupé par la Suisse ou, plus précisément, les copains de Suisse. Je me remémore les bons moments, les soirées, les fêtes, les coups d’un soir, la glisse sur les pistes de ski. Je pense à papa, à Paul, à la famille, à maman, à Sonia, à celles et ceux qui sont partis trop tôt, à mes premiers voyages, à l’apnée. Je pense aussi au futur, au K2, à l’Himalaya. Il faudra que j’organise tout ça, que je me renseigne sur les futurs itinéraires à prendre. Ce sera beaucoup de préparation, beaucoup d’entraînement. « Est-ce que je vais passer par la case recherche de sponsor ? Ou pas ? » Tout me traverse en fait, absolument tout. J’ai la tête remplie de rêves, le cœur plein d’envie. Je rêve les yeux grands ouverts, tout en marchant sur ce bout de Terre.
Le bruit d’un moteur me fait revenir à la réalité. Je me retourne et voit la même voiture qui, un quart d’heure plus tôt, venait en sens inverse. Je tends le pouce, tout sourire et la voit s’arrêter. « Monte ! Je vais jusqu’à Queenstown ! ». Chance, Karma, bonne étoile, appelons ça comme on veut. Je me sens soulagée et un jet d’excitation parcours mes veines. Je dépose mon sac à dos à l’arrière, et grimpe sur le siège avant. J’ai mon cœur qui bat fort, je suis trop contente, toute excitée. Queenstown, c’est une étape de faite, quelques 323 km parcourus. C’est super ! Je discute avec Sue, j’ai besoin de parler, on a un bon feeling. On s’arrête au bled de Kinloch, je savoure un chocolat chaud et lui offre un café. « Tu n’as pas besoin de me payer un café, Lise ! ». « C’est bientôt Noël ! », lui répondis-je. On se remet en route. En voiture, les paysages défilent vite. Ils sont magnifiques. Nous contournons le lac de Wakatipu qui est entouré de hauts sommets enneigés. C’est le troisième lac le plus grand du pays.
J’observe le panorama par la fenêtre, c’est tout simplement magique. Sue me dépose pile devant l’hôtel que j’ai pris soin de réserver. Elle me dit qu’elle est impressionnée par ce que je fais. Je lui souris timidement et lui réponds que je ne sais pas si je vais y arriver, que le but est encore très loin. « Tu vas y arriver », me dit-elle, avec un sourire franc. « Merci, Sue. Tu me donnes de l’espoir. Tu me donnes encore plus envie d’y croire. »
J’ai un milliard de trucs à faire, cet après-midi. Je prends une douche, je fais la lessive, puis les courses, je mange un morceau. La journée file et je m’endors comme un bébé, dans un bon lit douillet.
15.02.20 (J 50)
Je pars à 8h, sans manger. Ce n’est pas malin je sais, mais bon, là, Radix commence à me sortir par les oreilles. Aujourd’hui, c’est plat à mourir sur 30km. Mon genou me fait mal, même à plat. C’est une longue journée et j’ai hâte qu’elle se termine. Je monte à 1’130m. et je galère à y parvenir. Je ne suis pas à 100% de ma forme et de ma motivation ces derniers jours. Il fait chaud, et je bois plus de 4 litres d’eau durant la journée. J’arrive à Anne hut vers 20h30. Nom de Dieu ! J’ai mal partout et mon genou est fusillé. Tant pis, il n’y a pas moyen que je fasse marche arrière. Jamais, au grand jamais, je ne ferai marche arrière.
19.02.20 (J 54)
J’attends que Dario prépare son monstre de sac à dos et on se met en route. Aujourd’hui, objectif Tarn Hut. J’ai hâte que cette étape soit derrière moi. J’ai hâte d’arriver à St-Arnaud. Je me sens sale, je rêve de prendre une douche, de me laver correctement. Et je crève de faim, ces jours-ci. Je mange beaucoup plus que d’habitude, même si je dois m’efforcer d’avaler ce que j’ingurgite -Radix commence à me dégoûter-. C’est tellement pratique, le lyophilisé ! Grâce à cela, mon sac est très léger mais sinon, la texture reste la même et, par moments, elle m’écœure.
On grimpe dans une forêt afin d’atteindre un col. Je monte en volant. Mon genou ne va pas trop mal lors des montées. Par contre, je sais que j’en chierai pendant la descente. Tant pis, autant me concentrer sur la montée ; la descente, on verra au moment venu.
Je suis au taquet parce que je sais que demain je serai à St-Arnaud.
Marcher Te Araroa, ou n’importe quelle autre randonnée longue distance, équivaut à travailler. Un travail bien rythmé dans lequel, par moments, il faut tout donner. J’ai une routine et des habitudes qui se sont instaurées au fil du temps. Il y a également des objectifs à atteindre ; et c’est quelque chose que je dois prendre un minimum au sérieux, si je veux pouvoir avancer efficacement. Mais je vous l’accorde. Des fois, comme dans n’importe quel travail, on n’a pas toujours envie de se lever le matin pour y aller. Ici, c’est pareil, j’ai pas toujours envie d’y aller. On peut aussi comparer les fins d’étapes aux fins de semaines de travail. On est tout de suite plus motivés quand on sent le weekend approcher, non ?
Lorsque je me retrouve presque en dehors de la forêt, je croise deux SOBOS avec lesquels je discute cinq minutes. La fille me donne une sucette. « Merci, tu as refait ma journée ! » lui dis-je.
Je poursuis ensuite en direction du col. Le chemin est maintenant ouvert et exposé. Le soleil brille, il n’y a que très peu de vent. La vue sur les montagnes est belle. J’attends Dario, et l’encourage lorsque je le vois arriver. Je sais que c’est dur d’avancer avec un sac lourd. La descente n’est finalement pas si pire que ça. J’ai passé une petite demi-heure à peine à sauter d’un gros caillou à un autre et à essayer de ne pas tomber et voilà, la fin de la pente la plus abrupte est derrière moi. Ensuite, elle se fait beaucoup plus douce, sur un joli chemin bien propre.
Je marque un bref arrêt à la Upper Travres Hut pour manger. J’en profite pour faire sécher, sur la barrière extérieure, mes fringues qui puent l’humidité et forment une boule au fond de mon sac. Dario me rejoint alors que je m’apprête à partir. Je suis tellement motivée à être à St-Arnaud que je pourrais faire 20 km de plus aujourd’hui. Dommage que mon genou, lui, ne tienne pas le rythme... Je poursuis mon chemin jusqu’à la John Tait hut, où je dormirai ce soir. J’y arrive vers 15h. Je me rince vite fait dans la rivière et passe le reste de l’après-midi allongée dans mon duvet, le genou souffrant. La hut se remplit petit à petit de SOBO et de marcheurs qui sont venus faire le circuit de trois jours. Elle est presque pleine. Quand Dario arrive, on mange un morceau et on discute un peu. Je dors mal, cette nuit, parce qu’un mec ronfle. Super !
02.03.20 (J 59)
Je traîne au réveil et m’en vais vers 10h00. Je traverse un chemin en forêt qui requiert beaucoup de concentration et de levers de pieds digne de ce nom ! Le terrain est glissant et il faut que je m’agrippe à des branchages pour me tirer en haut de certains passages. Je crains toujours que mon genou se remette à faire mal, même si je sais qu’il ne sert à rien de trop y penser. Ça n’améliorera pas la situation. J’essaie de ne pas trop forcer dessus, et, pour aujourd’hui, m’octroie une demi-journée de repos. Je pense que c’est plus intelligent d’y aller en douceur, même si une partie de moi veut « speeder » et « taper dedans », comme je dis souvent.
La montée pour atteindre le sommet de la montagne que je pouvais observer depuis la Hunters hut, fût de type « costaud » ! En guise de récompense, j’avais non seulement un joli panorama mais aussi du réseau ! Il est très rare que j’aie du réseau lorsque je marche. C’est trop super de pouvoir m’informer de la météo et appeler les gens que j’aime entre deux étapes.
Je me tape ensuite une descente de la mort sur un petit chemin, suivi de deux kilomètres à jongler et sautiller sur des blocs de pierres. J’en ai marre, de la caillasse !
La Top Wairoa hut se présente à moi. Elle est orange, et brille comme un soleil au milieu de ce terrain désertique, perdu au milieu du bout du monde.
Du 11.03.20 au 23.03.20 (J 69 à J 80)
J’ai passé deux jours à Wellington. J’ai marché, lavé mes vêtements et bu des bières avec Laure qui était aussi dans le coin pendant quelques jours. Je suis ensuite montée en direction de Paraparaumu, ce qui m’a pris deux jours de marche environ. J’ai ensuite dormi chez Helen et Andrew mes premiers « Trail Angels *». Des gens absolument adorables, chez qui j’étais tellement bien que j’y suis restée deux nuits. Chrissy m’a rejoint chez eux. Nous avons passé une superbe soirée tous les quatre, et nous sommes reparties sur la route le lendemain.
*Un Trail Angel est une personne qui fournit un service plus que généreux à un randonneur fatigué, que ce soit un endroit pour camper pour la nuit, une chambre pour dormir, une boisson chaude, ou une douche.
La première grosse étape de cette île fut le Tararua Ranges. On m’avait servi du Richmond Ranges à toutes les sauces, mais jamais on ne m’a évoqué les Tararua Ranges comme étant une section difficile et usante. À mes yeux, le Tararua Ranges fut bien pire en termes de conditions météos et de qualité de terrain que le Richmond. Quant à l’autonomie, elle fut égale. Nous avons passé 8 jours hors de la civilisation et en autonomie complète.
Déjà, c’était plus dur parce que j’avais ma toile de tente sur moi, ce qui ajoutait 1.2kg en plus dans mon sac. En matière de nourriture, je ne m’en sortais à nouveau pas trop mal. J’avais pris soin de commander un autre carton Radix, que j’avais fait envoyer chez mes trail angels à Paraparaumu. Quelle organisation !
Le Tararua fût un méli-mélo de boue, de forêts indomptables et interminables, de chaleur humide et de pluie, de froid et de rhume (pour moi) ainsi que de nombreuses heures passées à avancer sur des chemins qui avaient fini par se transformer en ruisseaux à force de se gorger d’eau de pluie. Chrissy m’a partagé énormément de nourriture, ce qui m’a remonté le moral à bloc durant ces quelques jours de bataille.
Mes chaussures m’ont lâchée pile le jour où j’avais la possibilité de bifurquer dans la petite ville de Levin. - Si ça, c’est pas de la chance ! -
Chrissy m’a accompagnée pour acheter une paire de gaudasses, mais je crois, surtout, que c’était le meilleur prétexte pour s’arrêter boire un chocolat chaud et se refaire des provisions de bouffe. (De chocolat, surtout !)
Les gens chez qui nous sommes restées le soir ainsi que ceux qui nous ont pris en stop nous ont parlé du COVID-19. Nous, on était en dehors de tout ça, sans réseau téléphonique, coupées du monde, comme depuis des mois. On savait (moi, surtout) que le Corona Virus avait fait des dégâts et que les copains en France, en Suisse et en Inde étaient confinés. Mais moi, je croyais naïvement que la NZ passerait entre les gouttes. Ce qui ne fut pas le cas, malheureusement. Deux jours plus tard, alors que l’on faisait une grâce mat’ bien méritée dans une petite hut qui puait le rat crevé, les Frenchies ont débarqué. Les Frenchies sont un jeune couple de Français incroyablement adorables avec qui Chrissy avait marché pendant plusieurs semaines. Je les avais rencontrés lors de notre soirée « buvage de bières » au bar de Punga Cov, avant de poursuivre ma route avec Chrissy.
C’était trop super de les revoir et de pouvoir marcher « en bande », chose toute nouvelle pour moi. On a passé deux jours ensemble, avant d’arriver à Palmerston North, où on a tous très vite déchanté. La nouvelle est tombée lorsqu’on était assis sur la terrasse d’un pub, une bière dans une main et une part de pizza dégoulinante de fromage dans l’autre : on avait 48h pour trouver un logement et se confiner, durant un mois au minimum. Fin de l’aventure, fin de l’histoire Te Araroa pour nous tous. La trail allait fermer, ainsi que toutes les huts, les campings, et tout le reste.
Le soir même, Chrissy, les Frenchies et moi avons sauté dans un bus en direction d’Auckland, où nos chemins se sont séparés. Ils sont restés là, chez Chrissy, alors que moi, je suis montée plus au nord, à Whangarei. Une fois arrivée à Whangarei, j’ai pris un café avec Frank et ai récupéré toutes mes affaires sur Addie. Durant le trajet en bus, Donna, une Kiwi à posté sur la page Facebook du Te Araroa qu’elle mettait à disposition une chambre pour quiconque en aurait besoin durant cette période. Je lui ai écrit et ai pleuré de soulagement quand elle m’a répondu qu’elle viendrait me chercher avec tous mes sacs à la marina. Depuis, je vis avec elle dans sa superbe maison qui est située à 25 minutes de la ville. J’ai retrouvé le bonheur de prendre une douche par jour et de manger tout un tas de bonnes choses. En plus y’a un chat et la vue sur l’océan. Alors, le confinement, ce n’est pas si pire que ça, non ?