15 jours de trek en autarcie totale dans les Pyrénées
Une expérience complétement démentielle. Le périple: 2 semaines en autarcie totale dans les Pyrénées.
Une aventure incroyable que je vous raconte dans ce carnet et que vous pouvez retrouver sur notre chaine YouTube Dexplo. Cette expédition peut-être une source de motivation et d'inspiration pour tous ou juste une histoire particulièrement divertissante.
On aura énormément souffert de la faim, des intempéries et du trekking en lui-même mais les paysages époustouflants, la solitude enivrante et la reconnexion avec la Nature auront valu toutes les peines du monde.
Une aventure incroyable que je vous raconte dans ce carnet et que vous pouvez retrouver sur notre chaine YouTube Dexplo. Cette expédition peut-être une source de motivation et d'inspiration pour tous ou juste une histoire particulièrement divertissante.
On aura énormément souffert de la faim, des intempéries et du trekking en lui-même mais les paysages époustouflants, la solitude enivrante et la reconnexion avec la Nature auront valu toutes les peines du monde.
alpinsime
randonnée/trek
/
Quand : 01/06/2020
Durée : 14.5 jours
Durée : 14.5 jours
Distance globale :
150km
Dénivelées :
+7500m /
-7500m
Alti min/max : 906m/2808m
Carnet publié par Dexplo
le 10 oct. 2020
modifié le 11 oct. 2020
modifié le 11 oct. 2020
Mobilité douce
2204 lecteur(s)
-
Le topo (mise à jour : 11 oct. 2020)
Dénivelées section :
+7500m /
-7500m
Section Alti min/max : 906m/2808m
Milieu traversé :
Environnement : [montagne, haute montagne]
Biotope : [forêt, neige, minéral]
Le compte-rendu (mise à jour : 11 oct. 2020)
15 jours en autarcie totale dans les Pyrénées
9h déjà que je suis allongé dans cette eau glaciale. Les spasmes me gagnent et mon corps, meurtri par les jours de marche et le jeûne se recroqueville dans un vain espoir de garder la chaleur. Rapidement mes mains et mes pieds blanchissent et se creusent, le sang ne pouvant plus réchauffer les extrémités. Des rigoles se forment sur mes doigts anesthésiés et mon nez, brûlé par le feu, le soleil et irrité par le froid commence à saigner. Autour de moi, Léo-Paul et Robin dorment, eux aussi trempés et frigorifiés. Le sommeil les a entraînés loin du calvaire.
Pour tenter de penser à autre chose qu’à la douleur, je me repasse les derniers événements dans la tête.
Deux semaines plus tôt, j’étais encore à Paris, au fond d’un lit douillet à rêver d’aventure et de paysages sauvages. J’allais bientôt être servi. J’ai en effet retrouvé Léo-Paul dès le lendemain pour le début d’un beau périple : survivre et parcourir les Pyrénées en totale autonomie pendant une quinzaine de jours. Nous étions quatre à tenter l’expérience : Robin qui habite en Ariège donc au pied des montagnes, Paul qui habite à Lyon et enfin Léo-Paul et moi qui logeons en région parisienne. 4 gamins de 18-19 ans qui n’ont presque jamais mis les pieds en haute montagne en dehors des vacances d’hiver au ski. Mais avant de partir explorer les Pyrénées, encore fallait-il les atteindre. Paul décide de rejoindre Robin en train mais Léo -Paul et moi, sans le sou et en soif d’aventure, décidons sur un coup de tête de parcourir les 750 km qui nous séparent de l’Ariège en autostop. Une première pour nous avec le challenge supplémentaire de la crise du Covid-19 alors autant vous dire que personne de notre entourage ne croyait réellement en notre projet.
Malgré tout, et je vous épargne les détails, après avoir fait 12h de trajet successivement dans neuf voitures différentes, nous étions sur le parvis de la maison de Robin. Ces douze heures de stop ont été un vrai régal. Chaque rencontre s’est révélée être unique , très inspirante et chacune des personnes que l’on a rencontrées était source de bienveillance et de gentillesse. La suite du périple fut moins agréable, tout au moins au début.
Matin du 15 juin, jour du grand départ : après avoir pris la voiture jusqu’à un minuscule parking près du gîte du Chiroulet au pied des montagnes ariégeoises, nous ajustons péniblement nos sacs sur le dos ; ils pèsent autour de 20kg. 20kg c’est lourd, très lourd, particulièrement lorsqu’il s’agit de faire des journées de 7h de marche avec des dénivelés pouvant atteindre 2000 m. Dans les sacs pourtant le strict nécessaire : le matos photo et vidéo, une tente, une casserole, la nourriture, la trousse de secours, les lampes et objets de survie, de l’eau et des affaires chaudes. La nourriture est réduite au maximum : pour deux semaines de marche on a seulement du riz, de la semoule et des lentilles ; s'ajoute à cela deux biscuits par jour par personne et pour le mental 1 sachet de cacahuète et 1 saucisson pour l’entièreté du voyage. Rien d’autre. Pas de fruits, pas de légumes frais, pas de viande ni de poisson et le minimum de sucres rapides. Pendant deux semaines en autonomie complète sans aucune possibilité de ravitaillement, nous n’avons donc pas non plus ingurgité le moindre produit laitier et aucun lipide en dehors des quelques traces que l’on trouve dans les féculents. Pendant 15 jours. Je vous laisse imaginer à quel point nous avons pu souffrir de ce manque de diversité alimentaire. Pour combler ce vide nous nous sommes rattrapés en ajoutant des trèfles, des pissenlits, du pin et des orties à nos lentilles. Robin a même mangé une quantité impressionnante de fourmis, bonne source de protéines il est vrai !
Revenons-en au premier jour de notre périple. Après avoir marché plus de deux heures hors des sentiers battus à travers des champs et des ruisseaux, nous nous retrouvons en bas de la montée vers un célèbre lac de la région : le lac bleu. Entre temps, le brouillard est tombé et la pluie menace mais nous entreprenons à 4 la montée avec envie ; nos jambes nous démangent ! . Pendant cinq heures nous n’avons fait que grimper, le dénivelé positif dépassant les 1000m. Pas encore habitués aux sacs, nous avons beaucoup souffert et le mental a pris un sacré coup : ce n’est qu’à cet instant que nous sommes rendus compte de la difficulté du projet dans lequel nous nous étions embarqué. Une fois arrivé en haut nous nous sommes écroulés pour dormir, sans même prendre le temps manger, dans une sorte de grande maisonnette délabrée. Le lendemain matin une mauvaise nouvelle nous attend : Paul a une tendinite à la cheville et ne pourra pas continuer l’expédition Nous décidons, après avoir appelé les gendarmes de haute montagne, de le redescendre avec Léo-Paul tandis que Robin se repose de la veille. La pluie torrentielle s’abat sur nous pendant que nous descendons tout le chemin escaladé avec peine la veille ! Paul trouve rapidement une voiture qui le prend en stop , avec Léo -Paul nous repartons vers le sommet rejoindre Robin, heureusement cette fois sans les sacs mais… toujours sous la pluie. Une fois arrivés en haut, nous nous affairons à faire un feu pour cuire notre riz puis nous nous couchons exténués. Après seulement 48h de galères nous avons déjà perdu un coéquipier et ne sommes plus que trois ; de quoi nourrir nos doutes quant à la faisabilité du défi !
Le lendemain matin le sourire revient avec le soleil malgré les nombreuses piqûres d’insectes et les tiques et nous entreprenons une grosse journée de marche qui nous emmène au pied du pic du midi après 7h à crapahuter dans la montagne et l’ascension de 2 cols. Les paysages de cette troisième journée resteront à jamais gravés dans ma mémoire, tant ils étaient splendides et uniques. Survolant les pitons rocheux, les vautours fauves piquaient au-dessus des cols tels de petits avions à la recherche des marmottes qui somnolaient dans les vallées verdoyantes au parfum enivrant. Sous nos pas les premiers névés (neige qui peut perdurer en été) crissaient et annonçaient le retour d’un épais brouillard froid. Quelques jours plus tôt, nous étions passés dans un office de tourisme pour acheter une carte IGN et la dame chargée de la réception nous avait prévenu qu’il était impossible de monter le pic du midi à pied sans crampons ni piolets à cause des gros névés qui en bloquent l’accès. Nous nous étions alors dit que nous ne prendrions peut-être pas le risque de grimper le pic surtout avec nos gros sacs. Le matin du jour 4, après avoir essuyé une nuit pluvieuse nous révélant d’ailleurs que notre tente n’était pas étanche du tout (nous avions vraiment pris ce que nous avions chez nous, c’est à dire une tente de trek abîmée qui n’était plus imperméable et ne possédait plus de tapis de sol), un peu abattus et épuisés nous étions à deux doigts d’abandonner l’ascension du pic du Midi lorsque tout à coup une éclaircie apparut. Pris d’une envie soudaine, nous avons unanimement décidé d’essayer de monter au sommet et avec les sacs en prime ! Simplement couverts de ponchos, d’un pull et d’un short et équipés de chaussures de rando nous commençons l’ascension sous une tempête de grêle. Rapidement nous atteignons les premières neiges que nous franchissons avec prudence. La montée est longue et risquée et un épais brouillard nous masque une bonne partie du paysage, les éléments semblent s’être ligués contre nous mais rien à faire, notre détermination est trop grande. L’ascension est exténuante et glissante avec certains passages compliqués et des énormes névés. Le soulagement est immense à l’arrivée. Cependant, déception au sommet car nous ne voyons rien au milieu de cette purée de pois et nous ne pouvons même pas contempler le panorama.
Nous entamons la redescente après 30min de repos sur le sommet balayé par les vents glacés à 2 876m d’altitude et marchons bien encore 5h pour atteindre une miteuse cabane du nom de Pène Blanque, perdue au milieu des alpages couverts d’excréments de brebis. On y tient à peine à trois à l’intérieur. L’humidité est toujours aussi élevée et allumer un feu se révèle presque impossible. D’ailleurs le feu, indispensable à la cuisson de nos quelques denrées alimentaires, a été très compliqué à gérer pendant tout notre périple : le manque d’oxygène en altitude, le manque de bois et surtout l’humidité nous ont donné beaucoup de fil à retordre et il nous arrivait souvent de passer plus de deux heures à faire à manger. Léo-Paul, à force de souffler sur les braises aussi longtemps et quotidiennement, a commencé à avoir la peau des paupières, du nez et des joues qui partait en lambeaux, complètement desséchée . Robin a aussi rapidement pris l’habitude de rajouter du bois sec dans son sac déjà bien lesté dès qu’il en avait l’occasion car ce bois nous garantissait un repas chaud le soir. Une autre habitude assez surprenante que nous avons mise en place était de faire du riz ou des lentilles puis de récupérer l’eau chaude de cuisson restante et de la verser sur la semoule pour la faire gonfler. C’était un rituel qui nous permettait de manger plus, de façon pratique et économe. Si jamais il nous restait du rab, ce qui arrivait souvent lorsque l’on cuisait du riz, on compactait ce dernier dans une boite de façon avaler quelque chose lorsqu’il nous était impossible de faire du feu. Cependant, le riz froid nature souvent peu cuit passait difficilement et il fallait se forcer pour le manger, même lorsque nous étions affamés.
Finalement les jours s’enchaînent, chacun réservant son lot de surprises et d’enchantement. Les paysages sont magnifiques, vraiment splendides. Nous sommes heureux d’avoir la nature sauvage, authentique pour nous seuls et c’est un véritable bonheur que de pouvoir observer le bal des vautours fauves, des gypaètes barbus, des aigles et même des milans royaux ainsi que les cabrioles des isards et le train-train quotidien des marmottes. Nous avons sous les yeux la preuve que l’Aventure avec un grand A peut encore se vivre en 2020 en France au sein de paysages spectaculaires et reculés. Le 5ème jour est le plus long de tous. Nous partons de Pène Blanque situé à 2 000m d’altitude pour arriver à Artigues à 1 200m avant de remonter jusqu’au lac de Gréziolles situé à 2 200m d’altitude. Une journée particulièrement difficile surtout que cela fait maintenant cinq jours que nous ne nous sommes pas lavés, que nous marchons toute la journée en mangeant très peu. A l'arrivée, Le lac est magique. Entouré de montagnes dont les sommets atteignent les 2 800m, il se fond dans le décor tel un miroir reflétant la montagne et le ciel. Nous décidons de nous y accorder une journée de pause le lendemain pour se ressourcer et recharger les batteries de nos téléphones et appareils photo grâce à notre panneau solaire. Heureusement le lendemain, le soleil est au rendez-vous et nous en profitons pour nous laver ; Léo-Paul nage même dans le lac mais frôle l’hypothermie dans cette eau provenant directement de la fonte des glaces. Je me risque ensuite à essayer de pécher mais rien ne mord à l’hameçon que j’avais pensé à apporter ; et les poissons sont bien trop petits pour que je les harponne. Je pose tout de même un piège fabriqué avec de la ficelle et une bouteille pendant la nuit. Entre temps , nous attrapons des lézards et des grenouilles mais malgré notre folle envie de viande, nous les relâchons sachant que les reptiles et les amphibiens sont protégés en France ; nous nous contenterons encore une fois de lentilles. Arrive le septième jour, le plus beau de tous à mes yeux. La journée commence bien avec la découverte d'un poisson dans mon piège que nous faisons cuire à la plancha grâce à une pierre plate. Le poisson est ridiculement petit mais avoir dans la bouche au bout d’une semaine un goût différent de celui des lentilles, du riz et de la semoule se révèle être une belle manifestation du plaisir intense ! Après ce beau petit déjeuner, direction le col de Bastan et surtout son pic. L’ascension est sportive avec une petite frayeur pour Léo-Paul qui a vu un rocher lui rester dans les mains. J'arrive le premier en haut de ce pic et là c’est tout simplement MAGIQUE ! Et Le mot est encore bien faible. Imaginez donc : une vue à 360 degrés à plus de 2 700m d’altitude, sous un ciel bleu azur et des paysages à couper le souffle. Impossible pour moi de vous décrire ce spectacle et cette joie qui a été la nôtre. Nous restons un bon montent là-haut, subjugués, contemplatifs devant tant de beauté. Mais il nous faut déjà penser à redescendre Nous reprenons notre marche jusqu’au lac de l’Oule, où, pour la première fois il nous est possible de faire un gros feu et par conséquent une veillée digne de ce nom.
Les jours suivant furent plus calmes jusqu’au dixième jour qui débute quant à lui sur les chapeaux de roue à 3h du matin pour l’ascension de notre troisième pic, le pic de Madamète. A la lumière de nos frontales nous escaladons tant bien que mal avec les sacs les 200m qui nous séparent du sommet. Doucement le jour se lève et un magnifique lever de soleil prend la place d’une voûte céleste sans lune resplendissante d’où émerge notre chère voie lactée. Le spectacle se déroule sous nos yeux ébahis comme une succession de peintures toutes plus belles les unes que les autres. Nous passerons finalement 8h sur ce sommet pyrénéen culminant à plus de 2 600m. Arrive enfin le douzième jour et cette terrible nuit, la pire de ma vie. Rappelez-vous, notre tente n’est pas étanche et surtout elle ne possède pas de tapis de sol, elle laisse donc l’eau pénétrer par dessous. Pris au beau milieu d’une grosse tempête vers 17h, nous posons en moins de 5min la tente avec une efficacité redoutable mais celle-ci prend l’eau très rapidement. Je suis allongé au milieu de la tente, de sorte qu’une cuvette se forme sous moi et se remplit d’eau de pluie. Rapidement je patauge, allongé dans cette eau glaciale qui me transperce et me brûle comme le feu. 13h. Je suis resté treize heures comme ça, allongé comme dans une baignoire d’eau gelée, à trembler de tous mes membres et à attendre le lever du jour. Attente infinie, épuisante ! Ce n’est que vers 6h00 du matin que j’arrive enfin à m’endormir, d’épuisement, mais le froid me réveille une heure après alors que mon corps est pris de spasmes. Par chance, les gros orages de la veille et de la nuit laissent place au soleil dont les rayons lèchent doucement nos corps meurtris pour leur redonner vie. Moralement au plus bas c’est alors une lutte qui s’engage en chacun d’entre nous et nous pousse à puiser au plus profond de nos ressources pour finir notre périple et revenir à notre point de départ. Nous retrouvons finalement la voiture le 1er juillet 2020 après un périple sportif de 15 jours qui nous aura vu perdre au moins 4 kg. Plutôt secs de base nous avons perdu beaucoup en muscles et même les traits de nos visages se sont creusés.
15 jours de souffrances et de difficultés qui n’ont pas su altérer l’enthousiasme qui nous a accompagné tout au long de ce périple, bien au contraire, elles n’ont fait que le renforcer. Toutes les merveilles que nous avons contemplées, nous les avons méritées et cette satisfaction n’a pas de prix. Comme cela est gratifiant ! A jamais les images de cette épopée seront inscrites en nous. Mes conseils d’étudiant de 18 ans ne valent certainement rien mais si j’en ai un dont je suis sûr qu’il est vrai : c’est que peu importe à quel point c’est difficile, la réalisation d’un rêve vous apportera toujours bonheur, fierté et joie au bout du compte. Le maître mot est tout simplement le surpassement de soi.
Ce périple n’aura fait que grandir ma soif d’aventures. J’écris actuellement ces quelques lignes le 14 août 2020 en compagnie de Robin sur un ferry en direction de la Corse avec un projet en tête : parcourir tout le nord de l'Île de Beauté à pied et en stop. Là encore deux semaines à dormir dans des hamacs ou à même le sol. Juste avant le mois d’août je m’étais également lancé le défi de faire le tour de Belle-Ile en une journée, soit 85 km, défi réussi le 30 juillet en 13h35!
Ces challenges ne sont que les prémices d’expéditions encore plus folles mais elles auront toutes le même point de départ : un petit parking perdu en Ariège car ce défi dans les Pyrénées nous aura fait expérimenter la souffrance, le manque et la privation soit tout ce qui est nécessaire de connaître pour en apprécier pleinement leur contraire. Si on désire vraiment quelque chose, il faut oser se lancer dans le grand bain un jour et ce saut dans le vide que nous avons fait un matin du mois de juin 2020 nous aura apporté bien plus que des sensations fortes. Il nous aura montré la vraie valeur de la vie et les choses essentielles que sont la fraternité, la liberté, la contemplation, le dépassement de soi et le respect de toute chose vivante.
9h déjà que je suis allongé dans cette eau glaciale. Les spasmes me gagnent et mon corps, meurtri par les jours de marche et le jeûne se recroqueville dans un vain espoir de garder la chaleur. Rapidement mes mains et mes pieds blanchissent et se creusent, le sang ne pouvant plus réchauffer les extrémités. Des rigoles se forment sur mes doigts anesthésiés et mon nez, brûlé par le feu, le soleil et irrité par le froid commence à saigner. Autour de moi, Léo-Paul et Robin dorment, eux aussi trempés et frigorifiés. Le sommeil les a entraînés loin du calvaire.
Pour tenter de penser à autre chose qu’à la douleur, je me repasse les derniers événements dans la tête.
Deux semaines plus tôt, j’étais encore à Paris, au fond d’un lit douillet à rêver d’aventure et de paysages sauvages. J’allais bientôt être servi. J’ai en effet retrouvé Léo-Paul dès le lendemain pour le début d’un beau périple : survivre et parcourir les Pyrénées en totale autonomie pendant une quinzaine de jours. Nous étions quatre à tenter l’expérience : Robin qui habite en Ariège donc au pied des montagnes, Paul qui habite à Lyon et enfin Léo-Paul et moi qui logeons en région parisienne. 4 gamins de 18-19 ans qui n’ont presque jamais mis les pieds en haute montagne en dehors des vacances d’hiver au ski. Mais avant de partir explorer les Pyrénées, encore fallait-il les atteindre. Paul décide de rejoindre Robin en train mais Léo -Paul et moi, sans le sou et en soif d’aventure, décidons sur un coup de tête de parcourir les 750 km qui nous séparent de l’Ariège en autostop. Une première pour nous avec le challenge supplémentaire de la crise du Covid-19 alors autant vous dire que personne de notre entourage ne croyait réellement en notre projet.
Malgré tout, et je vous épargne les détails, après avoir fait 12h de trajet successivement dans neuf voitures différentes, nous étions sur le parvis de la maison de Robin. Ces douze heures de stop ont été un vrai régal. Chaque rencontre s’est révélée être unique , très inspirante et chacune des personnes que l’on a rencontrées était source de bienveillance et de gentillesse. La suite du périple fut moins agréable, tout au moins au début.
Matin du 15 juin, jour du grand départ : après avoir pris la voiture jusqu’à un minuscule parking près du gîte du Chiroulet au pied des montagnes ariégeoises, nous ajustons péniblement nos sacs sur le dos ; ils pèsent autour de 20kg. 20kg c’est lourd, très lourd, particulièrement lorsqu’il s’agit de faire des journées de 7h de marche avec des dénivelés pouvant atteindre 2000 m. Dans les sacs pourtant le strict nécessaire : le matos photo et vidéo, une tente, une casserole, la nourriture, la trousse de secours, les lampes et objets de survie, de l’eau et des affaires chaudes. La nourriture est réduite au maximum : pour deux semaines de marche on a seulement du riz, de la semoule et des lentilles ; s'ajoute à cela deux biscuits par jour par personne et pour le mental 1 sachet de cacahuète et 1 saucisson pour l’entièreté du voyage. Rien d’autre. Pas de fruits, pas de légumes frais, pas de viande ni de poisson et le minimum de sucres rapides. Pendant deux semaines en autonomie complète sans aucune possibilité de ravitaillement, nous n’avons donc pas non plus ingurgité le moindre produit laitier et aucun lipide en dehors des quelques traces que l’on trouve dans les féculents. Pendant 15 jours. Je vous laisse imaginer à quel point nous avons pu souffrir de ce manque de diversité alimentaire. Pour combler ce vide nous nous sommes rattrapés en ajoutant des trèfles, des pissenlits, du pin et des orties à nos lentilles. Robin a même mangé une quantité impressionnante de fourmis, bonne source de protéines il est vrai !
Revenons-en au premier jour de notre périple. Après avoir marché plus de deux heures hors des sentiers battus à travers des champs et des ruisseaux, nous nous retrouvons en bas de la montée vers un célèbre lac de la région : le lac bleu. Entre temps, le brouillard est tombé et la pluie menace mais nous entreprenons à 4 la montée avec envie ; nos jambes nous démangent ! . Pendant cinq heures nous n’avons fait que grimper, le dénivelé positif dépassant les 1000m. Pas encore habitués aux sacs, nous avons beaucoup souffert et le mental a pris un sacré coup : ce n’est qu’à cet instant que nous sommes rendus compte de la difficulté du projet dans lequel nous nous étions embarqué. Une fois arrivé en haut nous nous sommes écroulés pour dormir, sans même prendre le temps manger, dans une sorte de grande maisonnette délabrée. Le lendemain matin une mauvaise nouvelle nous attend : Paul a une tendinite à la cheville et ne pourra pas continuer l’expédition Nous décidons, après avoir appelé les gendarmes de haute montagne, de le redescendre avec Léo-Paul tandis que Robin se repose de la veille. La pluie torrentielle s’abat sur nous pendant que nous descendons tout le chemin escaladé avec peine la veille ! Paul trouve rapidement une voiture qui le prend en stop , avec Léo -Paul nous repartons vers le sommet rejoindre Robin, heureusement cette fois sans les sacs mais… toujours sous la pluie. Une fois arrivés en haut, nous nous affairons à faire un feu pour cuire notre riz puis nous nous couchons exténués. Après seulement 48h de galères nous avons déjà perdu un coéquipier et ne sommes plus que trois ; de quoi nourrir nos doutes quant à la faisabilité du défi !
Le lendemain matin le sourire revient avec le soleil malgré les nombreuses piqûres d’insectes et les tiques et nous entreprenons une grosse journée de marche qui nous emmène au pied du pic du midi après 7h à crapahuter dans la montagne et l’ascension de 2 cols. Les paysages de cette troisième journée resteront à jamais gravés dans ma mémoire, tant ils étaient splendides et uniques. Survolant les pitons rocheux, les vautours fauves piquaient au-dessus des cols tels de petits avions à la recherche des marmottes qui somnolaient dans les vallées verdoyantes au parfum enivrant. Sous nos pas les premiers névés (neige qui peut perdurer en été) crissaient et annonçaient le retour d’un épais brouillard froid. Quelques jours plus tôt, nous étions passés dans un office de tourisme pour acheter une carte IGN et la dame chargée de la réception nous avait prévenu qu’il était impossible de monter le pic du midi à pied sans crampons ni piolets à cause des gros névés qui en bloquent l’accès. Nous nous étions alors dit que nous ne prendrions peut-être pas le risque de grimper le pic surtout avec nos gros sacs. Le matin du jour 4, après avoir essuyé une nuit pluvieuse nous révélant d’ailleurs que notre tente n’était pas étanche du tout (nous avions vraiment pris ce que nous avions chez nous, c’est à dire une tente de trek abîmée qui n’était plus imperméable et ne possédait plus de tapis de sol), un peu abattus et épuisés nous étions à deux doigts d’abandonner l’ascension du pic du Midi lorsque tout à coup une éclaircie apparut. Pris d’une envie soudaine, nous avons unanimement décidé d’essayer de monter au sommet et avec les sacs en prime ! Simplement couverts de ponchos, d’un pull et d’un short et équipés de chaussures de rando nous commençons l’ascension sous une tempête de grêle. Rapidement nous atteignons les premières neiges que nous franchissons avec prudence. La montée est longue et risquée et un épais brouillard nous masque une bonne partie du paysage, les éléments semblent s’être ligués contre nous mais rien à faire, notre détermination est trop grande. L’ascension est exténuante et glissante avec certains passages compliqués et des énormes névés. Le soulagement est immense à l’arrivée. Cependant, déception au sommet car nous ne voyons rien au milieu de cette purée de pois et nous ne pouvons même pas contempler le panorama.
Nous entamons la redescente après 30min de repos sur le sommet balayé par les vents glacés à 2 876m d’altitude et marchons bien encore 5h pour atteindre une miteuse cabane du nom de Pène Blanque, perdue au milieu des alpages couverts d’excréments de brebis. On y tient à peine à trois à l’intérieur. L’humidité est toujours aussi élevée et allumer un feu se révèle presque impossible. D’ailleurs le feu, indispensable à la cuisson de nos quelques denrées alimentaires, a été très compliqué à gérer pendant tout notre périple : le manque d’oxygène en altitude, le manque de bois et surtout l’humidité nous ont donné beaucoup de fil à retordre et il nous arrivait souvent de passer plus de deux heures à faire à manger. Léo-Paul, à force de souffler sur les braises aussi longtemps et quotidiennement, a commencé à avoir la peau des paupières, du nez et des joues qui partait en lambeaux, complètement desséchée . Robin a aussi rapidement pris l’habitude de rajouter du bois sec dans son sac déjà bien lesté dès qu’il en avait l’occasion car ce bois nous garantissait un repas chaud le soir. Une autre habitude assez surprenante que nous avons mise en place était de faire du riz ou des lentilles puis de récupérer l’eau chaude de cuisson restante et de la verser sur la semoule pour la faire gonfler. C’était un rituel qui nous permettait de manger plus, de façon pratique et économe. Si jamais il nous restait du rab, ce qui arrivait souvent lorsque l’on cuisait du riz, on compactait ce dernier dans une boite de façon avaler quelque chose lorsqu’il nous était impossible de faire du feu. Cependant, le riz froid nature souvent peu cuit passait difficilement et il fallait se forcer pour le manger, même lorsque nous étions affamés.
Finalement les jours s’enchaînent, chacun réservant son lot de surprises et d’enchantement. Les paysages sont magnifiques, vraiment splendides. Nous sommes heureux d’avoir la nature sauvage, authentique pour nous seuls et c’est un véritable bonheur que de pouvoir observer le bal des vautours fauves, des gypaètes barbus, des aigles et même des milans royaux ainsi que les cabrioles des isards et le train-train quotidien des marmottes. Nous avons sous les yeux la preuve que l’Aventure avec un grand A peut encore se vivre en 2020 en France au sein de paysages spectaculaires et reculés. Le 5ème jour est le plus long de tous. Nous partons de Pène Blanque situé à 2 000m d’altitude pour arriver à Artigues à 1 200m avant de remonter jusqu’au lac de Gréziolles situé à 2 200m d’altitude. Une journée particulièrement difficile surtout que cela fait maintenant cinq jours que nous ne nous sommes pas lavés, que nous marchons toute la journée en mangeant très peu. A l'arrivée, Le lac est magique. Entouré de montagnes dont les sommets atteignent les 2 800m, il se fond dans le décor tel un miroir reflétant la montagne et le ciel. Nous décidons de nous y accorder une journée de pause le lendemain pour se ressourcer et recharger les batteries de nos téléphones et appareils photo grâce à notre panneau solaire. Heureusement le lendemain, le soleil est au rendez-vous et nous en profitons pour nous laver ; Léo-Paul nage même dans le lac mais frôle l’hypothermie dans cette eau provenant directement de la fonte des glaces. Je me risque ensuite à essayer de pécher mais rien ne mord à l’hameçon que j’avais pensé à apporter ; et les poissons sont bien trop petits pour que je les harponne. Je pose tout de même un piège fabriqué avec de la ficelle et une bouteille pendant la nuit. Entre temps , nous attrapons des lézards et des grenouilles mais malgré notre folle envie de viande, nous les relâchons sachant que les reptiles et les amphibiens sont protégés en France ; nous nous contenterons encore une fois de lentilles. Arrive le septième jour, le plus beau de tous à mes yeux. La journée commence bien avec la découverte d'un poisson dans mon piège que nous faisons cuire à la plancha grâce à une pierre plate. Le poisson est ridiculement petit mais avoir dans la bouche au bout d’une semaine un goût différent de celui des lentilles, du riz et de la semoule se révèle être une belle manifestation du plaisir intense ! Après ce beau petit déjeuner, direction le col de Bastan et surtout son pic. L’ascension est sportive avec une petite frayeur pour Léo-Paul qui a vu un rocher lui rester dans les mains. J'arrive le premier en haut de ce pic et là c’est tout simplement MAGIQUE ! Et Le mot est encore bien faible. Imaginez donc : une vue à 360 degrés à plus de 2 700m d’altitude, sous un ciel bleu azur et des paysages à couper le souffle. Impossible pour moi de vous décrire ce spectacle et cette joie qui a été la nôtre. Nous restons un bon montent là-haut, subjugués, contemplatifs devant tant de beauté. Mais il nous faut déjà penser à redescendre Nous reprenons notre marche jusqu’au lac de l’Oule, où, pour la première fois il nous est possible de faire un gros feu et par conséquent une veillée digne de ce nom.
Les jours suivant furent plus calmes jusqu’au dixième jour qui débute quant à lui sur les chapeaux de roue à 3h du matin pour l’ascension de notre troisième pic, le pic de Madamète. A la lumière de nos frontales nous escaladons tant bien que mal avec les sacs les 200m qui nous séparent du sommet. Doucement le jour se lève et un magnifique lever de soleil prend la place d’une voûte céleste sans lune resplendissante d’où émerge notre chère voie lactée. Le spectacle se déroule sous nos yeux ébahis comme une succession de peintures toutes plus belles les unes que les autres. Nous passerons finalement 8h sur ce sommet pyrénéen culminant à plus de 2 600m. Arrive enfin le douzième jour et cette terrible nuit, la pire de ma vie. Rappelez-vous, notre tente n’est pas étanche et surtout elle ne possède pas de tapis de sol, elle laisse donc l’eau pénétrer par dessous. Pris au beau milieu d’une grosse tempête vers 17h, nous posons en moins de 5min la tente avec une efficacité redoutable mais celle-ci prend l’eau très rapidement. Je suis allongé au milieu de la tente, de sorte qu’une cuvette se forme sous moi et se remplit d’eau de pluie. Rapidement je patauge, allongé dans cette eau glaciale qui me transperce et me brûle comme le feu. 13h. Je suis resté treize heures comme ça, allongé comme dans une baignoire d’eau gelée, à trembler de tous mes membres et à attendre le lever du jour. Attente infinie, épuisante ! Ce n’est que vers 6h00 du matin que j’arrive enfin à m’endormir, d’épuisement, mais le froid me réveille une heure après alors que mon corps est pris de spasmes. Par chance, les gros orages de la veille et de la nuit laissent place au soleil dont les rayons lèchent doucement nos corps meurtris pour leur redonner vie. Moralement au plus bas c’est alors une lutte qui s’engage en chacun d’entre nous et nous pousse à puiser au plus profond de nos ressources pour finir notre périple et revenir à notre point de départ. Nous retrouvons finalement la voiture le 1er juillet 2020 après un périple sportif de 15 jours qui nous aura vu perdre au moins 4 kg. Plutôt secs de base nous avons perdu beaucoup en muscles et même les traits de nos visages se sont creusés.
15 jours de souffrances et de difficultés qui n’ont pas su altérer l’enthousiasme qui nous a accompagné tout au long de ce périple, bien au contraire, elles n’ont fait que le renforcer. Toutes les merveilles que nous avons contemplées, nous les avons méritées et cette satisfaction n’a pas de prix. Comme cela est gratifiant ! A jamais les images de cette épopée seront inscrites en nous. Mes conseils d’étudiant de 18 ans ne valent certainement rien mais si j’en ai un dont je suis sûr qu’il est vrai : c’est que peu importe à quel point c’est difficile, la réalisation d’un rêve vous apportera toujours bonheur, fierté et joie au bout du compte. Le maître mot est tout simplement le surpassement de soi.
Ce périple n’aura fait que grandir ma soif d’aventures. J’écris actuellement ces quelques lignes le 14 août 2020 en compagnie de Robin sur un ferry en direction de la Corse avec un projet en tête : parcourir tout le nord de l'Île de Beauté à pied et en stop. Là encore deux semaines à dormir dans des hamacs ou à même le sol. Juste avant le mois d’août je m’étais également lancé le défi de faire le tour de Belle-Ile en une journée, soit 85 km, défi réussi le 30 juillet en 13h35!
Ces challenges ne sont que les prémices d’expéditions encore plus folles mais elles auront toutes le même point de départ : un petit parking perdu en Ariège car ce défi dans les Pyrénées nous aura fait expérimenter la souffrance, le manque et la privation soit tout ce qui est nécessaire de connaître pour en apprécier pleinement leur contraire. Si on désire vraiment quelque chose, il faut oser se lancer dans le grand bain un jour et ce saut dans le vide que nous avons fait un matin du mois de juin 2020 nous aura apporté bien plus que des sensations fortes. Il nous aura montré la vraie valeur de la vie et les choses essentielles que sont la fraternité, la liberté, la contemplation, le dépassement de soi et le respect de toute chose vivante.