Du Léman au Cap Nord: 5'800 km en kayak de mer
Et si l'on reprenait la route. Une route différente avec pour seule ligne blanche l'écume et la neige ? Et si l'on reprenait la route non pas que pour nous, mais pour une raison plus grande transcendant le simple fait de voyager ? 5'800km en kayak de mer pour rejoindre le cap Nord dont 600km de marche, en hiver, en tractant nos bateaux à travers la mythique Laponie. Cap Kayak est la réponse à nos envies, nos besoins, une nouvelle aventure en faveur des enfants atteints d'un cancer.
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randonnée/trek
kayak de mer
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Carnet publié par Chasseurs d horizon
le 27 oct. 2023
modifié le 02 juil.
modifié le 02 juil.
Mobilité douce
du pas de la porte au pas de la porte
Précisions :
ou presque. Partis de la maison avec nos kayaks et baskets, nous avons laissé toutes les portes ouvertes pour le trajet du retour... Mais où débute le retour quand un voyage n'a pas de fin ?
Coup de coeur !
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Vue d'ensemble
Le topo : Départ, lacs suisses et descente du Rhin. (mise à jour : 27 oct. 2023)
Distance section :
1206km
Dénivelées section :
+712m /
-1090m
Section Alti min/max : 0m/887m
Description :
Suisse, France, Allemagne, Pays-bas, les frontières se succèdent, mais toujours devant nous ce fil bleu. Loin d'être un long fleuve tranquille, il nous surprendra en volant nos kayaks, il nous épuisera, nous congèlera et nous émerveillera. Entre industries outrancières et paysages bucoliques, le Rhin, surtout, nous ouvrira les portes de l'océan Atlantique.
Milieu traversé :
Environnement : [fleuve]
Le compte-rendu : Départ, lacs suisses et descente du Rhin. (mise à jour : 27 oct. 2023)
DE VEVEY À ALTREU - 31.03.2022
Premier jour de repos « forcé », non loin d'Altreu, au bord de l'Aar. Hier la bise fut telle que nous n'avons réalisé que 6 km en 3h30. « Ca n'a pas de sens », pensée surgissant de mes tréfonds alors que je pagayais de toutes mes forces pour ne pas reculer. Le simple fait de ramener ma pagaie en avant était une lutte contre un mur de vent. « Ca n'a pas de sens » ; l'Aar semblait couler avec enthousiasme au sud alors qu'elle est sensée nous emmener au nord. Quel est donc le sens de lutter d'arrache corps contre Eole pour un si maigre résultat, alors qu'il nous suffit de patienter que la bise s'envole pour parcourir sans effort et en un rien de temps la même distance ? S'autoriser à prendre ce temps, s'accorder la non-action, alors que nous n'en sommes qu'aux balbutiements de notre voyage, est-ce peut-être là l'essentiel ? Alors oui, nous nous accordons une journée au bord de la rivière, à prendre le temps. Pour Olivier d'observer les oiseaux qui nichent et convolent non loin, d'écrire pour ma part. Et puis de revenir sur ces premiers jours de voyage...
Après un « café de départ » le samedi 12 mars à Vevey, entourés d'une centaine d'amis et membres de nos familles, nous parcourons à pied et sur deux jours la cinquantaine de kilomètres qui nous sépare des rives du lac de Neuchâtel, en compagnie d'un groupe d'amis qui s'éclaircit au fil des lieues. A Grandson, nous sommes accueillis par Tessalia, Benoît et Malo, qui nous reçoivent avec l'hospitalité propre aux voyageurs qui ont reçu. Lundi 14, nos deux kayaks rejoignent enfin l'élément pour lequel ils ont été conçus. Sous les regards d'un petit groupe d'amis, mais aussi de médias, nous nous essayons nerveusement à la mise en pratique du Tétris de nos bagages auparavant élaboré. C'est indéniable, une belle marge de progression est possible dans nos gestes pour l'heure encore maladroits. Et puis des aurevoirs, à nouveau, et cette fois pour de bon. Nous lâchons la rive sécurisante et nous nous jetons à l'eau.
Pourtant, notre réalité de voyage à deux n'est pas encore à l'ordre du jour, puisque nous sommes suivis par Matthieu et Tim, pour la série de Passe-moi les Jumelles, accompagnés de Yves qui les véhicule sur son bateau. Les prémices d'une aventure dans le voyage... Sous leurs objectifs nous donnons nos premiers coups de pagaies, nous ressortons notre tente de son étui, nous renouons à la vie sans toit ni murs, mais surtout, nous commençons à découvrir ce que l'itinérance au fil de l'eau nous réserve...
Deux premiers jours remplis d'indénombrables aurevoirs emprunts d'émotions vives où se mêlent l'excitation de rejoindre notre vie sur les routes et la tristesse de quitter ceux qui nous sont chers. #Aline
Le Vagabond, notre lettre de nouvelles au format magazine, téléchargeable sur notre site https://chasseursdhorizon.com/le-vagabond
OUI AUX CENTRALES À CHARBON ET SOUS-ÉVALUATION; UNE EXPÉRIENCE HYDROÉLECTRIQUE HELVÉTIQUE - 08.04.2022
Quand le stylo me gratte, et que le dos se fait sentir, c'est d'une humeur maligne que j'attaque la page blanche. Peut-être pour trancher avec une certaine morosité engendrée par cette action éreintante qu'est le portage ? Comment vous faire vivre ne serait-ce que l'un d'entre eux, si ce n'est en osant un titre à l'échelle de ce labeur : long et aux limites de l'absurde. Ici, le portage prend un « s ». Sortir les kayaks et le matériel de l'eau, parfois tourner autour d'un bâtiment, puis d'un deuxième, et tout remettre à l'eau. Le procédé est simple.
Sauf que... nous avons pas loin de 140kg de matériel et que la sortie est bien souvent éloignée de plusieurs centaines de mètres du retour à l'eau. Il y a naturellement, parfois et quand cela veut bien fonctionner, des chariots électriques pour soulager nos efforts. Ici c'est un homme qui s'emploie à tracter nos kayaks, là trois, et là... zéro. C'est le weekend et l'employé chargé de cette tâche est sûrement parti à l'apéro pensant que la saison de navigation n'est pas encore ouverte. A chaque barrage, notre demande se fait via un interphone. Une voix germanique qui jamais ne s'autorisera un peu d'anglais ou de français nous répond ; le ton oscillant entre incompréhension et bienveillance. Et si nous accusons quelques refus, c'est uniquement pour l'utilisation des écluses qui sont réservées aux bateaux à moteur. Trop dangereux selon certains, qui nous envoient à des alternatives où nous nous esquintons le dos sur des structures mal pensées et où l'on doit parfois s'inventer pilote de grue à bateaux en autodidacte.
Enfin, sous un soleil bien chaud pour la saison, nous passons d'une aventure hydroélectrique à une autre, sans heureusement tomber dans la mésaventure. L'énergie se perd donc, là où elle se crée. Et ce sont les heures qui s'accumulent dans le grand réservoir des heures perdues. Voleuses d'un temps précieux, ces structures de fer et de béton nous privent d'un courant naturel pour en produire un artificiel, qui finira peut-être dans un rameur de salle de fitness !?! #Olivier
DE ALTREU À RHINAU - 08.04.2022
Nos journées de kayaks monopolisent notre temps et notre énergie et ce n'est que parce que nous avons opté pour une journée off que je peux à nouveau prendre la plume. Une pause dictée cette fois-ci par des soucis administratifs à résoudre et encouragée par une météo pluvieuse.
Altreu me paraît déjà si loin... Depuis nous avons quitté l'Aar, dont les rives furent un réel théâtre à ciel ouvert pour qui apprécie le spectacle de la vie ornithologique. En cette période de reproduction, nous assistons, en première loge depuis nos kayaks, aux parades amoureuses des grèbes huppés, à la confection par les foulques de leurs nids de roseaux, aux vols vrombissants des cygnes...
De Wynau à Brugg, nous voyageons à nouveau en compagnie de Tim et Matthieu (Paju), cette fois-ci accompagnés de Sarah et Laurent et de leurs bateaux. Un épisode aux allures gastronomiques inattendues, où rissoles, rosbeef, salade de pomme de terre et gâteaux sortent du sac de Sarah comme le parapluie ou l'abajour de celui de Mary Poppins.
Mais c'est en solo que nous franchissons le cap significatif du passage de l'Aar au Rhin et c'est au son des fifres et tambours que nous traversons avec émotion Bâle. Jusqu'à présent, le trafic des péniches est confortable, pour ne pas dire distrayant ; nous nous amusons des vagues laissées derrières elles et faisons chanter le nom de celles qui nous inspirent. Jusqu'à présent, les capitaines ont un comportement respectueux de nos vulnérables embarcations, tout comme nous restons vigilants à ne pas les gêner dans leur trajectoire. C'est avec un regard envieux que nous les observons s'enfiler dans les écluses, qui, depuis Bâle, nous sont refusées. Plus de trois heures d'effort nous attendent à chaque barrage, contre quelques minutes d'éculsage pour les bâteaux à moteur. Car oui, la distinction est là : moteur ou absence de moteur. Si les employés de la compagnie hydroélectrique EDF respectent avec rigueur le règlement, c'est avec désolation – ou pitié - qu'ils nous regardent. Se sentant un peu coupable, l'un d'entre eux m'offre neuf litres d'eau. Et non, ce geste n'avait rien de cruel, même si ces 9 litres, il a fallu les porter...
Aujourd'hui nous avons passé six barrages ; il nous en reste quatre. Ici le chiffre est important, il s'agirait de ne pas se méprendre sur le décompte. Car la musique, que nous connaissons maintenant par coeur, devient répétitive et nous avons hâte d'entonner des mélodies plus légères. Comme les notes sur une partition, nos gestes sont orchestrés : repérer l'opportunité de sortir du canal le plus proche possible du barrage, amarrer le kayak d'Olivier, vider mon kayak de tous ses bagages, porter mon kayak sur la terre ferme, vider le kayak d'Olivier, porter le kayak sur terre. Enlever nos combinaisons étanches et mettre nos baskets, observer l'environnement et les accès possibles pour rejoindre le fleuve au-delà du barrage, définir l'option la plus efficiente. Porter les bagages et les kayaks d'un poids total de 140kg sur une portion de cet itinéraire qui nous permette de garder un oeil sur l'ensemble de nos biens et cela en 9 trajets chacun. Réitérer la procédure pour une 2ème, 3ème, 4ème...portion jusqu'à atteindre l'accès de remise à l'eau. Une distance de 800 mètres se transforme alors en un portage de 7,2km. Remettre nos combinaisons étanches, jupes et gilets. Descendre mon kayak et le mettre à l'eau, le charger et l'amarrer. Descendre le kayak d'Olivier et le charger. Libérer mon kayak puis... reprendre la route.
En parlant de reprendre la route... force est de constater qu'il nous manque encore un vocabulaire de circonstance. Si nous ne pouvons reprendre la route, nous ne pouvons encore prendre la mer. Que pouvons-nous donc reprendre, si ce n'est notre questionnement... Au-delà du vocabulaire, il nous a fallu apprendre un nouveau langage, celui des panneaux de signalisation fluviale. Panneaux qui pour les principaux font déjà partie de notre environnement visuel familier.
Si nos corps se sont adaptés à la nouvelle activité quotidienne qu'est le kayak avec un certain brio, ils ont su nous remettre à l'ordre, nous et notre empressement. Nous leurs avons imposé une réalité de voyage propre à ceux qui ont quitté le confort sédentaire depuis bien des kilomètres alors que nos corps étaient à peine extraits d'un environnement fait de confort et d'hygiène. Consommer l'eau de l'Aar ne fut peut-être pas des plus judicieux pour un organisme encore rôdé à l'eau filtrée. Clémence et bienveillance envers nos organismes sont nécessaires car ils n'ont pas évolué au même rythme que nos esprits qui eux, naviguent vers des contrées lointaines depuis des mois déjà... Car oui, en ce début de voyage, il y a une certaine dysharmonie entre nos acquis forgés lors des précédents voyages, la réelle nouveauté amenée par notre mode de déplacement actuel et nos corps.
Et comme pour tout début, il y a la série des « premières fois », lesquelles bientôt prendront des allures de routine, comme les premiers achats au magasin. Chevauchant la frontière helvético-allemande, nous apercevons une enseigne Aldi du côté allemand ; l'occasion est trop belle pour la laisser filer car les commerces poussent au bord de l'eau comme les fougères dans le Sahara. Nous accostons à un ponton en bois et en tenue de kayakiste je me faufile au-delà des roseaux jusqu'au supermarché, après avoir pris soin tant bien que mal de vider l'eau accumulée dans les replis de ma combinaison et d'ôter les paquets de boue de mes chaussures. Je déambule ainsi nonchalamment entre les rayons, affublée d'un masque de surcroît, jusqu'à m'apercevoir que je laisse derrière moi de grosses flaques brunâtres. Autant dire que j'ai quelque peu précipité mes achats pour retourner dans l'environnement où mon apparat reprend de sa superbe.
Jusqu'à aujourd'hui nous avons pu faire nos premières armes sous les hospices de Râ ; la pluie et le froid nous contraindront à adopter de nouvelles stratégies, nous le savons. La percussion des gouttes de pluie sur notre tente protectrice nous rappelle aujourd'hui cette réalité. #Aline
DE RINHAU À IFFEZHEIM - 22.04.2022
Comme prévu, il nous a fallu composer avec une météo plus humide que les premières semaines de voyage. Nous n'avions par contre pas imaginé devoir s'adapter à des conditions aux allures hivernales. Tout de même, -5°C., de la neige et de la grêle, ce n'est pas normal pour la saison... Voilà bien une phrase qui revient sans cesse durant nos voyages, quelle que soit la latitude. Ce n'est pas normal pour la saison...
Nous avons donc dû trouver de nouvelles stratégies organisationnelles. Comment mettre et enlever la combinaison étanche sous la tente lorsqu'il pleut ? Comment éviter d'amener de l'humidité supplémentaire à l'intérieur de la tente ? Comment ne pas exposer les bagages sensibles à la pluie lorsqu'il faut les charger, décharger, transporter et recharger lors des portages aux écluses ?
Certaines affaires comme les gilets ou notre réserve de livres sont alors stockées dans nos kayaks la nuit afin de nous offrir plus de place dans la tente et les hiloires de nos kayaks sont « jupées » afin d'éviter qu'elles ne se remplissent d'eau. Nous prévoyons des repas froids pour s'éviter la tâche de la cuisine sous la pluie. Nous avons sorti nos manchons de pagaie pour offrir quelques degrés supplémentaires à nos mains mises à mal par le froid et les gants congelés et j'ajoute des sous-vêtements thermiques sous ma combinaison étanche. Et puis nous avons réduit nos objectifs quotidiens à une seule écluse (et donc portage) par jour. Une fois l'objectif atteint, nous nous réfugions sous la tente, laquelle nous offre la possibilité de nous réchauffer au sec. Ceci à l'exception du pied droit d'Olivier, lequel souffre de manière préoccupante du froid et d'un probable frottement lors du pagayage. Cela nous donne matière à réflexion, surtout lorsque le petit orteil prend des couleurs violacées...
Mais c'est lors de ces journées où le courage est recruté dès le réveil, où la volonté est nécessaire rien que pour envisager sortir du sac de couchage, où le vent de face nous malmène au point de se résoudre à monter le campement 2 km plus loin que la veille, que les plus belles fleurs peuvent éclore. Oliver, un Allemand qui nous voit littéralement ramer sur le fleuve, nous propose son aide pour sortir nos kayaks des eaux déchaînées. Plus tard, après nous être réfugiés dans notre tente, à l'abri du vent et de la neige, un bruit de moteur se fait entendre à proximité. Laissant mes rêveries vagabonder à voix haute je m'exclame en plaisantant : « tiens, voilà le service traiteur ». Et voilà Oliver qui revient à nous, un panier picnic au bras. « Olivier ? » appelle-t-il « je vous ai amené du café, des oeufs durs et de la tarte aux pommes »... Il sort 3 tasses en céramique de son panier, y verse du café, ajoute un nuage de lait dans celui d'Olivier et nous sert de splendides parts d'un gâteau pâtissé par son épouse. Après un moment de partage, Oliver s'en va. En début de soirée, un nouveau bruit de moteur. Et là, c'est à Olivier de plaisanter : « c'est le souper qui arrive ». Et oui... Oliver revient avec Claudia, son épouse, qui nous tend des muffins au fromage à peine sortis du four, des bananes, des oeufs, du chocolat et... une bouteille de rouge. Nous restons sans voix, ou du moins nous en reste-t-il juste de quoi leur exprimer notre gratitude. Plus tard, par message, ils nous avoueront avoir souhaité nous inviter chez eux, mais ne pas avoir de quoi y acheminer nos kayaks. « La prochaine fois que vous venez dans la région, avertissez-nous que l'on puisse organiser une remorque ! ».
Voyager en kayak influence inévitablement les interactions avec les autochtones et autres voyageurs. Si nous en avions conscience théoriquement avant de partir, nous en faisons le constat effectif. Nous avons bien croisé quelques autres kayakistes, des habitants de la région sortis à la journée, mais discuter sur une eau en mouvance, lorsque les uns sont portés par le courant et les autres luttent pour aller de l'avant, n'est pas chose aisée et réduit considérablement la durée des échanges. Et puis si nous rencontrons des personnes aux intentions généreuses telles que Oliver et Claudia, ou tel qu'Elias, un Français qui me prend en stop pour aller faire mes courses et nous invite chez lui, rares sont ceux qui ont leur domicile accessible à notre convoi.
Iffezheim sonne comme la fin des portages. Les trois dernières écluses nous ont réservé quelques surprises, alors que nous pensions reprendre le refrain des 7 premières. N° 8 : aucun escalier pour sortir du fleuve contenu entre des parois de béton pentues et glissantes. Olivier redouble de maîtrise et d'ingéniosité pour sortir nos kayaks de l'eau grâce à un système de rappel, équipé d'une corde et profitant d'un point d'ancrage de fortune. N°9 : rebelote, nous revoilà bloqués sans issue ; Olivier confirme l'efficacité de son système en rappel. Sauf que cette fois-ci, il revient de son tour de prospection des environs en me disant : « Remets ta combi Aline, ils vont nous écluser »... de quoi me laisser en équilibre entre la réjouissance de ne pas avoir à porter notre lourd barda et la perplexité face au fait qu'il nous faut remettre toutes nos affaires à l'eau dans ce contexte acrobatique. N°10 : une centaine de mètres avant l'écluse, un petit panneau illustrant un bateau à rames indique qu'il nous faut sortir de l'eau. En contre-bas du canal, une petite rivière nous attend, laquelle contourne l'écluse, tout en douceur et sans effort.
Devant nous se tiennent l'Allemagne et un Rhin libéré de toute écluse. Du moins nous l'a-t-on promis. #Aline
DE IFFEZHEIM AUX PORTES DES PAYS-BAS - 22.04.2022
Chose promise, chose due ! Plus d'écluse, donc augmentation du courant, pour notre plus grand plaisir... mais pas que. Marins d'eau douce a pris tout son sens en ce matin du 9 avril. Alors qu'Olivier sort aux aurores faire ses besoins, il me crie « Aline, viens vite, les kayaks sont dans l'eau ! ». Et nos deux compagnons de voguer librement et en toute insouciance dans la baie qui leur sert de terrain de jeu ou peut-être – heureusement pour nous – d'enclos... Olivier s'empresse d'aller les repêcher, bravant une eau glaciale qui lui lèche les culottes. Les kayaks sont recouverts de neige mais nul besoin de cette preuve pour savoir que les températures sont négatives. Pourtant, la veille au soir, nous les avions remontés sur la berge et les pensions bien à l'abri des vagues imposées par le passage des péniches et autres palaces flottants. Alors est-ce que ce sont les pluies de ces derniers jours qui ont fait monter le niveau du Rhin ? Les évènements des jours suivants corroboreront cette hypothèse : plusieurs matins d'affilée, les kayaks se retrouvent dans l'eau alors qu'ils étaient au sec la veille. Mais depuis ce 9 avril, mal nous en a pris, nous les attachons à un point fixe sur la terre ferme. Encore une fois, nous chantons les louanges d'Yves, le premier « capitaine » de l'équipe Paju, qui nous a offert cette corde. Eh oui, marin est un métier... Et pour peu nos kayaks atteignaient la mer avant nous.
Si le niveau du Rhin s'élève durant quelques jours, nous l'observons également redescendre. Et cette fois, ce sont les rives qui changent de visage. Là où nous avions pu accoster sans encombre en fin de journée grâce à une plage de sable, une barrière de grosses pierres nous accueille au matin. Au camping de Kasselberg, où nous prenons notre première douche après un généreux mois de voyage, un habitué nous explique que chaque année, les mobile-homes et caravanes installés de manière permanente doivent être déplacés de quelques centaines de mètres en raison de la crue. Une réalité loin de celle des Lémaniques que nous sommes.
Le passage des grandes villes telles que Mainz, Cologne, Düsseldorf, se réalise en fin de compte plus aisément qu'imaginé. En lieu et place des zones urbaines sans discontinuité qui nous avaient fait redouter la recherche de lieux de bivouacs, nous découvrons pléthore de plages, de forêts et de verdure. Certes empruntées par de nombreux promeneurs de chiens ou familles en balade, mais l'expérience nous a fait prendre confiance dans la bienveillance - ou l'indifférence - avec laquelle les autochtones considèrent notre campement. La traversée de la Loreley elle aussi défie les préconceptions. Avertis par plusieurs personnes dont un kayakiste local de la difficulté à naviguer dans certaines des aires de cette région, nous appréhendions sa traversée. Force est de constater que certes, les courants mènent la vie dure.. .aux conducteurs des gros bateaux. Quant à nous, petites embarcations légères et maniables, ils nous offrent de manière appréciée un peu de relief à une eau souvent calme. Tout comme le paysage, composé de châteaux fascinants, de bâtisses somptueuses et de collines sinueuses, amène un dynamisme dans notre environnement jusqu'alors relativement linéaire.
La rencontre de Gaby et Heinz salue la fin de notre traversée de l'Allemagne. Alors que nous pique-niquons peu avant le village de Rees, Heinz nous aborde. Apprenant que nous recherchons un lieu pour faire le plein en eau, il se propose de se rendre à la ville avec sa femme et nos vaches à eau et de nous y attendre. Vêtu d'un splendide T-shirt jaune fluo, les risques de le louper sont minces, alors nous acceptons. Décision heureuse puisqu'en plus d'être à nouveau approvisionnés en eau potable, nous partageons une bière tous les quatre sur la plage, avant de reprendre nos chemins respectifs.
Concernant l'eau, en avoir de manière illimitée sous nos kayaks ne signifie pas pour autant en avoir facilement pour la consommation. Dans un premier temps nous avons acheté quelques bouteilles ; solution des plus critiquables mais qui répondait à notre manque d'énergie à déployer à cette période pour cette problématique. Ensuite, nous avons sorti notre filtre à eau et avons pu ainsi purifier quelques litres. Puis le Rhin, alimenté par les pluies du début du mois, s'est chargé en limon et filtrer est devenu impossible. Nous avons donc exploré les alternatives et fait le pas d'aller en demander : dans un parking à camping-car, dans un garage à bateaux... Jusqu'à présent, jamais elle ne nous a été refusée. Et si elle n'était pas disponible au robinet, on nous l'a offerte... en bouteille.
Quitter l'Allemagne, c'est aussi se séparer du Rhin. Après 760 km à le côtoyer, nous le quittons pour l'un de ses défluents, l'Ijssel, qui nous mènera sous peu à la mer et à Amsterdam. #Aline
DES PORTES DES PAYS-BAS À AMSTERDAM - 04.05.2022
Ayant voyagé à vélo sur plusieurs années, il m'est difficile de ne pas comparer l'expérience d'aujourd'hui à celle d'hier. Et je réalise, arrivant au terme de nos chemins d'eau que furent l'Aar, le Rhin puis l'Ijssel, que ceux-ci nous ont offert un univers sensoriel somme toute limité. La découverte aux Pays-Bas d'un lapin bondissant sur la rive puis d'un chevreuil paissant non loin de notre bivouac m'a fait prendre conscience que jusqu'à présent, la faune sauvage perçue le long des rives s'est résumée à l'ornithologique. La plupart du temps, les rives sont faites de minéraux et de végétaux, et si notre chemin d'eau sectionne parfois une ville, nous n'avons que très peu de visibilité sur l'urbanité qui nous entoure. Ma perception est toutefois légèrement plus vaste que celle d'Olivier, puisque généralement c'est à moi qu'incombe la tâche de m'aventurer en ville pour faire les courses. Un pommier en fleurs humé au cours d'une balade à pied me rappelle à quel point le parfum des fleurs printanières me manque. Mis à part les odeurs de quelques grosses usines allemandes et le carburant des péniches, notre expérience olfactive est des plus pauvres. En plus de leurs effluves, les grosses péniches nous saisissent de leur bruit sourd et profond, que l'on ressent plus que l'on entend. Le bruit du vent aussi est présent, lui qui s'installe comme un paravent dans nos conversations et les ponctue de « comment ? » « quoi ? » « répète !»... Avec l'arrivée à la mer, de nouvelles sensations sont attendues : l'odeur du poisson, le goût du sel, le bruit des mouettes et des vagues s'échouant sur la rive, la vue à perte d'horizon... Mais là encore, il s'agit à n'en pas douter d'une projection que la réalité saura corriger au fil des jours.
L'Ijssel, défluent du Rhin et alternative que nous avons choisie, nous offre un courant plus faible que le fleuve, couplé à un vent digne des clichés nationaux. En arrivant à son embouchure, après avoir passé le numéro 1000 des panneaux kilométriques qui nous suivent depuis le Rhin, nous avons goûté l'eau à plusieurs reprises et nous nous sommes étonnés : pas de sel. Pourtant nous avons quitté la rivière ! L'horizon nous le certifie : plus de chemin, plus de canal, plus de rive à bâbord ni tribord ; seule la liberté de choisir notre cap. En réalité, nous sommes entrés dans une « mer » faite d'eau douce depuis que le Zuiderzee, un ancien golf de la mer du Nord, a été séparé de la grande mer en 1933 par une digue longue de 32 kilomètres. Depuis, le biotope a muté pour devenir celui d'un lac, le plus grand des Pays-Bas, rebaptisé l'Ijsselmeer. Pouvons-nous donc considérer que nous sommes arrivés en mer ou faut-il repousser d'une centaine de kilomètres cette étape significative pour nous ? Encore une fois, la réalité nous apprend qu'elle est multiple, bien loin de tout manichéisme.
Arrivés à l'embouchure de l'Ijssel, nous observons plusieurs voiliers bifurquer devant nous et disparaître dans l'une des îles de ce « lac ». Curieux, nous suivons leurs traces et débouchons sur un magnifique et tout petit port, où les bateaux sont accueillis pour 3x24h. L'accostage n'est nullement aisé pour les kayaks mais l'effort en vaut la peine. Nous restons sur cette île la durée accordée. Olivier en profite pour réparer son bateau des éclats provoqués lors d'un accostage glissant le long du Rhin.
De cette île, cap vers Amsterdam, où nous sommes attendus chez des Warmshowers (réseau de cyclo-voyageurs) et où nous devons ensuite retrouver Matthieu et Tim de Paju pour une troisième session de tournage. Le long de notre itinéraire, afin de préserver les côtes, de grandes et longues digues ont été construites. Barrières contre l’érosion, contre les inondations, elles le sont également contre nous. Car impossible d'accoster auprès de ces monticules de gros rochers. Cela implique que nous devons calculer notre itinéraire quotidien en tenant compte de cette réalité : repérer sur la carte les probables zones dépourvues de construction, prévoir un pic-nic à portée de main, anticiper les zones de bivouac pour ne pas se retrouver en fin de journée emprisonnés entre mer et fatigue... Restent les imprévisibles avec lesquels il faut faire au mieux : un besoin soudain de se soulager, un vent qui forcit à en rendre la navigation difficile...
Nous arrivons à Amsterdam en avance sur notre rendez-vous. Trouver un lieu d'hébergement répondant à nos deux impératifs, à savoir le budget et l'accessibilité en kayak, réduit considérablement l'offre. Après une journée de 34 km, distance importante maintenant que nous ne bénéficions plus des courants fluviaux, nous accostons au camping de Zeeburg situé au bord de l'eau. Après 48 jours de voyage, nous nous offrons notre deuxième douche. Mais qui dit commodités dit aussi désagréments : le voisin ronfleur, l'équipe éméchée confondant la nuit et le jour, les marteaux piqueurs au réveil... Et si Amsterdam nous accueille à bras ouverts avec ses ruelles et ses canaux, elle a aussi accueilli des millions de touristes et d'autochtones. Se déplacer dans ce tourbillon de vélos, voitures, trams, scooters et marcheurs, requière de nous une énergie folle.
Ce séjour dans un environnement et un rythme tout à fait différents de notre quotidien de voyage nous offre un peu de recul sur ce dernier et soulève les questions qui inévitablement saisissent celui qui dessine son chemin de ses propres crayons.
Tente pliée, bagages bouclés, combinaisons enfilées, nous sommes fins prêts à quitter le camping pour rejoindre nos hôtes, qui habitent sur l'une des îles d'Amsterdam et possèdent un lieu pour parquer nos kayaks. C'est alors que nous recevons un message de leur part ; le frère de lui est décédé de manière inattendue ce matin. Au regard de cet évènement et de celui du changement de planning avec Paju en raison d'un accident de Matthieu, nous restons silencieux face à la fragilité de la vie, de nos vies. Et au-delà de la tristesse partagée résonne le constat que bien souvent nous faisons... réalisons nos rêves aujourd'hui sans attendre demain. #Aline