Il faut vite se reconcentrer, tout est en arrondi, le granite ne se
poli pas mais perd ses cristaux un à un, à chaque bataille. La Dibona
vit, et en vieillissant, elle s’arrondit. Amis des aplats fuyants, bon
appétit.
Dans la deuxième longueur
L’enthousiasme venant, je saute un relais pourtant très visible, les
yeux rivés sur la grosse fissure déversante, je salive, tel Pavlov.
Haaa, ces grimpeurs de salle…
Cette longueur est une belle cerise sur le gâteau, elle n’est pas dans
la voie, un 6c+ perdu au milieu de toutes ces voies. On ne pouvait pas
la laisser seule. Un coup d’œil sur le Rouget. Mais qu’est-ce qu’il
fout dans les nuages ce con. Hé ho, vieux, on a dit grand bleu, ça te
concerne aussi !!
10ème longueur, on sent bien qu’on est sur une aiguille, les grimpeurs
de la voie Madier sont tout près maintenant et on discute … trop de
spits pour ces deux là, amoureux du terrain d’aventure, d’ailleurs ils
partent à travers tout pour s’obliger à être créatifs.
à la 10 longueur juste avant l'orage
Seule la Dibona est disciplinée, tous les sommets autour sont dans les
nuages manifestement mal informés de la météo… on a sûrement manqué de
pédagogie.
Avant dernière longueur, sabine me rejoint sous la pluie qui se
transforme très rapidement en neige et en grêle, une nouvelle formule
du « all inclusive ». Nos chaussons précis prennent une allure ridicule
sur les amas de grêle. « Sauve qui peut » par la rampe de droite. Se
tirer vite d’ici ça pue.
Au sommet la grêle s’est arrêtée, je me rends compte que le rappel est
10 mètres plus bas sur une dalle en 3 devenue un vrai toboggan de glace
plongeant à droite et à gauche, plein pot. Je fais venir sabine
jusqu’à moi que déjà sa grésille autour. D’abord tranquillement, un
petit « tic…tic…tic » sur la pointe du rocher à côté de moi. C’est LA
pointe, LE sommet de l’aiguille.
Le « tic…tic » devient vite des abeilles puis un essaim. Tout ce qui
m’entoure fait un vacarme pas possible, comme des centaines de lignes à
haute tension par temps humide… mes dégaines s’y mettent. Je brasse
l’air pour faire signe à sabine de se magner. Elle ne comprend pas,
elle assure ses pas sur la glace. Je m’agite de plus belle, mais reste
muet. Surtout ne pas crier ça peut sûrement déclencher les fusibles.
FLASH. C’est parti du rocher à 4-5 mètres, là, à côté de moi. Du coin
de l’œil j’ai vu l’éclair monter et en même temps le boum juste
au-dessus de moi, juste au-dessus ! Les échos le renvoient au centuple.
Je suis dur comme du bois. « Putain je vais crever grillé comme un porc
». Je me rappelle ces lectures de montagne où l’on parle du trou laissé
par le passage de la foudre, de ces accidents rapportés par Thierry le
copain pompier, avec ce gars qui s’est pris 200.000 volts mais qu’ils
ont trouvé vivant, tout nu, tous ses vêtements ayant explosés et lui
cuit, totalement cuit et qu’ils verront partir sous l’effet des
produits que lui injecte le médecin, rien ne sert de faire durer...
« merde, je suis toujours ce qui dépasse de cette Dibona de malheur »
je me fais encore plus petit, tassé au fond de ce petit creux à coté de
la flèche de granite. Sabine arrive, je lui souffle « grouille sa sent
la mort ». Je ne lui explique pas la foudre et elle ne pose d’ailleurs
pas de question. Elle ne se doute pas que c’est tombé à côté de moi !
Elle me sait trouillard mais là elle sent que ça merde. Depuis le coup
de foudre, le grésillement ne s’est arrêté qu’une minute ou c’est
l’effet de surprise mais depuis ça recommence et ça augmente encore. «
C’est quoi ? » demande sabine « ben s’est la foudre qui se prépare »…
Milles questions se bousculent dans ma tête : « pourquoi tout à
l’heure, je n’ai pas été plus attirant que les rochers mouillés juste à
côté avec tant de matos métallique au cul ? », « Le coup de foudre
aurait dû décharger l’aiguille et elle continue de grésiller de plus
belle, qu’est-ce qui se passe ? » , « Je suis trempé, assis sur des
rochers mouillés et la foudre est tombée à trois quatre mètres et je
n’ai pas été électrocuté, c’est quoi le truc ? ». Je me promets de
chercher à en savoir plus si on s’en sort.
La corde gorgée d’eau est comme un fil électrique mélomane, elle
grésille, siffle, et fait des vizzzzouuuu quand on la manipule… tout
semble dire : « le prochain est pour vous »… Deux rappels
interminables, je veux aller vite, je secoue la corde pour la démêler
rapidement ce qui aboutit au résultat inverse, quelle idée aussi de
faire des relais en métal !
100 mètres plus bas, sur le névé, la tension retombe, les éclairs sont
de l’autre côté de la vallée et ça bastonne encore plus là-bas. 20
minutes plus tard, on a même droit à un p’tit rayons de soleil, c’est
tellement différent de ce que l’on a vécu il y a seulement 40 minutes
qu’on se demande si on n’a pas rêvé, pardon, cauchemardé ! Tellement
détendu maintenant qu’on redescend relax, à ce point zen qu’on mettra
deux fois plus de temps que normalement.
justre apres l'orage
Le soir dans la mini tente, pas moyens de trouver le sommeil, je me
refais le film des dizaines de fois, j’élabore des théories fumeuses…
« On aurait du rester à l’avant derniers relais c’est moins exposé, oui
mais si ça avait continué de plus belle ? » , « J’aurais dû tirer le
matos métalliques loin derrières moi, mais il se serait coincé partout
et la corde est trempée? », « On aurait dû abandonner le matos, oui
mais il faut tout de même un minimum pour descendre, un peu ou beaucoup
de métal qu’est-ce que ça change ? », « On aurait dû partir plus tôt,
15 minutes et on aurait fini sur le névé avant l’orage ! » … bref, je
mets Paris en bouteille plusieurs fois.
Las de tourner en rond, je prends notre unique lecture, le topo de
Jean-Michel Cambon « Les 300 moins pires ». Pas mazo, je ne relis pas
les topos mais les encadrés, ces morceaux d’histoire sur les ouvertures
et des vies de guides qui ont marqué la vallée… C’est ce qu’il me faut
pour me détendre… par exemple page 219 « itinéraire de Narcisse Candau
» Guide en Oisan entre 1964 et 1999, et patati et pata…il a pris la
foudre en 1977 à la pointe Cézanne, projeté dans le vide inconscient,
les secours arrivent néanmoins vite, on le récupère à l’hosto mais il
s’en sort avec de grosses séquelles et plus de 10 ans pour pouvoir
remarcher. Le point d’entrée de la foudre ? Un rivet sur le casque !
«Mais quelle idée de mettre des rivets sur un casque ??! » heu, à part
que, si mes souvenirs sont bons, mon premier casque ‘Ecrin’ justement
en étais remplis… et celui que j’ai là ? Je fouille mon sac, réveille
sabine… « non rien dors ma belle ». Ben merde, il en reste encore deux
? Assassins ! Bref une nuit infernale.
Me voilà devant internet : Pour me rassurer j’y apprends que : « La
foudre est le danger majeur avec 10 à 100 millions de volts et 25 000
ampères, il est très difficile, en cas d'impact au sol, de se
soustraire au risque et les chances de survie lorsque l'on a été touché
sont infimes ». Que les cordes mouillées sont de très bon conducteur de
foudre. Plus positif, j’apprends que seul 1% des accidents de montagne
sont liés à la foudre et qu’à peu près 1000 personnes sont tuées par la
foudre chaque année dans le monde, bref rien comparé à la malaria ou
les accidents de voiture.
J’y apprends que l’on peut aussi mourir parce que l’on est projeté dans
le vide, en fait c’est plutôt la victime qui s’y « jette » avec la
tétanisation violente des muscles sous l’effet du courant.
J’y découvre aussi que le métal n’attire pas plus la foudre mais comme
il est bon conducteur si le courant passe dans le coin, il cherchera à
gagner du temps en passant pas là en causant forte brûlure ou une
entrée vers le corps. Mais aussi que la foudre tombant sur un arbre
peut vous « sauter » dessus pour continuer son chemin vers le sol en
cherchant le chemin de moindre résistance. Ce type de foudroiement
indirect est même beaucoup plus fréquent que l’impact direct. Enfin,
et cela fait froid dans le dos, que la foudre peut précéder de
plusieurs kilomètres un orage frontal et tomber littéralement du ciel
limpide.
Et les réponses à mes questions ? Ce n’est pas simple. On trouve pas
mal d’info sur les différents types d’impacts et les effets des
courants de sol pouvant aussi être dangereux lorsque vos pieds sont
écartés (créant une différence de potentiel le courant peut alors vous
traverser). Par contre, il n’est pas facile de savoir si un sommet se
décharge complètement en prenant la foudre. Ni pourquoi ces courants de
sol ne nous ont pas rôtis ? Il semblerait que dans notre cas le courant
ait suivi la fissure gorgée d’eau qui filait vers le sol et que le fait
de n’être pas complètement trempé nous a sauvés, mais cela reste une
hypothèse ?
le lendemain ...l'électrochoc ne nous a pas dégoutés
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