Le seatrekking
Texte : Patrick Balch
Photos : WatchTheSea.org
Qu’est-ce que le seatrekking ?
Le seatrekking est une pratique sportive qui consiste à combiner nage et marche itinérantes en transportant ses affaires de bivouac. Pratiquée en Allemagne depuis une dizaine d’années, elle prend son essor en France via une communauté de passionnés qui œuvrent activement à son développement et à sa démocratisation. Le seatrekking* est en quelque sorte la transposition du « trekking » que l’on connaît bien à terre, à l’environnement marin.
En complément du dossier "Voyager sur l'eau" du numéro 68 de Carnets d'Aventures.
Voir aussi les carnets MyTrip de Patrick Balch.
MATÉRIEL ET GESTION D’UN SEATREK
Le seatrekking a dû innover en créant ou adaptant du matériel répondant à ses besoins spécifiques. Le passage récurrent de l’immersion à la marche dans une même journée introduit des problématiques nouvelles.
Sacs
Le sac doit remplir ses fonctions à la fois en mer et à terre. Nous en possédons deux modèles selon la durée de nos treks : celui d’Áetem (le noir sur les photos) et celui de Décathlon (le rouge). Le premier, d’une capacité de 70 L, a été conçu spécifiquement pour le seatrekking par la communauté (il a été imaginé, prototypé et développé par une poignée d’amis en Allemagne). Il intègre bon nombre de petits éléments pratiques tels qu’une bavette pour protéger la fermeture-éclair des grains de sable ou encore de multiples points d’accroche et une ceinture ventrale pour le portage à terre. Il n’est malheureusement plus produit et Watch The Sea a acheté les derniers modèles, disponibles à la location. Le sac bouée de Decathlon est quant à lui moins volumineux (40 L) et moins confortable à terre mais présente l’avantage de se trouver partout. Il fait très bien l’affaire pour des excursions allant de 2 à 3 jours maximum en autonomie. C’est donc le sac idéal pour toute personne souhaitant découvrir la pratique sur des excursions allant de la journée à 1 ou 2 nuits de bivouac.
Il existe pléthore de sacs étanches sur le marché mais peu d’entre eux sont équipés en plus d’une valve permettant le gonflage du sac. C’est cet élément indispensable qui nous permet la pratique et qui évite que le sac devienne un fardeau à traîner en mer. Pas besoin donc de s'encombrer avec une pompe, un simple gonflage à la bouche suffit. Le tout est tracté au moyen d’un leash élastique de 5-6 mètres fixé à la cheville nous permettant des apnées récréatives.
Équilibrage
Une fois gonflés, les sacs nécessitent un équilibrage avant la mise à l’eau. En effet, selon la façon dont on range nos affaires, des déséquilibres peuvent compromettre la stabilité du sac et provoquer des retournements dans l’eau (drapeau sous l’eau, etc.). Pour éviter cela, le principe reste le même que pour un sac de rando : essayer de placer les éléments les plus lourds au centre et proche du dos, de façon à ce qu’une fois sur l’eau, le poids soit le plus possible sous la ligne de flottaison.
Combinaisons
Nous évoluons en mer en combinaison néoprène dont l’épaisseur dépend de la zone géographique. Plusieurs configurations sont possibles, certains d’entre nous nagent en combinaison de plongée (avantage : chaleur ; inconvénient : poids et peu de liberté de mouvements des bras), d’autres en combinaison de nage / triathlon (avantage : poids, liberté de mouvements, glisse optimale ; inconvénient : fragilité à l’abrasion). Le compromis technique entre les deux est la combinaison de surf (tissu mesh résistant, liberté de mouvements des bras, chaleur, nombreux modèles et tailles).
Sécurité
Nous formons toujours des binômes ou trinômes. Un lien symbolique pour inciter à se surveiller l’un l’autre durant la nage ou les apnées. De façon générale, tout le monde se doit de garder un visuel sur tout le monde au minimum toutes les demi-heures pour ne jamais se perdre de vue.
Nous évoluons systématiquement avec au moins une VHF (pour un groupe de 6 personnes maximum) dans une pochette étanche facilement accessible à l'extérieur du sac, couplée parfois à une boîte de poudre de fluorescéine (produit fluorescent dont l’écotoxicité est faible, parfois utilisé lors de sauvetages en mer pour matérialiser la zone de secours). Tout le matériel de premiers secours est quant à lui rangé dans le sac près de l’ouverture, à côté des fusées de détresse. Si le niveau du groupe permet la pratique de l’apnée, nous embarquons en sus de quoi ventiler mécaniquement (insufflateur BAVU + cartouche d’O2) en cas d’accidents de remontée.
Seatrekker en solo est également possible et constitue une autre manière d’aborder le seatrekking tout aussi intéressante. Les apnées récréatives répétées deviennent plus risquées étant donné l’absence de surveillant en surface, et sont donc à réaliser avec modération. Mais une fois équipé d’un sac avec le matériel de sécurité décrit plus haut, une bonne combinaison, un bon duvet, un bon saucisson et la joie de se reconnecter à cet élément primaire, tout devient possible. C’est également une autre manière de se réapproprier les limites de son corps et les codes mentaux ébranlés quotidiennement par nos modes de vie.
Eau
Avec le froid et l’immersion prolongée, nos corps évacuent une quantité importante d’eau du fait de la vasoconstriction des vaisseaux sanguins. Par expérience nous nous imposons des arrêts de ravitaillement toutes les heures en mer ou sur terre. Certains utilisent des poches à eau avec pipette ou tout simplement des gourdes arrimées sur le haut du sac.
Nourriture
Pour des raisons pratiques, nous évitons de trop désorganiser nos sacs aux pauses du midi. Les déjeuners sont donc constitués de graines et fruits secs bien souvent clôturés par un café mis en thermos le matin. Le soir s’articule autour d’un repas chaud. Là aussi plusieurs écoles : le lyophilisé par simplicité mais nous tendons de plus en plus à prendre le temps de cuisiner (oignons, carottes, saucisses, riz, etc.) quitte à s’alourdir. Ces repas caloriques et goûteux sont d’un réconfort salvateur après une journée dans l’eau.
Bivouac
Comme tout adepte de la MUL qui se respecte, nous optons pour le plus léger possible sans compromettre notre sécurité. Les nuits se font donc bien souvent sous tarp sur la côte ou dans les sous-bois préalablement repérés sur nos cartes marines plastifiées. Le tout dans un esprit de minimalisme et de respect de la nature. Pas de feux à même le sol, préservation du biotope, etc.
Note : un projet fait fantasmer (ou plutôt a fait fantasmer) une partie du noyau dur de la communauté de seatrekkers, à savoir dormir sur l’eau. Cette sorte de quête du Graal permettrait d’atteindre ainsi la liberté ultime de déplacement ou ouvrant le champ des possibilités de bivouac. Des essais peu concluants ont été réalisés en gonflant des matelas et en les arrimant à trois points d'ancrage sur la côte. Certains en combinaisons sèches, d'autres en combinaisons humides.
Décrire la galère sans nom de ces nuits, le froid, l’eau dans les oreilles et les coups aléatoires toute la nuit de nos points d’ancrage soumis au ressac erratique des vagues pourrait faire l'objet d’une chronique digne du Gorafi. C’est un sujet de fin de soirée qui fait beaucoup rire mais en restant sérieux, nous savons que l’idée a du sens. Affaire à suivre.