Cela pourrait paraître paradoxal, mais il est bien plus difficile de passer plusieurs semaines en autonomie en forêt tropicale que sur la banquise ou au Spitzberg. La raison en est simple : on ne peut pas utiliser de pulka dans la jungle ! Il y a bien entendu une autre possibilité, à savoir le canoë, mais cela suppose que l’on puisse le déposer en amont du parcours (les canoës et kayaks gonflables sont alors bien précieux) et limite fortement le terrain de jeu. Nous parlerons dans une autre chronique du MUL en kayak, mais ici, nous considérerons le cas du marcheur.
Comme pour toute randonnée, les besoins à satisfaire se classent en 4 catégories :
- Le portage et la tenue vestimentaire (sac à dos, vêtements, chaussures)
- L’abri et le couchage
- La nourriture et la boisson (transport et traitement de l’eau, popote et provisions)
- La sécurité et autres ustensiles (pharmacie, outillage, balises etc.)
Nous allons les aborder dans l’ordre, mais auparavant quelques remarques :
La forêt tropicale n’est pas un milieu immédiatement hostile – j’en reparlerai plus loin. Mais c’est quand même un milieu difficile et il n’est pas conseillé de s’y aventurer seul sans une bonne préparation. Un incident, une jambe cassée par exemple, peut devenir dramatique si l’on est vraiment seul, alors qu’une randonnée organisée par un voyagiste ne pose pas les mêmes problèmes.
Il faut aussi distinguer la randonnée de quelques jours dans des zones où il y a du passage (et donc des layons¹ tracés dans la forêt) de la traversée de zones vraiment désertes (et il en existe encore). Pendant longtemps, j’ai fait des expéditions à deux dans des zones vraiment isolées et sans aucun moyen de communication : maintenant qu’il existe des balises, je précise à l’avance mon itinéraire estimé et j’emporte une balise – sachant qu’il ne faut pas partout espérer un secours très rapide.
Il faut aussi savoir ce que l’on vient y faire : aller d’un point à un autre, essayer de vivre quelque temps dans la forêt, ou tout simplement admirer la flore et la faune (dans mon cas, j’y vais par plaisir, mais aussi pour mon travail :-)). Suivant la longueur du trajet et la durée de l’aventure, il faudra porter une attention plus ou moins grande à l’optimisation du matériel.
Lachesis muta en Bolivie
Le portage et la tenue vestimentaire
Il n’y a pas de réponse unique, tant les conditions peuvent varier suivant les régions et les saisons. Commençons par les chaussures : dans des forêts humides en saison des pluies, les bottes en caoutchouc sont souvent la meilleure solution (Guyane par exemple). À l’inverse, en forêt plus sèche et en saison sèche et si je pense rester le plus souvent sur des layons, il m’arrive d’utiliser des sandales spécialisées pour la randonnée aquatique, mais c’est exceptionnel (beaucoup d’autochtones marchent en tongs, mais je ne le conseille pas – parce que ça glisse et que ça n'offre aucune protection – sauf pour le bivouac quand on porte des bottes pendant la journée). Souvent, des chaussures de randonnée légères sont la meilleure option. Avec les bottes et les chaussures, on utilisera des chaussettes bon marché en coton, en les lavant assez souvent : de toute façon, c'est du consommable, elles seront bonnes à jeter au retour. Dans certaines forêts (Thaïlande par exemple), les sangsues de forêt rendent indispensable le port de guêtres bien ajustées.
Idem pour les vêtements : il m’arrive d’être en short et en chemisette (plus agréable à mon avis qu’un t-shirt en coton), voire torse nu, mais bien souvent le sous-bois est dense et épineux et les insectes abondent : pantalons et manches longues s’imposent alors (il faudra de toute façon avoir un pantalon et une chemise à manches longues pour le soir à cause des insectes). On rappelle que le synthétique sèche bien plus vite que le coton et comme on lavera ses vêtements souvent plutôt que d’emporter beaucoup de rechange, le temps de séchage est un facteur important.
Ne pas oublier un couvre-chef (au minimum un bandana), mais si vous devez avoir des trajets en pirogue motorisée, un chapeau avec rebord que l’on peut attacher sous le menton est recommandé.
Contre les grosses pluies, la seule parade est le poncho, qui n’est pas très pratique pour marcher en forêt. On est parfois obligé de s’arrêter en attendant une accalmie. S’il fait vraiment chaud, on peut accepter de se faire tremper, mais attention, on ressent vite une impression de froid, et si tout est mouillé, il sera difficile de se réchauffer. Un ustensile apparemment incongru mais en fait très utile est le parapluie : il en existe de très légers et très compacts, et c’est un régal quand les sous-bois sont faciles et la pluie pas trop intense.
Pour les vêtements comme pour les chaussures, le bon sens et l’observation des usages locaux seront déterminants. S’il s’agit de préparer une expédition dans une zone que vous ne connaissez pas, posez des questions sur les forums :-) !
Un mot à propos du sac : un sac étanche est parfait pour des expéditions courtes (1 semaine, 2 au grand maximum) en forêt humide. Au-delà, cela deviendrait un nid à moisissures. On choisira alors un sac en tissu résistant, sans trop de poches ni d’accessoires pour ne pas s’accrocher partout. À l’intérieur, on mettra ce que l’on veut protéger dans des boîtes ou des sacs étanches. La photo montre les 2 types. Et on évitera de prendre un sac trop grand, que l’on a toujours tendance à trop remplir.
Les deux types de sac à dos
L’abri et le couchage
Mygale Guyanaise !
Dormir à même le sol est déconseillé (à cause des tiques, scorpions, araignées et sangsues de forêt en Asie, etc.).
Certains utilisent une tente avec un tapis de sol en cuvette et une moustiquaire, mais à mon avis, la plupart du temps le hamac s’impose. Il s’utilise avec une moustiquaire (presque partout indispensable, tant pour le confort que pour éviter paludisme et arboviroses) et une bâche, qui doit être à la fois grande et légère. Dans le dossier sur les hamacs, j’ai écrit un encart pour expliquer que je préfère ces 3 éléments séparés. Les 2 photos montrent 2 types de bivouac que j’utilise fréquemment : le plus grand est utile quand je suis seulement semi-itinérant, et que je dois rester plusieurs jours au même endroit. On peut et cuisiner et travailler sous le grand abri qu’il offre (éviter les feux de bois ouverts bien sûr, car le silnylon² brûle très bien !). Il se compose d’un hamac double sans suspentes, d’une moustiquaire en tulle faite maison (voir le post de Cariacou www.expemag.com/voyage/viewtopic.php?pid=3722 pour un modèle adapté), et d’un tarp en silnylon de 5x3 m (prototype Arklight – mais on peut en faire un soi-même avec de la toile imperméable légère type toile de spi). Les cordes pour le hamac sont en drisse de 4 mm, la faîtière pour suspendre la bâche est en cordelette d’escalade de 3 mm. Le poids total est de 1 750 g.
Le plus grand des deux bivouacs utilisés
Celui du plus petit (bâche verte) est de 1 130 g : là, j’utilise un hamac à suspentes (dans le dossier, on parle de « faisceau de suspentes », et Cariacou parle d’« araignée ») acheté en Guyane (mais semblable à ceux du dossier vendus par la Maison du Hamac). J’enlève les œillets métalliques à l’épissure, et je les remplace par deux tours de Duct Tape pour alléger. La moustiquaire est encore plus légère, bien qu’elle possède des manchons assez longs pour aller assez loin sur les suspentes. La bâche est un tarp de 2,5x3 m en silnylon (Arklight), montée en diagonale. C’est vraiment la dimension minimum, et il ne faut pas qu’il y ait de vent latéral quand il pleut fort. J’utilise pour accrocher le hamac des drisses en Dyneema de 2 mm (en glissant un morceau de tube dans le nœud de chaise pour pouvoir le défaire) et de la cordelette de 2 mm pour la faîtière. Notons que les poids indiqués comprennent tous les bouts nécessaires, un mousqueton, une petite couverture, des sardines pour tendre la bâche sur les côtés s’il n’y a que deux arbres (voire la monter en tarp), ainsi que le sac de transport pour tout ça.
Le plus petit des deux bivouacs
Je n’emporte jamais de sac de couchage. Un paréo (ou une petite couverture comme celles prêtées par les compagnies d’aviation :-)) me suffit en général, d’autant qu’en forêt il y a peu de vent, et que la moustiquaire forme un cocon. En plus d’un millier de nuits, il m’est arrivé une seule fois d’avoir froid, mais j’étais dans une large clairière, c’était en saison des pluies et il y avait du vent.
La moustiquaire est suspendue à la faîtière, et il est agréable de prévoir à l’intérieur de la moustiquaire une ou deux boucles en tissu avec des mini-mousquetons pour accrocher une lampe ou d’autres petits objets (lunettes, etc.).
Il est conseillé de suspendre son sac et ses chaussures pendant la nuit…
Un dernier point : avant d’établir votre bivouac, jetez un œil en l’air ; il faut éviter de s’installer sous des arbres vieillissants, car une chute de branche peut être mortelle. C’est particulièrement vrai en saison des pluies ou s’il y a du vent.
La nourriture et la boisson
Une vision erronée mais souvent répandue est celle de la forêt tropicale comme un milieu terrifiant et hostile. C’est loin d’être le cas, sauf si on a la malchance de recevoir un arbre ou une grosse branche sur la tête (cause de loin la plus fréquente des accidents dans ce milieu), on ne risque pas de mourir rapidement dans la forêt tropicale. Tout aussi erronée est l’assimilation de cette forêt au jardin d’Éden : en effet, le plus gros risque à long terme est de mourir de faim. Il y a bien des fruits, mais ceux qui sont au sol sont le plus souvent pourris, et aller les chercher à 30 m de haut n’est pas une sinécure, d’autant plus que les singes et les oiseaux en sont aussi amateurs. Transporter un fusil est une solution pour beaucoup de gens qui vivent en forêt (chercheurs d’or par exemple), mais un fusil avec ses munitions est bien lourd, et surtout, il faut savoir que la chasse demande beaucoup plus de temps que l’on ne l’imagine et que si l’on abat autre chose que du petit gibier mangé le jour même, il faut le boucaner³ et ensuite le transporter. Par ailleurs, la chasse est interdite dans un certain nombre de pays. Ce n’est pas une solution MUL. Il en va autrement de la pêche, qui ne demande que peu de matériel : quelques forts hameçons et du fil solide, ainsi qu’éventuellement des bas de ligne en acier, beaucoup de poissons étant carnivores. En pratique, cela ne marche pas toujours, et même si l’on fait abstraction de la contamination de beaucoup de cours d’eau par le mercure (l’orpaillage existe même dans des endroits très reculés), le poisson frais peut être considéré comme un supplément bienvenu, mais non comme la base du régime.
Dendrobate
En certains endroits, où l’on sait qu’il n’y a pas d’occupation humaine en amont, on peut boire telle quelle l’eau des ruisseaux. Mais le plus souvent, il faudra la traiter. Si elle est trouble, on commence par un filtrage grossier (un bandana est efficace). Ensuite, un filtre à main charbon-céramique sera souvent suffisant. Sans filtre, un traitement Micropur fort est mon choix habituel, mais il y a d’autres produits qui fonctionnent aussi (je me suis longtemps contenté d’hydrochlonazone, bien moins chère). Faire bouillir l’eau de boisson est long et boire de l’eau chaude sous les tropiques, sauf pour le thé ou le café, n’est pas très plaisant. À ce sujet, il est bon de dire que, souvent, l’eau pure ne semble plus désaltérer : c’est en général le signe d’une carence en sels minéraux. On peut emporter des poudres du commerce, mais une solution peu coûteuse consiste à rajouter à l’eau de boisson une pincée de sel, une pincée de citron déshydraté et quelques cuillerées de sucre. Pour le stockage, des grandes bouteilles de soda sont parfaites, mais j’emporte souvent aussi une poche à eau (par exemple une Dromedary MSR de 4 ou de 10 litres, bien pratique car l’on peut y adapter leurs filtres).
Crique (ruisseau d'eau pure) en Guyane française
Aquarelle de l'auteur : une crique dans la jungle
Une solution souvent utilisée est de prendre le riz comme base. Mais il faut alors faire du feu chaque jour (j’ai un souvenir misérable d’un bivouac en bord d’une rivière que je descendais en kayak gonflable, où il fut impossible d’allumer un feu tant tout était mouillé sur la grève et le bord de forêt impénétrable de nuit à cause des lianes épineuses). Les autres glucides envisageables sont la semoule de blé (mais qui a tendance à s’humidifier et à moisir) et la semoule de manioc (« couac » ou « kwak » en Guyane, « farinha » au Brésil, et « gari » en Afrique) : elle est un peu moins calorique, mais a le gros avantage de pouvoir se manger sans cuisson, juste mouillée et assaisonnée. En plus des glucides, on emportera (dans une bouteille en plastique) de l’huile qui sera ajoutée à la plâtrée de glucides, mais aussi des condiments en poudre (piment en poudre, soupes en sachets, bouillons cubes, citron déshydraté) et bien sûr du sel. Pour les protéines, le jerky (viande séchée) est précieux, ainsi que le poisson séché, mais certains pourront se contenter des poudres protéinées des bodybuilders. Si votre glucide de base est le riz, alors des lentilles corail (« dahl ») sont idéales. On emportera aussi du sucre en poudre, dans une bouteille plastique bien fermée (à cause de l’humidité et des fourmis).
Ce n’est nullement obligatoire, mais si l’on n’est pas trop chargé, emporter un peu de rhum ou un équivalent, qu’on assortira au fur et à mesure des besoins d’un peu de sucre et de citron déshydraté, permettra de donner parfois à la soirée un caractère festif et convivial :-)…
Pour des expéditions un peu longues (supérieures à 15 jours en autonomie), il est important d’emporter des pastilles multivitaminées à prendre quotidiennement au bout de quelques jours.
En ce qui concerne le réchaud et la popote : pour un séjour court (jusqu’à une semaine), on peut compter sur des réchauds à gaz ou à alcool. Au-delà, c’est le feu de bois et une grande popote d’au moins 1,5 litre ; on pourra utiliser du coton ou du papier w.-c. imbibé d’huile comme allume-feu quand tout est humide. Ajoutez à cela un bol léger, une cuiller et un canif (un Douk-Douk est très adapté, mais un couteau multifonctions type Leatherman ou couteau suisse pourra dépanner pour d’autres usages) et vous êtes parés.
La sécurité et autres ustensiles
Une machette est le compagnon quasi-indispensable du marcheur en jungle, sauf si vous êtes dans un groupe et restez sur des layons fréquentés. Elle doit absolument être dans un étui solide (en cuir si possible) et ne doit pas – une fois l’étui accroché à votre ceinture – dépasser en dessous du genou pour ne pas vous gêner. Son usage doit rester parcimonieux, il n’est pas élégant d’ouvrir une autoroute…
Il n’y a pas toujours de cartes détaillées : ayez une carte générale, avec les rivières et les reliefs, et entrez à l’avance sur votre GPS les waypoints que vous aurez déterminés, ainsi que les coordonnées d’éventuels villages ou camps de forestiers ou d’orpailleurs. Une boussole assez simple suffit, il n’est en général pas possible de faire des visées lointaines. Du ruban de marquage et du fil de géomètre (Topofil) pourront vous servir pour des contournements de chablis ou autres passages difficiles : le ruban remplace les cailloux du Petit Poucet, et le Topofil est un fil d'Ariane dans les taillis denses.
Un chablis en Guyane
Bien évidemment, une lampe frontale avec des piles de rechange est indispensable, la nuit tombant très tôt. Un couteau multifonctions peut s’avérer utile, ainsi qu’un petit nécessaire de couture et du ruban adhésif fort (Duct Tape).
Si vous emportez un appareil photo, il peut s’avérer judicieux d’avoir une housse étanche et du dessiccatif (silicagel).
Je ne donnerai pas ici une liste de pharmacie (il faut en parler avec un médecin spécialisé en médecine tropicale), mais il faut prévoir, outre les classiques pansements et désinfectants, au moins un anti-diarrhéique, un antihistaminique, et un traitement curatif à base d’artémisine si l’on ne prend pas de traitement antipaludéen préventif. Une petite boîte avec du talc permet de résoudre le douloureux problème des irritations de frottement (aisselles et entrejambes). Dans certains endroits, un répulsif vraiment costaud (à forte teneur en DEET) est quasi indispensable – j’ai des souvenirs particulièrement cuisants d’une expédition sur la Meseta de Huanchaca en Bolivie. Je pense que l’Aspivenin est plus nuisible qu’utile (il est quasiment inefficace car le venin est injecté trop profondément et peut en outre augmenter le risque de gangrène). Vérifiez que vos vaccins sont à jour, en particulier celui contre la fièvre jaune, exigé dans de nombreux pays.
Mad en Bolivie
En guise de conclusion
Ces quelques lignes ne feront pas bien sûr d’une bleusaille un broussard aguerri et autonome, mais elles donnent des pistes pour préparer un voyage et seront suffisantes si vous partez avec des gens déjà expérimentés.
Sachez que la jungle est une drogue dure : une fois passées les appréhensions du début – même si vous êtes prévenus, un concert de singes hurleurs au-dessus de votre bivouac vous surprendra la première fois :-) – vous apprendrez à aimer la forêt, et une fois rentrés, vous rêverez d’y retourner !
1 Layon : petit sentier
2 Silnylon : nylon avec enduction silicone
3 Boucaner : fumer
Porc-épic en Thailande