Totalement NON autonome ? Et alors ?
Dans les voyages nature est parfois mis en avant le concept de « totale autonomie ». Une étiquette dont l’objectif serait de rajouter de la valeur, de l’intérêt au voyage. Cela peut être interprété comme : sans assistance externe (opérateur de voyage, suivi par un team logistique…). Mais peut-être que le terme « autonomie » seul serait suffisant pour véhiculer cette idée. Une autonomie « totale » impliquerait davantage : pas de ravitaillement, voire se nourrir de ce que fournit la nature ; bien entendu la plupart des voyages estampillés “en totale autonomie” sont bien loin de cela. En transportant sa nourriture sur son dos ou à vélo, le voyageur parvient à avoir quelques jours/semaines d’autonomie, quelques semaines/mois à ski pulka ou en kayak de mer, quelques mois/années en voilier. Cette autonomie est le résultat d’une optimisation importante de ce que l’on transporte et est réservée à une très petite minorité de voyageurs nature. Bien souvent, ils se ravitaillent dans des villages, peut-on alors vraiment parler d’autonomie ? Et surtout, est-ce une valeur positive ?
Une vision extrême de la « totale autonomie » pourrait même impliquer que le matériel utilisé lors du voyage (et ses composants) ait été fabriqué par le voyageur lui-même, et là, ça devient quasiment impossible. L’équipement employé, la nourriture consommée, le savoir acquis proviennent la plupart du temps d’autres personnes, de très nombreux autres homo sapiens agissant conjointement dans une multitude de domaines et qui rendent possible la petite aventure de notre sapiens voyageur, non pas grâce à une autonomie imaginaire mais plutôt au résultat d’une interdépendance constructive. Est-ce mal ?
Est-ce qu’une volonté d’autonomie totale ou d’autarcie est souhaitable ? Faire un maximum de choses par soi-même a beaucoup d’avantages (potager, artisanat…) : savoir ce que l’on mange, stimuler son intellect pour apprendre à fabriquer des objets variés, sortir du schéma exclusif de société de consommation… Mais poussée à l'extrême, cette volonté de ne pas dépendre d’autres personnes est sans doute un problème car elle nous éloigne de notre nature profonde, elle est alors sans doute une réponse inadaptée à certaines peurs. L’autre ne serait-il pas la solution plutôt que le problème ?
En fait cette volonté d’autonomie ne serait-elle pas une émanation de la pensée ultra individualiste ?
Ultra individualisme pour une espèce ultra sociale ? Est-ce la bonne route pour sapiens ?
Les humains ont tous besoin des autres, besoin de relations, d’échanges, de marques d’attention… Besoin des services et des biens produits par d’autres (nourriture, santé, éducation, eau, énergie, transports, culture…). Tout au long de la vie, ces connexions récurrentes et permanentes se manifestent. Dans le règne animal, le petit d’homme est un cas extrême de fragilité et de dépendance dans la durée. Dès la naissance, le bébé est pris complètement en charge par ses parents, souvent après que d’autres personnes spécialisées les ont aidés à l’accouchement, suivis pendant la grossesse… Ensuite, l’enfant est pris en charge pour une bonne part de son éducation par le milieu scolaire, qui est une collaboration entre un ensemble d’humains que les parents ne connaissent la plupart du temps pas au préalable.
Les relations avec la famille, les amis et des milliers d’autres interactions entre humains structurent notre vie d’être social en permanence. La liste est longue… Regardons autour de nous, les marques laissées par d’autres humains sont légions. La nature offre un break, pourtant nous empruntons souvent une route, une piste, un sentier créés par autrui… sur un vélo, avec des chaussures ou un kayak produits par autrui.
Bref, se penser autonome est une chimère et tant mieux ! La nature profonde d'homo sapiens est sociale, sa dépendance n’est pas une faiblesse mais sa plus grande force ! La société humaine est plurielle et constellée de myriades de formes d’interactions. Valoriser cela, donner du sens et une perception positive à l'interdépendance de l’espèce humaine, permet de prendre conscience que l’humanité fonctionnant ensemble est un joyau. L’autre perçu comme un élément constructif plutôt que comme une menace (comme les médias se plaisent malheureusement à le présenter) fait voir le monde sous un angle bien plus heureux. Un petit changement de point de vue (d’extraterrestre) qui remplit de joie et d’espoir. Peut-être qu’on pourra lire de temps en temps, sur un résumé de voyage, à la place de « totale autonomie » un : « grâce à ma joyeuse dépendance aux autres. Merci à vous ! » :-)