Edito Carnets d'Aventures #39
Aventures brillantes ou grandiloquentes ?Par Alexis Loireau Qu’est-ce qu’un aventurier ? Comment en devenir un ?
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Si vous voulez vous faire passer pour un aventurier auprès de certains médias ou de sponsors, ce n’est pas forcément beaucoup plus compliqué. Inventez un record, ou encore mieux une première, quelle qu’elle soit : dénichez au fin fond de la Sibérie une rivière qui n’a pas encore été descendue en canoë, faites le premier aller-retour de l’Atlantique à la rame, réalisez la première traversée en autonomie complète d’un désert, vous verrez alors les colonnes des journaux locaux et les robinets des sponsors s’ouvrir à vous. Le temps des grandes explorations est terminé sur Terre, mais l’imagination humaine est sans limite : on inventera toujours des nouvelles « premières ». Certaines ont du sens et fédèrent beaucoup d’énergie positive autour d’elles : le Dodtour, le tour de France par les frontières et sans moteur de Lionel Daudet, ou la première traversée en 2011 de la cordillère de Darwin en Patagonie par le GMHM en sont des bons exemples. D’autres en ont beaucoup moins. Quand le record ou l’établissement d’une première constituent l’unique objectif d’un voyage, que raconter à son retour à part que les difficultés étaient exceptionnelles mais qu’on les a surmontées ? L’aventure devient alors un simple sport où le stade est la nature. À la différence près qu’un sportif de compétition finit toujours par perdre contre quelqu’un de plus fort que lui… Et la défaite le rend humble. Non, décidément, se demander qui mérite le titre « d’aventurier » n’est pas une bonne question. Nous sommes tous des aventuriers : créer une entreprise, élever un enfant, voyager longtemps pour la première fois, tout ce qui est nouveau, potentiellement risqué et représente un engagement personnel important est une aventure à notre échelle. À la rédaction de Carnets d’Av’, il ne nous semble pas pertinent non plus de mettre en avant les « grandes » aventures au détriment des « petites » : les premières font rêver, les deuxièmes donnent envie de faire la même chose, toutes sont potentiellement dignes d’intérêt. Non, la question qui nous intéresse vraiment est la suivante : quels sont les voyages dont les récits méritent d’être partagés ? Pourquoi en découvrant certaines aventures, nous disons : « Génial ! » ? Parce que grâce à leur imagination et leur audace, des voyageurs réussissent à dépasser certaines barrières psychologiques et s’inventent ainsi une aventure singulière, un défi qui a du sens. Et comment une aventure peut-elle acquérir un « sens » ? Avec de la sobriété, de l’originalité et de l’ouverture vers l’Autre. Avec moins d’impact environnemental et de communication basée sur des chiffres. En un mot : en faisant preuve d’empathie, pour ses frères et pour la planète. Quel peut être le sens d’un voyage au long cours à monocycle ? Après 6 mois en Patagonie, Anne-Sophie le cherche encore. Mais à tous ceux qui lui posaient la question sur la route, taquine, elle répondait : « Et si j’étais sur un deux-roues, m’aurais-tu abordée ? » |