Massif central : à la verticale du Tarn
Si voyager est un art, alors Julien et Léana, artistes par ailleurs, ont dessiné une œuvre en mêlant packraft et grimpe au fil du Tarn. Une itinérance cévenole en pente douce et à la verticale de l’eau.
Aujourd’hui, l’aventure m’a trouvé sur un parking en bord de route, attiré par un panneau « à louer » apposé sur un petit bateau gonflable qui avait l’air prêt à en découdre. Faut dire qu’à Millau, il y a toujours un passionné derrière un comptoir avec quelques projets à tester.
Voyage dolomythique
Quelques jours plus tard, avec Léana, nous mettons les voiles vers le Tarn avec ce drôle de bateau de deux kilos. Le bus doit nous déposer à l’amont de la rivière, connue pour ses lessiveuses avaleuses de kayak et ses impressionnantes falaises de dolomie équipées de nombreuses voies d’escalade. Au rythme pataud de l’autobus, nous avons tout le temps d’admirer cette roche caussenarde, véritable passoire qui fait notre bonheur de grimpeurs comme celui des spéléos. C’est à eux et à Martel – le père fondateur de l’exploration souterraine – que l’on doit la construction de cette route en 1900 ! Il n’y a qu’une seule ligne d’autocar ici, il s’arrête partout et zigzague entre chaque village, mais on y apprend plein de choses et on voit du pays ! Étonnamment, le chauffeur nous prend pour de simples randonneurs. Certes, le packraft est bien emballé, mais les pagaies qui dépassent et le tintement des dégaines laissent quand même présager une aventure un peu plus rock’n’roll. Millau-Mende puis Mende-Florac, et nous nous jetons enfin à l’eau ! Les rapides s’enchaînent, le matériel est bien plié et surtout rangé dans l’ordre d’utilisation. Rien ne doit dépasser ou être perdu en cas de chavirement. Une corde mouillée et c’est dix kilos en plus, un reverso (système d’assurage) perdu et adieu les belles escalades. « Elle était pas mal cette plage ! », me lance Léana en quête d’un bivouac. Elle a raison, le soleil se couche dans une heure et la carte le confirme : plus loin, les lignes de courbes se resserrent, les berges se réduisent à peau de chagrin et franchir les rapides dans la pénombre est toujours une mauvaise idée.
Bons plans
- Merci les bus rouges de la région (LiO) qui sont à 2€ (prévoyez du cash ou l’appli sur smartphone). Aucune raison de s’embêter à prendre une voiture et en plus on découvre des petits villages très mignons où l’on ne se serait pas forcément arrêtés.
- Merci à Enduro Session d’avoir eu la belle idée de rendre les packrafts disponibles à la location dans la région et pas qu’en été !
- Les topos d'escalade ont été actualisés en 2023, disponibles en librairie et à l’office de tourisme de Millau.
Il n’y a pas de mauvaises saisons
Packrafter hors été dans un secteur aussi touristique que les gorges du Tarn, c’est trouver une rivière déserte et joueuse avec un niveau d’eau qui fait redécouvrir chacun des méandres. Le clapotis de l’eau contre la roche trouée et striée des causses nous offre de bien belles mélodies. Un seul sentiment domine, celui d’être hors du temps : là où l’homme n’a pas accès facile, la nature et son horreur du vide remplit, fleurit, transforme et régale tous nos sens. On se dit qu’il y a mille ans, nous aurions pu faire exactement la même descente. C’est aussi cela le charme de voyager dans le département le moins peuplé de France ! Les grands espaces et les quelques petits hameaux que nous traversons respirent un territoire de traditions ! Maisons de pierres adossées à la roche, terrasses cultivées issues d’un travail d’antan colossal, d’épierrage et de façonnage, nous laissent entrevoir ce qu’était la vie dans les villages reculés il y a quelques centaines d’années.
Grimpe et nav en Tarn
Rive droite, rive gauche ? On s’oriente dans le sens du courant, dos vers la source, regard vers l’embouchure ! Petite anecdote : nous voilà en train de crapahuter pour trouver notre bout de roche repéré dans le topo, il y a bien un relais là-haut qui brille, nous y parvenons difficilement et découvrons qu’il s’agit d’un tronçon de via ferrata ! Notre falaise était en fait de l’autre côté, rive gauche. Leçon retenue, ne pas se jeter aveuglément vers un morceau de métal qui brille en haut des falaises. Nous mettons un petit point gpx du bon côté, rive gauche, pour les prochains à passer par là…
Côté pagaies, nous sommes restés sages en partant de Florac (à partir d’ici, la rivière est en classe III). La tentation de démarrer quelques kilomètres plus en amont pour profiter de « la classique » du Tarn (classée IV) était forte, mais pas raisonnable car l’évolution du niveau d’eau (consultable sur vigicrues.gouv.fr) nous dit qu’on va dérouiller avec les dernières pluies et la fonte des neiges. On préférera faire quelques beaux plongeons, volontaires et maîtrisés, un peu plus bas.
Débroussaillage vertical
Là-haut sur les falaises, le retrait de l’eau il y a des millénaires a laissé ces mêmes trous que seuls le vent, les vautours fauves et les mains des grimpeurs caressent encore. Seulement, nos mains à nous sont un peu esquintées : le thermomètre affichait ce matin -5°C et les néoprènes sont gelés, heureusement notre thermostat d’aventurier est plus chaud que jamais ! Nous entamons notre première vraie session de grimpe en couenne sur une falaise peu connue appelée Le Labo : c’est équipé, froid comme une face nord et sauvage à souhait. Il y a du végétal partout, même vingt mètres plus haut. Nous sommes clairement les premiers de la saison à passer par là. Si ce n’était les spits déjà posés, on se croirait en pleine explo : nous nous arrêtons régulièrement pour gratter un peu les prises, couper quelques ronces et nettoyer les chaussons. Mais nous sommes venus chercher l’aventure et elle se trouve aussi là, sur les falaises !
Pas de souci !
« Tu dors pas ? – On vient de me mordre le pied ! – Tu as dû rêver. »
En reposant la tête sur mon oreiller polaire-sac-de-linge-sale-réserve-de-chaussettes, je contemple la toile de tente dessinée de motifs végétaux projetés en ombres chinoises par la pleine lune. « Il manque un sac à dos ! » Je sors et découvre nos réserves de nourriture disséminées un peu partout sur la berge. Ce renard avait les yeux plus gros que le ventre, j’étais quand même un sacré gros saucisson ! Tant mieux, nous n’en serons que plus légers pour le seul portage obligatoire de notre itinéraire : le Pas de Soucy, un chaos rocheux d’immenses blocs effondrés où la rivière serpente dangereusement.
Tous les moyens sont bons
Les bras tirent un peu plus que prévu et nous rions de cette idée de combiner deux activités sollicitant les mêmes muscles. Du psychobloc (escalade sans assurage quelques mètres directement au-dessus de la rivière) aux longueurs en couenne, nous nous régalons et prenons garde de ne pas trop en faire, car nous ne grimpons pas dans notre niveau habituel, le répétant à voix haute, comme s’il fallait dire à notre ego de se calmer. Nous décidons de ne plus trop sortir les topos, de regarder les prises et de faire ce qui nous semble jouable en grimpe à vue. L’objectif est de tâter du caillou, se faire plaisir, même pour une seule petite longueur.
Si près si loin
J’essaye de ne jamais perdre de vue Léana, bardée de matos, les mains qui tremblent de froid – ou de sa récente chute tête à l’envers –, elle ralentit un peu la cadence les derniers jours, comme si nous voulions faire durer le plaisir tout en sachant que le voyage touche à sa fin. Alors nous profitons du bain, des rayons du soleil qu’on retrouve après chaque virage : ombre - lumière - froid - chaleur. Et puis le dernier jour, ce jeu de lumière s’estompe, la rivière s’étale, les gorges s’ouvrent sur des pâturages. Au fond de ce cirque niché entre les plateaux des causses, apparaît un viaduc et notre terminus, la ville de Millau ! Nous avons l’impression d’être partis si loin… Effet de la combinaison originale de la grimpe et du packraft ou bien du hors saison ? En tout cas, un double combo chaudement recommandé !
La nature en partage
Ayant grandi entre deux espèces souvent en conflit, les kayakistes et les pêcheurs, j’ai appris très jeune le code de navigation et les gestes de bonne conduite sur l’eau, et suis rôdé à l’argumentation lorsqu’il faut expliquer. Alors que nous nous laissons glisser sans pagayer pour ne pas déranger la poiscaille et le pêcheur aperçu en aval, celui-ci, surpris par notre arrivée discrète, commence à sortir de ses gonds : « Fait c***, c’est pas la saison ! » L’occasion parfaite de rappeler qu’en France, toutes les rivières sont navigables, et toute l’année : les berges et la moitié de sol immergé appartiennent soit à l’État soit à un propriétaire privé. Il est donc interdit de s’y promener, mais l’eau courante, elle, est un droit commun : publique et navigable ! Des interdictions locales existent toutefois (arrêtés préfectoraux dans certains secteurs très précis liés à la sécurité, le partage avec les autres usagers ou la protection de l’environnement) et mieux vaut bien se renseigner avant de se mettre à l’eau (auprès des mairies, préfectures, offices de tourisme). Heureusement, sur le Tarn, on ne croise pas ou peu de clôtures et ce sont des berges sauvages qui nous accueillent le soir venu.
Les falaises, elles, sont généralement privées, mais sous convention avec la fédération d’escalade, donc accessibles. Seuls les bivouacs sont interdits. Dans la pratique, ils sont tolérés et plutôt bien acceptés nous dit-on à l’office de tourisme, aux conditions habituelles que l’on connaît : pas de feux, pas de bruit, pas de trace, pas plus d’une nuit et partir à l’aurore. Cela garantit au passage un certain calme sur la rivière, propice à la ponte et à la nidification.