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Voyage avec deux ânes dans les Cévennes

(réalisé)
2 famillles, 5 enfants, 2 ânes et 5 jours dans les Cévennes sur les pas de Stevenson
âne
Quand : 07/07/2020
Durée : 5 jours
Carnet publié par mathieu22 le 28 mars 2021
modifié le 19 juin 2021
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Le compte-rendu (mise à jour : 19 juin 2021)

7 juillet 2020. Ça sent bon la pinède, la garrigue et le soleil. Après plusieurs mois de confinement et de mise sous cloche de notre odorat sous masque, voici que nous redécouvrons l’usage de celui-ci et que des senteurs nouvelles viennent nous titiller les narines. Les routes sinueuses qui serpentent entre les collines en suivant la rivière nous amènent en bord de pâture, à l’entrée d’un champ. C’est ici que notre aventure commence. Il est 18h30, nous sommes déjà en retard, après plusieurs allées et venues dans le petit village de Saint-Jean du Gard pour trouver notre point de rendez-vous, et ce n’est que le début de nos ennuis…
Par une chaude fin de journée de juillet, nous faisons la connaissance de Sissi et Ula (rien à voir avec le 3615 du même nom), deux ânesses avec qui nous avons prévu de randonner pendant une semaine. Nous, c’est Lolita, Julie, Mathieu, Cédric, Zoé, Alice, Malo, Clémentine et Lily ! Deux familles, neuf aventuriers dont cinq en culottes courtes, qui n’ont rien trouvé de mieux pour occuper leurs vacances que d’aller se perdre sur les sentiers avec des ânes pour porter leurs bagages. Chemin de randonnée, colline, pinède, ânes, ça ne vous dit rien ? Allez, faites un effort ! On chuchote un nom à vos oreilles, écoutez bien : Stevenson ! Vient ensuite celui de l’endroit dans lequel nous allons vivre cette épopée : les Cévennes !
Sissi et Ula
Sissi et Ula
Les Cévennes à votre avis c’est où ? Tout le monde en a plus ou moins déjà entendu parler, et  représente vaguement des forêts et des cailloux dans le sud-ouest de la France. On n’est pas loin du compte, mais cela correspond à quoi exactement ? une région ? un département ? une forêt ? Eh bien perdu ! Il s’agit d’une chaîne de montagnes faisant partie du Massif central, à cheval entre les départements du Gard et de la Lozère. C’est montagneux effectivement (même si l’on ne dépasse jamais les 1600 mètres du mont Lozère) et surtout très sauvage ! Imaginez un endroit avec à perte de vue, à 360°, rien d’autre que de la forêt et des montagnes. Personnellement je ne pensais pas pouvoir trouver cela en France et pourtant… des hectares de nature sans construction humaine, sans aménagements, rien ! C’est surprenant, troublant et dangereusement addictif ! Après ces derniers mois anxiogènes, pris dans les tumultes d’une pandémie mondiale, ça fait un bien fou de se retrouver ici, où la nature n'a pas bougé, où les gens sont restés simples. .La crise sanitaire semble avoir épargné ce petit coin de France, cela nous fait énormément de bien. Je disais donc qu’en ce dimanche soir de juillet, nous faisons connaissance avec nos deux compagnons à quatre pattes. En effet, par manque d’originalité, nous avons décidé de partir à la conquête d’une partie du sentier Stevenson avec des ânes, comme le fit l’écrivain écossais il y a près de 150 ans. Mais là où Stevenson est seul avec Modestine, nous partons en famille. Nous étions déjà partis il y a deux ans pour une semaine de rando itinérante en bivouac avec des ânes dans le Vercors ; cette année, l’aventure se poursuit dans les Cévennes. Les enfants ont (un peu) grandi : Zoé, 6 ans, Alice, 5 ans, Malo, 4 ans, Clémentine, 3 ans et Lily, 2 ans ! Et nous, nous avons (un peu) vieilli !
Plutôt que de faire faire un trajet en van à nos ânes et pour éviter les soucis logistiques et diminuer un peu notre empreinte carbone, nous décidons d’effectuer une boucle plutôt qu’une ligne droite sur le Stevenson. Nos points de départ et d’arrivée seront donc à Saint-Jean du Gard. Notre périple nous conduira alors sur le GR 44 sur les crêtes du Galeizon avant de rejoindre le célèbre GR 70 de Stevenson.
Section 1
Le matin du premier jour, après une nuit de bivouac au bois des Plumes, en bord de rivière et au calme, des souvenirs de bâts, de sacs et de sangles nous reviennent. Le bât, c’est un dispositif permettant le port de lourdes charges, il peut être en bois ou en cuir, et se met sur un quadrupède comme un âne par exemple. Il faut bien veiller au poids des bagages pour ne pas excéder les 40 kg par animal. Et le deuxième défi consiste à parvenir à équilibrer les charges de chaque côté pour plus de confort pour la bête et pour éviter de retrouver l’ensemble de notre chargement à terre. Les enfants sont très à l’aise avec les animaux et s’attèlent avec beaucoup d’entrain à les brosser, les nettoyer, les nourrir, les caresser… À midi, nous sommes enfin prêts et pouvons entamer notre marche. Globalement cela sera notre lot quotidien, entre le pliage du campement, la préparation des sacoches, les soins et le harnachement des ânes, nous aurons beaucoup de mal à partir avant 11h, mais qu’importe, c’est les vacances et nous ne sommes pas pressés. La première étape nous emmène de Saint-Jean du Gard à Mialet, petit village de pierre coincé entre une colline et une rivière. Le sentier est très rocailleux et un peu escarpé mais les ânes semblent agiles et bien habitués. Leur rythme lent et régulier s’accorde parfaitement avec celui des enfants et nous évoluons ensemble tranquillement, entre falaises et forêts, crêtes et vallées. Un large pont de pierre enjambe le Gardon de Mialet. Nous voici sur le pont des camisards, souvenir d’une révolte protestante qui semble avoir profondément marqué la région. Un coin d’herbe en bord de rivière nous tend les bras à la sortie du village. Nous installerons notre campement ici pour ce soir. Après avoir abreuvé nos équidés, nous décidons de plonger nous aussi dans ce cours d’eau rafraichissant et revigorant après une journée de marche. Mission eau potable, repas et dodo. La journée se termine tranquillement et nos pauvres bêtes de somme, comme le disait si bien Hugues Aufray, se perdent dans le soleil couchant.
Deuxième étape dans les crêtes du Galeizon, direction plein nord. Rien que le mot « crêtes » semble annoncer une étape plus ardue, et c’est peu dire. Le sentier rocailleux monte en pente raide et en plein soleil. Les enfants, bons joueurs, suivent derrière en chantantet en ramassant des pommes de pin. Tout se déroule à peu près normalement jusqu’à ce qu’à un moment les ânes décident, comme d’un commun accord, de stopper net leur avancée ! Débute une partie de bras de fer entre eux et nous pour savoir qui cédera le premier. Cela nous était déjà arrivé dans le Vercors, mais en général, il suffisait d’encourager un peu les ânes, parfois de les pousser un peu pour les aider à repartir. Mais là, rien n’y fait, Sissi et Ula semblent avoir décidé d’incarner l’adage « têtu comme un âne » et mettent un point d’honneur à ne pas céder malgré nos encouragements. Pousser, tirer, crier, frapper dans les mains, agiter une petite branche derrière elles… Rien ne fonctionne. Nous finissons par les délester de leurs bagages (peut-être sont-ils trop lourds ?) et nous voilà coincés dans cette montée rocailleuse, en plein soleil, sans eau et sans endroit où planter la tente. On ne va tout de même pas rester là, les esprits commencent à s’échauffer, les enfants en ont assez. Nous décidons donc de laisser partir les filles devant jusqu’au prochain point d’eau et restons avec Cédric pour tenter de raisonner nos (têtes de) mules ! Après plusieurs essais infructueux (le réseau étant très faible voire inexistant dans le coin), nous parvenons enfin à joindre la personne à qui nous avons loué nos bêtes. Elle a beaucoup de mal à visualiser où nous nous trouvons et ne comprend pas ce blocage, elle nous donne malgré tout quelques conseils qui ne marcheront pas, et nous de quitter ces crêtes délicates avant la tombée de la nuit. Cédric et moi décidons alors de faire demi-tour et de redescendre la portion de falaise qu’on a eu tant de mal à monter. Les ânesses semblent d’accord et nous emboîtent le pas ! Nous verrons bien où cela nous mènera… Dans la descente, un coup de téléphone des filles nous en apprend un peu plus sur notre localisation exacte ! Elles sont tombées sur un panneau de randonnée (il faut dire que ces derniers sont extrêmement rares dans la région, nous apprendrons par la suite qu’apparemment les chasseurs les enlèvent pour être tranquilles) et ce dernier nous permet de nous repérer sur la carte, nous ne sommes pas du tout là où je pensait ! Et pour cause, le GR que l’on doit emprunter contourne ces falaises en passant par un col un peu en dessous. Nous partons alors avec Cédric à l’assaut de ce col que les ânes connaissent et gravissent avec entrain. C’était donc ça ! Les ânes ont une excellente mémoire et sont habitués aux sentiers, si on se perd ou que l’on change l’itinéraire, cela ne leur convient pas et parfois ils se bloquent. À demi rassurés, nous hâtons le pas car nous sommes encore très loin du point d’eau que l’on doit rejoindre pour la nuit. Finalement nous n’irons pas jusque-là, les filles se sont arrêtées en pleine montagne et décident de planter le bivouac devant une vieille maison de pierre qui paraît inoccupée. Nous mettrons nos tentes et nos ânes dans le verger devant la maison et pourrons nous approvisionner en eau au robinet du jardin. Cette maison nous sauve la mise, les p’tites sont contentes de retrouver les ânes et s’attèlent à les brosser, les nourrir, etc. Nous terminons la journée, repus, à se partager une soupe lyophilisée thaï à la lueur de la frontale et dans le chant lancinant des grillons, perdus en pleine montagne cévenole, à mille lieues de toute lueur de vie.
Le lendemain, nous nous réveillons au chant des oiseaux, plus ou moins frais et dispos après une nuit sans doute pas assez reposante. On se dit qu’après les galères de la veille, la journée d’aujourd’hui ne peut que se dérouler tranquillement. D’autant que nous terminons aujourd’hui notre passage sur le GR44 et redescendons dans la vallée pour récupérer le sentier Stevenson à Saint-Germain de Calberte. Mais le mauvais sort a visiblement jeté son dévolu sur nous et n’a pas l’intention de nous abandonner tout de suite. Enfin, comme le disait Helen Keller : « La vie est une aventure audacieuse ou rien » ; quant à Mark Twain, il clamait volontiers qu’« il faut voyager pour apprendre » ! Nous allons donc encore apprendre aujourd’hui, au travers d’une très belle et longue étape de montagne. Nous passons par le fameux point d’eau convoité la veille (il n’était qu’à quelques kilomètres de notre bivouac) et poursuivons à travers les forêts de pins, en sortant parfois au sommet d’une crête pour admirer un paysage désertique à perte de vue. La fin de journée s’étire peu à peu et la faim tiraille les estomacs. En effet, nous étions partis avec deux jours de vivres, anticipant le fait qu’en pleine montagne nous n’aurions rien pour nous réapprovisionner, mais nos réserves sont maintenant épuisées et nous avons hâte de rallier un village pour faire le plein. Ayant rejoint une route, j’appelle la supérette qui est sur le point de fermer mais promet de nous attendre. Hélas, là encore, nous pensions n’en être qu’à 2 km mais apprenons par le hasard d’une voiture qui passe que nous sommes en fait à plus de 7 km. Nous ne pourrons jamais y être à temps ! Comment faire ? Du stop avec cinq bambins et deux ânes nous paraît compliqué. Nous envisageons là encore de nous séparer mais aucun véhicule ne vient à passer sur cette route perdue. La première voiture croisée nous a dépannés de deux baguettes mais depuis plus rien. C’est alors que l’on entend le bruit d’un moteur ; nous occupons toute la largeur de la route, il pourra difficilement faire autrement que de s’arrêter. C’est un camion ! Au volant un jeune homme très sympathique et son fils de quelques mois à côté de lui. Nous lui expliquons notre situation un peu critique,  il nous indique alors une route à suivre, nous passons le petit col de Pendedis et 2 km plus loin arrivons chez lui où il nous attend et nous accueille pour la nuit. Et là, en une fraction de seconde, le moral semble repartir et notre vision de la situation change du tout au tout. Un optimisme ambiant s’installe peu à peu et dans la douce lumière de fin d’après-midi, nous marchons avec entrain pour gagner notre eldorado, une ferme perdue en pleine montagne et qui constituera notre gîte pour la nuit ! Il s’agit d’un grand mas, ancienne borie (ferme), qu’Armelle et Yves rénovent passionnément depuis 2 ans. Ils souhaitent en faire un lieu de résidence d’artistes pour la création de spectacle, cultivent tous leurs légumes dans leur immense potager et récoltent les fruits de leur verger. Le temps de mettre les ânes au pré et l’on se retrouve sur leur terrasse, à l’abri d’un figuier géant, à profiter de son ombre salvatrice et d’une bonne bière fraîche artisanale qu’Yves nous sert immédiatement ! Un régal inespéré, nous n’en attendions pas tant et pourtant, cette soirée dans ce havre de paix va nous permettre de regonfler à bloc nos batteries et notre moral pour mieux repartir sur la fin de notre périple ! Les enfants sautent dans le foin, les grands rient et s’apprivoisent autour d’un apéro servi dehors, sous les lampions. Une brise légère siffle à nos oreilles, les chats nous caressent les mollets, la nuit déploie son manteau sombre, une marmite de pâtes se prépare tranquillement… On est bien ! Et ça fait du bien !
Soins quotidiens
Soins quotidiens
 Les cartes dépliées sur la table du petit déjeuner, servi dehors au soleil, et nous traçons déjà la ligne de notre étape du jour. Au lieu de redescendre jusqu’à Saint-Germain de Calberte comme prévu initialement, Yves nous indique un raccourci pour descendre directement jusqu’à Saint-Étienne Vallée-Française. Est-ce que les ânes connaissent ce chemin, vont-ils accepter de passer par là ? Nous verrons bien ! Le temps de plier le campement, charger nos compagnons, faire faire un petit tour à dos d’ânes pour Martin (le jeune fils d’Yves et Armelle) et nous voilà repartis, pas très tôt une fois de plus. Le chemin descend en pente douce sur des arêtes rocheuses avant de pénétrer au travers d’une forêt épaisse. Les ânesses semblent d’accord et ne montrent pas trop de réticences à emprunter cet itinéraire, tant mieux ! Une fois dans la vallée, nous pique-niquons au bord d’un cours d’eau et la chaleur est telle qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, voilà nos cinq pitchounettes dans l’eau !  Ça rafraichit et ça fait du bien. Nous nous retrouvons alors sur le sentier Stevenson, le fameux GR70. Là, tout de suite les indications deviennent plus claires et surtout plus nombreuses. Nous croisons pas mal de gens et retrouvons peu à peu la civilisation. Tandis que nous suivons le cours du Gardon, le ciel s’assombrit peu à peu, les gens nous voyant passer semblent inquiets pour nous et nous prient de nous hâter de rejoindre le village pour trouver un abri car visiblement, l’orage n’est pas loin et s’annonce sévère ! Sceptiques, nous pressons un peu le pas tout de même et parvenons à gagner le village de Saint-Étienne Vallée-Française. Là-bas, les femmes et les enfants courent se mettre à l’abri dans un bar et nous filons avec Cédric planter les tentes sur un terrain d’herbe devant la mairie. Le temps de déballer les tentes et de commencer à les monter, un coup de tonnerre retentit et en quelques secondes c’est le déluge ! Effectivement, les habitants du coin ne s’étaient pas trompés, une pluie diluvienne s’abat sur nous tandis que nous tentons tant bien que mal de terminer de monter les tentes, la priorité étant de mettre les sacs au sec, on les balance sous les bâches à la hâte, nous sommes de vraies éponges sous cette mousson cévenole. Le temps de terminer le montage et la pluie s’arrête aussi brutalement qu’elle est venue. Le soleil refait timidement son apparition et nous n’avons plus qu’à nous mettre à sécher ! Un barbecue municipal nous permettra d’achever cette grande journée par des grillades bien méritées, autour d’un Give Me Five à la frontale.
   Le lendemain, c’est déjà (enfin ?) la dernière étape. Nous démarrons notre journée par le même rituel désormais bien connu de tous et dans lequel chacun connaît son rôle. Pansage, brossage, curage de pieds, soins, harnachement, sacoches. Les petites sont de plus en plus à l’aise avec ces animaux. Des amis habitant Montpellier sont venus nous rejoindre, nous allons pouvoir laisser tous nos bagages dans leur voiture et ainsi mettre les enfants sur les ânes pour la journée. Ils sont ravis ! Nous reviendrons chercher la voiture ce soir. C’est chouette d’avoir de nouveaux compagnons de route, ça renouvelle un peu les sujets de conversation et apporte une nouvelle dynamique. Les petites sont trop contentes de pouvoir monter pleinement sur les ânes et on avance bien. On démarre par la longue montée au col Saint-Pierre. Les paysages sont changeants, entre bords de routes, chemins le long des ruisseaux, forêts ou crêtes rocailleuses. Le temps d’un dernier pique-nique et nous entamons notre descente vers Saint-Jean du Gard. Nous finissons par longer les gorges du Gardon de Saint-Jean, et en profitons pour repérer quelques bons spots de piscines naturelles taillées dans la roche. Le temps d’un claquement de sabot et nous voilà revenus à notre point de départ. J’ai l’impression que cette épopée a duré des semaines tant elle a été intense et riche en rebondissements. Néanmoins, les sourires qui se dessinent sur les visages semblent en dire long sur la satisfaction de tous. J’ai l’impression que chacun de nous a su trouver son compte dans cette aventure. Et pour preuve, l’ultime question de Malo lorsqu’on boucle notre périple : « Papa c’est quand qu’on repart avec les ânes ? » Et c’est avec une pointe de nostalgie que l’on referme la barrière de leur enclos en leur disant un dernier au revoir.
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