Un sillage dans le Grand NordNous voilà donc de retour du Grand Nord norvégien après un peu plus de deux semaines de navigation et 4 jours de train ( aller et retour cumulés ). Je vais tenter de mettre un maximum de choses par écrit afin de vous faire partager cette expérience du mieux que je peux.
Je suis tombé amoureux de l'Arctique lors de ma dernière virée en Laponie suédoise en 2010 et je cherchais une destination dans le Grand Nord pour l'été suivant. J'avais pris conscience lors de cette dernière occasion de l'omniprésence de l'eau dans les régions polaires et sub-polaires et je m'étais dit qu'une expédition sur un engin flottant à propulsion humaine s'imposerait si je revenais un jour dans le coin ( ce qui était certain !). J'adore pêcher. La navigation ne pouvait que me rapprocher un peu plus de l'eau et me satisfaire également sur ce point. C'est alors que je commençais à "penser kayak". J'avais d'abord dans l'idée d'aller au Groenland mais mon manque d'expérience en matière de kayak de mer et les difficultés logistiques annoncées m'ont contraint à laisser mon rêve de glace de côté pour cette fois.
C'est en lisant le compte rendu d'expédition de l'équipe du magazine "Carnet d'aventure" l'année dernière que m'est venue l'idée d'explorer cette région magnifique que constitue le système insulaire au Nord Ouest de Tromso ( endroit assez peu connu des kayakistes en fait, contrairement aux îles Lofoten ). Puis j'ai eu la chance de tomber sur les comptes rendus d'expédition en train vers la Laponie de Fanny Cathala. Fanny et son équipe ont dû transporter via les chemins de fer des skis et pulkas, ce qui m'a donné l'idée de transporter un kayak démontable de la même manière. Peu onéreuse et écologique, l'idée me plaisait bien.
J'ai donc acquis au courant de l'année un vieux kayak démontable. Un camarade « Pouch » de trente ans d'âge et fabriqué en RDA qu'il m'a fallu un temps soit peu restaurer afin de le rendre apte à vivre les aventures dans lesquelles je le voyais ( et je le vois toujours ) prendre part.
J'ai exprès choisi un kayak biplace : en effet j'ai encore du mal à m'imaginer voyager seul et je conçois le voyage comme une aventure humaine, une expérience qui se partage. J'ai donc cherché parmis mes amis quelqu'un pour occuper la deuxième place et c'est ainsi que Josua, passionné par le milieu naturel et que je ne connaissais que d'une discussion d'un soir, s'est joint à l'expédition. C'était pour lui une première autant pour ce qui est du kayak que pour ce qui est de la randonnée en autonomie en milieu sauvage. Je le remercie d'avoir toujours été facile à vivre ( je ne peux pas dire que ce soit toujours mon cas !) et d'avoir su garder son sang froid dans des situations parfois un peu stressantes.
Nous avons sanglé le kayak sur un chariot pliable en aluminium que nous rangions à l'aide d'un élastique à l'arrière du kayak lors de la navigation. C'est ainsi que nous avons pris les différents trains censés nous conduire vers l'Arctique. Le transport s'est globalement bien déroulé. Les trains de nuit permettent finalement de parcourir beaucoup de distance sans trop le sentir passer. Ce fut également l'occasion de rencontrer d'autres voyageurs d'origines diverses et toujours très sympathiques. Nous avons beaucoup discuté et avons appris plein de choses. Le transport ferroviaire n'est pas seulement un mode de transport : dans ce cadre c'est une véritable conception du Voyage, un art de voyager qui place le lien humain au centre de ses objectifs.
D'un point de vue pratique, promener le kayak dans les gares et sur les quais s'est révélé plus facile que je ne l'imaginais. Nous avons toujours trouvé à le caser dans un coin (ou plusieurs en démontant notre paquetage !). Je dois faire remarquer que le train nous emmenant de Stockholm vers Narvik est très pratique puisqu'il possède des placards à skis dans tous les wagons. Nous avons cependant eu quelques heurts avec certains membres du personnel peu complaisants de la Deutsche-Bahn. Il faudra penser la prochaine fois à réserver une place pour un vélo lorsqu'on empruntera leurs trains avec un kayak.
Le train étant finalement presque aussi onéreux que l'avion si on ne fait pas attention, nous nous sommes fournis, sous les bons conseils de Fanny, des cartes interrails de 22 jours de validité permettant 10 jours de voyage en train. Si vous souhaitez tenter l'expérience il vous faudra toutefois penser à réserver vos places à l'avance malgré tout, au risque de vous retrouver coincé si les trains sont complets. Les réservations se payent en supplément ( 4 à 10 euros par train, c'est acceptable ).
Ca y est nous sommes partis !
Tout au long de notre lente migration en train vers le Nord, nous observions avec curiosité les paysages et les espèces végétales changer.
Nous avons vu disparaître l'érable, le chêne et s'étendre jusqu'à l'horizon les sapins de la forêt boréale. Ces derniers nous ont à leur tour abandonnés pour laisser la place aux bouleaux qui progressivement sont devenus nains, cédant par ci par là des parcelles entières à la toundra et aux tourbières rougoyantes que ponctuent les pompons blancs des linaigrettes.
C'est à ce titre que le voyage en train prend la dimension d'un voyage dans le temps vers la dernière glaciation, bien que nous nous soyons cette fois arrêtés juste avant le front des glaces.
Ce voyage vers le passé fut l'occasion, dans une certaine mesure, de retourner aux premiers âges d'une humanité naissante, qui 10 000 ans plus tard allait changer le visage de la terre.
Linaigrette
Tout en longeant les fjords en bus et une fois arrivé à Tromso nous étions d'abord très dubitatifs : les côtes norvégiennes sont très habitées et recouvertes d'un maillage d'asphalte conséquent. J'avais peur de ne pas trouver les espaces sauvages tant escomptés. Le dernier bus qui nous emmenait vers l'île de Ringvassoya, notre point de départ en kayak, nous a quelque peu rassuré : les paysages se vident peu à peu de leurs habitations et les routes deviennent de plus en plus petites. Je gardais toutefois en tête l'éventualité d'un repli sur les grand lacs Suédois au cas où. Nous avons finalement trouvé entière satisfaction à nos rêves de vie sauvage.
Le Bus nous a laissé dans un hameau nommé "Hansnes" ou nous avons monté, non sans excitation, le kayak pour donner nos premiers coups de pagaie de l'expédition : déballage et vérification de l'état du matériel. S'en est suivi le premier bivouac le soir même. Le lendemain le spectacle des cétacés chassant sous nos yeux lors du petit déjeuner annonçait la couleur : ce voyage allait être génial !
«
Nous avons de la chance, un courant nous conduit avec douceur vers notre prochain bivouac. Le ciel est couvert mais le soleil perce par endroit. Droit devant nous se dresse dans la mer une chaîne de montagnes aux sommets enneigés.Des marsouins nous accompagnent à babord et à tribord successivement, passant forcément sous le kayak à plusieurs reprises. Seuls leurs ailerons et dos suaves percent la surface tandis que leurs respirations répétées rythment ce ballet fantastique. Ici et là des phoques suspicieux surveillent notre mascarade de leurs grands yeux noirs et brillants. »
«
Je vais chercher de l'eau à la rivière afin de préparer la pâte à pain. Il commence à faire sombre : mine de rien le mois d'Août avance et annonce déjà l'Automne qui est assez précoce en Arctique. Il fait frais et je cours me réinstaller près du feu, seule source d'un confort non superflu.
Ca y est nous les entendons, c'est l'heure ! Leurs brâmes aïgus et boisés résonnent au dessus du lac. Difficile de dire où se trouve exactement le ou les troupeaux. Car il semble même qu'un premier groupe communique avec un second situé à 3 km approximativement sur la berge d'en face. Les rennes sont là, bien que pour le moment nous n'en ayons pas encore vu l'ombre d'un seul.Nous nous levons tôt le lendemain et empruntons le kayak pour une opération de recherche. Une fois au milieu du lac nous tentons d'imiter le brâme du renne, fi du ridicule, de toute façon nous sommes seuls. Il semble que nous nous soyons pas trop mal débrouillé car voilà que des cris s' élèvent de tout les côtés et se répondent tour à tour. La satisfaction éclaire nos visages. Un deuxième essai fructueux puis un troisième décevant comme tout ceux qui suivront : les rennes semblent avoir detecté la supercherie. »
«
Nous traversons un premier bras d'Adamsfjord. Pas un seul bruit ne vient troubler la quiétude des lieux si ce n'est le kayak solitaire glissant avec grâce sur l'onde .
Nous nous arrêtons quelques fois de pagayer afin de nous imprégner de ce silence, grave. Un mutisme qui en dit long à qui veut bien l'entendre.
Voilà qu'un vent faible s'est levé dans le sens du fjord. La surface de l'eau se ride tandis que les fils tendus des cannes à pêche se mettent à vibrer et entament un chant cristallin polytonal aux allures d'acouphènes que provoquerait un silence trop bruyant.
Pris dans l'étreinte de montagnes sombres et imposantes, je ne me sens pas vraiment à l'aise : ici règne une sorte de force ni malfaisante, ni particulièrement bienfaisante, mais qui rumine dans le calme on sait trop bien quels tourments : il y a longtemps que l'humanité n'a plus pris le temps de l'interroger et elle est à deux doigts de lui rappeler qu'elle est définitivement maîtresse de cette terre.Le calme avant la tempête dites-vous ? »
Nourriture, cueillette et pêche :La nourriture est coûteuse en Norvège. Nous nous sommes ravitaillés trois fois au total, nous étions rarement en manque.
Pain:Nous avons fait plusieurs fois notre pain nous même. Nous laissions cuire des petits pains sur des pierres plates à coté du feu en les tournant régulièrement afin d'éviter qu'ils ne brûlent. Cette étape nous demandait beaucoup d'attention. La fabrication rapide d'un four à pain avec les pierres disponibles directement autour du campement est une piste à explorer.
Poisson:En mer:
Le poisson est abondant dans les fjords. Tellement abondant qu'il serait dommage, sous prétexte de n'avoir jamais pêché, de se priver d'une nourriture aussi saine et facile d'accès.
Le poisson de mer dominant est le cabillaud mais nous avons aussi pêché d'autres espèces comme des poissons plats (flétants) par exemple. Tout les poissons sont comestibles dans la région, même si l'apparence esthétique de certains laisse à désirer. La pêche en mer se résumait à laisser descendre et animer une cuillère ondulante lourde à quelques dizaines de mètres sous le kayak ( à 2 ou 3 mètres du fond ). Plus la profondeur était grande plus les poissons étaient gros, ce n'est pas bien compliqué !
Signalons aussi la présence de moules à certains bivouacs. Pensez à emporter des oignons avec vous !
En eau douce:
La pêche en eau douce de la truite, de l'omble ou des salmonidés migrateurs demande quand à elle un peu plus de technique qui nécessite d'avoir la volonté de s'y intéresser un peu. Nous avons pêché à la cuillère tournante qui donnait des résultats moyens, la pêche à la mouche était plus productive.
En lac et rivières nous pêchions de la truite fario et de l'omble arctique. Dans les embouchures il y a possibilité de pêcher sans payer de permis truites de mer et saumon qui viennent commencer leur migration. La pêche en eau douce est en effet privée donc payante, sauf si vous parvenez à vous faire inviter par les locaux.
Truite de mer prise tard le soir à la mouche dans l'embouchure d'une rivière
Une bonne recette pour cuisiner les salmonidés est de faire griller des amandes pilées dans la popotte avant d'y cuire le poisson. Pour les poissons de mer nous les cuisinions sur des pierres plates en levant les filets lorsqu'ils étaient trop gros. La prochaine fois nous penserons à emporter une petite grille, c'est sans doute moins fastidieux de cette manière.
la cueillette:
Une autre source de nourriture présente en abondance, ce sont les myrtilles et autres baies sauvages. Il y en a tellement qu'il était impossible de ne pas poser la tente dessus lors des bivouacs. Je ne sais pas si l'echinococose alvéolaire existe et constitue une contre indication à la consommation des baies crues en Arctique. Mais les locaux ne semblaient pas émettre de réserves particulières à cette pratique. À part le grignotage « en passant » nous faisions de temps en temps des cueillettes conséquentes que nous laissions bouillir un moment avant de rajouter un peu de sucre. Cela donnait une sorte de confiture à tartiner sur le pain, un vrai régal !
Navigation :GPS, compas ou boussole ne nous ont pas été utiles ( mais nous les avions avec nous par sécurité ). Nous parvenions sans problème à suivre notre progression sur la carte à vue. Pour cet usage notamment des jumelles n'auraient pas été de trop.
L'eau des fjords est calme dans l'ensemble et les courants auxquelles nous avons dû faire face étaient handicapants mais n'empêchaient pas notre progression. Nous avons une fois dû affronter un vent de terre relativement fort qui soufflait aussi dans le sens des fjords, générant des vagues importantes mais pas assez pour nous destabiliser. Nous n'avons jamais versé.
Nous étions également équipé de gilets de sauvetage.
Les norvégiens:Des italiens que nous avons croisés nous ont fait remarquer qu'ils trouvaient les norvégiens distants. Il est certain que les norvégiens sont rarement très extravertis et pour des italiens le contraste ne manque pas de faire impression. Néanmoins je peux affirmer ici que je ne suis jamais encore tombé sur des gens aussi sympathiques et prompts à rendre service. Des norvégiens nous ont plusieurs fois proposé spontanément de nous conduire (jusqu'à un camping, ou pour retourner à Tromso etc...) L'apothéose fut lorsque l'un d'eux nous a, sans hésitations, proposé de nous prêter sa voiture pour aller nous ravitailler ( la dernière coopérative était loin de là où nous étions) tandis qu'il partait pour 2 jours en bateau et n'était donc pas là pour vérifier l'état du véhicule à notre retour. Ceci alors que nous avions simplement demandé, en passant, s'il y avait une coopérative dans la région... Je n'en reviens toujours pas.
Les sâmes :Moi qui pensais pouvoir, comme en Laponie suédoise, me frotter aux peuples ancestraux de la région... Il n'y avait en fait pas un seul Sâme où nous étions. Ce fût l'unique déception de ce Voyage. La seule trace lapone sur laquelle nous sommes tombé était une petite hutte visiblement abandonnée sur une île.
Programme type de nos journées :1.Lever vers 9h ou 10h.
2.Petit déjeuner.
3.Exploration dans les terres, pêche en eau douce (lacs, rivières) et cueillette.
4.Retour au camp, démontage de ce dernier, chargement du kayak.
5.Navigation entrecoupée de 10 à 30 minutes de pêche en mer (pour assurer le repas du soir) et d'une pause casse-croûte.
6.Recherche d'un lieu pour bivouaquer puis accostage.
7.Ramassage du bois, et allumage du feu le plus vite possible (on a froid !).
8.Monter le camp, chercher des pierres plates pour la cuisine, préparer le poisson.
9.Se mettre au chaud près du feu ( enfin !), préparer à manger et la pâte à pain.
10.Manger, laisser reposer la pâte à pain.
11.Prendre le thé et surveiller la cuisson du pain à la lueur du coucher/levé de soleil.
12.Tenir nos journaux de bord et dormir.
Remerciements:Merci à l'équipe de CA pour nous avoir donné l'idée d'explorer cette région et pour les précieux renseignements. Merci à Tounoki ( Nico ), membre du forum, pour le prêt des gilets. Merci à Fanny (rail and ride) pour les informations que nous avons eu via sa propre expérience interrail. Merci à Tipota06, membre du forum et à ses petits enfants pour le don du GPS Magellan. Merci à tout ceux qui m'ont aidé à bricoler une ligne de vie sur le kayak dans le forum « eau » et à tous les autres qui m'ont donné des renseignements par ici et par là sur ce forum ainsi qu'à ceux qui ont lu ce retour d'expérience. J'espère que je n'oublie personne.
Quentin
Plus de photos par ici :
https://picasaweb.google.com/102398635296577941505/UnSillageDansLeGrandNordBlog :
http://un-sillage-dans-le-grand-nord.e-monsite.com/
Nous voilà donc de retour du Grand Nord norvégien après un peu plus de deux semaines de navigation et 4 jours de train ( aller et retour cumulés ). Je vais tenter de mettre un maximum de choses par écrit afin de vous faire partager cette expérience du mieux que je peux.
Je suis tombé amoureux de l'Arctique lors de ma dernière virée en Laponie suédoise en 2010 et je cherchais une destination dans le Grand Nord pour l'été suivant. J'avais pris conscience lors de cette dernière occasion de l'omniprésence de l'eau dans les régions polaires et sub-polaires et je m'étais dit qu'une expédition sur un engin flottant à propulsion humaine s'imposerait si je revenais un jour dans le coin ( ce qui était certain !). J'adore pêcher. La navigation ne pouvait que me rapprocher un peu plus de l'eau et me satisfaire également sur ce point. C'est alors que je commençais à "penser kayak". J'avais d'abord dans l'idée d'aller au Groenland mais mon manque d'expérience en matière de kayak de mer et les difficultés logistiques annoncées m'ont contraint à laisser mon rêve de glace de côté pour cette fois.
C'est en lisant le compte rendu d'expédition de l'équipe du magazine "Carnet d'aventure" l'année dernière que m'est venue l'idée d'explorer cette région magnifique que constitue le système insulaire au Nord Ouest de Tromso ( endroit assez peu connu des kayakistes en fait, contrairement aux îles Lofoten ). Puis j'ai eu la chance de tomber sur les comptes rendus d'expédition en train vers la Laponie de Fanny Cathala. Fanny et son équipe ont dû transporter via les chemins de fer des skis et pulkas, ce qui m'a donné l'idée de transporter un kayak démontable de la même manière. Peu onéreuse et écologique, l'idée me plaisait bien.
J'ai donc acquis au courant de l'année un vieux kayak démontable. Un camarade « Pouch » de trente ans d'âge et fabriqué en RDA qu'il m'a fallu un temps soit peu restaurer afin de le rendre apte à vivre les aventures dans lesquelles je le voyais ( et je le vois toujours ) prendre part.
J'ai exprès choisi un kayak biplace : en effet j'ai encore du mal à m'imaginer voyager seul et je conçois le voyage comme une aventure humaine, une expérience qui se partage. J'ai donc cherché parmis mes amis quelqu'un pour occuper la deuxième place et c'est ainsi que Josua, passionné par le milieu naturel et que je ne connaissais que d'une discussion d'un soir, s'est joint à l'expédition. C'était pour lui une première autant pour ce qui est du kayak que pour ce qui est de la randonnée en autonomie en milieu sauvage. Je le remercie d'avoir toujours été facile à vivre ( je ne peux pas dire que ce soit toujours mon cas !) et d'avoir su garder son sang froid dans des situations parfois un peu stressantes.
Nous avons sanglé le kayak sur un chariot pliable en aluminium que nous rangions à l'aide d'un élastique à l'arrière du kayak lors de la navigation. C'est ainsi que nous avons pris les différents trains censés nous conduire vers l'Arctique. Le transport s'est globalement bien déroulé. Les trains de nuit permettent finalement de parcourir beaucoup de distance sans trop le sentir passer. Ce fut également l'occasion de rencontrer d'autres voyageurs d'origines diverses et toujours très sympathiques. Nous avons beaucoup discuté et avons appris plein de choses. Le transport ferroviaire n'est pas seulement un mode de transport : dans ce cadre c'est une véritable conception du Voyage, un art de voyager qui place le lien humain au centre de ses objectifs.
D'un point de vue pratique, promener le kayak dans les gares et sur les quais s'est révélé plus facile que je ne l'imaginais. Nous avons toujours trouvé à le caser dans un coin (ou plusieurs en démontant notre paquetage !). Je dois faire remarquer que le train nous emmenant de Stockholm vers Narvik est très pratique puisqu'il possède des placards à skis dans tous les wagons. Nous avons cependant eu quelques heurts avec certains membres du personnel peu complaisants de la Deutsche-Bahn. Il faudra penser la prochaine fois à réserver une place pour un vélo lorsqu'on empruntera leurs trains avec un kayak.
Le train étant finalement presque aussi onéreux que l'avion si on ne fait pas attention, nous nous sommes fournis, sous les bons conseils de Fanny, des cartes interrails de 22 jours de validité permettant 10 jours de voyage en train. Si vous souhaitez tenter l'expérience il vous faudra toutefois penser à réserver vos places à l'avance malgré tout, au risque de vous retrouver coincé si les trains sont complets. Les réservations se payent en supplément ( 4 à 10 euros par train, c'est acceptable ).
Ca y est nous sommes partis !
Tout au long de notre lente migration en train vers le Nord, nous observions avec curiosité les paysages et les espèces végétales changer.
Nous avons vu disparaître l'érable, le chêne et s'étendre jusqu'à l'horizon les sapins de la forêt boréale. Ces derniers nous ont à leur tour abandonnés pour laisser la place aux bouleaux qui progressivement sont devenus nains, cédant par ci par là des parcelles entières à la toundra et aux tourbières rougoyantes que ponctuent les pompons blancs des linaigrettes.
C'est à ce titre que le voyage en train prend la dimension d'un voyage dans le temps vers la dernière glaciation, bien que nous nous soyons cette fois arrêtés juste avant le front des glaces.
Ce voyage vers le passé fut l'occasion, dans une certaine mesure, de retourner aux premiers âges d'une humanité naissante, qui 10 000 ans plus tard allait changer le visage de la terre.
Linaigrette
Tout en longeant les fjords en bus et une fois arrivé à Tromso nous étions d'abord très dubitatifs : les côtes norvégiennes sont très habitées et recouvertes d'un maillage d'asphalte conséquent. J'avais peur de ne pas trouver les espaces sauvages tant escomptés. Le dernier bus qui nous emmenait vers l'île de Ringvassoya, notre point de départ en kayak, nous a quelque peu rassuré : les paysages se vident peu à peu de leurs habitations et les routes deviennent de plus en plus petites. Je gardais toutefois en tête l'éventualité d'un repli sur les grand lacs Suédois au cas où. Nous avons finalement trouvé entière satisfaction à nos rêves de vie sauvage.
Le Bus nous a laissé dans un hameau nommé "Hansnes" ou nous avons monté, non sans excitation, le kayak pour donner nos premiers coups de pagaie de l'expédition : déballage et vérification de l'état du matériel. S'en est suivi le premier bivouac le soir même. Le lendemain le spectacle des cétacés chassant sous nos yeux lors du petit déjeuner annonçait la couleur : ce voyage allait être génial !
« Nous avons de la chance, un courant nous conduit avec douceur vers notre prochain bivouac. Le ciel est couvert mais le soleil perce par endroit. Droit devant nous se dresse dans la mer une chaîne de montagnes aux sommets enneigés.
Des marsouins nous accompagnent à babord et à tribord successivement, passant forcément sous le kayak à plusieurs reprises. Seuls leurs ailerons et dos suaves percent la surface tandis que leurs respirations répétées rythment ce ballet fantastique. Ici et là des phoques suspicieux surveillent notre mascarade de leurs grands yeux noirs et brillants. »
« Je vais chercher de l'eau à la rivière afin de préparer la pâte à pain. Il commence à faire sombre : mine de rien le mois d'Août avance et annonce déjà l'Automne qui est assez précoce en Arctique. Il fait frais et je cours me réinstaller près du feu, seule source d'un confort non superflu.
Ca y est nous les entendons, c'est l'heure ! Leurs brâmes aïgus et boisés résonnent au dessus du lac. Difficile de dire où se trouve exactement le ou les troupeaux. Car il semble même qu'un premier groupe communique avec un second situé à 3 km approximativement sur la berge d'en face. Les rennes sont là, bien que pour le moment nous n'en ayons pas encore vu l'ombre d'un seul.
Nous nous levons tôt le lendemain et empruntons le kayak pour une opération de recherche. Une fois au milieu du lac nous tentons d'imiter le brâme du renne, fi du ridicule, de toute façon nous sommes seuls. Il semble que nous nous soyons pas trop mal débrouillé car voilà que des cris s' élèvent de tout les côtés et se répondent tour à tour. La satisfaction éclaire nos visages. Un deuxième essai fructueux puis un troisième décevant comme tout ceux qui suivront : les rennes semblent avoir detecté la supercherie. »
« Nous traversons un premier bras d'Adamsfjord. Pas un seul bruit ne vient troubler la quiétude des lieux si ce n'est le kayak solitaire glissant avec grâce sur l'onde .
Nous nous arrêtons quelques fois de pagayer afin de nous imprégner de ce silence, grave. Un mutisme qui en dit long à qui veut bien l'entendre.
Voilà qu'un vent faible s'est levé dans le sens du fjord. La surface de l'eau se ride tandis que les fils tendus des cannes à pêche se mettent à vibrer et entament un chant cristallin polytonal aux allures d'acouphènes que provoquerait un silence trop bruyant.
Pris dans l'étreinte de montagnes sombres et imposantes, je ne me sens pas vraiment à l'aise : ici règne une sorte de force ni malfaisante, ni particulièrement bienfaisante, mais qui rumine dans le calme on sait trop bien quels tourments : il y a longtemps que l'humanité n'a plus pris le temps de l'interroger et elle est à deux doigts de lui rappeler qu'elle est définitivement maîtresse de cette terre.
Le calme avant la tempête dites-vous ? »
Nourriture, cueillette et pêche :
La nourriture est coûteuse en Norvège. Nous nous sommes ravitaillés trois fois au total, nous étions rarement en manque.
Pain:
Nous avons fait plusieurs fois notre pain nous même. Nous laissions cuire des petits pains sur des pierres plates à coté du feu en les tournant régulièrement afin d'éviter qu'ils ne brûlent. Cette étape nous demandait beaucoup d'attention. La fabrication rapide d'un four à pain avec les pierres disponibles directement autour du campement est une piste à explorer.
Poisson:
En mer:
Le poisson est abondant dans les fjords. Tellement abondant qu'il serait dommage, sous prétexte de n'avoir jamais pêché, de se priver d'une nourriture aussi saine et facile d'accès.
Le poisson de mer dominant est le cabillaud mais nous avons aussi pêché d'autres espèces comme des poissons plats (flétants) par exemple. Tout les poissons sont comestibles dans la région, même si l'apparence esthétique de certains laisse à désirer. La pêche en mer se résumait à laisser descendre et animer une cuillère ondulante lourde à quelques dizaines de mètres sous le kayak ( à 2 ou 3 mètres du fond ). Plus la profondeur était grande plus les poissons étaient gros, ce n'est pas bien compliqué !
Signalons aussi la présence de moules à certains bivouacs. Pensez à emporter des oignons avec vous !
En eau douce:
La pêche en eau douce de la truite, de l'omble ou des salmonidés migrateurs demande quand à elle un peu plus de technique qui nécessite d'avoir la volonté de s'y intéresser un peu. Nous avons pêché à la cuillère tournante qui donnait des résultats moyens, la pêche à la mouche était plus productive.
En lac et rivières nous pêchions de la truite fario et de l'omble arctique. Dans les embouchures il y a possibilité de pêcher sans payer de permis truites de mer et saumon qui viennent commencer leur migration. La pêche en eau douce est en effet privée donc payante, sauf si vous parvenez à vous faire inviter par les locaux.
Truite de mer prise tard le soir à la mouche dans l'embouchure d'une rivière
Une bonne recette pour cuisiner les salmonidés est de faire griller des amandes pilées dans la popotte avant d'y cuire le poisson. Pour les poissons de mer nous les cuisinions sur des pierres plates en levant les filets lorsqu'ils étaient trop gros. La prochaine fois nous penserons à emporter une petite grille, c'est sans doute moins fastidieux de cette manière.
la cueillette:
Une autre source de nourriture présente en abondance, ce sont les myrtilles et autres baies sauvages. Il y en a tellement qu'il était impossible de ne pas poser la tente dessus lors des bivouacs. Je ne sais pas si l'echinococose alvéolaire existe et constitue une contre indication à la consommation des baies crues en Arctique. Mais les locaux ne semblaient pas émettre de réserves particulières à cette pratique. À part le grignotage « en passant » nous faisions de temps en temps des cueillettes conséquentes que nous laissions bouillir un moment avant de rajouter un peu de sucre. Cela donnait une sorte de confiture à tartiner sur le pain, un vrai régal !
Navigation :
GPS, compas ou boussole ne nous ont pas été utiles ( mais nous les avions avec nous par sécurité ). Nous parvenions sans problème à suivre notre progression sur la carte à vue. Pour cet usage notamment des jumelles n'auraient pas été de trop.
L'eau des fjords est calme dans l'ensemble et les courants auxquelles nous avons dû faire face étaient handicapants mais n'empêchaient pas notre progression. Nous avons une fois dû affronter un vent de terre relativement fort qui soufflait aussi dans le sens des fjords, générant des vagues importantes mais pas assez pour nous destabiliser. Nous n'avons jamais versé.
Nous étions également équipé de gilets de sauvetage.
Les norvégiens:
Des italiens que nous avons croisés nous ont fait remarquer qu'ils trouvaient les norvégiens distants. Il est certain que les norvégiens sont rarement très extravertis et pour des italiens le contraste ne manque pas de faire impression. Néanmoins je peux affirmer ici que je ne suis jamais encore tombé sur des gens aussi sympathiques et prompts à rendre service. Des norvégiens nous ont plusieurs fois proposé spontanément de nous conduire (jusqu'à un camping, ou pour retourner à Tromso etc...) L'apothéose fut lorsque l'un d'eux nous a, sans hésitations, proposé de nous prêter sa voiture pour aller nous ravitailler ( la dernière coopérative était loin de là où nous étions) tandis qu'il partait pour 2 jours en bateau et n'était donc pas là pour vérifier l'état du véhicule à notre retour. Ceci alors que nous avions simplement demandé, en passant, s'il y avait une coopérative dans la région... Je n'en reviens toujours pas.
Les sâmes :
Moi qui pensais pouvoir, comme en Laponie suédoise, me frotter aux peuples ancestraux de la région... Il n'y avait en fait pas un seul Sâme où nous étions. Ce fût l'unique déception de ce Voyage. La seule trace lapone sur laquelle nous sommes tombé était une petite hutte visiblement abandonnée sur une île.
Programme type de nos journées :
1.Lever vers 9h ou 10h.
2.Petit déjeuner.
3.Exploration dans les terres, pêche en eau douce (lacs, rivières) et cueillette.
4.Retour au camp, démontage de ce dernier, chargement du kayak.
5.Navigation entrecoupée de 10 à 30 minutes de pêche en mer (pour assurer le repas du soir) et d'une pause casse-croûte.
6.Recherche d'un lieu pour bivouaquer puis accostage.
7.Ramassage du bois, et allumage du feu le plus vite possible (on a froid !).
8.Monter le camp, chercher des pierres plates pour la cuisine, préparer le poisson.
9.Se mettre au chaud près du feu ( enfin !), préparer à manger et la pâte à pain.
10.Manger, laisser reposer la pâte à pain.
11.Prendre le thé et surveiller la cuisson du pain à la lueur du coucher/levé de soleil.
12.Tenir nos journaux de bord et dormir.
Remerciements:
Merci à l'équipe de CA pour nous avoir donné l'idée d'explorer cette région et pour les précieux renseignements. Merci à Tounoki ( Nico ), membre du forum, pour le prêt des gilets. Merci à Fanny (rail and ride) pour les informations que nous avons eu via sa propre expérience interrail. Merci à Tipota06, membre du forum et à ses petits enfants pour le don du GPS Magellan. Merci à tout ceux qui m'ont aidé à bricoler une ligne de vie sur le kayak dans le forum « eau » et à tous les autres qui m'ont donné des renseignements par ici et par là sur ce forum ainsi qu'à ceux qui ont lu ce retour d'expérience. J'espère que je n'oublie personne.
Quentin
Plus de photos par ici : https://picasaweb.google.com/102398635296577941505/UnSillageDansLeGrandNord
Blog : http://un-sillage-dans-le-grand-nord.e-monsite.com/
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