Texte : Johanna Nobili, écrit lors d'un voyage à vélo (vélo + escalade) de 2 semaines en Sardaigne (publié dans Carnets d'Aventures n°2 ; lire le récit complet de ce voyage).
Photos: Carnets d'Aventures et Stéphane Egly
Pourquoi ?
« Lâcher sa console et sa téloche lui fera le plus grand bien ! » explique Olivier à sa mère, au sujet de son petit frère de 12 ans.
12 ans et déjà à l'aube de l'adolescence… c'est qu'elle arrive tôt de nos jours cette période difficile et ingrate, où tout semble opposer enfants et parents. Les uns, rebelles, s'émancipent, tandis que les autres, désemparés, se questionnent : « qu'avons-nous raté ? ». La communication entre les deux « camps » n'étant, de surcroît, pas facilitée à cause de l'omniprésence du matraquage abrutissant (débilisant ?) déversé par la télé, qui s'insinue dans toutes les pièces de nombreux foyers, dans tous les instants de la vie, du réveil au coucher en passant par les repas.
Ainsi donc nous nous sommes dit qu'emmener Kévin, au début de cette période charnière et délicate de sa croissance, sur un voyage sportif avec bivouac lui serait profitable. Pas trop long – 2 semaines – pour lui donner de l'aventure le goût mais pas le dégoût ! L'effort quotidien, sain pour son développement physique comme mental, ainsi que la simplicité de la vie spartiate au contact de la nature ne pourraient que lui rappeler, à lui comme à nous, les valeurs fondamentales de l'être humain. « Se nourrir, s'abreuver, s'orienter, se garder du chaud, se garder du froid, trouver un gîte, se prémunir des fauves sont des occupations oubliées par les foules civilisées […] », écrit Sylvain Tesson dans son « Petit traité sur l'immensité du monde » (voir le Coin des Bouquins de ce numéro). Une sorte de retour à l'essentiel qui, même si les fauves ne seraient pas notre souci principal en Sardaigne, montrerait à Kévin autre chose que sa console et sa télé et le sortirait de son contexte habituel. Nous voilà donc tous décidés, lui et nous ; non sans quelque appréhension, de notre côté comme du sien…
C'est possible !
Eh bien, voyager à vélo avec un enfant de 12 ans pas particulièrement sportif, c'est possible !
Des petites sacoches avec quelques affaires personnelles légères, des plus grosses pour nous, et hop ! 54 km le premier jour, et le soir, pour Kévin, c'est la découverte de l'aventure et la satisfaction du dépassement de soi et de l'effort fourni qui l'emportent sur le mal aux fesses et le souvenir de la longue et pénible côte. Tenant tout de même compte de son âge et de sa forme, nous avons ménagé des repos ; par exemple, la deuxième journée entièrement consacrée pour nous à l'escalade lui a permis de récupérer, avant d'enchaîner plusieurs étapes journalières d'une cinquantaine de kilomètres chacune (et environ 800 à 1000 m de dénivelé positif). Au moins, le soir, il mange ce qu'il y a et en bonne quantité – ce que sa mère ne parvient jamais à obtenir – et il dort comme un loir, même pas réveillé par la pluie et le vent que nous avons souvent subis la nuit.
Nous avons par ailleurs pris le parti de le valoriser sans l'assister : l'encourager quand il roule bien comme quand il peine, le faire participer aux décisions et aux tâches collectives (choix du bivouac, de l'itinéraire, confection des repas…), le laisser galérer un peu : trouver lui-même la solution à un problème est plus formateur et satisfaisant que si, répondant promptement à ses demandes d'aide, nous lui mâchions tout le travail.
Il semble que cette vie au grand air, parfois rude mais riche et aventureuse, lui ait plu : Kévin a beaucoup ri, a fait preuve de patience, a pris les choses avec philosophie (pas marrant lorsqu'on doit installer en express son hamac et sa bâche quand l'orage menace) et a fait de nombreux efforts (pas uniquement physiques !). Une expérience nouvelle ouvre l'esprit : nouvel environnement humain, nouveau pays, nouveaux paysages, nouveau mode de vie… Kévin a découvert la vie nomade, le bivouac (en hamac, sous la pluie, sous les étoiles, sur la moquette du ferry), la toilette dans une marre ou une fontaine frisquette (avec assez peu de plaisir en ce qui concerne ce point précis…), le vélo longue durée, l'escalade, les verts pâturages du centre de la Sardaigne, l'hospitalité de ses habitants qui, à plusieurs reprises, nous ont offert de la nourriture ; il s'est amusé avec veaux, vaches et cochons errants (pas une blague !), a baragouiné quelques mots d'italien (et d'anglais : ses devoirs de vacances scolaires !), a goûté à l'aventure et à la liberté. Nous espérons qu'il en redemandera ! Il nous a déjà dit vouloir faire un voyage en kayak…
Les enfants ne sont pas forcément ceux qu'on aurait imaginés
Extraits de conversation
À Gênes, à l'embarquement :
- Kévin : Y'a la télé dans la cabine du ferry ?
- Johanna : quelle cabine ? On dort par terre dans le couloir !
Affamés lors du pique-nique – tardif : 16h – de la mi-journée :
- Olivier : bon j'ai compté, ça fait 2 sardines et 2 maquereaux chacun.
- Kévin : moi, j'aime pas les sardines, j'en veux pas.
- Tous : t'auras pas deux fois plus de maquereaux !
- Kévin (tendant son pain vers la boîte de sardines) : Euh… je veux bien les sardines !!
Alors que Kévin passe à côté d'une fontaine, l'air absent, nous profitons de son manque d'attention pour le saisir fermement et lui laver la tête avec vigueur (cela fait des jours qu'il refuse de se laver dans les divers points d'eau froide que nous avons croisons):
Kévin : AAAAIIIIAAA FRRROOOIIIDDEE AAHHHHHHHHH ! NOOOONNN !
Stéphane : Mais non elle est pas froide !
Kévin : AAAIIIIAAAAIIIAAAAAA SSSIII AAAAAAAIIIAAAAHHHHHH !!!!!!!
Stéphane : Tu vas comprendre oui ! 6°C c'est pas froid on te dit !!!