Le GR 5 d'un poireau
Quand : 09/09/2020
Durée : 25 jours
Durée : 25 jours
Carnet publié par Paolino
le 08 nov.
modifié le 08 nov.
modifié le 08 nov.
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
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Le compte-rendu (mise à jour : 08 nov.)
LE GR 5 D'UN POIREAU
Voici le récit du parcours que j'ai effectué sur le GR 5 du 9 Septembre au 5 Octobre 2020. Le départ classique s'effectue de Saint Gingolf en bordure du Lac Léman ALEX et aux inondations survenues à Saint Martin de Vésubie et dans ce secteur le 2 Octobre 2020.
L'idée de ce projet plutôt aventureux m'est venue lorsque j'ai réalisé que j'allais passer l'âge de la soixantaine. J'ai eu envie de faire quelque chose d'exceptionnel et d'inoubliable, histoire de marquer mon esprit et peut être aussi pour me prouver que j'avais encore quelques ressources mentales et physiques. L'idée du GR 5 a été un déclic simplement en naviguant sur you tube, j'ai immédiatement été séduit par le parcours et le défi que cela représentait pour moi. J'avais également un grand besoin d'oxygène et d'espace, besoin aussi de me retrouver et d'affronter seul les difficultés que j'allais sans doute rencontrer. Bien que je n'en avais qu'une vague idée, vu mon inexpérience dans le domaine du treck ou de la randonnée.
Avec le recul je reconnais que c'était plutôt osé et plusieurs personnes restaient septiques lorsque je leur parlais de ce projet. Mon inexpérience, mon absence de sens de l'orientation, la longueur du parcours n'étaient pas pour rassurer mes proches et amis. Mais par définition, un défi doit justement être jalonné de difficultés, sinon ce n'en est plus un... Et puis qu'importe, cela mettrait un peu plus de piquant dans l'aventure. J'ai quand même bien étudié le sujet sur les blogs et les divers reportages que j'ai visionné sur le net, mais cela ne restait que virtuel...
Ainsi j'ai rapidement constitué mon équipement et les grandes lignes de mon itinéraire sans prévoir dans le détail le parcours puisque étant seul, j'étais libre de gérer les bivouacs ou autres arrêts pour chaque étape qui devaient initialement me conduire à Menton.
Après avoir patienter plusieurs semaines surtout par rapport à mes obligations professionnelles, décision était prise de partir en train le Mercredi
9 Septembre pour Thonon les Bains où je passerai la nuit et prendrai un bus le lendemain pour Saint Gingolf point de départ «officiel» du GR5. Pour info, je rappelle qu'il faut prévoir en moyenne quatre semaines pour environ 600 km de marche.
En voici le récit ;
Mercredi 9 Septembre : . C'est le jour J, j'ai un sentiment d'excitation quand je pense à ce qui m'attend.
Un grand saut dans l'inconnu et le plaisir d'avoir à gérer au jour le jour, heure par heure le déroulement de mon aventure. Lâcher prise, abandonner le confort de la maison, et se diriger à l'inspiration. Peut être me pousser dans mes retranchements, au bout du bout de mes capacités, c'est cela que je vais chercher. Je n'ai qu'une crainte, ne pas arriver au bout. Mais je suis tellement motivé que seul un incident technique ou indépendant de ma volonté ferait que j'abandonne. Mon sac à dos est prêt, et malgré tous mes efforts, je n'ai pas pu faire moins de 18 voir 19 kg avec l'eau et du ravitaillement pour trois ou quatre jours. Pour une fois, c'est maa fille Coralie qui me dépose à la gare d'Aubagne, direction Marseille. Je passe vite sur le départ de la gare Saint Charles, après deux changements, arrivée à Thonon les Bains vers 17 heures où je trouve rapidement l'appart hôtel que j'avais réservé. Super bien installé, je ressors afin d'aller repérer les départs des bus pour Saint Gingolf le lendemain à 6h15. Sur le retour, je m'arrête à un snack où je prends un plat de pâtes à emporter que je dégusterai dans l'appart.
Jeudi 10 septembre :
Levé à 5 heures pour être au bus à 6 heures, Dans le bus, environ une heure de route, on longe enfin le lac Léman mais le jour se lève à peine.
Il semble que le temps est au beau, c'est déjà ça..... Arrivée à Saint Gingolf, le chauffeur me fait signe qu'il faut descendre, c'est le terminus, il n'ira pas à Menton !!. Je trouve rapidement un bar afin d'avaler un café, et une boulangerie en face. La boulangère me voyant ainsi équipé me raconte qu'elle aussi a fait le GR 5 lorsqu'elle était ado...ça doit faire une quinzaie d'années !! Puis au bar, un client me demande où je vais et il est tellement admiratif de mon projet qu'il m'offre mon double café...si j'avais su, je l'aurais emmené à la boulangerie !!
Maintenant le GR5 est en face, en tout cas l'un des départs car il semble qu'il y en ait plusieurs qui doivent se rejoindre un peu plus haut. Comme je l'avais lu, ça monte tout de suite très raide. J'ai l'impression d'aller à la chapelle de Cuges, mais là ça s'appelle la chapelle d'Abondance. Le sac de plus de 18 kg se fait tout de suite sentir. Je m'aperçois qu'ici le GR coupe la route qui monte en lacets, et ce sera souvent le cas lors de l'ascension de cols qui sont accessibles par la route. J'arrive alors sur un grand parking en terre battue où je décide de sortir mes bâtons. Je réalise alors que j'ai du laisser tomber ma casquette sans m'en rendre compte. Tant pis j'entame donc l'ascension du col de Bise. Toujours très dur, obligé de faire de nombreuses mini pauses car le cardio s'emballe et les jambes commencent à bouillir. Arrivée au col de Bise à 1915.m, j'entame la descente au chalet du même nom. Descente très raide, par un petit sentier creusé par le ravinement. Les genoux fatiguent, j'ai vraiment l'impression que le sac me pousse. Pour la première fois de ma vie, les jambes commencent à trembler. Arrivée au chalet de Bise, vers 13 heures, On peut y pique niquer et commander des boissons. Je descends rapidement une bière et m'ouvre une boite de sardines avec le pain acheté ce matin. Une compote et une barre de céréales pour le dessert. J'enlève mes baskets et mes chaussettes car il est grand temps de mettre les chaussures de marche. A cette occasion, je retrouve ma casquette qui était tombée dans le filet dorsal de mon sac à dos... Je repars vers 13h45 pour le Pas de la Bosse, encore une belle ascension d'une heure très raide. Toutes les 5 minutes, je bois une gorgée d'eau car je transpire beaucoup. Arrivée au sommet, les panneaux ne sont pas très clairs, il y a plusieurs chemins qui partent et pas de chance, je ne prends pas le bon. Je me fais encore 40 minutes de montée inutile que je dois redescendre après avoir demandé mon chemin à deux alpinistes qui s'étonnent de me voir voyager sans carte.... Bilan, une heure quinze de perdue. Je retrouve le GR vers la Chapelle d'Abondance avec une grosse descente, et les mêmes sensations de fébrilité dans les jambes et les genoux qui tremblent. Arrivée à 17 heures à la chapelle, où je suis actuellement, je profite de recharger mon téléphone sur une prise dans un bar où je me délecte d'un demi de bière. Je vais décoller et chercher un endroit pour planter ma tente, il est déjà 18 heures et il faut faire vite avant la tombée de la nuit.
Vendredi 11 septembre.
En fait hier soir après la pause au bar, je suis reparti chercher un bon emplacement mais l'heure tournait et je ne voyais rien de sympa à l'horizon. Par contre je longeais un beau ruisseau et j'aperçois une belle plage à l'abri des regards où je peux faire ma toilette au gant. L'eau est bien entendu glacée mais c'est tonifiant et je me rhabille propre pour repartir chercher mon emplacement. Finalement, il fait tellement bon que je décide de dormir à la belle étoile quelques centaines de mètres plus loin, près d'un banc en bordure d'un chemin non loin d'une cascade. Je prépare mon repas sur ce banc, soupe courgettes petits pois. Je n'ai pas très faim, mais ça réchauffe car depuis la température a baissé. J'étale et je gonfle mon tapis de sol, mon duvet, et je me recouvre de la couverture de survie. J'ai du mal a trouver le sommeil, d'abord à cause du bruit de la cascade, les moustiques attaquent, et je recouvre donc ma tête de la capuche en voile prévue avec le duvet... Le ciel est étoilé, et dans la nuit, j'ai bien senti un petit rongeur venu me chatouiller le cou...
J'ai mis le réveil pour 5 heures car je prévois le temps de déjeuner et remballer tout mon barda. Au matin, je me rends compte que mon duvet est trempé par la rosée d'une part, mais je réalise que la présence de la cascade non loin a accentué ce phénomène d'humidité. Je prévois donc une étape sans doute plus courte afin d'avoir le temps de faire sécher tout ça dans l'après midi. Départ vers 7 heures et ça démarre tout de suite très raide en sous bois. Petits sentiers en lacets, grosses racines glissantes car je suis à l'ombre. J'arrive enfin au sommet du col de Bassachaux à 1780 m, et j'aperçois une ferme où le berger vend ses produits. C'est une petite habitation avec l'étable à côté.
A l'intérieur, au milieu de la pièce, il y a un énorme chaudron suspendu à une potence pivotante afin de la positionner ou pas au dessus du feu. Je discute un peu avec le fermier qui a une grosse bosse sur le front et un cocard car il est justement tombé dans les chemins glissants. Il me raconte qu'un randonneur lassé par son sac trop lourd lui a abandonné sa tente... Je lui achète un bout de Tome et je repars. Encore une ascension jusqu'à Mattes, puis pause déjeuner et j'en profite pour étaler toutes mes affaires humides au soleil. J'essaie de recharger mon portable avec le panneau solaire mais j'arrive péniblement à 30 % seulement. J'essaie de manger un bout de tome avec du pain mais je ne sais pas pourquoi, je n'ai vraiment pas faim. Je n'arrive pas à avaler le pain pourtant encore souple et aux céréales. Bref, j'appelle Véro, je remballe tout, et je repars pour le col de Bassachaux, encore très dur... J'y arrive et je m'assoie à la terrasse du refuge ou je commande une succulente crêpe au sucre et un coca, que je mange volontiers. Cela aura au moins l'avantage de me recharger en sucre rapide. Je repars vers 15 heures pour essayer d'atteindre le refuge de Crésely. Malheureusement, je commets une erreur d'orientation et je descends une longue piste de ski pendant environ 40 minutes. Arrivée en bas, je demande mon chemin à des gars qui étaient en train de vérifier les canons à neige. Là j'apprends que je suis descendu du mauvais coté et que je n'ai plus qu'a remonter... 40 minutes de descente, ça fait vite une heure de montée et en plus il commence a pleuvoir... je me mettrais des baffes !! Retour à l'intersection litigieuse, il me reste encore une heure de marche pour atteindre le refuge et passer en Suisse. Le temps est humide et brumeux, je suis mouillé et très fatigué. Je décide donc de dormir dans le refuge de Chesery car le gardien super sympa me confirme que ce soir je serai seul !! C'est encore pas aujourd'hui que je monterai ma tente.. Là j'ai pu prendre une bonne douche chaude réparatrice. Je vais préparer l'itinéraire de demain, manger (soupe de légume, omelette et tisane), et me coucher. A priori, demain grosse étape jusqu'à Samoens, 30 km...
Samedi 12 septembre :
Encore pas bien dormi, mon corps n'est que douleur quand je me couche, j'ai l'impression que tous les voyants rouges s'allument. J'ai pourtant pris un Doliprane et me suis massé avec mon huile d'Arnica. Petit déj. léger car je n'ai toujours pas faim. Je décolle à 6h45 alors que le jour se lève à peine. Direction le village des Crosettes, 1h30 et là j'ai du mal à retrouver le GR. C'est une petite station de ski, je cherche, je demande, et après avoir suivi quelques indications hasardeuses, j'aperçois le GR un peu plus haut à flanc de montagne. Je traverse un lotissement de milliardaire, (on est en Suisse) et je passe à plat ventre sous des clôtures électriques, avec le sac à dos !! et enfin après une escalade à la verticale d'une trentaine de mètre, je récupère mon GR chéri.... Maintenant direction le col de Coux à 2120 m. C'est toujours très abrupte. Pendant l'ascension, j'avais le nez rivé sur mes chaussures, et j'ai senti sur ma droite un objet noir qui bougeait. J'ai d'abord cru que c'était un corbeau qui décollait, mais en tournant la tête j'ai stoppé net car c'était un caillou de la taille d'un ballon de foot ball qui dévalait la montagne en rebondissant et est venu se fracasser sur un gros rocher à dix mètres devant moi... bien content de ne pas l'avoir pris sur la tête celui là !!
Plus loin, au détour d'un virage, j'aperçois au milieu de la piste un gros husky tout seul qui me fait immédiatement penser à un loup. Zen....quelques mètres plus loin, les propriétaires du chien étaient là. Toutes les situations sont là pour me faire monter le cardio... Arrivée au sommet, je repasse en France où je croise des randonneurs qui s'étonnent de mon parcours. Puis longue descente magnifique en sous bois entouré de mélèzes et de fougères, et toujours mes genoux qui flageolent. Et maintenant je remonte pour le col de Golèse, DUR, car en plein soleil et il est environ 13 heures. Je fais une pause au refuge histoire de me forcer a manger quelque chose qui me ferait plaisir. Je prends une tartes aux myrtilles et un coca juste pour me recharger en calories. Après le col de Gonèse, grosse, très grosse descente de deux heures trente sur Samoens. Problème, ça descend tellement que mes supers semelles achetées pour l'occasion, avancent dans mes chaussures. Je me retrouve alors avec un escalier sous le talon, et un bourrelé sous les orteils. Je m'arrête au moins trois fois pour remettre tout ça en place et finalement je vire tout et je chausse mes baskets pour la suite. Plus tard, j'intervertirai les semelles des baskets et des chaussures. Arrivée à Samoens vers 17 heures, je trouve un ruisseau et je me lave au gant (toujours glacé...) je fais une bonne lessive et je repars encore pour une demi heure afin de trouver un emplacement de bivouac. Je m'installe entre un bois longeant le ruisseau et un champs face à moi. Véro m'a repéré sur Google, je crois que je suis fliqué !!
J'étends mon linge aux branches d'arbres derrière la tente. Ce soir je commence à manger plus volontiers une soupe en sachet pâtes et fromage avec une compote et enfin je me couche. Encore une fois, dès que je m'allonge, toutes les douleurs de mon corps se réveillent et m'empêchent de trouver le sommeil. Je refais un massage de ma cuisse gauche qui recommence à fourmiller et est devenue comme anesthésiée. Je commençais à fermer les yeux, quand j'entends des pas d'homme près de la tente et il me semble bien que quelqu'un a touché la toile. Je m'assoies en sursaut dans la nuit et crie qui est là ?...pas de réponse, et plus de bruit.... Je pense alors à tout mon linge étendu et me dit que s'il disparaissait, je serais bien embêté. Je m'arme du couteau suisse que m'a offert Coralie, m'équipe de ma frontale et sors faire un tour de reconnaissance. Il fait nuit noire, et le faisceau de ma frontale trouve vite ses limites. Rien ni personne à l'horizon, mais étant certain d'avoir entendu des pas, je me dis que quelqu'un pourrait très bien s'être caché derrière un arbre et je réalise alors à quel point je suis vulnérable dans ma tente. Je décide donc de me recoucher avec mon couteau ouvert dans la main la pointe vers le haut, et fini par m'endormir...d'un œil.
Dimanche 13 septembre :
Réveil à 5h30, il fait encore nuit noire, j'attends encore un peu puis commence à plier tranquillement. La tente est trempée et bien entendu mon linge étendu aussi. Ce matin au p'tit déj. Café, quelques céréales, et un quignon de pain qui me restait depuis saint Gingolf.
Mon téléphone est pratiquement déchargé, je ne l'allume que pour le strict nécessaire et décolle vers 7h15. Direction le col d'Anternes, une ascension magnifique en sous bois, toujours ces mélèzes, des gros rochers recouverts en partie de mousse, un vrai décors de cinéma. L'air est frais, je suis à l'ombre du coup je souffre moins mais le panneau solaire est inefficace pour recharger mon téléphone. Plus j'avance et plus ça se durci. Je passe entre des gros rochers par des échelles quasi verticales, puis des mains courantes et bien entendu le sac de 18 kg me rappelle régulièrement sa présence. Arrivée à une bifurcation, une flèche m'indique d'aller tout droit. Effectivement il semble y avoir des traces que je suis et qui m'emmènent au bord d'une falaise surplombant une route 50 mètres plus bas. Des chaînes boulonnées m'indiquent qu'une descente en rappel est prévue ici mais je me dis que je ne dois pas être concerné... Je contourne donc et descends au fond d'un vallon où les traces se perdent dans des fourrés et l'accès devient presque impossible. J'en déduis que je ne suis pas sur le bon tracé et décide de laisser mon sac là pour remonter 30 mètres plus haut à l'endroit où j'ai vu la dernière flèche. Je revois la chaîne, puis une autre et me confirme qu'il m'est impossible de descendre par là. Arrivée au gros rocher que j'avais croisé, je constate qu'il fallait effectivement avancer sur la droite de quelques mètres pour apercevoir des traits rouges et blancs indiquant la suite du GR. Il ne me restait plus qu'a retourner chercher mon sac et escalader le vallon pour repartir du bon pied...
Plus tard, je passe le col du Brévant et j'arrive à la cascade du Rouget, puis une autre nommée Sauffaze sur le domaine de Sales. Toute cette partie s'est faite à l'ombre mais ça monte dur...chaque pas est devenu une épreuve et en me retournant, j'aperçois Samoens en bas et je me dit que finalement j'avance quand même...pas vite, mais j'avance. On est Dimanche, et il y a pas mal de monde. Je me fais souvent dépasser par des familles ou des randonneurs mais je les rattrape régulièrement car eux font de nombreuses pauses et moi pas. Ma première halte est à 13h, j'avale une barre de céréales et une gorgée d'eau et je repars. J'arrive au refuge d'Anterne bondé en terrasse, je prends vite un sirop de citron et je repars pour le lac du même nom. Encore une ascension très pénible et arrivé au lac, je sens bien qu'il faut m'arrêter et décide de planter ma tente là, c'est juste magnifique. Plus tard je discute avec un berger, et je suis rapidement envahi de moutons autour de la tente. Je refais le plein d'eau à une source et étend mon linge sur mes bâtons et les ficelles de ma tente au soleil car il n'est que 15 heures. Ce soir au menu, couscous aromatisé Tipiak, je l'ai bien mangé puis compote, journal de bord et dodo.
Lundi 14 septembre.
Tous les jours, je retarde un peu plus le réveil car je me rends compte que je mets beaucoup moins de temps à remballer mes affaires et je suis prêt trop tôt. Mais il est hors de question pour moi de partir de nuit.
Aujourd'hui, départ 8 heures pétante, il va faire beau, le lac est un miroir. Ma tente est bien entendu trempée, et j'ai encore mal dormi à cause de ces douleurs à la hanche. Je me suis décidé au milieu de la nuit à prendre un Doliprane et j'ai ainsi pu faire quelques micro sommeils. C'est parti pour la descente du col d'Anterne où plus loin je m'arrête à un refuge car le petit déj a été light. Je prends un crêpe au sucre, café et un jus d'orange que je transvase dans ma gourde, coupé avec de l'eau. Une mamie, certainement parente des gérants, m'a même offert un morceau de cake maison.... Puis je remonte le col de Bréman moins pénible que les autres car il y a des portions moins pentues qui me permettent de récupérer. Quelques fois je m'amuse à observer mes pas et réalise que je vais trop vite. J'ai tendance à oublier que j'ai un sac de 18 kg sur le dos !! Puis je me fais des blagounettes histoire de passer le temps, je me dit que pour ma reconversion, je pourrais envisager livreur de machines à laver, ou sherpa... Tiens une confidence, (vous ne le répétez pas ! ), tous les matins, avant le départ, j'ai décidé de faire vingt pompes, d'une part cela me fait un réveil musculaire qui peut m'éviter un lumbago au moment ou je met mon sac sur le dos, et ensuite, psychologiquement, je me persuade que je ne suis même pas fatigué et que j'en veux encore...en un mot, je crains dégun...comprenne qui pourra.
Pendant ce temps, arrivée au col de Brémon, vue fantastique sur le mont blanc, un coup de fil à Véro et je repars car j'ai encore quelques grimpettes à faire pour passer le col, et pas qu'un peu. Des échelles, des mains courantes, et 50 minutes plus tard, je passe le col il est 15 heures et je redescends vers le village des Houches. Cette descente va être terrible car le fourmillement de ma cuisse devient brûlure puis grosse douleur au point que je ne peux vraiment plus marcher. Gros souci car le village est encore à une heure et ça descend toujours très fort. A plusieurs reprises, je me suis mis a marcher à reculons afin d'inverser l'appui sur mon muscle mais la descente s'éternise. J’atteins la route goudronnée, et il me reste encore 5 km à faire pour arriver aux Houches. Ces 5 km peuvent paraître insignifiant mais quand chaque pas devient une torture, ça paraît être le bout du monde
Je boite très franchement et décide de faire du stop en espérant arriver à temps pour trouver un pharmacie ouverte. La première voiture s'arrête et me dépose quelques minutes plus tard devant l'officine. J'achète Dafalgan et une pommade, puis passe au Carrefour contact refaire le plein. J'apprends que le camping que je cherchais est fermé, traverse le village en suivant le GR,. Ma cuisse me fait moins mal car je suis sur du plat. A la sortie du village, le GR indique de partir à gauche en direction du col de Volza. Apparemment ça commence très fort. Il est 19 heures passé, je ne me sent pas capable d'attaquer une nouvelle ascension. Juste en face, de l'autre coté de la route, j'aperçois un gros chalet, ancien hôtel fermé à l'abandon. Les deux portes battantes à l'entrée sont ouvertes, je décide d'aller voir ce qu'il en est.
L'établissement est sur trois niveaux que j'inspecte pour vérifier qu'il n'y a personne. Tout est pratiquement vide ou renversé et je décide de récupérer un matelas apparemment propre sur lequel je mets ma couverture de survie puis mon duvet. Je coince les portes de l'intérieur avec des queues de billard cassées, et j'étends ma tente et mon linge mouillé que j'accroche aux appliques lumineuses. Je me prépare un sandwich au thon car je n'allume pas le réchaud afin d'éviter de me faire remarquer de l'extérieur. Le vrai clando... J'avale mes médocs, journal de bord et dodo.
Mardi 15 septembre :
Réveil 6h30, toutes mes affaires ont séché. Je ne fais pas de café car il y a des maisons occupées juste à coté et je veux rester discret. 7h30 je sors et retourne au centre du village pour trouver un bar et y déjeuner copieusement. J'en profite aussi pour brancher quelques minutes mon téléphone ce sera toujours ça de gagné. Je renouvelle le jus d'orange dans la gourde, car c'est bien agréable d'avaler quelques gorgées d'eau orangée dans l'effort.
Huit heures pétante, je reviens face à mon hôtel et j'entame la montée qui commence par des escaliers constitués de rondins de bois, puis ça devient plus sauvage et surtout plus sévère...
Je réalise alors que j'ai bien fait de m'arrêter à l'hôtel hier soir. Je passe d'abord le col de Voza, puis redescend et entame le col Tricot avec là encore des échelles à escalader. Arrivé au sommet je fais une petite pause pour masser ma cuisse et manger un morceau. Il fait beau et chaud, j'enlève tee shirt et chaussettes, je ventile !! J’enchaîne avec une descente raide vers le refuge de Miache où je pensais passer la nuit en bivouac. Je m'y arrête, consomme une boisson et demande à ce qu'on me remplisse ma gourde d'eau. Alors qu'une dame était en train de laver la vaisselle juste devant moi, le patron pas très agréable m'indique les toilettes pour remplir ma gourde. Je n'apprécie pas du tout le ton et décide de partir en direction du refuge de Truc à 35 minutes de là. Sauf que c'est encore un mur qui m'attend. Arrivé à ce refuge, le responsable m'indique que je peux bivouaquer si je veux mais qu'il a fermé les sanitaires car la saison est terminée pour lui, donc pas de douche, alors je me casse...
Direction le camping de Contamines à 1h30. J'avoue que ça commençait vraiment à faire long et ma cuisse criait au secours !! J'ai recommencé à descendre à reculons pour soulager mes appuis pendant quelques minutes. J'arrive enfin au camping vers 18h30. Super bien équipé, douche, machine a laver, sèche linge et resto, le top, demain je repartirai à neuf. A table, j'ai fait la connaissance de jeunes qui font le même parcours que moi. On va peut être partir ensemble demain mais je risque de ne pas pouvoir suivre. Ils sont jeunes et ont un sac beaucoup moins lourd que le mien. Il est temps d'aller me coucher.
Mercredi 16 septembre :
Réveil à 6h30 car le petit déj est à 8 heures. Donc je remballe tout, (tente mouillée) et pars finalement seul. Après deux ou trois kilomètres de chemin plat le long du ruisseau, ça recommence à grimper dur, très dur. Les jeunes me rattrapent, me dépassent mais s'arrêtent plus souvent et on arrive presque ensemble au sommet du col Bonhomme. Première vraie pause de midi depuis mon départ. Je grignote un bout de pain et de fromage et finis ma compote. Je fais une micro sieste étendu sur l'herbe au soleil. C'était super, je repars pour la croix du Bonhomme à une heure de là. J'y rencontre une jeune fille, Amélie qui fait aussi le GR5 et qui préfère continuer avec moi car l'orage menace. Je n'ai pu la suivre qu'une centaine de mètres !! une vraie fusée, elle doit peser cinquante kilos et porte un sac sans doute plus lourd que le mien...elle n'a que 23 ans et me rappelle un peu le gabarit de ma deuxième fille Julie.
Je la rejoins après avoir passé une crête magnifique avec vue à 360 °. On se dit qu'on va continuer et pousser jusqu'au plan de l'Ail. On passe devant le refuge de Mya et on tente d'atteindre le prochain à 40 minutes. Mauvais choix, l'orage gronde et se rapproche, on arrive au refuge...fermé. L' orage éclate soudain et la grêle tombe sans possibilité de s'abriter. J'enfile rapidement mon poncho mais Amélie me dit que le sien est au fond de son sac !! on patiente quelques minutes mais la grêle tombe de plus en plus fort et nous décidons de rebrousser chemin pour revenir au refuge précédent de Mya. Le petit sentier que nous avions pris pour arriver là est déjà devenu un ruisseau boueux et je glisse deux fois et me mets par terre.. Le refuge est bien ouvert et nous reçoit volontiers sous une pluie battante ouf !!. Dans la cuisine le poêle est allumé et réchauffe toute la pièce. Douche et repas chaud, soupe de légumes courgettes haricots verts du jardin et pour moi des crozets avec du Beaufort, et comme dessert un flanc maison... un délice.
Nous ne sommes que quatre et je peux m'isoler facilement dans une mini chambre de quatre lits où je peux fermer la porte par crainte de possible ronfleur. Il est déjà 21 heures, et la journée a été longue et riche en émotions...
J'entends dehors la pluie et la grêle tomber et je réalise la chance que j'ai d'être là.
Jeudi 17 septembre:
J'ai ouvert un œil vers quatre heure du matin et regardé par la fenêtre, le ciel était bien étoilé et j'ai pu me rendormir rassuré pour la suite.
Levé à 6 heures, on replie les tentes qu'on avait mis à sécher dans une annexe, petit déj, et j'embarque deux œufs durs que je mangerai plus tard. Départ pour le col du Bresson à presque 2500 m, évidemment toujours aussi dur. Puis longue descente jusqu'au refuge de Balme qui est fermé, mais les tables sont restées dehors et je m'y installe alors qu'Amélie partie devant, repart déjà. Je mange mes œufs durs, un bout de fromage et je repars après avoir trempé mes pieds dans le ruisseau glacé, histoire de les ramener à la vie...
Je traverse le hameau des Fours, puis un autre, en essayant de gérer cette descente pour épargner ma cuisse. Enfin je traverse le village de Landry en cherchant un commerce dans le but de me ravitailler. Seule une boucherie charcuterie est ouverte à la sortie du village et par chance elle fait un peu d'épicerie si bien que j'achète une boite de six œufs... une boite de sardines, de maquereaux, et quelques bananes.
Je reprends le GR dans l'espoir de trouver rapidement un emplacement. Après plusieurs centaines de mètres très abruptes j'arrive exténué sur un petit lotissement de trois maisons accolées où l'un des propriétaires m'autorise à planter ma tente sous trois pommiers près de son garage. Il était temps car à peine fini de m'installer la pluie tombe copieusement et je prie le ciel pour que mon abri reste étanche !!
Vendredi 18 septembre :
Hier soir j'ai donc avalé une boite de sardine entière et bu toute son huile. J'essaie en effet de compenser la période de diète qui a dû me coûter quelques kilos...Pendant ce temps, la pluie et le vent fouettent la toile de tente mais elle résiste bien, et je passe une nuit relativement tranquille. Levé à 6 heures, la pluie a heureusement cessé. Je mets le nez dehors et juste à ce moment là, une pomme tombe de l'arbre. Je la ramasse, la croque et je ressens à cet instant une vraie sensation de bonheur en dégustant la plus bonne pomme que j'ai jamais mangé de toute ma vie !! Cela ne m'empêche pas de faire mon café puis de tout plier, tente mouillée bien entendu. Amélie m'a envoyé un texto m'indiquant qu'elle est à l'entrée de Landry soit un petit kilomètre en amont. Elle me rattrapera rapidement dans la montée qui continue. Le chemin est glissant, et je fais très attention car je n'oublie pas que j'ai une boite d’œufs frais sur le dos.... Je passe le col du Palet à 2700 m puis j'entame une descente interminable jusqu'à Tignes. Vers 18 heures, Amélie m'indique qu'elle a posé sa tente sur le toit terrasse du centre nautique...
Je la rejoins et effectivement le site est bien plat et à l'abri des regards. Heureusement les terrains de tennis, de golf et le plan d'eau sont vides, seuls quelques promeneurs déambulent dans la station. Amélie vient de faire ses courses et préfère manger dans sa tente. Moi j'opte pour un petit resto car il semblerait d'après Véro que j'ai les joues creuses et il faut absolument que je me remplisse.
Je rentre dans le premier et rare resto ouvert que je trouve et m'installe pour déguster une crozette, sorte de tartiflette dans laquelle les pommes de terres sont remplacées par ces petites pattes avec fromage et lardons et même une saucisse que j'avoue avoir mangé à moitié.
Pour l'occasion, j'ai demandé au serveur si il y avait la possibilité de faire cuire mes œufs afin d'économiser le gaz de mon réchaud. Ce qui fut fait sans problème. Ayant bien entendu trop mangé d'un coup, j'ai très mal au ventre et suis obligé de marcher (encore un peu) autour du lac car il m'est impossible d'aller me coucher tout de suite.
Samedi 19 septembre.
Dans la nuit, la pluie me réveille et au matin ça tombe encore un peu. Si bien qu'avant de sortir, je me contorsionne dans la tente pour plier mes affaires, matelas, duvet, m’habiller etc...Là je ne regrette pas le volume de ma tente...
Enfin la pluie cesse et j'en profite pour vite sortir et plier ma tente trempée et me dirige vers le seul commerce ouvert à cette heure.
C'est une supérette SHERPA qui possède un espace snack café à l'entrée. Le patron m’accueille très sympa et m'indique une corbeille de viennoiseries gratuites de la veille à la disposition des clients. Amélie me rejoint quelques instants plus tard, (elle devait vérifier sa check liste...) et nous profitons d'un copieux petit déjeuner. Je fais pour l'occasion quelques courses et le patron reviens nous offrir à chacun deux grosses barres de céréales. La gentillesse à l'état pur !!
C'est là qu'Amélie me confie qu'elle préfère partir de son côté pour rendre visite à son beau père et réfléchir sur la possibilité d'arrêter car les prévisions météo ne sont pas réjouissantes. Nous resterons en contact par échanges de textos mais ne nous reverrons plus car elle préférera arrêter. Pour ma part, je repars serein tout seul vers le col de Leisse à presque 2800 m. S'en suit une longue descente en pente douce puis une remontée jusqu'au refuge de la Vannoise, le plus grand d'Europe paraît il.... J'y arrive vers 18 heures, encore mouillé du matin, fatigué, le ciel est très bas et brumeux, le vent et le froid finissent par me décider à opter pour une nuit au refuge d'autant que ce matin j'ai zappé la toilette et je me demande si la veille c'était pas la même chose ?? Seule inquiétude sur une capacité de 130 personnes, ce soir nous ne serons que 80....mais j'apprécie tellement la douche chaude et le confort d'un lit que je ne regrette pas et après tout c'est mon anniversaire aujourd'hui non ? J'avais d'ailleurs prévu d'offrir une tournée générale si on avait été que trois ou quatre, mais à quatre vingt, j'ai fait canard...
Dimanche 20 septembre :
Assez bien dormi malgré la présence de quatre autres randonneurs dans la chambrée, aucun ronfleur, en tout cas, rien entendu. Petit déj à 7 heures et à soixante ans passé....je repars pour une belle descente jusqu'à Pralognian. J'appelle Véro, et elle me raconte la mésaventure qu'à vécu Coralie.
Puis c'est Coralie qui m'appelle et j'ai bien senti qu'elle était encore sous le choc et qu'elle avait besoin de me raconter l'intrusion d'un cambrioleur chez elle au petit matin.
Je passe demander mon chemin à une boulangerie en profitant d'y prendre un café pain au chocolat. Je repars un peu perturbé par les nouvelles en direction du col de Chavière mais 20 minutes plus tard je me rend compte que j'ai oublié mes bâtons à la boulangerie...demi tour et presque une heure de perdue !! Une petite averse au départ du col et arrivée au sommet vers 15 heures après avoir raté une bifurcation ce qui m'a valu une traversée périlleuse dans de gros éboulis très pentus à flanc de montagne. Je suis d'ailleurs tombé quatre fois et mon genou a souffert. Du temps perdu et l'heure tourne car arrivé à une bifurcation j’aperçois un panneau m'indiquant Modane à 2h45. Il est presque 17 heures et je pense qu'il est plus que raisonnable de m'arrêter là même si je sais que dans le parc de la Vannoise le bivouac est interdit. On verra bien...
Lundi 21 septembre :
Pas de descente de police cette nuit, mais un sommeil très hachuré, d'abord parce que j'ai toujours mal aux hanches dès que je m'allonge, et aussi parce qu'il y a eu une belle averse en fin de soirée. Le tapis de sol gonflable que j'ai est trop étroit, et si le sol n'est pas rigoureusement plat, le duvet glisse facilement dans le sens de la pente. Je me retrouve donc vite la tête ou les pieds en butée avec la tente, ou bien je sors du tapis de sol par la droite ou la gauche. J'essaie par des sursauts de me remettre dans l'axe, momifié dans mon duvet...ça occupe mes nuits !!
Événement positif, hier soir j'ai retrouvé un début d'appétit en avalant le reste de soupe de pâtes et fromage dans laquelle j'ai fait baigner mon steak végétarien. Mélange original que j'ai trouvé très bon...Cette nuit j'ai eu assez froid, j'ai dormi avec mon bonnet de laine et j'ai attendu un bon moment avant de sortir à 6h30, le réveil n'ayant toujours pas sonné. J'ai fait mon café, avalé une poignée de céréales, plié ma tente (mouillée) et j'ai décollé à 6h45. Le ciel est étoilé il fait à peine jour et je réalise que j'ai bien fait de camper là car plus bas c'était impossible. Grosse descente épuisante de 2h30 jusqu'à Modane. J'espérai y trouver une laverie mais on me dit qu'il n'y en a qu'une qui est dans un centre commercial à 1,5 km à l'opposé de ma direction. Je décide d'y renoncer car cela m'aurait fait perdre une bonne partie de la journée et je continue ma route. Montée raide qui coupe les lacets de la route menant à Valfréjus, petite station déserte à cette époque de l'année sauf un resto en travaux où je demande à remplir mes gourdes d'eau. Plus loin, je profite d'un rayon de soleil pour faire sécher ma tente étalée sur de grosses poubelles en métal et manger un morceau. Il doit être environ 13 heures quand je repars pour le col de la vallée Étroite à 4 heures de là... pas trop dur mais la dernière demi heure m'a tué.
Le refuge de Thabor doit être à un petit quart d'heure, mais dans le brouillard, je l'ai aperçu sans comprendre que c'était bien lui et finalement je l'ai raté. Lorsque je l'ai réalisé, j'avais déjà bien entamé une belle descente et je n’avais vraiment plus le courage de remonter et j'ai donc décider de bivouaquer entre deux bras de rivière, seul au monde. Je m'installe, fais une petite lessive, prépare mon repas, journal de bord et dodo.
Mardi 22 septembre :
La nuit a été pluvieuse et froide. J'ai dormi avec mon bonnet et mes chaussettes et une tenue que je ne mets que pour dormir. Dés le début, j’ai éliminé le sac de soie que j'avais prévu pour mettre dans le duvet. Le linge que j'avais lavé hier soir et étendu sur mes bâtons et les ficelles de tente est gorgé d'eau. Je l'essore à nouveau et remballe mes affaires, tente et linge mouillés. Le ciel est très bas, je voudrais retrouver le GR mais sans succès... Je suis des sentiers plus ou moins marqués, mais on ne peut pas faire la différence entre sillons de ravinement et chemins plus ou moins empruntés par les troupeaux, les bergers ou randonneurs. Je longe quand même le cours d'eau me disant que je suis certainement dans la bonne direction.
Plus loin je me retrouve dans un passage étroit infranchissable. Demi tour et je prends volontairement de la hauteur afin de repérer une trace d'un chemin plus marqué. J'aperçois alors un petit panneau blanc avec une flèche noire indiquant le Pont de la Fonderie. Je vérifie mes notes et je m'aperçois que cela fait partie des hameaux que je dois traverser. L'espoir renaît et je remercie le ciel et tous ses saints d'être sur le bon chemin. Le sentier continu à flanc de montagne en sous bois sous les mélèzes et fougères, c'est vraiment très beau (et humide).
Enfin, après une heure trente a suivre ces petits panneaux blancs plus ou moins visibles, j'arrive sur une piste bien plus large et récupère le GR 5...ouf ! Je passe plus loin le refuge de Magi fermé à cette époque de l'année, puis un autre petit hameau et depuis les panneaux sont écrit en Français et en Italien.. Je croise ensuite un maçon Italien qui me fait remarquer que je n'ai pas choisi le bon jour pour randonner...
J'entame enfin le col de Thures prévu pour une heure trente, puis traverse une grande plaine et redescend sur Névache par une superbe forêt pendant encore une heure trente. J'arrive à Névache vers 13h et je sens qu'aujourd'hui je n'ai pas bien la forme. Je pense m'arrêter là et m'offre un resto et même la soirée étape dans le même établissement. J'en profite pour faire sécher ma tente sur l’étendage de l’hôtel, Je lave encore du petit linge et fait tout sécher (le linge mouillé d'hier) sur le sèche serviette et le radiateur. Je sais que demain ça ira mieux car aujourd'hui j'ai bien senti qu'il fallait m'arrêter tôt. Je me l'étais interdit mais j'ai aussi été obligé de reprendre contact avec le boulot pour des affaires en cours. Dommage car ça me fait revenir un peu sur terre mais on va dire que c'est pour la bonne cause. Le repas du soir tout comme celui du midi se sont bien passés, et je peux dire que j'ai bien dormi.
Mercredi 23 septembre :
Levé à 6h30 bonne douche chaude...super petit déj. Et départ à 8 heures pour le col de Cristol. Cette fois le panneau est juste face au resto, je pouvais difficilement me tromper !! La montée est très raide jusqu'au lac et j'essaie de me discipliner à ralentir ma cadence et à garder toujours le même rythme. Je réalise que j'ai toujours tendance à vouloir accélérer mais je dois comprendre que c'est impossible car le cardio ne tient pas et je suis obligé de marquer une micro pause trop souvent. A plusieurs reprises, ici et sur d'autres cols, j'ai du lâcher mes bâtons attachés à mes poignées et m'agripper aux rochers ou aux branches pour me hisser et passer des obstacles. Et ce sac qui me rappelle à chaque instant que je ne suis pas vraiment tout seul...J'arrive enfin au lac Cristol et après avoir pris quelques photos, un gars arrive et j'apprends qu'il fait aussi le GR 5 depuis Saint Gingolf. Jean Luc est Suisse et nous décidons de poursuivre ensemble, en tout cas pour la journée. J'apprends qu'il se rend régulièrement au Népal, trois à quatre mois chaque année, mais covid oblige, cette année il se contente du GR 5. Il est aussi guide mais n'exerce plus et je comprends qu'il a une grande expérience de la rando et autres disciplines. En le suivant, je constate qu'il ne va pas plus vite que moi mais ses pas sont sûrs, précis et réguliers.
Il n'a pas de bâtons car il affirme que ce n'est que pour le ski. Il marche les bras croisés ou les deux mains dans les poches... Je lui indique que j'avais prévu de passer par la crête de Peyrolles et il accepte d'y passer avec moi. C'est un passage assez vertigineux et étroit avec une vue à 360°. Dans la descente il a pris un peu d'avance et je l'ai perdu de vue. Je me suis alors engagé par erreur dans un goulet plutôt dangereux et sur l'autre versant Jean Luc siffle alors pour m'indiquer de remonter et reprendre le GR que j'ai raté... Plus bas nous faisons ensemble encore une erreur qui nous coûtera une demi heure de remontée.
Nous arrivons à Briançon vers 17 h et je propose alors de nous asseoir à un café pour boire un verre. Jean Luc prend un Perrier et moi un demi de bière. Nous en profitons pour chercher un gîte que nous trouvons chez des gens qui louent normalement à l'année mais acceptent notre présence pour une nuit. Nous descendons alors par erreur tout à fait dans le bas de la gargouille et lorsque nous nous rendons compte de notre confusion, nous avons dû remonter bien au delà du bar pour trouver notre logement. Nouvelle leçon pour moi, ne jamais boire une goutte d'alcool avant la fin effective de l'étape. Je n'avais plus de jambes !! On s'installe et la propriétaire a la gentillesse de nous remonter au centre ville afin d'y trouver un resto.
Là je satisfais une envie que j'avais depuis quelques jours, un plat de pâtes à la carbonara, sans lardons bien sûr. Retour à pieds au bercail, pipi, les mains, les dents, journal de bord et dodo.
Jeudi 24 septembre :
Départ 7h30, traversée de Briançon en direction du hameau des Ayes (toujours avec Jean Luc). Le temps est mitigé, et au loin le ciel menace. On entame le col des Ayes et dans la montée comme dans la descente on se prend une belle averse si bien que l'eau fini par pénétrer et mouiller nos vêtements. On s'arrête vers 14 heures dans un camping...fermé, il ne pleut plus et l'on décide de manger un morceau. On choisi de réserver un gîte à Chalp et on se rendra compte plus tard que c'était une bonne décision vu l'averse de grêle tombée à 17 heures. Grosse pluie dans la soirée et surtout belle rigolade au sujet du sac en moustiquaire fourni avec mon duvet que je pensais prévu pour mettre la tête dedans.
En fait il s'agit du sac d'hivernage pour stocker le duvet !! Le gîte était sympa avec une grande pièce, une énorme table et un poêle à granule qui chauffait l'ensemble. A table il y avait le couple de propriétaires, un couple de Belges avec une amie, le Suisse et moi...de Cuges. Ambiance sympa et les Belges étaient étonnés d'apprendre la longueur de notre parcours. Ils me demandent si on va mettre un mois ou deux. Je leur réponds que seul j'ai prévu un mois mais si j'attends Jean Luc, faudra en prévoir deux!!.
Vendredi 15 septembre :
Petit déj royal avec yaourt, jus d'orange, croissant, pain, café et quatre ou cinq confitures. 7h45, départ sous la pluie avec polaire, anorak et poncho. Une heure trente plus tard, on arrive à château Queyras. Je suis mouillé mais en ébullition, trop couvert. J'enlève la polaire humide, et on repart pour le col Fromage à 2400 m mais ça sent la neige !! Effectivement quelques minutes plus tard, la pluie devient neige et recouvre tout le paysage. Magnifique mais je l'avoue, inquiétant. Je vois passer à environ 50 mètres trois chamois (je crois) c'était magnifique. Finalement, l’ascension n'est pas trop pénible comparé à ce que j'ai passé la semaine dernière. Ou alors je commence à marcher comme il faut....
Le col atteint, nous redescendons sur Ceillac et les genoux commencent à me titiller, mais ça tient. Puis le soleil fait une courte apparition avant de reprendre des giboulées et d'atteindre les Mélezets où Jean Luc avait réservé un gîte. C'est vrai qu'après une journée pareille, j'apprécie de rentrer dans une pièce chauffée et de prendre une douche chaude. Le gîte est déjà occupé depuis quatre jours par 9 filles et la propriétaire. Évidemment voir arriver deux garçons déclenches quelques plaisanteries de bon goût et je ne me prive pas d'y participer. Ambiance sympa, tout le monde mange une soupe de légumes et boeuf bourguignon sauf moi qui aura droit à la sauce les pommes de terre et une omelette. Dehors grosse chute de neige...
Samedi 26 septembre :
Bon petit déjeuner comparable à celui d'hier. Départ vers 8 heures, température certainement négative car les filles n'arrivent pas à ouvrir leurs véhicules serrures gelées... Le ciel est bleu mais le froid est intense. On entame l'ascension du col Girardin à plus de 2700 m. On a environ 1000 m de D+ à faire sachant que l'on perd 0,6 degrés tous les cents mètres. (dixit Jean Luc).
Les serrures étant gelées, je pense que l'on doit être aux alentours des -5°, si l'on retire les 6° que l'on va perdre dans l'ascension, on va arriver à un bon - 10 degrès...
Plus on avance et plus la neige se fait épaisse, on passe de 5 cm à 10, puis 20 puis 30 centimètres. Les derniers 200 mètres d'ascension sont terribles. On est pris par un vent violent qui fait encore tomber la température ressentie et soulève des bourrasques de neige qui viennent nous fouetter le visage et les mains. Evidemment je n'ai pas de gants et au bout d'un moment, Jean Luc me propose les siens. Je les refuse en lui rappelant qu'après 25 ans de poissonnerie mes mains sont à toute épreuve...
La pente s'accentue et la stabilité devient précaire au point que j'ai vraiment du mal à mettre un pied devant l'autre sans dégringoler de deux mètres. Jean Luc me crie de bien assurer le plantage de mes deux bâtons avant d'avancer un pied. A un moment nous sommes tombés à chacun notre tour dans un trou de neige jusqu'aux hanches Il faudra ramper à quatre pattes pour se sortir de là.
Finalement on arrive à passer le col mais j'avoue que sans lui cela aurait été compliqué et même dangereux. Nous descendons alors dans la vallée et remontons à Fouillouse. Tout est fermé, ce soir bivouac au fond d'un vallon près d'une rivière, mais attention ça caille !! Je me cuisine dans la tente un sachet riz au curry pré-cuit et j'y ajoute une boite de thon à la catalane. C'était un sachet pour deux mais j'ai tout mangé...grand besoin de calories !!
Dimanche 27 septembre :
La nuit a été horrible, j'ai grelotté tout le temps, impossible de me réchauffer même en m'enfermant complètement dans le duvet avec une bouffée d'air frais de temps en temps. Malgré les chaussettes, le bonnet recouvrant mes yeux et oreilles, rien à faire. L'air est glacial, impossible de m'endormir. Une envie de pipi me taraude depuis un bon moment et je pense que si je sortais me soulager cela irait peut être mieux après.
Je prends mon courage à deux mains et sors. Le ciel est étoilé et il fait un froid sibérien. Je suis sorti en chaussettes et mes pas craquent sur l'herbe gelée. Je ne traîne pas plus que ça et retourne au fond de mon duvet. J'ai pensé un moment qu'il valait peut être mieux ne pas m'endormir de peur de ne plus me réveiller car je ne savais pas à ce moment là jusqu'où la température allait descendre. J'ai dû faire des micros sommeils car je n'ai pas entendu le réveil. En. tout cas c'est ce que je crois. En fait mon téléphone a gelé, impossible de l'allumer.
Dehors il fait déjà jour, je ne sais pas l'heure qu'il est, mais je vois que Jean Luc n'est pas encore levé. Je décide de faire quand même mon café mais surprise, ma gourde pleine d'eau a gelé aussi. Il faut la secouer pour faire couler une tasse d'eau. J'avale donc mon café avec mes dernières tranches de pain d'épice, et je réalise qu'il ne me reste qu'un petit bout de pain qui date de Névache, la moitié d'une soupe de poisson et une soupe chinoise. Même plus une barre de céréales, il est grand temps de se ravitailler. Ma tente est couverte de givre, et je m'active pour tout remballer. Je suis tout le temps en mouvement et sautille dans mes déplacements afin d'éviter d'être pris par le froid. Je vais quand même faire une petite vaisselle dans le ruisseau car je ne veux pas partir avec ma vaisselle sale. Ce sera un supplice pour les mains... Il y a aussi le fait que je veux au fond de moi prouver que je suis plus fort et que malgré les conditions, je ne suis pas encore au bout... Jean Luc qui s'est levé depuis, casse la glace qui s'est formée sur une flaque d'eau près de la tente, deux centimètres d'épaisseur, il en déduit qu'il a dû faire – 10° !! On décolle vers 8 heures, le ciel est voilé, pas de soleil et impossible de boire, mes gourdes sont gelées. Deux cols au programme, le Vallonet et Mallemort à plus de 2600 m. En montant, on arrive quand même à se réchauffer et j'ai mis une de mes gourdes dans ma veste sur mon ventre afin de la réchauffer et faire fondre la glace pour pouvoir boire.
Au sommet du col de Mallemort on fait une pause, Jean Luc avale deux barres de céréales, et moi une poignée de noix que j'avais encore dans la ceinture du sac. Pour un repas de midi ça fait léger. Enfin on redescend sur Larche pendant deux heures. Le genoux gauche me fait toujours mal dans les descentes depuis ma chute dans les éboulis. Arrivée à Larche vers 14 heures, on espérait trouver un commerce ou un abri, mais tout est fermé. On est Dimanche après midi...On réalise que même si l'on bivouac ici, on ne peut pas repartir demain sans provision.
Heureusement ici j'ai du réseau et la seule chambre d'hôtes que je trouve est à Jausier, à 18 km de là. La propriétaire accepte de venir nous chercher. J'avoue que je n'y croyais pas quand je l'ai appelé pour lui poser la question. En l'attendant, le patron du bar tabac fermé que j'avais appelé un peu plus tôt arrive sur place et je lui dit que nous avons trouvé une solution d'hébergement. Je vais jusqu'à lui dire que s'il pouvait nous servir un chocolat chaud nous l’apprécierions. Ce gentil monsieur n'a pas hésité à ouvrir son bar juste pour nous un Dimanche après midi !! Quelques instants plus tard, la dame de Jausier arrive et nous ramène chez elle où nous pourrons faire sécher nos affaires et dîner avec elle et son mari, tous deux Belges. Je réalise une nouvelle fois que la chance est avec nous, et que nous faisons des rencontres extraordinaires. En fait j'ai décidé de croire depuis le début que la chance serait avec moi, et que ma bonne étoile me guiderait. Jean Luc me prend certainement pour un illuminé, surtout depuis l'anecdote de la moustiquaire du duvet...
Lundi 28 septembre :
Ce matin, le petit déjeuner était servi à 8 heures et nous sommes partis tout de suite après faire nos emplettes au centre de Jausier où nous trouvons tout ce que nous souhaitions. Comme promis, la propriétaire nous ramène en voiture jusqu'à Larche et même au delà puis qu'elle nous laisse au départ du GR. Direction col du Lauzanier, puis col des Fourches. La neige disparaît progressivement en rentrant dans le Mercantour. Jean Luc avait choisi de dormir dans un gîte à Bousseyac, moi j'ai préféré continuer seul car il n'est que 15 heures et à mon avis trop tôt pour s'arrêter. Pour être franc, sa présence commence à me peser, car même s'il m'a été d'une grande utilité dans le col enneigé, je me rends compte qu'inconsciemment ou pas, c'est lui qui guide le rythme des arrêts pipi, casse croûtes, photos etc...et je ne veux pas avoir constamment quelqu'un devant moi et le suivre, je ne suis pas venu ici pour ça. Je le lui ai expliqué gentiment et je crois qu'il l'a compris. Nous allons peut être nous retrouver plus tard, mais je veux marcher seul. Finalement, j'ai encore marché deux heures, passé le col de la Colombière à 2300 m, et je suis redescendu le plus possible afin de limiter le froid pour planter ma tente à environ 2000 m d'altitude.
Mardi 29 septembre :
Pas très bien dormi, beaucoup de vent, et toujours ces douleurs aux hanches dès que je me couche. Il ne fait pas froid, le ciel est clair, je prends mon petit déj. Je remballe mes affaires et je décolle vers 7h45. Je continue ma descente vers Saint Salvage et c'est très agréable car il fait beau et bon. J'apprécie ce silence et la solitude. Plus tard, j'entame le col d'Anelle, le plus facile jusqu'à présent. Puis je redescends sur saint Etienne de Tinée, il est presque midi. Je m'arrête à une boulangerie, prends un pissaladière et un friand chèvre épinards et cinq petits beignets. Direction Auron par une montée infernale d'une heure trente au cours de laquelle je fais une pause pour manger mes gourmandises tout en gardant mes beignets pour le soir.... Arrivée à Auron, c'est une station toute en travaux sans grand intérêt pour moi. Je laisse un message à Jean Luc car nous avions prévu de peut être nous retrouver là et j'entame l'ascension du col du Blainon. Le GR est interdit pour cause de travaux et suis obligé de suivre la déviation par la piste de ski. J'arrive au hameau de la Roya et retrouve Jean Luc qui m'a quand même rattrapé malgré l'avance que j'avais sur lui. J'apprendrai plus tard qu'il a quand même emprunter le GR interdit et que c'était plus court. Tout est fermé dans ce bled, on trouve un bel emplacement pour planter nos tentes au bord d'une rivière. Belle journée dans l'ensemble avec 11 heures de marche !!
Mercredi 30 septembre :
Hier soir, je pensais qu'on allait manger ensemble en toute convivialité, échanger nos plats, discuter, rien de tout ça, à peine fini de planter sa tente, Jean Luc a commencé à manger tout seul assis sur un tronc d'arbre en me tournant le dos. J'ai donc terminé de m'installer tranquillement, fait ma popote et manger seul devant ma tente. Il est ensuite venu me parler de l'itinéraire du lendemain..
Je fais l'effort de ne pas lui en vouloir car je pense que c'est quelqu'un qui a l'habitude de fonctionner seul, même si il a fait de nombreux trecks en équipe... Nous décidons de mettre le réveil à 6 heures car la journée devrait être longue.
A 5 heures je ne dormais déjà plus depuis longtemps. Je décide de me lever vers 5h45, je déjeune tranquillement avec mes beignets et commence à plier. Vers 6h20, je réveille Jean Luc qui n'a pas entendu son réveil. Je pars donc devant lui sachant qu'il me rattrapera dans la journée mais je suis content de marcher seul. Il me rejoint effectivement au col de Crousette à 2500 m. Il mange un morceau et je le laisse partir devant car il voulait avancer plus vite aujourd'hui ayant pris connaissance des prévisions météo alarmantes.
Moi je fais sécher ma tente et mange également un bout puis repars pour le col de Moulines, facile, puis j'arrive au refuge du Longon.
Là en discutant avec les gérants, on me confirme qu'il y a une alerte rouge météo. Une grosse dépression baptisée tempête Alex arrive sur nous. Ils descendent toutes les bêtes dans la vallée, et me déconseillent vivement de passer par la vallée des Merveilles. Plus loin en entrant dans une immense vallée envahie de moutons, j'ai été obligé de traverser le troupeau. Je me suis vu alors charger par trois énormes Patous qui donnaient l'impression de vouloir me dévorer !! Leurs aboiements féroces me faisaient penser que si l'un d'eux me mordait je n'avais que peu de chances de m'en sortir.
Je cherchais désespérément du regard le berger, mais rien ni personne à l'horizon. J'avais tout de suite rangé mes bâtons, et parlais gentiment aux chiens en tapotant sur ma cuisse. Après m'avoir bousculé et tourné autour je sortais tranquillement de ce guêpier avec quelques sueurs froides... L'objectif est d'atteindre Roure afin de me poser pour la nuit. Comme souvent, la dixième heure de marche est difficile. J'arrive à Roure et passe complètement par hasard devant un gîte communal. Je toc et rentre et qui vois je à l'intérieur ? Le Jean Luc qui était en train de m'envoyer un message pour me dire où il était. Nous serons les deux seuls occupants avec la responsable. Chacun une chambre, douche chaude, cuisine et salle à manger commune, tout ça pour 15 euros...j'achète !! Comme d'habitude, Jean Luc ne m'attend pas pour manger, ce n'est pas grave, je décide de ne pas me prendre la tête avec ça. J'ai passé une belle journée en marchant seul pendant des heures. J'aurais pu prendre des dizaines de photos mais le fait d'éteindre à chaque fois mon téléphone et le rallumer m'aurait fait perdre trop de temps. Je profite donc de le recharger ici et d'appeler Julie et Véro. Repas petite lessive et séchage sur le radiateur, journal de bord et dodo.
Jeudi 1er Octobre :
Aujourd'hui Jeudi, j'entame la troisième semaine à raison de 8 à 10 heures de marche par jour pour une moyenne de 20 km. J'avoue que moi même ai du mal à le réaliser. Je me suis tellement conditionné mentalement que j'ai l'impression d'être dans une bulle avec un seul objectif en point de mire, arriver à Menton. Pourtant je vous jure que lorsque je me couche chaque soir, tout mon corps tire les sonnettes d'alarme. Mais dans la journée, aux moments difficiles, et croyez moi il y en a, je deviens un automate. Je déconnecte tous les fusibles, et seul le cerveau prend les commandes. Un seul objectif, avancer encore et toujours. Pour tout dire, j'ai observer Jean Luc et sa façon de marcher. Il est vrai que cela m'a beaucoup servi. Comme je m'en étais déjà rendu compte, j'ai tendance à marcher trop vite, et même à accélérer lorsque j'aperçois une cime. Mais ce que j'ai appris, c'est que derrière une cime, il y en a une autre, et puis encore une et cela jusqu'à ce que je lise le panneau indiquant le sommet du col. Et là, il y a de grandes chances d'entamer une descente parfois plus douloureuse que la montée. Mais tout cela n'est rien comparé aux paysages que je découvre, et la satisfaction de gérer seul mon parcours. J'ai donc appris à marcher, à soixante ans, il était temps !!, pas après pas, un pied devant l'autre, même si parfois le rythme paraît ridicule. Je sais qu'à cette cadence, je ne serai pas essoufflé et obligé de m'arrêter tous les dix mètres. Je peux ainsi comme Jean Luc tenir des heures et constater en me retournant que mes efforts ne sont pas vains quand j’aperçois au loin le point de départ. Aussi lorsque je lève les yeux et que je vise le sommet du col, j'ai presque un sentiment de découragement, mais à cet instant, le cerveau reprend les commandes et me dit : tu as déjà fait beaucoup plus dur...alors ça aussi tu peux le faire.
En fait aujourd'hui je raconte la journée d'hier parce que nous sommes Vendredi, le jour de l'alerte rouge météo. Nous avons fait une journée off en chambre d'hôte à Valdeblore, juste avant Saint Martin, et j'ai donc un peu plus le temps d'écrire. Donc hier Jeudi, départ vers 8 heures car l'étape est censée être relativement courte, seulement 6 ou 7 heures de marche. Ceci afin de se poser à Valdeblore.
C'est là que va se décider la suite de l'aventure car nous sommes au carrefour de trois itinéraires possibles. J'y reviendrai tout à l'heure. Départ donc toujours avec Jean Luc en direction de Saint Martin, premier village à traverser. Une heure trente plus tard, on le prend cool, on rentre dans un bar pour prendre un café et pain au chocolat. On essaie de rester informés sur l'évolution météo, puis on repars pour Ramplas. Je laisse volontairement partir Jean Luc car je tiens absolument à me gérer de A à Z. Le chemin monte tranquillement jusqu'à Ramplas et là, les marques rouges et blanches du GR sont un peu confuses. Je demande à un papy du pays qui m'indique de partir à gauche vers le sommet du village pour rejoindre la Bolline. Sauf qu'il n'y a pas de marques dans cette direction. Je suis quand même son conseil mais demande un peu plus loin à une dame qui me confirme le chemin.
En fait c'est une variante inutile qui m'a fait monter au sommet de la montagne jusqu'aux Vacheries de Ramplas et qui m'a coûté deux heures d'ascension sur un chemin de chèvre où il est vrai que j'ai pu bénéficier d'une vue panoramique sur la vallée. Il faut savoir que Roure, où j'étais hier et Ramplas, sont deux villages accrochés à flanc de montagne chacun d'eux sur des paliers et équipés de nombreux escaliers et rues très abruptes sans doute comparables aux cinq terres. C'est joli, mais épuisant... Enfin en redescendant sur la Bolline, j'ai pu récupérer le GR mais avec deux heures de montée et une heure trente de descente, j’ai pris un certain retard sachant que je suis encore à deux bonnes heures de Valdeblore. Pour une étape qui devait être courte, je suis servi.... Jean Luc m'appelle vers 15 heures, et me dit que là bas tout est fermé sauf une boulangerie à laquelle il m'attend. Il n'a trouvé qu'une seule chambre d'hôte encore ouverte, et bien entendu, vu la météo annoncée, j'opte pour cette solution. Le chalet est a cinq minutes du centre et nous passons une agréable soirée avec les propriétaires très sympas, et un jeune couple de passage.
Vendredi 2 octobre :
Nous sommes très bien installés dans une chambre à deux lits avec kitchenette et salle de bains. Petit déjeuner royal et retour dans la chambre où l'on constate que la tempête annoncée arrive progressivement. Il est 11h30 et il tombe des seaux, tonnerres, éclairs, vent, tout y est. Je réalise que planter ma tente aurait été du suicide. Je dois avouer qu'en discutant avec Jean Luc la veille à propos des prévisions météo, j'avais tendance à le prendre à la légère en lui disant que des orages dans le sud on en a souvent et c'est pas pour autant qu'on se met tous aux abris.
Je lui raconte qu'au lycée il m'arrivait d'y aller avec ma mobylette sous une pluie battante et d'être resté toute la journée mouillé et que ça ne m'avait pas traumatisé. J'insistais en lui disant qu'aujourd'hui par principe de précaution dès qu'il y a trois gouttes on crie à la catastrophe... Je ne savais pas à ce moment là à quel point j'étais dans l'erreur, et sans doute j'ai pu paraître (con) de Marseillais prétentieux, ou plutôt inconscient.
La matinée se passe doucement au lit, et j'en profite pour appeler quelques clients pour des dossiers en cours. Grâce à la kitchenette, on peut cuisiner pour midi, et épuiser nos dernières provisions. Au menu, un sachet de quinoa dans lequel je verse une boite de foie de morue, ...c'est délicieux...Il ne me reste plus que quatre œufs durs et un bout de pain. Sachant qu'ici tout est fermé. Vers 14 heures, plus d'électricité. Il est maintenant 22 heures et je suis à la frontale. Bien entendu pas de réseau non plus, donc pas moyen de connaître la situation météo du secteur. La pluie est tombée toute la journée, et aux dernières nouvelles, il y aurait de gros dégâts dans la région. Après réflexion, il semble maintenant peu probable que je puisses traverser la vallée des Merveilles car il y a des cols à plus de 2000 mètres, et cela peut s'avérer très dangereux car je ne trouverai aucun refuge ouvert ni aucun commerce pour me ravitailler. Reste la solution d’emprunter le GR 5 initial qui me conduira à Nice et qui me permettra de passer des cols moins hauts et surtout de me ravitailler. Reste à savoir si avec ces orages, les chemins sont encore praticables. Dernière solution, les propriétaires du chalet nous proposent de nous transporter à Nice par la route en faisant un grand détour, mais cette option me décevrait énormément et je garde encore un espoir de terminer mon aventure comme je l'entends. Nous patienterons donc encore une nuit afin de peut être récupérer internet, les dernières infos et un point météo.
Samedi 3 octobre :
Hier soir, repas aux chandelles. Heureusement que les proprios ont le gaz, sinon nous aurions mangé froid...au menu polenta et daube de joue de bœuf, moi je n'aurai que la sauce. Levé 7 heures, petit déj, et nous décidons de repartir car la pluie a cessé. A peine sortis du pâté de maison nous avançons de 150 mètres et là stupeur, La route par laquelle nous étions arrivés a disparu. Tout a été emporté, faisant apparaître les entrailles de cette route déchirée par un torrent de boue mettant à nu les gaines et tuyaux qui étaient enterrés. Nous rencontrons des habitants ébahis, cherchant à comprendre ce qui c'est passé. Nous contournons le cratère pour aller aux infos au bar tabac qui a ré ouvert. La patronne nous informe que la route est coupée dans les deux sens, qu'elle n'a plus d'eau, plus d'électricité, et donc pas de café.. Déjà ici la route est parsemée de gros cailloux qui ont dévalé les chemins. L'atmosphère est pesante et on sent que quelque chose de grave est arrivé. Nous apprenons qu'à Saint Martin, des maisons ont été emportées et qu'il y a des morts et des disparus. Nous n'avons d'autres choix pour le moment que de faire demi tour et retourner au chalet pour faire un point. Nous croisons les propriétaires qui s'apprêtaient à se rendre à Saint Martin pour y ramener leur petite fille chez leur fils. Ils nous proposent de nous amener et nous assistons tout au long de la route à des spectacles de catastrophe, chutes d'arbres, coulées de boues, éboulis etc...nous parvenons à passer quelques obstacles de justesse et après 4 à 5 km, la route est véritablement barrée par un éboulis, et nous surplombons Saint Martin. Vision apocalyptique d'un village rasé, emporté par un torrent encore en furie. Des maisons sont restées accrochées au bord du vide et le propriétaire du chalet constate avec émotion que la gendarmerie, la station d'essence et la menuiserie de son ami ont disparu.
On apprend qu'il y a de nombreuses victimes dont deux pompiers disparus. Je réussi tant bien que mal à trouver un espace de réseau pour appeler Véro et la rassurer. Nous faisons donc demi tour pour retourner plus bas à la Bolline afin d'y trouver quelques commerces ouverts et refaire le plein de provisions. Retour au chalet, toujours pas d’électricité, pas de réseau, mon téléphone a moitié chargé, aucune visibilité météo, nous décidons de rester une nuit de plus. Dans l'après midi, nous allons faire un tour de reconnaissance sur l'état des GR et obtenir plus d'infos. Le GR que nous comptions emprunter n'est qu'un torrent de 30 cm d'eau avec des tas de gravas de la taille de boules de pétanques. On apprend que la route qui mène à Nice via Utelle, une deux fois deux voies a été emportée. Valdeblore est donc bel et bien isolé et nous n'avons à cette heure aucune solution.
Nous réalisons aussi qu'à l'origine, notre itinéraire prévoyait une halte à Saint Martin de Vésubie et que avons raccourci l'étape justement par rapport à la situation géographique de Valdeblore qui est carrefour de trois GR. Nous devions décider de la suite par rapport à la météo. Là j'avoue réaliser que si je n'avais pas écouté Jean Luc, j'aurai soit campé dans le terrain un peu plus bas, ou bien j'aurai continué a avancer jusqu'à Saint Martin de Vésubie et qui sait ce qui me serait arrivé ? Mais mon étoile ne me lâche pas, et le hasard, la chance et la sagesse ont fait que je m'arrête là...
Voilà maintenant deux jours et trois nuits que je patiente ici, Jean Luc qui change d'avis tous les quarts d'heures, le propriétaire qui nous propose des solutions plus ou moins réalisables, je décide donc de partir dès demain matin en direction de Nice en passant par Utelle. Je suis dans l'obligation de renoncer à la vallée des Merveilles mais je vais tenter de terminer mon GR 5 en arrivant à Nice. Je suis conscient que je peux être amené à faire demi tour en fonction des difficultés que je vais rencontrer, mais je ne peux me résoudre à rentrer en stop comme l'a décidé Jean Luc.
Dimanche 4 octobre :
Comme prévu, je pars après le ptit déj, vers 7h45, Jean Luc me dit qu'il partira un peu après moi sans son sac, juste histoire de faire un tour de reconnaissance et constater l'état des chemins. A peine sorti du village, je retrouve le départ du GR que nous avions vu la veille. L'eau coule toujours à gros débit, et je dois jouer l'équilibriste pour marcher sur quelques cailloux émergeant et m'agripper à la rambarde d'une terrasse effondrée. J'entame alors l'ascension du col Varaire au milieu de ce qui a dû être un torrent de pierres et de boue. Arrivé au sommet, je découvre que le GR 5 a disparu. La terre est éclatée par plaques entières laissant apparaître des crevasses à l'image d'un séisme.
J'essaie quand même de descendre en espérant retrouver la suite du GR, mais quelques dizaines de mètres plus bas, je réalise que je prends beaucoup de risques car des pans entiers de terre restent suspendus et ne demandent qu'à tomber risquant de m'ensevelir. Je décide donc de remonter et emprunter la crête que j’aperçois au loin quand apparaît Jean Luc (encore lui) qui faisait son tour de reconnaissance. Il me confirme qu'il n'ira pas plus loin, et qu'il rentrera demain en voiture sur Nice avec les propriétaires du chalet. Il m'indique précisément la direction que je dois prendre pour suivre la crête et retrouver (normalement) le GR plus tard.
Je repars donc seul et entame cette ascension périlleuse qui parfois s'apparente plus à de l'escalade, Dans le brouillard, la pluie glacée se met à tomber et ne me mouille même pas puisqu'elle est gelée. Le sentier est étroit, et il y a le vide de part et d'autre. Je n'ai qu'une seule obsession, repérer au fur et à mesure les traits de peinture orange qui marquent ce sentier et qui m'indiquent que je suis sur un tracé et non pas perdu....
Une heure trente plus tard, (c'est long) après avoir implorer tous les saints et dieux de la galaxie, je revois enfin les marques rouges et blanches du GR j'avoue savourer une énorme satisfaction. Je poursuis mon chemin à plat puis en descente en sous bois et donc un peu plus à l'abri car sur la crête la température devait certainement être négative, j'ai d'ailleurs cette fois enfilé des chaussettes aux mains qui me serviront de gants. Pendant la suite du trajet, j'ai cru à plusieurs reprises que je devais faire demi tour car le sentier était barré par des arbres arrachés, des coulées de boue et de cailloux mais à chaque fois je me remotivais et me disais que je ne pouvais pas refaire la crête et trois ou quatre heure de marche puis rentrer en stop. Aussi à chaque difficulté je peux dire que je suis rentré dans le tas et que rien ne pouvait m'arrêter. Mon sac s'accrochait aux branches et je passais en force en criant comme un cinglé. Chaque épreuve était pour moi une victoire. Mon seul objectif était d'avancer afin de m'éloigner de cette zone sinistrée et retrouver des chemins praticables. Vers seize ou dix sept heures, la pluie a cessé, et la température s'est radoucie. Je suis quand même bien mouillé malgré le poncho mais avec la chaleur de mon corps et la température qui augmente, je commence à bien sécher. Je n'ai pas mangé ce midi car je savais que l'étape serait longue et compliquée. Normalement cette portion se fait en deux jours. J'arrive donc comme prévu à Utelle vers 18 heures. Hors de question de bivouaquer, je me dit que le premier hôtel, chambre d'hôte ou gîte que je vois, je prends...
Je passe devant une première Auberge ...fermée, je demande alors à un passant qui m'accompagne jusqu'au gîte communal dont je connaissais l’existence. Je tape à la porte et on me fait venir la responsable, Aurélie, qui m'indique que le gîte est fermé pour cause de Covid. Voyant mon état de fatigue ( et de crasse ) elle me dit qu'elle ne peut pas me laisser comme ça et me propose une solution mais sans chauffage !! Bien entendu je lui réponds que ce sera toujours bien mieux que ma tente... En fait elle me conduit à un petit duplex qui lui appartient et qu'elle loue normalement au mois ou à la semaine. Lui demandant le prix pour la nuit elle me déclare qu'elle ne veut rien, et qu'elle fait ça juste pour me rendre service. Je suis très touché et ne sais comment la remercier. Mon étoile ne m'a toujours pas lâché !! Quelques instants plus tard, alors que je préparais mon repas, j'entends taper à la porte. C'était la propriétaire qui venait sous la pluie me donner un sac contenant de la nourriture pour le soir. Je refusais gentiment car j'avais tout ce qu'il me fallait, mais ce geste de générosité m'a encore marqué et au fond de moi je suis rassuré de voir que sur cette terre il existe encore des gens de cette valeur. Je passe une super soirée, seul, un peu au frais, j'ai mangé devant la télé que je n'avait pas regardé depuis quatre semaines. Je visionne alors sur FR 3 les dégâts de Saint Martin dont je n'avais pas encore mesuré l'ampleur.
J'apprends aussi que la vallée de la Roya où j'ai campé en bordure de rivière a également été sévèrement touchée. Je ne vais pas tarder à aller me coucher car demain une longue et dernière étape devrait me conduire jusqu'à Nice.
Lundi 5 octobre :
Départ 7h30 pour la der des der...j'ai tenu à laisser un mot de remerciements et de reconnaissance à la propriétaire, j'ai sincèrement pensé que cela valait mieux qu'un petit billet. Le parcours est facile et agréable. En plus il fait beau, le soleil brille gentiment, je suis heureux !! A certains passages, il y a encore quelques embûches, mais rien de comparable à la journée d'hier. Jean Luc m'appelle vers 11h30 pour me dire que les propriétaires du chalet ayant un rendez vous médical à Nice l'ont finalement déposé et qu'il est déjà là bas après plus de trois heures de route. Je savais que le pont de la Vésubie avait été endommagé et que je risquais de rencontrer des problèmes pour le traverser. En effet, arrivé sur site vers midi, je constate que la route est fermée, et l'accès au pont est interdit par des rubalises.
N'ayant aucune autre solution si ce n'est de renoncer et de repartir en stop par je ne sais quel itinéraire, je décide quand même d'aller voir. C'est un grand pont en pierre, le début a été emporté et au sol il y a un grand trou de la taille d'une bouche d'égout, et plusieurs petit trous par lesquels on aperçoit le torrent en furie quinze mètres plus bas.
Il reste cependant le long du parapet une bande de goudron de vingt centimètres de large sur environ trois mètres qui, si je la passais, me permettrait de traverser la suite du pont. Mesurant le danger, je prenais toutes les précautions en défaisant les ceintures de mon sac afin de pouvoir m'en libérer facilement en cas de chute.
Puis m'agrippant à deux mains au parapet je franchissais rapidement la crevasse et le pont. Je réalise à ce moment là que plus aucun obstacle ne peut m'empêcher d'atteindre Nice.
Dans l'après midi alors que le GR est bien identifié, j'arrive face à une chapelle ornée d'un crucifix. Je me dit alors que si j'avais été en difficulté, j'aurai encore demandé de l'aide à Dieu ou Jésus et toute autre puissance extra terrestre de me guider vers LA solution. Mais en l'état actuel, je n'en avais pas besoin puisque le GR était parfaitement visible, bien large et semblait tourner à gauche devant la chapelle.
Sauf qu'en partant par là, le chemin disparaissait quelques dizaines de mètres plus loin dans les broussailles. Je remontais donc vers la chapelle et empruntais un autre chemin plus petit, mais qui lui aussi ne débouchait sur rien...
Je me représentais alors devant le crucifix et apercevais à droite le long du bâtiment, le GR devenu très étroit qui longeait la chapelle et une grande restanque en pierre. Je levais alors les yeux vers le crucifix et lui tendant mon pouce, je m'excusais humblement d'avoir douté...
Plus tard, en discutant avec mon fils Jérémy, puis un ami au téléphone, j'ai raté l'embranchement du GR et me retrouve sur la départementale.
Vérifiant ma position sur Google, je constate que la route et le GR sont parallèles jusqu'à Nice et je n'ai pas envie de faire demi tour. J’aperçois plus loin une borne kilométrique qui m'indique Nice à quatorze kilomètres !! Je sais que c'est la dernière longueur mais ces quatorze kilomètres sont interminables car il me semble que marcher sur le goudron est plus pénible que sur la terre. J'arrive enfin à Nice vers 16h30 complètement exténué. J'ai les pieds en feu. Je m'arrête donc à la première boulangerie que je rencontre. Je m'assoie et enlève mes chaussures, mes pieds sont tout blancs et douloureux, je mets mes baskets, me restaure et appelle Jean Luc car je sais qu'il est à Nice et je m’étais promis de ne pas tenir compte de son comportement pour le moins étonnant, et de clôturer notre parcours par le verre de l'amitié.
Je prends le tramway et l'on se retrouve à la gare où j'achète mon billet de train puis l'on se pose à une brasserie où je dévore une assiette de beignets de crevettes et acras de morue. Mon train est à 19h20 et on passe un bon petit moment à se remémorer les étapes que nous avons passées ensemble.
Voilà, fin de l'histoire, je suis dans le train pour Toulon puis Aubagne, tous mes contacts sont informés de mon arrivée à Nice et les messages de sympathie pleuvent !!!
Je pense mettre du temps à digérer toutes ces images et ce concentré d’événements qui m'ont apporté plus encore que ce que j'espérai. Je peux dire que j'ai retrouvé la valeur des choses simples, j'ai mangé la plus bonne pomme de toute ma vie, les plus bonnes mirabelles, les meilleures mûres et le meilleurs raisin.
J'ai redécouvert les biens fait d'une douche chaude, le confort d'un lit ou d'une pièce chauffée. J'ai redécouvert l’existence de gens simplement gentils, et généreux, et cela m'a fait tellement de bien que j'ai commencé à me réconcilié avec le genre humain. Mais surtout, je me suis retrouvé face à moi même, car je voulais savoir de quoi j'étais capable lors de situations ...on va dire tendues.
J'ai pu mesurer à quel point cette nature est gigantesque de beauté. Elle m'a tellement ébloui tout au long de mon parcours, que je me suis senti tout petit et conscient que malgré sa grosse colère, si je suis là aujourd'hui, c'est parce qu'elle a bien voulu me laisser passer, et je lui en suis profondément reconnaissant.
THE END
Voici le récit du parcours que j'ai effectué sur le GR 5 du 9 Septembre au 5 Octobre 2020. Le départ classique s'effectue de Saint Gingolf en bordure du Lac Léman ALEX et aux inondations survenues à Saint Martin de Vésubie et dans ce secteur le 2 Octobre 2020.
L'idée de ce projet plutôt aventureux m'est venue lorsque j'ai réalisé que j'allais passer l'âge de la soixantaine. J'ai eu envie de faire quelque chose d'exceptionnel et d'inoubliable, histoire de marquer mon esprit et peut être aussi pour me prouver que j'avais encore quelques ressources mentales et physiques. L'idée du GR 5 a été un déclic simplement en naviguant sur you tube, j'ai immédiatement été séduit par le parcours et le défi que cela représentait pour moi. J'avais également un grand besoin d'oxygène et d'espace, besoin aussi de me retrouver et d'affronter seul les difficultés que j'allais sans doute rencontrer. Bien que je n'en avais qu'une vague idée, vu mon inexpérience dans le domaine du treck ou de la randonnée.
Avec le recul je reconnais que c'était plutôt osé et plusieurs personnes restaient septiques lorsque je leur parlais de ce projet. Mon inexpérience, mon absence de sens de l'orientation, la longueur du parcours n'étaient pas pour rassurer mes proches et amis. Mais par définition, un défi doit justement être jalonné de difficultés, sinon ce n'en est plus un... Et puis qu'importe, cela mettrait un peu plus de piquant dans l'aventure. J'ai quand même bien étudié le sujet sur les blogs et les divers reportages que j'ai visionné sur le net, mais cela ne restait que virtuel...
Ainsi j'ai rapidement constitué mon équipement et les grandes lignes de mon itinéraire sans prévoir dans le détail le parcours puisque étant seul, j'étais libre de gérer les bivouacs ou autres arrêts pour chaque étape qui devaient initialement me conduire à Menton.
Après avoir patienter plusieurs semaines surtout par rapport à mes obligations professionnelles, décision était prise de partir en train le Mercredi
9 Septembre pour Thonon les Bains où je passerai la nuit et prendrai un bus le lendemain pour Saint Gingolf point de départ «officiel» du GR5. Pour info, je rappelle qu'il faut prévoir en moyenne quatre semaines pour environ 600 km de marche.
En voici le récit ;
Mercredi 9 Septembre : . C'est le jour J, j'ai un sentiment d'excitation quand je pense à ce qui m'attend.
Un grand saut dans l'inconnu et le plaisir d'avoir à gérer au jour le jour, heure par heure le déroulement de mon aventure. Lâcher prise, abandonner le confort de la maison, et se diriger à l'inspiration. Peut être me pousser dans mes retranchements, au bout du bout de mes capacités, c'est cela que je vais chercher. Je n'ai qu'une crainte, ne pas arriver au bout. Mais je suis tellement motivé que seul un incident technique ou indépendant de ma volonté ferait que j'abandonne. Mon sac à dos est prêt, et malgré tous mes efforts, je n'ai pas pu faire moins de 18 voir 19 kg avec l'eau et du ravitaillement pour trois ou quatre jours. Pour une fois, c'est maa fille Coralie qui me dépose à la gare d'Aubagne, direction Marseille. Je passe vite sur le départ de la gare Saint Charles, après deux changements, arrivée à Thonon les Bains vers 17 heures où je trouve rapidement l'appart hôtel que j'avais réservé. Super bien installé, je ressors afin d'aller repérer les départs des bus pour Saint Gingolf le lendemain à 6h15. Sur le retour, je m'arrête à un snack où je prends un plat de pâtes à emporter que je dégusterai dans l'appart.
Jeudi 10 septembre :
Levé à 5 heures pour être au bus à 6 heures, Dans le bus, environ une heure de route, on longe enfin le lac Léman mais le jour se lève à peine.
Il semble que le temps est au beau, c'est déjà ça..... Arrivée à Saint Gingolf, le chauffeur me fait signe qu'il faut descendre, c'est le terminus, il n'ira pas à Menton !!. Je trouve rapidement un bar afin d'avaler un café, et une boulangerie en face. La boulangère me voyant ainsi équipé me raconte qu'elle aussi a fait le GR 5 lorsqu'elle était ado...ça doit faire une quinzaie d'années !! Puis au bar, un client me demande où je vais et il est tellement admiratif de mon projet qu'il m'offre mon double café...si j'avais su, je l'aurais emmené à la boulangerie !!
Maintenant le GR5 est en face, en tout cas l'un des départs car il semble qu'il y en ait plusieurs qui doivent se rejoindre un peu plus haut. Comme je l'avais lu, ça monte tout de suite très raide. J'ai l'impression d'aller à la chapelle de Cuges, mais là ça s'appelle la chapelle d'Abondance. Le sac de plus de 18 kg se fait tout de suite sentir. Je m'aperçois qu'ici le GR coupe la route qui monte en lacets, et ce sera souvent le cas lors de l'ascension de cols qui sont accessibles par la route. J'arrive alors sur un grand parking en terre battue où je décide de sortir mes bâtons. Je réalise alors que j'ai du laisser tomber ma casquette sans m'en rendre compte. Tant pis j'entame donc l'ascension du col de Bise. Toujours très dur, obligé de faire de nombreuses mini pauses car le cardio s'emballe et les jambes commencent à bouillir. Arrivée au col de Bise à 1915.m, j'entame la descente au chalet du même nom. Descente très raide, par un petit sentier creusé par le ravinement. Les genoux fatiguent, j'ai vraiment l'impression que le sac me pousse. Pour la première fois de ma vie, les jambes commencent à trembler. Arrivée au chalet de Bise, vers 13 heures, On peut y pique niquer et commander des boissons. Je descends rapidement une bière et m'ouvre une boite de sardines avec le pain acheté ce matin. Une compote et une barre de céréales pour le dessert. J'enlève mes baskets et mes chaussettes car il est grand temps de mettre les chaussures de marche. A cette occasion, je retrouve ma casquette qui était tombée dans le filet dorsal de mon sac à dos... Je repars vers 13h45 pour le Pas de la Bosse, encore une belle ascension d'une heure très raide. Toutes les 5 minutes, je bois une gorgée d'eau car je transpire beaucoup. Arrivée au sommet, les panneaux ne sont pas très clairs, il y a plusieurs chemins qui partent et pas de chance, je ne prends pas le bon. Je me fais encore 40 minutes de montée inutile que je dois redescendre après avoir demandé mon chemin à deux alpinistes qui s'étonnent de me voir voyager sans carte.... Bilan, une heure quinze de perdue. Je retrouve le GR vers la Chapelle d'Abondance avec une grosse descente, et les mêmes sensations de fébrilité dans les jambes et les genoux qui tremblent. Arrivée à 17 heures à la chapelle, où je suis actuellement, je profite de recharger mon téléphone sur une prise dans un bar où je me délecte d'un demi de bière. Je vais décoller et chercher un endroit pour planter ma tente, il est déjà 18 heures et il faut faire vite avant la tombée de la nuit.
Vendredi 11 septembre.
En fait hier soir après la pause au bar, je suis reparti chercher un bon emplacement mais l'heure tournait et je ne voyais rien de sympa à l'horizon. Par contre je longeais un beau ruisseau et j'aperçois une belle plage à l'abri des regards où je peux faire ma toilette au gant. L'eau est bien entendu glacée mais c'est tonifiant et je me rhabille propre pour repartir chercher mon emplacement. Finalement, il fait tellement bon que je décide de dormir à la belle étoile quelques centaines de mètres plus loin, près d'un banc en bordure d'un chemin non loin d'une cascade. Je prépare mon repas sur ce banc, soupe courgettes petits pois. Je n'ai pas très faim, mais ça réchauffe car depuis la température a baissé. J'étale et je gonfle mon tapis de sol, mon duvet, et je me recouvre de la couverture de survie. J'ai du mal a trouver le sommeil, d'abord à cause du bruit de la cascade, les moustiques attaquent, et je recouvre donc ma tête de la capuche en voile prévue avec le duvet... Le ciel est étoilé, et dans la nuit, j'ai bien senti un petit rongeur venu me chatouiller le cou...
J'ai mis le réveil pour 5 heures car je prévois le temps de déjeuner et remballer tout mon barda. Au matin, je me rends compte que mon duvet est trempé par la rosée d'une part, mais je réalise que la présence de la cascade non loin a accentué ce phénomène d'humidité. Je prévois donc une étape sans doute plus courte afin d'avoir le temps de faire sécher tout ça dans l'après midi. Départ vers 7 heures et ça démarre tout de suite très raide en sous bois. Petits sentiers en lacets, grosses racines glissantes car je suis à l'ombre. J'arrive enfin au sommet du col de Bassachaux à 1780 m, et j'aperçois une ferme où le berger vend ses produits. C'est une petite habitation avec l'étable à côté.
A l'intérieur, au milieu de la pièce, il y a un énorme chaudron suspendu à une potence pivotante afin de la positionner ou pas au dessus du feu. Je discute un peu avec le fermier qui a une grosse bosse sur le front et un cocard car il est justement tombé dans les chemins glissants. Il me raconte qu'un randonneur lassé par son sac trop lourd lui a abandonné sa tente... Je lui achète un bout de Tome et je repars. Encore une ascension jusqu'à Mattes, puis pause déjeuner et j'en profite pour étaler toutes mes affaires humides au soleil. J'essaie de recharger mon portable avec le panneau solaire mais j'arrive péniblement à 30 % seulement. J'essaie de manger un bout de tome avec du pain mais je ne sais pas pourquoi, je n'ai vraiment pas faim. Je n'arrive pas à avaler le pain pourtant encore souple et aux céréales. Bref, j'appelle Véro, je remballe tout, et je repars pour le col de Bassachaux, encore très dur... J'y arrive et je m'assoie à la terrasse du refuge ou je commande une succulente crêpe au sucre et un coca, que je mange volontiers. Cela aura au moins l'avantage de me recharger en sucre rapide. Je repars vers 15 heures pour essayer d'atteindre le refuge de Crésely. Malheureusement, je commets une erreur d'orientation et je descends une longue piste de ski pendant environ 40 minutes. Arrivée en bas, je demande mon chemin à des gars qui étaient en train de vérifier les canons à neige. Là j'apprends que je suis descendu du mauvais coté et que je n'ai plus qu'a remonter... 40 minutes de descente, ça fait vite une heure de montée et en plus il commence a pleuvoir... je me mettrais des baffes !! Retour à l'intersection litigieuse, il me reste encore une heure de marche pour atteindre le refuge et passer en Suisse. Le temps est humide et brumeux, je suis mouillé et très fatigué. Je décide donc de dormir dans le refuge de Chesery car le gardien super sympa me confirme que ce soir je serai seul !! C'est encore pas aujourd'hui que je monterai ma tente.. Là j'ai pu prendre une bonne douche chaude réparatrice. Je vais préparer l'itinéraire de demain, manger (soupe de légume, omelette et tisane), et me coucher. A priori, demain grosse étape jusqu'à Samoens, 30 km...
Samedi 12 septembre :
Encore pas bien dormi, mon corps n'est que douleur quand je me couche, j'ai l'impression que tous les voyants rouges s'allument. J'ai pourtant pris un Doliprane et me suis massé avec mon huile d'Arnica. Petit déj. léger car je n'ai toujours pas faim. Je décolle à 6h45 alors que le jour se lève à peine. Direction le village des Crosettes, 1h30 et là j'ai du mal à retrouver le GR. C'est une petite station de ski, je cherche, je demande, et après avoir suivi quelques indications hasardeuses, j'aperçois le GR un peu plus haut à flanc de montagne. Je traverse un lotissement de milliardaire, (on est en Suisse) et je passe à plat ventre sous des clôtures électriques, avec le sac à dos !! et enfin après une escalade à la verticale d'une trentaine de mètre, je récupère mon GR chéri.... Maintenant direction le col de Coux à 2120 m. C'est toujours très abrupte. Pendant l'ascension, j'avais le nez rivé sur mes chaussures, et j'ai senti sur ma droite un objet noir qui bougeait. J'ai d'abord cru que c'était un corbeau qui décollait, mais en tournant la tête j'ai stoppé net car c'était un caillou de la taille d'un ballon de foot ball qui dévalait la montagne en rebondissant et est venu se fracasser sur un gros rocher à dix mètres devant moi... bien content de ne pas l'avoir pris sur la tête celui là !!
Plus loin, au détour d'un virage, j'aperçois au milieu de la piste un gros husky tout seul qui me fait immédiatement penser à un loup. Zen....quelques mètres plus loin, les propriétaires du chien étaient là. Toutes les situations sont là pour me faire monter le cardio... Arrivée au sommet, je repasse en France où je croise des randonneurs qui s'étonnent de mon parcours. Puis longue descente magnifique en sous bois entouré de mélèzes et de fougères, et toujours mes genoux qui flageolent. Et maintenant je remonte pour le col de Golèse, DUR, car en plein soleil et il est environ 13 heures. Je fais une pause au refuge histoire de me forcer a manger quelque chose qui me ferait plaisir. Je prends une tartes aux myrtilles et un coca juste pour me recharger en calories. Après le col de Gonèse, grosse, très grosse descente de deux heures trente sur Samoens. Problème, ça descend tellement que mes supers semelles achetées pour l'occasion, avancent dans mes chaussures. Je me retrouve alors avec un escalier sous le talon, et un bourrelé sous les orteils. Je m'arrête au moins trois fois pour remettre tout ça en place et finalement je vire tout et je chausse mes baskets pour la suite. Plus tard, j'intervertirai les semelles des baskets et des chaussures. Arrivée à Samoens vers 17 heures, je trouve un ruisseau et je me lave au gant (toujours glacé...) je fais une bonne lessive et je repars encore pour une demi heure afin de trouver un emplacement de bivouac. Je m'installe entre un bois longeant le ruisseau et un champs face à moi. Véro m'a repéré sur Google, je crois que je suis fliqué !!
J'étends mon linge aux branches d'arbres derrière la tente. Ce soir je commence à manger plus volontiers une soupe en sachet pâtes et fromage avec une compote et enfin je me couche. Encore une fois, dès que je m'allonge, toutes les douleurs de mon corps se réveillent et m'empêchent de trouver le sommeil. Je refais un massage de ma cuisse gauche qui recommence à fourmiller et est devenue comme anesthésiée. Je commençais à fermer les yeux, quand j'entends des pas d'homme près de la tente et il me semble bien que quelqu'un a touché la toile. Je m'assoies en sursaut dans la nuit et crie qui est là ?...pas de réponse, et plus de bruit.... Je pense alors à tout mon linge étendu et me dit que s'il disparaissait, je serais bien embêté. Je m'arme du couteau suisse que m'a offert Coralie, m'équipe de ma frontale et sors faire un tour de reconnaissance. Il fait nuit noire, et le faisceau de ma frontale trouve vite ses limites. Rien ni personne à l'horizon, mais étant certain d'avoir entendu des pas, je me dis que quelqu'un pourrait très bien s'être caché derrière un arbre et je réalise alors à quel point je suis vulnérable dans ma tente. Je décide donc de me recoucher avec mon couteau ouvert dans la main la pointe vers le haut, et fini par m'endormir...d'un œil.
Dimanche 13 septembre :
Réveil à 5h30, il fait encore nuit noire, j'attends encore un peu puis commence à plier tranquillement. La tente est trempée et bien entendu mon linge étendu aussi. Ce matin au p'tit déj. Café, quelques céréales, et un quignon de pain qui me restait depuis saint Gingolf.
Mon téléphone est pratiquement déchargé, je ne l'allume que pour le strict nécessaire et décolle vers 7h15. Direction le col d'Anternes, une ascension magnifique en sous bois, toujours ces mélèzes, des gros rochers recouverts en partie de mousse, un vrai décors de cinéma. L'air est frais, je suis à l'ombre du coup je souffre moins mais le panneau solaire est inefficace pour recharger mon téléphone. Plus j'avance et plus ça se durci. Je passe entre des gros rochers par des échelles quasi verticales, puis des mains courantes et bien entendu le sac de 18 kg me rappelle régulièrement sa présence. Arrivée à une bifurcation, une flèche m'indique d'aller tout droit. Effectivement il semble y avoir des traces que je suis et qui m'emmènent au bord d'une falaise surplombant une route 50 mètres plus bas. Des chaînes boulonnées m'indiquent qu'une descente en rappel est prévue ici mais je me dis que je ne dois pas être concerné... Je contourne donc et descends au fond d'un vallon où les traces se perdent dans des fourrés et l'accès devient presque impossible. J'en déduis que je ne suis pas sur le bon tracé et décide de laisser mon sac là pour remonter 30 mètres plus haut à l'endroit où j'ai vu la dernière flèche. Je revois la chaîne, puis une autre et me confirme qu'il m'est impossible de descendre par là. Arrivée au gros rocher que j'avais croisé, je constate qu'il fallait effectivement avancer sur la droite de quelques mètres pour apercevoir des traits rouges et blancs indiquant la suite du GR. Il ne me restait plus qu'a retourner chercher mon sac et escalader le vallon pour repartir du bon pied...
Plus tard, je passe le col du Brévant et j'arrive à la cascade du Rouget, puis une autre nommée Sauffaze sur le domaine de Sales. Toute cette partie s'est faite à l'ombre mais ça monte dur...chaque pas est devenu une épreuve et en me retournant, j'aperçois Samoens en bas et je me dit que finalement j'avance quand même...pas vite, mais j'avance. On est Dimanche, et il y a pas mal de monde. Je me fais souvent dépasser par des familles ou des randonneurs mais je les rattrape régulièrement car eux font de nombreuses pauses et moi pas. Ma première halte est à 13h, j'avale une barre de céréales et une gorgée d'eau et je repars. J'arrive au refuge d'Anterne bondé en terrasse, je prends vite un sirop de citron et je repars pour le lac du même nom. Encore une ascension très pénible et arrivé au lac, je sens bien qu'il faut m'arrêter et décide de planter ma tente là, c'est juste magnifique. Plus tard je discute avec un berger, et je suis rapidement envahi de moutons autour de la tente. Je refais le plein d'eau à une source et étend mon linge sur mes bâtons et les ficelles de ma tente au soleil car il n'est que 15 heures. Ce soir au menu, couscous aromatisé Tipiak, je l'ai bien mangé puis compote, journal de bord et dodo.
Lundi 14 septembre.
Tous les jours, je retarde un peu plus le réveil car je me rends compte que je mets beaucoup moins de temps à remballer mes affaires et je suis prêt trop tôt. Mais il est hors de question pour moi de partir de nuit.
Aujourd'hui, départ 8 heures pétante, il va faire beau, le lac est un miroir. Ma tente est bien entendu trempée, et j'ai encore mal dormi à cause de ces douleurs à la hanche. Je me suis décidé au milieu de la nuit à prendre un Doliprane et j'ai ainsi pu faire quelques micro sommeils. C'est parti pour la descente du col d'Anterne où plus loin je m'arrête à un refuge car le petit déj a été light. Je prends un crêpe au sucre, café et un jus d'orange que je transvase dans ma gourde, coupé avec de l'eau. Une mamie, certainement parente des gérants, m'a même offert un morceau de cake maison.... Puis je remonte le col de Bréman moins pénible que les autres car il y a des portions moins pentues qui me permettent de récupérer. Quelques fois je m'amuse à observer mes pas et réalise que je vais trop vite. J'ai tendance à oublier que j'ai un sac de 18 kg sur le dos !! Puis je me fais des blagounettes histoire de passer le temps, je me dit que pour ma reconversion, je pourrais envisager livreur de machines à laver, ou sherpa... Tiens une confidence, (vous ne le répétez pas ! ), tous les matins, avant le départ, j'ai décidé de faire vingt pompes, d'une part cela me fait un réveil musculaire qui peut m'éviter un lumbago au moment ou je met mon sac sur le dos, et ensuite, psychologiquement, je me persuade que je ne suis même pas fatigué et que j'en veux encore...en un mot, je crains dégun...comprenne qui pourra.
Pendant ce temps, arrivée au col de Brémon, vue fantastique sur le mont blanc, un coup de fil à Véro et je repars car j'ai encore quelques grimpettes à faire pour passer le col, et pas qu'un peu. Des échelles, des mains courantes, et 50 minutes plus tard, je passe le col il est 15 heures et je redescends vers le village des Houches. Cette descente va être terrible car le fourmillement de ma cuisse devient brûlure puis grosse douleur au point que je ne peux vraiment plus marcher. Gros souci car le village est encore à une heure et ça descend toujours très fort. A plusieurs reprises, je me suis mis a marcher à reculons afin d'inverser l'appui sur mon muscle mais la descente s'éternise. J’atteins la route goudronnée, et il me reste encore 5 km à faire pour arriver aux Houches. Ces 5 km peuvent paraître insignifiant mais quand chaque pas devient une torture, ça paraît être le bout du monde
Je boite très franchement et décide de faire du stop en espérant arriver à temps pour trouver un pharmacie ouverte. La première voiture s'arrête et me dépose quelques minutes plus tard devant l'officine. J'achète Dafalgan et une pommade, puis passe au Carrefour contact refaire le plein. J'apprends que le camping que je cherchais est fermé, traverse le village en suivant le GR,. Ma cuisse me fait moins mal car je suis sur du plat. A la sortie du village, le GR indique de partir à gauche en direction du col de Volza. Apparemment ça commence très fort. Il est 19 heures passé, je ne me sent pas capable d'attaquer une nouvelle ascension. Juste en face, de l'autre coté de la route, j'aperçois un gros chalet, ancien hôtel fermé à l'abandon. Les deux portes battantes à l'entrée sont ouvertes, je décide d'aller voir ce qu'il en est.
L'établissement est sur trois niveaux que j'inspecte pour vérifier qu'il n'y a personne. Tout est pratiquement vide ou renversé et je décide de récupérer un matelas apparemment propre sur lequel je mets ma couverture de survie puis mon duvet. Je coince les portes de l'intérieur avec des queues de billard cassées, et j'étends ma tente et mon linge mouillé que j'accroche aux appliques lumineuses. Je me prépare un sandwich au thon car je n'allume pas le réchaud afin d'éviter de me faire remarquer de l'extérieur. Le vrai clando... J'avale mes médocs, journal de bord et dodo.
Mardi 15 septembre :
Réveil 6h30, toutes mes affaires ont séché. Je ne fais pas de café car il y a des maisons occupées juste à coté et je veux rester discret. 7h30 je sors et retourne au centre du village pour trouver un bar et y déjeuner copieusement. J'en profite aussi pour brancher quelques minutes mon téléphone ce sera toujours ça de gagné. Je renouvelle le jus d'orange dans la gourde, car c'est bien agréable d'avaler quelques gorgées d'eau orangée dans l'effort.
Huit heures pétante, je reviens face à mon hôtel et j'entame la montée qui commence par des escaliers constitués de rondins de bois, puis ça devient plus sauvage et surtout plus sévère...
Je réalise alors que j'ai bien fait de m'arrêter à l'hôtel hier soir. Je passe d'abord le col de Voza, puis redescend et entame le col Tricot avec là encore des échelles à escalader. Arrivé au sommet je fais une petite pause pour masser ma cuisse et manger un morceau. Il fait beau et chaud, j'enlève tee shirt et chaussettes, je ventile !! J’enchaîne avec une descente raide vers le refuge de Miache où je pensais passer la nuit en bivouac. Je m'y arrête, consomme une boisson et demande à ce qu'on me remplisse ma gourde d'eau. Alors qu'une dame était en train de laver la vaisselle juste devant moi, le patron pas très agréable m'indique les toilettes pour remplir ma gourde. Je n'apprécie pas du tout le ton et décide de partir en direction du refuge de Truc à 35 minutes de là. Sauf que c'est encore un mur qui m'attend. Arrivé à ce refuge, le responsable m'indique que je peux bivouaquer si je veux mais qu'il a fermé les sanitaires car la saison est terminée pour lui, donc pas de douche, alors je me casse...
Direction le camping de Contamines à 1h30. J'avoue que ça commençait vraiment à faire long et ma cuisse criait au secours !! J'ai recommencé à descendre à reculons pour soulager mes appuis pendant quelques minutes. J'arrive enfin au camping vers 18h30. Super bien équipé, douche, machine a laver, sèche linge et resto, le top, demain je repartirai à neuf. A table, j'ai fait la connaissance de jeunes qui font le même parcours que moi. On va peut être partir ensemble demain mais je risque de ne pas pouvoir suivre. Ils sont jeunes et ont un sac beaucoup moins lourd que le mien. Il est temps d'aller me coucher.
Mercredi 16 septembre :
Réveil à 6h30 car le petit déj est à 8 heures. Donc je remballe tout, (tente mouillée) et pars finalement seul. Après deux ou trois kilomètres de chemin plat le long du ruisseau, ça recommence à grimper dur, très dur. Les jeunes me rattrapent, me dépassent mais s'arrêtent plus souvent et on arrive presque ensemble au sommet du col Bonhomme. Première vraie pause de midi depuis mon départ. Je grignote un bout de pain et de fromage et finis ma compote. Je fais une micro sieste étendu sur l'herbe au soleil. C'était super, je repars pour la croix du Bonhomme à une heure de là. J'y rencontre une jeune fille, Amélie qui fait aussi le GR5 et qui préfère continuer avec moi car l'orage menace. Je n'ai pu la suivre qu'une centaine de mètres !! une vraie fusée, elle doit peser cinquante kilos et porte un sac sans doute plus lourd que le mien...elle n'a que 23 ans et me rappelle un peu le gabarit de ma deuxième fille Julie.
Je la rejoins après avoir passé une crête magnifique avec vue à 360 °. On se dit qu'on va continuer et pousser jusqu'au plan de l'Ail. On passe devant le refuge de Mya et on tente d'atteindre le prochain à 40 minutes. Mauvais choix, l'orage gronde et se rapproche, on arrive au refuge...fermé. L' orage éclate soudain et la grêle tombe sans possibilité de s'abriter. J'enfile rapidement mon poncho mais Amélie me dit que le sien est au fond de son sac !! on patiente quelques minutes mais la grêle tombe de plus en plus fort et nous décidons de rebrousser chemin pour revenir au refuge précédent de Mya. Le petit sentier que nous avions pris pour arriver là est déjà devenu un ruisseau boueux et je glisse deux fois et me mets par terre.. Le refuge est bien ouvert et nous reçoit volontiers sous une pluie battante ouf !!. Dans la cuisine le poêle est allumé et réchauffe toute la pièce. Douche et repas chaud, soupe de légumes courgettes haricots verts du jardin et pour moi des crozets avec du Beaufort, et comme dessert un flanc maison... un délice.
Nous ne sommes que quatre et je peux m'isoler facilement dans une mini chambre de quatre lits où je peux fermer la porte par crainte de possible ronfleur. Il est déjà 21 heures, et la journée a été longue et riche en émotions...
J'entends dehors la pluie et la grêle tomber et je réalise la chance que j'ai d'être là.
Jeudi 17 septembre:
J'ai ouvert un œil vers quatre heure du matin et regardé par la fenêtre, le ciel était bien étoilé et j'ai pu me rendormir rassuré pour la suite.
Levé à 6 heures, on replie les tentes qu'on avait mis à sécher dans une annexe, petit déj, et j'embarque deux œufs durs que je mangerai plus tard. Départ pour le col du Bresson à presque 2500 m, évidemment toujours aussi dur. Puis longue descente jusqu'au refuge de Balme qui est fermé, mais les tables sont restées dehors et je m'y installe alors qu'Amélie partie devant, repart déjà. Je mange mes œufs durs, un bout de fromage et je repars après avoir trempé mes pieds dans le ruisseau glacé, histoire de les ramener à la vie...
Je traverse le hameau des Fours, puis un autre, en essayant de gérer cette descente pour épargner ma cuisse. Enfin je traverse le village de Landry en cherchant un commerce dans le but de me ravitailler. Seule une boucherie charcuterie est ouverte à la sortie du village et par chance elle fait un peu d'épicerie si bien que j'achète une boite de six œufs... une boite de sardines, de maquereaux, et quelques bananes.
Je reprends le GR dans l'espoir de trouver rapidement un emplacement. Après plusieurs centaines de mètres très abruptes j'arrive exténué sur un petit lotissement de trois maisons accolées où l'un des propriétaires m'autorise à planter ma tente sous trois pommiers près de son garage. Il était temps car à peine fini de m'installer la pluie tombe copieusement et je prie le ciel pour que mon abri reste étanche !!
Vendredi 18 septembre :
Hier soir j'ai donc avalé une boite de sardine entière et bu toute son huile. J'essaie en effet de compenser la période de diète qui a dû me coûter quelques kilos...Pendant ce temps, la pluie et le vent fouettent la toile de tente mais elle résiste bien, et je passe une nuit relativement tranquille. Levé à 6 heures, la pluie a heureusement cessé. Je mets le nez dehors et juste à ce moment là, une pomme tombe de l'arbre. Je la ramasse, la croque et je ressens à cet instant une vraie sensation de bonheur en dégustant la plus bonne pomme que j'ai jamais mangé de toute ma vie !! Cela ne m'empêche pas de faire mon café puis de tout plier, tente mouillée bien entendu. Amélie m'a envoyé un texto m'indiquant qu'elle est à l'entrée de Landry soit un petit kilomètre en amont. Elle me rattrapera rapidement dans la montée qui continue. Le chemin est glissant, et je fais très attention car je n'oublie pas que j'ai une boite d’œufs frais sur le dos.... Je passe le col du Palet à 2700 m puis j'entame une descente interminable jusqu'à Tignes. Vers 18 heures, Amélie m'indique qu'elle a posé sa tente sur le toit terrasse du centre nautique...
Je la rejoins et effectivement le site est bien plat et à l'abri des regards. Heureusement les terrains de tennis, de golf et le plan d'eau sont vides, seuls quelques promeneurs déambulent dans la station. Amélie vient de faire ses courses et préfère manger dans sa tente. Moi j'opte pour un petit resto car il semblerait d'après Véro que j'ai les joues creuses et il faut absolument que je me remplisse.
Je rentre dans le premier et rare resto ouvert que je trouve et m'installe pour déguster une crozette, sorte de tartiflette dans laquelle les pommes de terres sont remplacées par ces petites pattes avec fromage et lardons et même une saucisse que j'avoue avoir mangé à moitié.
Pour l'occasion, j'ai demandé au serveur si il y avait la possibilité de faire cuire mes œufs afin d'économiser le gaz de mon réchaud. Ce qui fut fait sans problème. Ayant bien entendu trop mangé d'un coup, j'ai très mal au ventre et suis obligé de marcher (encore un peu) autour du lac car il m'est impossible d'aller me coucher tout de suite.
Samedi 19 septembre.
Dans la nuit, la pluie me réveille et au matin ça tombe encore un peu. Si bien qu'avant de sortir, je me contorsionne dans la tente pour plier mes affaires, matelas, duvet, m’habiller etc...Là je ne regrette pas le volume de ma tente...
Enfin la pluie cesse et j'en profite pour vite sortir et plier ma tente trempée et me dirige vers le seul commerce ouvert à cette heure.
C'est une supérette SHERPA qui possède un espace snack café à l'entrée. Le patron m’accueille très sympa et m'indique une corbeille de viennoiseries gratuites de la veille à la disposition des clients. Amélie me rejoint quelques instants plus tard, (elle devait vérifier sa check liste...) et nous profitons d'un copieux petit déjeuner. Je fais pour l'occasion quelques courses et le patron reviens nous offrir à chacun deux grosses barres de céréales. La gentillesse à l'état pur !!
C'est là qu'Amélie me confie qu'elle préfère partir de son côté pour rendre visite à son beau père et réfléchir sur la possibilité d'arrêter car les prévisions météo ne sont pas réjouissantes. Nous resterons en contact par échanges de textos mais ne nous reverrons plus car elle préférera arrêter. Pour ma part, je repars serein tout seul vers le col de Leisse à presque 2800 m. S'en suit une longue descente en pente douce puis une remontée jusqu'au refuge de la Vannoise, le plus grand d'Europe paraît il.... J'y arrive vers 18 heures, encore mouillé du matin, fatigué, le ciel est très bas et brumeux, le vent et le froid finissent par me décider à opter pour une nuit au refuge d'autant que ce matin j'ai zappé la toilette et je me demande si la veille c'était pas la même chose ?? Seule inquiétude sur une capacité de 130 personnes, ce soir nous ne serons que 80....mais j'apprécie tellement la douche chaude et le confort d'un lit que je ne regrette pas et après tout c'est mon anniversaire aujourd'hui non ? J'avais d'ailleurs prévu d'offrir une tournée générale si on avait été que trois ou quatre, mais à quatre vingt, j'ai fait canard...
Dimanche 20 septembre :
Assez bien dormi malgré la présence de quatre autres randonneurs dans la chambrée, aucun ronfleur, en tout cas, rien entendu. Petit déj à 7 heures et à soixante ans passé....je repars pour une belle descente jusqu'à Pralognian. J'appelle Véro, et elle me raconte la mésaventure qu'à vécu Coralie.
Puis c'est Coralie qui m'appelle et j'ai bien senti qu'elle était encore sous le choc et qu'elle avait besoin de me raconter l'intrusion d'un cambrioleur chez elle au petit matin.
Je passe demander mon chemin à une boulangerie en profitant d'y prendre un café pain au chocolat. Je repars un peu perturbé par les nouvelles en direction du col de Chavière mais 20 minutes plus tard je me rend compte que j'ai oublié mes bâtons à la boulangerie...demi tour et presque une heure de perdue !! Une petite averse au départ du col et arrivée au sommet vers 15 heures après avoir raté une bifurcation ce qui m'a valu une traversée périlleuse dans de gros éboulis très pentus à flanc de montagne. Je suis d'ailleurs tombé quatre fois et mon genou a souffert. Du temps perdu et l'heure tourne car arrivé à une bifurcation j’aperçois un panneau m'indiquant Modane à 2h45. Il est presque 17 heures et je pense qu'il est plus que raisonnable de m'arrêter là même si je sais que dans le parc de la Vannoise le bivouac est interdit. On verra bien...
Lundi 21 septembre :
Pas de descente de police cette nuit, mais un sommeil très hachuré, d'abord parce que j'ai toujours mal aux hanches dès que je m'allonge, et aussi parce qu'il y a eu une belle averse en fin de soirée. Le tapis de sol gonflable que j'ai est trop étroit, et si le sol n'est pas rigoureusement plat, le duvet glisse facilement dans le sens de la pente. Je me retrouve donc vite la tête ou les pieds en butée avec la tente, ou bien je sors du tapis de sol par la droite ou la gauche. J'essaie par des sursauts de me remettre dans l'axe, momifié dans mon duvet...ça occupe mes nuits !!
Événement positif, hier soir j'ai retrouvé un début d'appétit en avalant le reste de soupe de pâtes et fromage dans laquelle j'ai fait baigner mon steak végétarien. Mélange original que j'ai trouvé très bon...Cette nuit j'ai eu assez froid, j'ai dormi avec mon bonnet de laine et j'ai attendu un bon moment avant de sortir à 6h30, le réveil n'ayant toujours pas sonné. J'ai fait mon café, avalé une poignée de céréales, plié ma tente (mouillée) et j'ai décollé à 6h45. Le ciel est étoilé il fait à peine jour et je réalise que j'ai bien fait de camper là car plus bas c'était impossible. Grosse descente épuisante de 2h30 jusqu'à Modane. J'espérai y trouver une laverie mais on me dit qu'il n'y en a qu'une qui est dans un centre commercial à 1,5 km à l'opposé de ma direction. Je décide d'y renoncer car cela m'aurait fait perdre une bonne partie de la journée et je continue ma route. Montée raide qui coupe les lacets de la route menant à Valfréjus, petite station déserte à cette époque de l'année sauf un resto en travaux où je demande à remplir mes gourdes d'eau. Plus loin, je profite d'un rayon de soleil pour faire sécher ma tente étalée sur de grosses poubelles en métal et manger un morceau. Il doit être environ 13 heures quand je repars pour le col de la vallée Étroite à 4 heures de là... pas trop dur mais la dernière demi heure m'a tué.
Le refuge de Thabor doit être à un petit quart d'heure, mais dans le brouillard, je l'ai aperçu sans comprendre que c'était bien lui et finalement je l'ai raté. Lorsque je l'ai réalisé, j'avais déjà bien entamé une belle descente et je n’avais vraiment plus le courage de remonter et j'ai donc décider de bivouaquer entre deux bras de rivière, seul au monde. Je m'installe, fais une petite lessive, prépare mon repas, journal de bord et dodo.
Mardi 22 septembre :
La nuit a été pluvieuse et froide. J'ai dormi avec mon bonnet et mes chaussettes et une tenue que je ne mets que pour dormir. Dés le début, j’ai éliminé le sac de soie que j'avais prévu pour mettre dans le duvet. Le linge que j'avais lavé hier soir et étendu sur mes bâtons et les ficelles de tente est gorgé d'eau. Je l'essore à nouveau et remballe mes affaires, tente et linge mouillés. Le ciel est très bas, je voudrais retrouver le GR mais sans succès... Je suis des sentiers plus ou moins marqués, mais on ne peut pas faire la différence entre sillons de ravinement et chemins plus ou moins empruntés par les troupeaux, les bergers ou randonneurs. Je longe quand même le cours d'eau me disant que je suis certainement dans la bonne direction.
Plus loin je me retrouve dans un passage étroit infranchissable. Demi tour et je prends volontairement de la hauteur afin de repérer une trace d'un chemin plus marqué. J'aperçois alors un petit panneau blanc avec une flèche noire indiquant le Pont de la Fonderie. Je vérifie mes notes et je m'aperçois que cela fait partie des hameaux que je dois traverser. L'espoir renaît et je remercie le ciel et tous ses saints d'être sur le bon chemin. Le sentier continu à flanc de montagne en sous bois sous les mélèzes et fougères, c'est vraiment très beau (et humide).
Enfin, après une heure trente a suivre ces petits panneaux blancs plus ou moins visibles, j'arrive sur une piste bien plus large et récupère le GR 5...ouf ! Je passe plus loin le refuge de Magi fermé à cette époque de l'année, puis un autre petit hameau et depuis les panneaux sont écrit en Français et en Italien.. Je croise ensuite un maçon Italien qui me fait remarquer que je n'ai pas choisi le bon jour pour randonner...
J'entame enfin le col de Thures prévu pour une heure trente, puis traverse une grande plaine et redescend sur Névache par une superbe forêt pendant encore une heure trente. J'arrive à Névache vers 13h et je sens qu'aujourd'hui je n'ai pas bien la forme. Je pense m'arrêter là et m'offre un resto et même la soirée étape dans le même établissement. J'en profite pour faire sécher ma tente sur l’étendage de l’hôtel, Je lave encore du petit linge et fait tout sécher (le linge mouillé d'hier) sur le sèche serviette et le radiateur. Je sais que demain ça ira mieux car aujourd'hui j'ai bien senti qu'il fallait m'arrêter tôt. Je me l'étais interdit mais j'ai aussi été obligé de reprendre contact avec le boulot pour des affaires en cours. Dommage car ça me fait revenir un peu sur terre mais on va dire que c'est pour la bonne cause. Le repas du soir tout comme celui du midi se sont bien passés, et je peux dire que j'ai bien dormi.
Mercredi 23 septembre :
Levé à 6h30 bonne douche chaude...super petit déj. Et départ à 8 heures pour le col de Cristol. Cette fois le panneau est juste face au resto, je pouvais difficilement me tromper !! La montée est très raide jusqu'au lac et j'essaie de me discipliner à ralentir ma cadence et à garder toujours le même rythme. Je réalise que j'ai toujours tendance à vouloir accélérer mais je dois comprendre que c'est impossible car le cardio ne tient pas et je suis obligé de marquer une micro pause trop souvent. A plusieurs reprises, ici et sur d'autres cols, j'ai du lâcher mes bâtons attachés à mes poignées et m'agripper aux rochers ou aux branches pour me hisser et passer des obstacles. Et ce sac qui me rappelle à chaque instant que je ne suis pas vraiment tout seul...J'arrive enfin au lac Cristol et après avoir pris quelques photos, un gars arrive et j'apprends qu'il fait aussi le GR 5 depuis Saint Gingolf. Jean Luc est Suisse et nous décidons de poursuivre ensemble, en tout cas pour la journée. J'apprends qu'il se rend régulièrement au Népal, trois à quatre mois chaque année, mais covid oblige, cette année il se contente du GR 5. Il est aussi guide mais n'exerce plus et je comprends qu'il a une grande expérience de la rando et autres disciplines. En le suivant, je constate qu'il ne va pas plus vite que moi mais ses pas sont sûrs, précis et réguliers.
Il n'a pas de bâtons car il affirme que ce n'est que pour le ski. Il marche les bras croisés ou les deux mains dans les poches... Je lui indique que j'avais prévu de passer par la crête de Peyrolles et il accepte d'y passer avec moi. C'est un passage assez vertigineux et étroit avec une vue à 360°. Dans la descente il a pris un peu d'avance et je l'ai perdu de vue. Je me suis alors engagé par erreur dans un goulet plutôt dangereux et sur l'autre versant Jean Luc siffle alors pour m'indiquer de remonter et reprendre le GR que j'ai raté... Plus bas nous faisons ensemble encore une erreur qui nous coûtera une demi heure de remontée.
Nous arrivons à Briançon vers 17 h et je propose alors de nous asseoir à un café pour boire un verre. Jean Luc prend un Perrier et moi un demi de bière. Nous en profitons pour chercher un gîte que nous trouvons chez des gens qui louent normalement à l'année mais acceptent notre présence pour une nuit. Nous descendons alors par erreur tout à fait dans le bas de la gargouille et lorsque nous nous rendons compte de notre confusion, nous avons dû remonter bien au delà du bar pour trouver notre logement. Nouvelle leçon pour moi, ne jamais boire une goutte d'alcool avant la fin effective de l'étape. Je n'avais plus de jambes !! On s'installe et la propriétaire a la gentillesse de nous remonter au centre ville afin d'y trouver un resto.
Là je satisfais une envie que j'avais depuis quelques jours, un plat de pâtes à la carbonara, sans lardons bien sûr. Retour à pieds au bercail, pipi, les mains, les dents, journal de bord et dodo.
Jeudi 24 septembre :
Départ 7h30, traversée de Briançon en direction du hameau des Ayes (toujours avec Jean Luc). Le temps est mitigé, et au loin le ciel menace. On entame le col des Ayes et dans la montée comme dans la descente on se prend une belle averse si bien que l'eau fini par pénétrer et mouiller nos vêtements. On s'arrête vers 14 heures dans un camping...fermé, il ne pleut plus et l'on décide de manger un morceau. On choisi de réserver un gîte à Chalp et on se rendra compte plus tard que c'était une bonne décision vu l'averse de grêle tombée à 17 heures. Grosse pluie dans la soirée et surtout belle rigolade au sujet du sac en moustiquaire fourni avec mon duvet que je pensais prévu pour mettre la tête dedans.
En fait il s'agit du sac d'hivernage pour stocker le duvet !! Le gîte était sympa avec une grande pièce, une énorme table et un poêle à granule qui chauffait l'ensemble. A table il y avait le couple de propriétaires, un couple de Belges avec une amie, le Suisse et moi...de Cuges. Ambiance sympa et les Belges étaient étonnés d'apprendre la longueur de notre parcours. Ils me demandent si on va mettre un mois ou deux. Je leur réponds que seul j'ai prévu un mois mais si j'attends Jean Luc, faudra en prévoir deux!!.
Vendredi 15 septembre :
Petit déj royal avec yaourt, jus d'orange, croissant, pain, café et quatre ou cinq confitures. 7h45, départ sous la pluie avec polaire, anorak et poncho. Une heure trente plus tard, on arrive à château Queyras. Je suis mouillé mais en ébullition, trop couvert. J'enlève la polaire humide, et on repart pour le col Fromage à 2400 m mais ça sent la neige !! Effectivement quelques minutes plus tard, la pluie devient neige et recouvre tout le paysage. Magnifique mais je l'avoue, inquiétant. Je vois passer à environ 50 mètres trois chamois (je crois) c'était magnifique. Finalement, l’ascension n'est pas trop pénible comparé à ce que j'ai passé la semaine dernière. Ou alors je commence à marcher comme il faut....
Le col atteint, nous redescendons sur Ceillac et les genoux commencent à me titiller, mais ça tient. Puis le soleil fait une courte apparition avant de reprendre des giboulées et d'atteindre les Mélezets où Jean Luc avait réservé un gîte. C'est vrai qu'après une journée pareille, j'apprécie de rentrer dans une pièce chauffée et de prendre une douche chaude. Le gîte est déjà occupé depuis quatre jours par 9 filles et la propriétaire. Évidemment voir arriver deux garçons déclenches quelques plaisanteries de bon goût et je ne me prive pas d'y participer. Ambiance sympa, tout le monde mange une soupe de légumes et boeuf bourguignon sauf moi qui aura droit à la sauce les pommes de terre et une omelette. Dehors grosse chute de neige...
Samedi 26 septembre :
Bon petit déjeuner comparable à celui d'hier. Départ vers 8 heures, température certainement négative car les filles n'arrivent pas à ouvrir leurs véhicules serrures gelées... Le ciel est bleu mais le froid est intense. On entame l'ascension du col Girardin à plus de 2700 m. On a environ 1000 m de D+ à faire sachant que l'on perd 0,6 degrés tous les cents mètres. (dixit Jean Luc).
Les serrures étant gelées, je pense que l'on doit être aux alentours des -5°, si l'on retire les 6° que l'on va perdre dans l'ascension, on va arriver à un bon - 10 degrès...
Plus on avance et plus la neige se fait épaisse, on passe de 5 cm à 10, puis 20 puis 30 centimètres. Les derniers 200 mètres d'ascension sont terribles. On est pris par un vent violent qui fait encore tomber la température ressentie et soulève des bourrasques de neige qui viennent nous fouetter le visage et les mains. Evidemment je n'ai pas de gants et au bout d'un moment, Jean Luc me propose les siens. Je les refuse en lui rappelant qu'après 25 ans de poissonnerie mes mains sont à toute épreuve...
La pente s'accentue et la stabilité devient précaire au point que j'ai vraiment du mal à mettre un pied devant l'autre sans dégringoler de deux mètres. Jean Luc me crie de bien assurer le plantage de mes deux bâtons avant d'avancer un pied. A un moment nous sommes tombés à chacun notre tour dans un trou de neige jusqu'aux hanches Il faudra ramper à quatre pattes pour se sortir de là.
Finalement on arrive à passer le col mais j'avoue que sans lui cela aurait été compliqué et même dangereux. Nous descendons alors dans la vallée et remontons à Fouillouse. Tout est fermé, ce soir bivouac au fond d'un vallon près d'une rivière, mais attention ça caille !! Je me cuisine dans la tente un sachet riz au curry pré-cuit et j'y ajoute une boite de thon à la catalane. C'était un sachet pour deux mais j'ai tout mangé...grand besoin de calories !!
Dimanche 27 septembre :
La nuit a été horrible, j'ai grelotté tout le temps, impossible de me réchauffer même en m'enfermant complètement dans le duvet avec une bouffée d'air frais de temps en temps. Malgré les chaussettes, le bonnet recouvrant mes yeux et oreilles, rien à faire. L'air est glacial, impossible de m'endormir. Une envie de pipi me taraude depuis un bon moment et je pense que si je sortais me soulager cela irait peut être mieux après.
Je prends mon courage à deux mains et sors. Le ciel est étoilé et il fait un froid sibérien. Je suis sorti en chaussettes et mes pas craquent sur l'herbe gelée. Je ne traîne pas plus que ça et retourne au fond de mon duvet. J'ai pensé un moment qu'il valait peut être mieux ne pas m'endormir de peur de ne plus me réveiller car je ne savais pas à ce moment là jusqu'où la température allait descendre. J'ai dû faire des micros sommeils car je n'ai pas entendu le réveil. En. tout cas c'est ce que je crois. En fait mon téléphone a gelé, impossible de l'allumer.
Dehors il fait déjà jour, je ne sais pas l'heure qu'il est, mais je vois que Jean Luc n'est pas encore levé. Je décide de faire quand même mon café mais surprise, ma gourde pleine d'eau a gelé aussi. Il faut la secouer pour faire couler une tasse d'eau. J'avale donc mon café avec mes dernières tranches de pain d'épice, et je réalise qu'il ne me reste qu'un petit bout de pain qui date de Névache, la moitié d'une soupe de poisson et une soupe chinoise. Même plus une barre de céréales, il est grand temps de se ravitailler. Ma tente est couverte de givre, et je m'active pour tout remballer. Je suis tout le temps en mouvement et sautille dans mes déplacements afin d'éviter d'être pris par le froid. Je vais quand même faire une petite vaisselle dans le ruisseau car je ne veux pas partir avec ma vaisselle sale. Ce sera un supplice pour les mains... Il y a aussi le fait que je veux au fond de moi prouver que je suis plus fort et que malgré les conditions, je ne suis pas encore au bout... Jean Luc qui s'est levé depuis, casse la glace qui s'est formée sur une flaque d'eau près de la tente, deux centimètres d'épaisseur, il en déduit qu'il a dû faire – 10° !! On décolle vers 8 heures, le ciel est voilé, pas de soleil et impossible de boire, mes gourdes sont gelées. Deux cols au programme, le Vallonet et Mallemort à plus de 2600 m. En montant, on arrive quand même à se réchauffer et j'ai mis une de mes gourdes dans ma veste sur mon ventre afin de la réchauffer et faire fondre la glace pour pouvoir boire.
Au sommet du col de Mallemort on fait une pause, Jean Luc avale deux barres de céréales, et moi une poignée de noix que j'avais encore dans la ceinture du sac. Pour un repas de midi ça fait léger. Enfin on redescend sur Larche pendant deux heures. Le genoux gauche me fait toujours mal dans les descentes depuis ma chute dans les éboulis. Arrivée à Larche vers 14 heures, on espérait trouver un commerce ou un abri, mais tout est fermé. On est Dimanche après midi...On réalise que même si l'on bivouac ici, on ne peut pas repartir demain sans provision.
Heureusement ici j'ai du réseau et la seule chambre d'hôtes que je trouve est à Jausier, à 18 km de là. La propriétaire accepte de venir nous chercher. J'avoue que je n'y croyais pas quand je l'ai appelé pour lui poser la question. En l'attendant, le patron du bar tabac fermé que j'avais appelé un peu plus tôt arrive sur place et je lui dit que nous avons trouvé une solution d'hébergement. Je vais jusqu'à lui dire que s'il pouvait nous servir un chocolat chaud nous l’apprécierions. Ce gentil monsieur n'a pas hésité à ouvrir son bar juste pour nous un Dimanche après midi !! Quelques instants plus tard, la dame de Jausier arrive et nous ramène chez elle où nous pourrons faire sécher nos affaires et dîner avec elle et son mari, tous deux Belges. Je réalise une nouvelle fois que la chance est avec nous, et que nous faisons des rencontres extraordinaires. En fait j'ai décidé de croire depuis le début que la chance serait avec moi, et que ma bonne étoile me guiderait. Jean Luc me prend certainement pour un illuminé, surtout depuis l'anecdote de la moustiquaire du duvet...
Lundi 28 septembre :
Ce matin, le petit déjeuner était servi à 8 heures et nous sommes partis tout de suite après faire nos emplettes au centre de Jausier où nous trouvons tout ce que nous souhaitions. Comme promis, la propriétaire nous ramène en voiture jusqu'à Larche et même au delà puis qu'elle nous laisse au départ du GR. Direction col du Lauzanier, puis col des Fourches. La neige disparaît progressivement en rentrant dans le Mercantour. Jean Luc avait choisi de dormir dans un gîte à Bousseyac, moi j'ai préféré continuer seul car il n'est que 15 heures et à mon avis trop tôt pour s'arrêter. Pour être franc, sa présence commence à me peser, car même s'il m'a été d'une grande utilité dans le col enneigé, je me rends compte qu'inconsciemment ou pas, c'est lui qui guide le rythme des arrêts pipi, casse croûtes, photos etc...et je ne veux pas avoir constamment quelqu'un devant moi et le suivre, je ne suis pas venu ici pour ça. Je le lui ai expliqué gentiment et je crois qu'il l'a compris. Nous allons peut être nous retrouver plus tard, mais je veux marcher seul. Finalement, j'ai encore marché deux heures, passé le col de la Colombière à 2300 m, et je suis redescendu le plus possible afin de limiter le froid pour planter ma tente à environ 2000 m d'altitude.
Mardi 29 septembre :
Pas très bien dormi, beaucoup de vent, et toujours ces douleurs aux hanches dès que je me couche. Il ne fait pas froid, le ciel est clair, je prends mon petit déj. Je remballe mes affaires et je décolle vers 7h45. Je continue ma descente vers Saint Salvage et c'est très agréable car il fait beau et bon. J'apprécie ce silence et la solitude. Plus tard, j'entame le col d'Anelle, le plus facile jusqu'à présent. Puis je redescends sur saint Etienne de Tinée, il est presque midi. Je m'arrête à une boulangerie, prends un pissaladière et un friand chèvre épinards et cinq petits beignets. Direction Auron par une montée infernale d'une heure trente au cours de laquelle je fais une pause pour manger mes gourmandises tout en gardant mes beignets pour le soir.... Arrivée à Auron, c'est une station toute en travaux sans grand intérêt pour moi. Je laisse un message à Jean Luc car nous avions prévu de peut être nous retrouver là et j'entame l'ascension du col du Blainon. Le GR est interdit pour cause de travaux et suis obligé de suivre la déviation par la piste de ski. J'arrive au hameau de la Roya et retrouve Jean Luc qui m'a quand même rattrapé malgré l'avance que j'avais sur lui. J'apprendrai plus tard qu'il a quand même emprunter le GR interdit et que c'était plus court. Tout est fermé dans ce bled, on trouve un bel emplacement pour planter nos tentes au bord d'une rivière. Belle journée dans l'ensemble avec 11 heures de marche !!
Mercredi 30 septembre :
Hier soir, je pensais qu'on allait manger ensemble en toute convivialité, échanger nos plats, discuter, rien de tout ça, à peine fini de planter sa tente, Jean Luc a commencé à manger tout seul assis sur un tronc d'arbre en me tournant le dos. J'ai donc terminé de m'installer tranquillement, fait ma popote et manger seul devant ma tente. Il est ensuite venu me parler de l'itinéraire du lendemain..
Je fais l'effort de ne pas lui en vouloir car je pense que c'est quelqu'un qui a l'habitude de fonctionner seul, même si il a fait de nombreux trecks en équipe... Nous décidons de mettre le réveil à 6 heures car la journée devrait être longue.
A 5 heures je ne dormais déjà plus depuis longtemps. Je décide de me lever vers 5h45, je déjeune tranquillement avec mes beignets et commence à plier. Vers 6h20, je réveille Jean Luc qui n'a pas entendu son réveil. Je pars donc devant lui sachant qu'il me rattrapera dans la journée mais je suis content de marcher seul. Il me rejoint effectivement au col de Crousette à 2500 m. Il mange un morceau et je le laisse partir devant car il voulait avancer plus vite aujourd'hui ayant pris connaissance des prévisions météo alarmantes.
Moi je fais sécher ma tente et mange également un bout puis repars pour le col de Moulines, facile, puis j'arrive au refuge du Longon.
Là en discutant avec les gérants, on me confirme qu'il y a une alerte rouge météo. Une grosse dépression baptisée tempête Alex arrive sur nous. Ils descendent toutes les bêtes dans la vallée, et me déconseillent vivement de passer par la vallée des Merveilles. Plus loin en entrant dans une immense vallée envahie de moutons, j'ai été obligé de traverser le troupeau. Je me suis vu alors charger par trois énormes Patous qui donnaient l'impression de vouloir me dévorer !! Leurs aboiements féroces me faisaient penser que si l'un d'eux me mordait je n'avais que peu de chances de m'en sortir.
Je cherchais désespérément du regard le berger, mais rien ni personne à l'horizon. J'avais tout de suite rangé mes bâtons, et parlais gentiment aux chiens en tapotant sur ma cuisse. Après m'avoir bousculé et tourné autour je sortais tranquillement de ce guêpier avec quelques sueurs froides... L'objectif est d'atteindre Roure afin de me poser pour la nuit. Comme souvent, la dixième heure de marche est difficile. J'arrive à Roure et passe complètement par hasard devant un gîte communal. Je toc et rentre et qui vois je à l'intérieur ? Le Jean Luc qui était en train de m'envoyer un message pour me dire où il était. Nous serons les deux seuls occupants avec la responsable. Chacun une chambre, douche chaude, cuisine et salle à manger commune, tout ça pour 15 euros...j'achète !! Comme d'habitude, Jean Luc ne m'attend pas pour manger, ce n'est pas grave, je décide de ne pas me prendre la tête avec ça. J'ai passé une belle journée en marchant seul pendant des heures. J'aurais pu prendre des dizaines de photos mais le fait d'éteindre à chaque fois mon téléphone et le rallumer m'aurait fait perdre trop de temps. Je profite donc de le recharger ici et d'appeler Julie et Véro. Repas petite lessive et séchage sur le radiateur, journal de bord et dodo.
Jeudi 1er Octobre :
Aujourd'hui Jeudi, j'entame la troisième semaine à raison de 8 à 10 heures de marche par jour pour une moyenne de 20 km. J'avoue que moi même ai du mal à le réaliser. Je me suis tellement conditionné mentalement que j'ai l'impression d'être dans une bulle avec un seul objectif en point de mire, arriver à Menton. Pourtant je vous jure que lorsque je me couche chaque soir, tout mon corps tire les sonnettes d'alarme. Mais dans la journée, aux moments difficiles, et croyez moi il y en a, je deviens un automate. Je déconnecte tous les fusibles, et seul le cerveau prend les commandes. Un seul objectif, avancer encore et toujours. Pour tout dire, j'ai observer Jean Luc et sa façon de marcher. Il est vrai que cela m'a beaucoup servi. Comme je m'en étais déjà rendu compte, j'ai tendance à marcher trop vite, et même à accélérer lorsque j'aperçois une cime. Mais ce que j'ai appris, c'est que derrière une cime, il y en a une autre, et puis encore une et cela jusqu'à ce que je lise le panneau indiquant le sommet du col. Et là, il y a de grandes chances d'entamer une descente parfois plus douloureuse que la montée. Mais tout cela n'est rien comparé aux paysages que je découvre, et la satisfaction de gérer seul mon parcours. J'ai donc appris à marcher, à soixante ans, il était temps !!, pas après pas, un pied devant l'autre, même si parfois le rythme paraît ridicule. Je sais qu'à cette cadence, je ne serai pas essoufflé et obligé de m'arrêter tous les dix mètres. Je peux ainsi comme Jean Luc tenir des heures et constater en me retournant que mes efforts ne sont pas vains quand j’aperçois au loin le point de départ. Aussi lorsque je lève les yeux et que je vise le sommet du col, j'ai presque un sentiment de découragement, mais à cet instant, le cerveau reprend les commandes et me dit : tu as déjà fait beaucoup plus dur...alors ça aussi tu peux le faire.
En fait aujourd'hui je raconte la journée d'hier parce que nous sommes Vendredi, le jour de l'alerte rouge météo. Nous avons fait une journée off en chambre d'hôte à Valdeblore, juste avant Saint Martin, et j'ai donc un peu plus le temps d'écrire. Donc hier Jeudi, départ vers 8 heures car l'étape est censée être relativement courte, seulement 6 ou 7 heures de marche. Ceci afin de se poser à Valdeblore.
C'est là que va se décider la suite de l'aventure car nous sommes au carrefour de trois itinéraires possibles. J'y reviendrai tout à l'heure. Départ donc toujours avec Jean Luc en direction de Saint Martin, premier village à traverser. Une heure trente plus tard, on le prend cool, on rentre dans un bar pour prendre un café et pain au chocolat. On essaie de rester informés sur l'évolution météo, puis on repars pour Ramplas. Je laisse volontairement partir Jean Luc car je tiens absolument à me gérer de A à Z. Le chemin monte tranquillement jusqu'à Ramplas et là, les marques rouges et blanches du GR sont un peu confuses. Je demande à un papy du pays qui m'indique de partir à gauche vers le sommet du village pour rejoindre la Bolline. Sauf qu'il n'y a pas de marques dans cette direction. Je suis quand même son conseil mais demande un peu plus loin à une dame qui me confirme le chemin.
En fait c'est une variante inutile qui m'a fait monter au sommet de la montagne jusqu'aux Vacheries de Ramplas et qui m'a coûté deux heures d'ascension sur un chemin de chèvre où il est vrai que j'ai pu bénéficier d'une vue panoramique sur la vallée. Il faut savoir que Roure, où j'étais hier et Ramplas, sont deux villages accrochés à flanc de montagne chacun d'eux sur des paliers et équipés de nombreux escaliers et rues très abruptes sans doute comparables aux cinq terres. C'est joli, mais épuisant... Enfin en redescendant sur la Bolline, j'ai pu récupérer le GR mais avec deux heures de montée et une heure trente de descente, j’ai pris un certain retard sachant que je suis encore à deux bonnes heures de Valdeblore. Pour une étape qui devait être courte, je suis servi.... Jean Luc m'appelle vers 15 heures, et me dit que là bas tout est fermé sauf une boulangerie à laquelle il m'attend. Il n'a trouvé qu'une seule chambre d'hôte encore ouverte, et bien entendu, vu la météo annoncée, j'opte pour cette solution. Le chalet est a cinq minutes du centre et nous passons une agréable soirée avec les propriétaires très sympas, et un jeune couple de passage.
Vendredi 2 octobre :
Nous sommes très bien installés dans une chambre à deux lits avec kitchenette et salle de bains. Petit déjeuner royal et retour dans la chambre où l'on constate que la tempête annoncée arrive progressivement. Il est 11h30 et il tombe des seaux, tonnerres, éclairs, vent, tout y est. Je réalise que planter ma tente aurait été du suicide. Je dois avouer qu'en discutant avec Jean Luc la veille à propos des prévisions météo, j'avais tendance à le prendre à la légère en lui disant que des orages dans le sud on en a souvent et c'est pas pour autant qu'on se met tous aux abris.
Je lui raconte qu'au lycée il m'arrivait d'y aller avec ma mobylette sous une pluie battante et d'être resté toute la journée mouillé et que ça ne m'avait pas traumatisé. J'insistais en lui disant qu'aujourd'hui par principe de précaution dès qu'il y a trois gouttes on crie à la catastrophe... Je ne savais pas à ce moment là à quel point j'étais dans l'erreur, et sans doute j'ai pu paraître (con) de Marseillais prétentieux, ou plutôt inconscient.
La matinée se passe doucement au lit, et j'en profite pour appeler quelques clients pour des dossiers en cours. Grâce à la kitchenette, on peut cuisiner pour midi, et épuiser nos dernières provisions. Au menu, un sachet de quinoa dans lequel je verse une boite de foie de morue, ...c'est délicieux...Il ne me reste plus que quatre œufs durs et un bout de pain. Sachant qu'ici tout est fermé. Vers 14 heures, plus d'électricité. Il est maintenant 22 heures et je suis à la frontale. Bien entendu pas de réseau non plus, donc pas moyen de connaître la situation météo du secteur. La pluie est tombée toute la journée, et aux dernières nouvelles, il y aurait de gros dégâts dans la région. Après réflexion, il semble maintenant peu probable que je puisses traverser la vallée des Merveilles car il y a des cols à plus de 2000 mètres, et cela peut s'avérer très dangereux car je ne trouverai aucun refuge ouvert ni aucun commerce pour me ravitailler. Reste la solution d’emprunter le GR 5 initial qui me conduira à Nice et qui me permettra de passer des cols moins hauts et surtout de me ravitailler. Reste à savoir si avec ces orages, les chemins sont encore praticables. Dernière solution, les propriétaires du chalet nous proposent de nous transporter à Nice par la route en faisant un grand détour, mais cette option me décevrait énormément et je garde encore un espoir de terminer mon aventure comme je l'entends. Nous patienterons donc encore une nuit afin de peut être récupérer internet, les dernières infos et un point météo.
Samedi 3 octobre :
Hier soir, repas aux chandelles. Heureusement que les proprios ont le gaz, sinon nous aurions mangé froid...au menu polenta et daube de joue de bœuf, moi je n'aurai que la sauce. Levé 7 heures, petit déj, et nous décidons de repartir car la pluie a cessé. A peine sortis du pâté de maison nous avançons de 150 mètres et là stupeur, La route par laquelle nous étions arrivés a disparu. Tout a été emporté, faisant apparaître les entrailles de cette route déchirée par un torrent de boue mettant à nu les gaines et tuyaux qui étaient enterrés. Nous rencontrons des habitants ébahis, cherchant à comprendre ce qui c'est passé. Nous contournons le cratère pour aller aux infos au bar tabac qui a ré ouvert. La patronne nous informe que la route est coupée dans les deux sens, qu'elle n'a plus d'eau, plus d'électricité, et donc pas de café.. Déjà ici la route est parsemée de gros cailloux qui ont dévalé les chemins. L'atmosphère est pesante et on sent que quelque chose de grave est arrivé. Nous apprenons qu'à Saint Martin, des maisons ont été emportées et qu'il y a des morts et des disparus. Nous n'avons d'autres choix pour le moment que de faire demi tour et retourner au chalet pour faire un point. Nous croisons les propriétaires qui s'apprêtaient à se rendre à Saint Martin pour y ramener leur petite fille chez leur fils. Ils nous proposent de nous amener et nous assistons tout au long de la route à des spectacles de catastrophe, chutes d'arbres, coulées de boues, éboulis etc...nous parvenons à passer quelques obstacles de justesse et après 4 à 5 km, la route est véritablement barrée par un éboulis, et nous surplombons Saint Martin. Vision apocalyptique d'un village rasé, emporté par un torrent encore en furie. Des maisons sont restées accrochées au bord du vide et le propriétaire du chalet constate avec émotion que la gendarmerie, la station d'essence et la menuiserie de son ami ont disparu.
On apprend qu'il y a de nombreuses victimes dont deux pompiers disparus. Je réussi tant bien que mal à trouver un espace de réseau pour appeler Véro et la rassurer. Nous faisons donc demi tour pour retourner plus bas à la Bolline afin d'y trouver quelques commerces ouverts et refaire le plein de provisions. Retour au chalet, toujours pas d’électricité, pas de réseau, mon téléphone a moitié chargé, aucune visibilité météo, nous décidons de rester une nuit de plus. Dans l'après midi, nous allons faire un tour de reconnaissance sur l'état des GR et obtenir plus d'infos. Le GR que nous comptions emprunter n'est qu'un torrent de 30 cm d'eau avec des tas de gravas de la taille de boules de pétanques. On apprend que la route qui mène à Nice via Utelle, une deux fois deux voies a été emportée. Valdeblore est donc bel et bien isolé et nous n'avons à cette heure aucune solution.
Nous réalisons aussi qu'à l'origine, notre itinéraire prévoyait une halte à Saint Martin de Vésubie et que avons raccourci l'étape justement par rapport à la situation géographique de Valdeblore qui est carrefour de trois GR. Nous devions décider de la suite par rapport à la météo. Là j'avoue réaliser que si je n'avais pas écouté Jean Luc, j'aurai soit campé dans le terrain un peu plus bas, ou bien j'aurai continué a avancer jusqu'à Saint Martin de Vésubie et qui sait ce qui me serait arrivé ? Mais mon étoile ne me lâche pas, et le hasard, la chance et la sagesse ont fait que je m'arrête là...
Voilà maintenant deux jours et trois nuits que je patiente ici, Jean Luc qui change d'avis tous les quarts d'heures, le propriétaire qui nous propose des solutions plus ou moins réalisables, je décide donc de partir dès demain matin en direction de Nice en passant par Utelle. Je suis dans l'obligation de renoncer à la vallée des Merveilles mais je vais tenter de terminer mon GR 5 en arrivant à Nice. Je suis conscient que je peux être amené à faire demi tour en fonction des difficultés que je vais rencontrer, mais je ne peux me résoudre à rentrer en stop comme l'a décidé Jean Luc.
Dimanche 4 octobre :
Comme prévu, je pars après le ptit déj, vers 7h45, Jean Luc me dit qu'il partira un peu après moi sans son sac, juste histoire de faire un tour de reconnaissance et constater l'état des chemins. A peine sorti du village, je retrouve le départ du GR que nous avions vu la veille. L'eau coule toujours à gros débit, et je dois jouer l'équilibriste pour marcher sur quelques cailloux émergeant et m'agripper à la rambarde d'une terrasse effondrée. J'entame alors l'ascension du col Varaire au milieu de ce qui a dû être un torrent de pierres et de boue. Arrivé au sommet, je découvre que le GR 5 a disparu. La terre est éclatée par plaques entières laissant apparaître des crevasses à l'image d'un séisme.
J'essaie quand même de descendre en espérant retrouver la suite du GR, mais quelques dizaines de mètres plus bas, je réalise que je prends beaucoup de risques car des pans entiers de terre restent suspendus et ne demandent qu'à tomber risquant de m'ensevelir. Je décide donc de remonter et emprunter la crête que j’aperçois au loin quand apparaît Jean Luc (encore lui) qui faisait son tour de reconnaissance. Il me confirme qu'il n'ira pas plus loin, et qu'il rentrera demain en voiture sur Nice avec les propriétaires du chalet. Il m'indique précisément la direction que je dois prendre pour suivre la crête et retrouver (normalement) le GR plus tard.
Je repars donc seul et entame cette ascension périlleuse qui parfois s'apparente plus à de l'escalade, Dans le brouillard, la pluie glacée se met à tomber et ne me mouille même pas puisqu'elle est gelée. Le sentier est étroit, et il y a le vide de part et d'autre. Je n'ai qu'une seule obsession, repérer au fur et à mesure les traits de peinture orange qui marquent ce sentier et qui m'indiquent que je suis sur un tracé et non pas perdu....
Une heure trente plus tard, (c'est long) après avoir implorer tous les saints et dieux de la galaxie, je revois enfin les marques rouges et blanches du GR j'avoue savourer une énorme satisfaction. Je poursuis mon chemin à plat puis en descente en sous bois et donc un peu plus à l'abri car sur la crête la température devait certainement être négative, j'ai d'ailleurs cette fois enfilé des chaussettes aux mains qui me serviront de gants. Pendant la suite du trajet, j'ai cru à plusieurs reprises que je devais faire demi tour car le sentier était barré par des arbres arrachés, des coulées de boue et de cailloux mais à chaque fois je me remotivais et me disais que je ne pouvais pas refaire la crête et trois ou quatre heure de marche puis rentrer en stop. Aussi à chaque difficulté je peux dire que je suis rentré dans le tas et que rien ne pouvait m'arrêter. Mon sac s'accrochait aux branches et je passais en force en criant comme un cinglé. Chaque épreuve était pour moi une victoire. Mon seul objectif était d'avancer afin de m'éloigner de cette zone sinistrée et retrouver des chemins praticables. Vers seize ou dix sept heures, la pluie a cessé, et la température s'est radoucie. Je suis quand même bien mouillé malgré le poncho mais avec la chaleur de mon corps et la température qui augmente, je commence à bien sécher. Je n'ai pas mangé ce midi car je savais que l'étape serait longue et compliquée. Normalement cette portion se fait en deux jours. J'arrive donc comme prévu à Utelle vers 18 heures. Hors de question de bivouaquer, je me dit que le premier hôtel, chambre d'hôte ou gîte que je vois, je prends...
Je passe devant une première Auberge ...fermée, je demande alors à un passant qui m'accompagne jusqu'au gîte communal dont je connaissais l’existence. Je tape à la porte et on me fait venir la responsable, Aurélie, qui m'indique que le gîte est fermé pour cause de Covid. Voyant mon état de fatigue ( et de crasse ) elle me dit qu'elle ne peut pas me laisser comme ça et me propose une solution mais sans chauffage !! Bien entendu je lui réponds que ce sera toujours bien mieux que ma tente... En fait elle me conduit à un petit duplex qui lui appartient et qu'elle loue normalement au mois ou à la semaine. Lui demandant le prix pour la nuit elle me déclare qu'elle ne veut rien, et qu'elle fait ça juste pour me rendre service. Je suis très touché et ne sais comment la remercier. Mon étoile ne m'a toujours pas lâché !! Quelques instants plus tard, alors que je préparais mon repas, j'entends taper à la porte. C'était la propriétaire qui venait sous la pluie me donner un sac contenant de la nourriture pour le soir. Je refusais gentiment car j'avais tout ce qu'il me fallait, mais ce geste de générosité m'a encore marqué et au fond de moi je suis rassuré de voir que sur cette terre il existe encore des gens de cette valeur. Je passe une super soirée, seul, un peu au frais, j'ai mangé devant la télé que je n'avait pas regardé depuis quatre semaines. Je visionne alors sur FR 3 les dégâts de Saint Martin dont je n'avais pas encore mesuré l'ampleur.
J'apprends aussi que la vallée de la Roya où j'ai campé en bordure de rivière a également été sévèrement touchée. Je ne vais pas tarder à aller me coucher car demain une longue et dernière étape devrait me conduire jusqu'à Nice.
Lundi 5 octobre :
Départ 7h30 pour la der des der...j'ai tenu à laisser un mot de remerciements et de reconnaissance à la propriétaire, j'ai sincèrement pensé que cela valait mieux qu'un petit billet. Le parcours est facile et agréable. En plus il fait beau, le soleil brille gentiment, je suis heureux !! A certains passages, il y a encore quelques embûches, mais rien de comparable à la journée d'hier. Jean Luc m'appelle vers 11h30 pour me dire que les propriétaires du chalet ayant un rendez vous médical à Nice l'ont finalement déposé et qu'il est déjà là bas après plus de trois heures de route. Je savais que le pont de la Vésubie avait été endommagé et que je risquais de rencontrer des problèmes pour le traverser. En effet, arrivé sur site vers midi, je constate que la route est fermée, et l'accès au pont est interdit par des rubalises.
N'ayant aucune autre solution si ce n'est de renoncer et de repartir en stop par je ne sais quel itinéraire, je décide quand même d'aller voir. C'est un grand pont en pierre, le début a été emporté et au sol il y a un grand trou de la taille d'une bouche d'égout, et plusieurs petit trous par lesquels on aperçoit le torrent en furie quinze mètres plus bas.
Il reste cependant le long du parapet une bande de goudron de vingt centimètres de large sur environ trois mètres qui, si je la passais, me permettrait de traverser la suite du pont. Mesurant le danger, je prenais toutes les précautions en défaisant les ceintures de mon sac afin de pouvoir m'en libérer facilement en cas de chute.
Puis m'agrippant à deux mains au parapet je franchissais rapidement la crevasse et le pont. Je réalise à ce moment là que plus aucun obstacle ne peut m'empêcher d'atteindre Nice.
Dans l'après midi alors que le GR est bien identifié, j'arrive face à une chapelle ornée d'un crucifix. Je me dit alors que si j'avais été en difficulté, j'aurai encore demandé de l'aide à Dieu ou Jésus et toute autre puissance extra terrestre de me guider vers LA solution. Mais en l'état actuel, je n'en avais pas besoin puisque le GR était parfaitement visible, bien large et semblait tourner à gauche devant la chapelle.
Sauf qu'en partant par là, le chemin disparaissait quelques dizaines de mètres plus loin dans les broussailles. Je remontais donc vers la chapelle et empruntais un autre chemin plus petit, mais qui lui aussi ne débouchait sur rien...
Je me représentais alors devant le crucifix et apercevais à droite le long du bâtiment, le GR devenu très étroit qui longeait la chapelle et une grande restanque en pierre. Je levais alors les yeux vers le crucifix et lui tendant mon pouce, je m'excusais humblement d'avoir douté...
Plus tard, en discutant avec mon fils Jérémy, puis un ami au téléphone, j'ai raté l'embranchement du GR et me retrouve sur la départementale.
Vérifiant ma position sur Google, je constate que la route et le GR sont parallèles jusqu'à Nice et je n'ai pas envie de faire demi tour. J’aperçois plus loin une borne kilométrique qui m'indique Nice à quatorze kilomètres !! Je sais que c'est la dernière longueur mais ces quatorze kilomètres sont interminables car il me semble que marcher sur le goudron est plus pénible que sur la terre. J'arrive enfin à Nice vers 16h30 complètement exténué. J'ai les pieds en feu. Je m'arrête donc à la première boulangerie que je rencontre. Je m'assoie et enlève mes chaussures, mes pieds sont tout blancs et douloureux, je mets mes baskets, me restaure et appelle Jean Luc car je sais qu'il est à Nice et je m’étais promis de ne pas tenir compte de son comportement pour le moins étonnant, et de clôturer notre parcours par le verre de l'amitié.
Je prends le tramway et l'on se retrouve à la gare où j'achète mon billet de train puis l'on se pose à une brasserie où je dévore une assiette de beignets de crevettes et acras de morue. Mon train est à 19h20 et on passe un bon petit moment à se remémorer les étapes que nous avons passées ensemble.
Voilà, fin de l'histoire, je suis dans le train pour Toulon puis Aubagne, tous mes contacts sont informés de mon arrivée à Nice et les messages de sympathie pleuvent !!!
Je pense mettre du temps à digérer toutes ces images et ce concentré d’événements qui m'ont apporté plus encore que ce que j'espérai. Je peux dire que j'ai retrouvé la valeur des choses simples, j'ai mangé la plus bonne pomme de toute ma vie, les plus bonnes mirabelles, les meilleures mûres et le meilleurs raisin.
J'ai redécouvert les biens fait d'une douche chaude, le confort d'un lit ou d'une pièce chauffée. J'ai redécouvert l’existence de gens simplement gentils, et généreux, et cela m'a fait tellement de bien que j'ai commencé à me réconcilié avec le genre humain. Mais surtout, je me suis retrouvé face à moi même, car je voulais savoir de quoi j'étais capable lors de situations ...on va dire tendues.
J'ai pu mesurer à quel point cette nature est gigantesque de beauté. Elle m'a tellement ébloui tout au long de mon parcours, que je me suis senti tout petit et conscient que malgré sa grosse colère, si je suis là aujourd'hui, c'est parce qu'elle a bien voulu me laisser passer, et je lui en suis profondément reconnaissant.
THE END