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Journal de cavale : La Grande Traversée du confinement

(réalisé)
Récit d'une traversée du Vercors originale
randonnée/trek / VTT packraft randonnée aquatique vélo de randonnée trail spéléo
Quand : 17/03/2020
Durée : 30 jours
Distance globale : 101km
Dénivelées : +5862m / -4419m
Alti min/max : 218m/1925m
Carnet publié par Vinc1 le 16 avr. 2021
modifié le 13 avr.
Mobilité douce
du pas de la porte au pas de la porte
C'est possible (ou réalisé) en bus
Précisions : Départ au col de Comboire (Mahivert) en accès vélo depuis Grenoble (possible en bus aussi)
491 lecteur(s) -
Vue d'ensemble

Le topo : Jour 2 (mise à jour : 13 avr.)

Distance section : 8.5km
Dénivelées section : +980m / -180m
Section Alti min/max : 596m/1551m

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Le compte-rendu : Jour 2 (mise à jour : 13 avr.)

Nouvelles du front - Jour 2

*** Falaises des Orgeasses ***

Réveil pas très matinal. Le soleil tape déjà sur le volet.
Au grand jour, les lieux sont tout de suite plus rassurants et j’entends une rivière couler, idéal pour me ravitailler en eau et faire la vaisselle. Je tends l’oreille, le bruit de l’eau me conduit au torrent.
J’entends les abeilles, les oiseaux chanter.
Face à moi se dressent les impressionnantes falaises abruptes des Orgeasses, un bon terrain pour les mouflons et bouquetins mais pas pour moi.

Il y a quelques jours, comme dans un dernier souffle en ces sombres temps, l’équipeur fou Jean-Michel Cambon s’en est allé au pied d’une falaise qu’il était en train d’équiper en Oisans, un pan de la montagne s’était effondré. Depuis, les principales entrées du Parc des Ecrins sont tenues par des gardes du parc armés qui empêchent tout passage, pourra-t-on un jour remettre les mains sur ces beaux rochers pourris ?
Telles des sentinelles, les montagnes nous alertaient déjà pourtant depuis quelques temps sur la crise à venir : effondrement de parois, fonte accélérée des glaciers, disparition de la neige, , sécheresse,... Il aurait fallu les écouter car ce milieu est si riche et si fragile à la fois que de petits changements peuvent avoir de forts répercussions et conséquences irrattrapables.
Jour 2
*** Les tronçonneuses de l’Epérimont ***


Cheminant dans mes pensées, il me fallait donc éviter cette muraille infranchissable et je choisis ainsi de descendre rejoindre le col de l’Epérimont. J’entendais déjà les tronçonneuses s'affairer et maintenant le spectacle se déroulait sous mes yeux, il n’était que désolation car partout on voyait la forêt régresser. L’ordre d'abattre tout arbre qui vive avait été déclaré il y a de cela 3 jours par nos gouvernants dans cette guerre contre le vivant. Parce qu’il avait été acté que notre terre était désormais sans avenir, ses dernières ressources pouvaient être exploitées pour assurer notre survie et permettraient donc de nous fournir en énergie. Pourtant autour de ce carnage se trouvait encore une nature luxuriante et déjà les fleurs du printemps ornaient les pistes balafrées.
Un peu plus loin, je contemplais cette flaque qui reflétait une réalité en train de disparaître, tel un miroir d’un temps désormais révolu. Au virage néanmoins, un bois dense était encore debout.
Jour 2
*** Le village de Prélenfrey ***


Au col, j’engloutis mon casse croûte. Un peu plus bas, le village de Prélenfrey semblait me tendre les bras pour retourner dans la civilisation et un peu de confort. Pendant la dernière guerre, ce village avait su cacher de nombreux juifs et servait même pour le stockage des armes des résistants du plateau. Après l’attaque du hameau des Vincents par la Wehrmacht, les habitants de Prélenfrey seront interrogés mais sans succès, personne ne livrera le secret.  Mais cette fois je devais m’en détourner car on le disait surveillé.
au col, vue sur le rocher de l'Epérimont
au col, vue sur le rocher de l'Epérimont
Le village de Prélenfrey
Le village de Prélenfrey
*** Baraque des Clots ***


En repartant, j’entendis un bruit sourd venait de la barrière Est du Vercors. Il me sembla qu’il venait des environs du Pas de l’Oeil. Sans doute un éboulement dû à la fonte précoce de la neige. Il faut dire que malgré le printemps pas encore venu, il faisait déjà bien chaud comme les températures du reste de l’hiver d’ailleurs.
Je m’engageais donc sur la piste des Bordeaux, je laissais une première fois à main droite la piste du Col Vert car elle m’aurait ramenée vers le Nord, puis je poursuivais encore une fois parvenue au carrefour du sentier de la Pierre des 2 Heures, justement au moment où le clocher du village sonnait ces 2 gongs. Il ne fallait pas trainer…
Au sortir de la forêt, je rencontre la neige, et afin de gagner en efficacité, j'enfilais mes crampons. Je vois déjà apparaître briller le toit métallique de la petite Baraque des Clos.
Mais soudain, j’entends la montagne s’ébranler tout proche de moi, je me retourne et aperçois la neige rouler à grande vitesse dans la combe que je venais de passer. Telle une rivière, l’avalanche se déverse depuis les plus hautes pentes du Pas de L’Oeil, coulant pendant près de 5 minutes.

En effet, il ne faut donc pas trainer et je rejoins vite le pied de la baraque. La porte est totalement obstruée par 2 mètres de neige, les architectes n’avaient pas dû réfléchir à la position optimale pour l’emplacement de la porte. Par contre ,adossée à un rocher, elle est elle bien protégé des avalanches.
Heureusement, à l’arrière de la baraque, quelques barreaux métalliques permettent d’atteindre l’étage et je n’ai plus qu’à pousser la porte pour me retrouver à l’abri. Depuis cette fenêtre sur la montagne, je contemple la fabuleuse arête du Gerbier, chemin le plus court pour traverser le Vercors mais qui peut devenir vite périlleuse si les conditions se gâtent. Je l’ai mainte fois fréquentée mais à chaque fois encordée car le faux pas ne pardonnerait pas.

Dans la cabane, la neige a fait son entrée et je ne trouve principalement que du petit bois mouillé et quelques bûches. Et revenir à la forêt me semble trop dangereux. Malgré mes tentatives, faisant usage de tout le papier toilette que je possédais, allant jusqu’à arracher quelques pages de ce précieux carnet en dernier espoir, le poêle ne sera donc pas allumé.
Arrivée à la Baraque des Clots
Arrivée à la Baraque des Clots
Je feuillette le carnet de la cabane et retombe sur ce texte fort à propos. 
“Le Froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus que l’or.
Sur une terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est l’eldorado.
Rien ne vaut la solitude.
Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu’un à qui l’expliquer.” Brice du Vercors

Jour 2
Sur ces mots je vais donc me réchauffer dans mon duvet et me plonger dans le livre “Aux Arbres Citoyens” du célèbre aventurier Jean-Louis Etienne.
Jean-Louis Etienne nous remet à notre place et nous démontre pourquoi nous devons tout ou presque aux arbres. Bercé dans son enfance par la nature, il a vite compris que l’alliance avec elle était indispensable. Comme Henry David Thoreau, cet américain du Massachusetts qui fit le choix d’un isolement volontaire dans la nature en vivant deux ans dans une cabane, auteur en 1849 du texte fondateur “La désobéissance civile” écrit après avoir été emprisonné pour avoir refusé de payer une taxe qu’il jugeait injustifiée.
Il invite comme lui à la désobéissance civile pour que l’humain retrouve ses racines et l’harmonie avec son environnement, face à la démesure actuelle de nos modes de vies qui le détruisent et nous conduit à notre perte. C’est aussi ce constat qui a conduit la création récente du collectif Extinction Rebellion, regroupant désormais partout sur la planète des citoyens menant des actions spectaculaires en faveur de la préservation du vivant.
A quoi bon avoir une maison si l'on n'a pas de planète acceptable où la mettre ?
Henry David Thoreau

L’heure était déjà à la croziflette qui malgré la rapidité de la préparation, paraissait un plat aux milles saveurs, sans nul doute rehaussé par la tomme de chartreuse et le bleu du vercors.
Dehors, la nuit avait fait son œuvre, et j’apercevais les lueurs des maisons où chacun se terrait… mais aussi quelques voitures, certains bravaient-ils l'interdiction ?
Des témoignages racontent que le village de Prélenfrey a abrité et caché lors de la dernière grande guerre des enfants juifs. Parfois, si la présence des allemands étaient annoncée, on les faisait monter à la tombée de la nuit à la cabane de Prélenfrey le temps que l'alerte soit levée. Dans ce cas, une dame du village sortait de grands draps blancs devant sa maison, visible depuis la cabane (sans doute avec une paire de jumelles), cela signifiait que la voie était libre et que les enfants pouvaient redescendre. (source : "Les enfants cachés du Tilleul" de Dominique Lardet)
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