Leave no trace
L’humain, depuis presque toujours, utilise la nature. Bien souvent il prend et ne donne pas grand-chose en échange... Et pourtant, il est possible d'adopter une postuure différente, celle du respect. Dans l'idée, il s'agirait de changer notre type de cohabitation avec les autres espèces pour tendre vers un rapport un peu plus symbiotique.
Voici donc quelques pistes pour ceux qui sont sensibles à cette posture. Des techniques bien tangibles et des « guidelines » pour qu’ils puissent adopter une pratique des espaces naturels qui soit aussi respectueuse que possible. « Leave no trace », littéralement « ne laisser aucune trace » de notre passage : un objectif – inatteignable stricto sensu – vers lequel il faut tendre.
Par David Manise, « grand manitou » au CEETS (Centre d'Etudes et d'Enseignement des Techniques de Survie)
Une histoire de mon enfance. Celle qui a défini, pour toujours, mon rapport à la nature.
J’avais 10 ou 11 ans. À côté de chez mes parents, en Gaspésie, coulait la rivière Bonaventure. Nous habitions « rive gauche », pas très loin de l’embouchure (environ 1 km en amont de la mer). Entre le village de Bonaventure et nous, il y avait le delta de la rivière, et 4 de ses bras bien dodus, entrecoupés d'îles et de presqu’îles. L’eau, à cette époque, était encore claire et cristalline. À tel point qu’on pouvait littéralement boire en même temps qu’on nageait. Elle était plus que potable. Elle était délicieuse. Fraîche et transparente. De l’eau de roche.
Nous étions à quelques kilomètres du centre du village, mais sur les îles du delta, c’était carrément sauvage. Sur une des zones séparant les bras du delta – une « petite » presqu’île qui faisait environ 1 km de long par 300 m de large – un copain et moi avions élu domicile. Il fallait nager pour y accéder. Ou, en hiver, marcher sur la glace. De notre point de vue d’enfants, l’île était au milieu de nulle part. Le simple fait de devoir traverser à la nage un bras de rivière super froid (même en été) rendait l’endroit subjectivement très isolé. Nous avions l’impression d’être les premiers à mettre les pieds sur place. Et nous avions l’habitude de nous y retrouver quand nos parents étaient trop pesants, que l’atmosphère à la maison devenait étouffante, ou dès qu’il faisait assez beau, globalement. C’était un peu notre sanctuaire. Et l’atmosphère à cet endroit était vraiment particulière. On y trouvait quelques martres. Des canards. Une fosse à saumons trônait juste devant. Il y avait une famille de castors qu’on connaissait bien, à force, en aval. De temps en temps un chevreuil (cerf de Virginie), une loutre, ou même un ours passaient par là. Et de notre cabane, construite sur place avec les matériaux locaux, nous pouvions observer tout ça sereinement. Nous avions non pas l’impression d’avoir conquis ce petit espace, mais bien d’y avoir été invités. D’en faire partie, au même titre que les autres animaux. Et dans cette ambiance, nous avions l’impression d’être petits, et humbles, et fragiles. C’est à cet endroit que j’ai pour la première fois senti aussi intimement, presque physiquement, ce rapport à la nature qui m’habite depuis : c’est moi qui appartiens à la nature. Et pas l’inverse. Je dépends d’elle, et pas l’inverse. Je peux me faire manger par un ours, mais pas elle. Je vais disparaître, et pas elle. Et je trouvais que c’était très bien comme ça.
Un printemps, au moment où la glace était enfin partie et où l’eau dépassait les 6 ou 7°C, nous avons décidé de traverser sur l’île, malgré le courant puissant. Nous ne disions jamais « on va à notre île ». Nous disions « on va à l’île ». Comme on ne dit jamais « on va à notre temple », mais bien « on va au temple ». Comme s’il n’y en avait qu’une. Nous avions mis nos vêtements dans des sacs-poubelle pour pouvoir nous rhabiller de l’autre côté avec des vêtements secs. Et nous avons commencé à traverser. C’était une sorte d’épreuve initiatique. Si nous arrivions vivants de l’autre côté, quelque part nous aurions gagné le droit de remettre les pieds dans ce lieu béni. Et nous sommes arrivés de l’autre côté, tétanisés par l’eau glacée, avec cette impression d’avoir une combinaison en néoprène à la place de la peau tellement elle était contractée par le froid. Et là, à peine rhabillés, nous nous sommes enfoncés dans la forêt. 50 m plus loin, nous nous sommes arrêtés.