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Voyager sur l'eau

Le cap Sénètose à cloche pied!!!

boutdevie - 23 nov. 2011
22 messages
Quand on pense aventure les idées s’envolent au bout du monde et pourtant…

L’automne et en phase de mort lente l’hiver me susurre des mots si doux que je ne peux y résister. Immaqa n’avait pas eu droit à ses balades longues et paisibles sur la côte Sud-ouest de la Corse. Tout est paré, yakapagayer ! La météo me pressent une sortie engagée, mais vu mes préparations de gladiateur je veux toucher du doigt si j’ai acquis un bon niveau. Ouais, ouais ! Le golfe de Figari est déjà blanc et météo France a teinté d’orange la vigilance pluviométrique. On n’est pas en océan Arctique, alors on ne s’affole à bord et on pagaie. On ! Je dirais plutôt, je ! Le vent de Sirocco est violent et l’effet de fëcht rend la traversée de la première baie en sorte de Horn pour kayak en peine. Je ne peux plus revenir en arrière, le vent mord et il me mène cap au nord. Un petit arrêt café canistrelli et je reprends la route, je voudrais arriver à mon escale avant la nuit. Le vent forci et le force 6 m’amène son cousin musclé 7 voir 8. Mon Nautiraid est un bon marin mais je l’ai chargé à ras la gueule pour me mettre en vraie condition d’expédition. Les oreilles tendues j’essai d’anticiper la déferlante, au bas de la vague je n’ai pas le droit d’abattre sinon c’est le bain ! Vent dans le dos, c’est normalement des vacances, mais la tournure me fait tirer comme un malade sur mes pagaies… Bref ! Huit heures de bonheur à être trempé comme une éponge pour retrouver ma planque de corsaire. Le coup de vent est bien établi et la tente est montée avec vigilance. Je me transforme en bucheron et ramasse toute sorte de bois flotté pour alimenter un bon feu qui essaiera de me faire sécher. 20 h je grimpe en haut d’un caillou pour donner des nouvelles à ma princesse et un plaisantin ouvre le robinet de douche. Un déluge s’abat sur le petit pagayeur bien isolé. Blotti dans mon duvet, je savoure ce moment de grâce avec les éléments. Au petit jour c’est toujours la pluie grasse qui rassasie le maquis souffrant d’une sécheresse peu commune. Un petit tour d’horizon du camp et je rejoins ma tanière, le vent n’a pas molli et les éclaires strient les montagnes, c’est décidé je reste. Je profite d’une accalmie pour ramasser du bois, l’odeur des buissons m’enivre, les fragrances sont enfin là, la nature se saoul de tant d’eau. Une orgie aquatique, un festin lacustre. Je quête le morceau de genévrier sec quand soudain explose un bruit de branche qui casse, je m’écroule ma botte droite est à l’envers, je me suis brisé la cheville ! A genou dans une marre de boue je ne peux que constater le désastre, je deviens un aventurier à cloche pied !!! Je ne souffre pas du tout, et pour cause c’est ma prothèse qui s’est brisé !!! Je prends le temps de me mettre en terrain sec et essai de bricoler quelques choses pour rentrer au camp, ces six cents mètres m’ont paru un poil long. Au fond de mon kayak je trouve un restant de colle rapide, un peu de gros scotch et tente une réparation. J’allume, avec beaucoup de difficultés, sous la pluie un feu qui devra accélérer le processus de séchage de mon bricolage. Le déluge reprends le deuxième round, enfouis dans mon duvet, je pense, je rêve… Maggi sèche avant de reprendre un service provisoire. Les jours passent mais je dois reprendre la mer, ma prothèse ne m’inspire pas confiance et avec beaucoup de vigilance je charge Immaqa. La houle submerge la petite passe où je me suis réfugié, je calcule les séries et constate quelques secondes de calme. Il va falloir jouer fin, pour ne pas finir en puzzle ! Tout est en sac, prêt à être chargé et j’essai de faire le vide, de ne pas regarder cette trachée en furie. Le premier boulot consiste à mettre le kayak dans le bon sens puis à repartir les charges. Ma prothèse acquiesce les contraintes du terrain très accidenté jusqu’au dernier voyage ou je m’écroule mon bricolage a de nouveau lâché, il ne pouvait pas tenir bien longtemps… A cloche pied je charge mon embarcation, la mer semble se moquer éperdument de mes « tracas jambiaux». Je ne vais plus pouvoir utiliser mon palonnier et la direction ne sera qu’à la force des bras. Je me cale dans mon hiloire, vérifie l’étanchéité de mon bord et agrippe encore à l’abri de la furie un caillou pour attendre le moment opportun pour m’élancer. Un raz de marée d’écume me lèche la proue, j’ai dix secondes, pas plus, pour passer, la boule me prend les trippes mais je dois la renvoyer en fond de cale, ce n’est pas le moment. Je pars comme un avion, ouf je suis dehors mais là horreur devant moi trois immeubles consécutifs m’attendent pour me donner quelques cours d’humilités. Pas de direction au pied alors il faut pagayer comme un forçat, je monte face au colosse pour me sentir tomber dans le ventre mou du monstre. Pas le temps de flâner, je suis déjà dans la deuxième, je ne veux pas y croire la vague se casse pour se déverser sur moi. Je dois rester droit dans l’axe sinon j’explose en vol, la chute est terrible, Immaqa semble souffrir autant que moi. La troisième semble vouloir me donner le coup de grâce, plus longue que mon kayak je me retrouve à la verticale, j’incline au plus que je puisse mon buste en avant, je ne veux pas sancir, ce serait fatal ! Je tire de toutes mes tripes sur les pagaies, je m’envole vers le paradis des Cabochards, sensation terrible de voler en kayak, je m’écrase dans un lit de mousse et me retrouve en pleine mer… Les heures qui suivront m’amèneront dans un calme déconcertant au petit port de Tizzano qui semble être rentré en léthargie hivernale.

Sur une patte, je m’extirpe de mon hiloire, quand deux hommes qui travaillent sur le quai mettent un nom sur le pagayeur un poil ému d’être tout simplement encore de ce monde de bipède, enfin presque !!!

A entraînement dur, expédition moins difficile !

http://www.boutdevie.org/association-bout-de-vie/videos/laventure-a-cloche-pied-le-film/

boutdevie - 28 nov. 2011
22 messages
Suite à pas mal de messages privés, voilà mon analyse de cette randonnée:


Avant de répondre je pense qu’il est important de connaître ses capacités dans l’adversité sans se mentir. Pour mon cas c’est mon « boulot » si j’ose dire, cela fait presque 10 ans que je réalise des grosses expéditions très engagées.

Dans ce cas de figure, j’avais plusieurs alternatives.


1. Attendre que la mer s’assagisse et j’aurai du attendre 3 jours cloué dans ma tente puisque j’avais cassé ma prothèse.


2. Faire venir ma compagne à pied sur cet endroit mais avec le déluge des jours précédents elle devait franchir quelques rivières en 4X4 puis à pied avec ma « guibole » de rechange en plus de son sac à dos.


3. Tenter une sortie en force de ce « piège à rat ».
Pour la solution 1 je me voyais mal tourner en rond en sachant que j’avais d’autres alternatives. La solution 2, je ne voulais pas faire courir le moindre risque à ma compagne. La solution 3 est celle que j’ai prise…


Analyse de la situation :
j’ai observé pendant un bon moment les fréquences des vagues pour comprendre leur fonctionnement. J’ai anticipé comment sortir du fracas si mon kayak chaviré.(Détecter une brèche sur la berge pour nager sans se faire déchirer les entrailles).
Je ne me suis pas précipité, j’ai tout préparé et vérifié deux fois comment mon packtage était amarré, une fois sur de cette préparation, je me suis calé dans mon kayak et visualisé ma sortie. Une fois lancé une grosse concentration et une connaissance de la mer m’ont permis de passer. La peur est au ventre mais elle n’est pas là pour déstabiliser, bien au contraire. Elle donne des infos et permet d’avoir une énergie explosive. Pas de déconcentration une fois la série de vagues passée. Souvent c’est là que l’accident arrive. J’ai continué à lire la houle et à chercher de détecter tout les pièges qui pouvaient croiser ma route. Une fois arrivée à l’abri seulement j’ai pu souffler et lâcher la pression.

Mon conseil aux lecteurs : Ne jamais se surestimer, il vaut mieux perdre une journée que ça vie. Anticiper c’est la base de la survie, je rajouterais de la vie tout simplement. Commencé tout doux. Sortie progressive et au fur et à mesure la petite voix vous informera de vos limites.
A propos des limites : Elles ne se dépassent jamais, elles se découvrent. Les dépasser c’est une mort assurée. Dites vous que chaque sortie c’est comme un bout de pain que vous planqué dans un sac étanche, le jour ou ça va mal vous pourrez piocher dedans !
La dernière chose pour conclure mon analyse, la notion plaisir doit toujours être présente.


Pour ceux qui le désirent je vous mets trois liens de films sur un aventurier à cloche pied.

Le dernier documentaire est une synthèse de mon parcours :
http://www.boutdevie.org/association-bout-de-vie/videos/laventure-a-cloche-pied-le-film/

L'Atlantique à la rame en 54 jours avec mon « Frère de vie » Dumé :
http://www.boutdevie.org/les-aventures/defi-atlantique/ghjente-al-di-la-di-u-mare/

Un documentaire qui m’a valu le titre de l’aventurier de l’année en 2009 :
http://www.boutdevie.org/association-bout-de-vie/videos/giramondu/

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