Du Léman au Cap Nord: 5'800 km en kayak de mer
Et si l'on reprenait la route. Une route différente avec pour seule ligne blanche l'écume et la neige ? Et si l'on reprenait la route non pas que pour nous, mais pour une raison plus grande transcendant le simple fait de voyager ? 5'800km en kayak de mer pour rejoindre le cap Nord dont 600km de marche, en hiver, en tractant nos bateaux à travers la mythique Laponie. Cap Kayak est la réponse à nos envies, nos besoins, une nouvelle aventure en faveur des enfants atteints d'un cancer.
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randonnée/trek
kayak de mer
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Carnet publié par Chasseurs d horizon
le 27 oct. 2023
modifié le 02 juil.
modifié le 02 juil.
Mobilité douce
du pas de la porte au pas de la porte
Précisions :
ou presque. Partis de la maison avec nos kayaks et baskets, nous avons laissé toutes les portes ouvertes pour le trajet du retour... Mais où débute le retour quand un voyage n'a pas de fin ?
Coup de coeur !
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Vue d'ensemble
Le topo : Mer de Norvège (mise à jour : 02 juil.)
Distance section :
392km
Dénivelées section :
+101m /
-92m
Section Alti min/max : 0m/46m
Description :
Que feriez-vous si vous aviez navigué durant plus de 2 ans, et que là, sur une plage, non loin du Cap Nord, vous vous rendiez compte que vous veniez de donner votre dernier coup de pagaie?
Nous, nous avons fait ce choix...
Nous, nous avons fait ce choix...
Le compte-rendu : Mer de Norvège (mise à jour : 02 juil.)
De Skibotn à Rotnvika - Du temps et les bénéfices de s'y perdre – 04.05.24
Trois semaines de pause à Skibotn, qui n'ont paru être qu'un instant saisi au vol. Quatre semaines de navigation à venir, qui paraissent une éternité. Jeu de l'esprit, la démesure de ma subjectivité entre les mains d'un Cronos amusé. A elles seules mes croyances, ma méconnaissance et mes craintes donnent à la distance qui nous sépare du Cap Nord une place disproportionnée dans mes représentations. L'espace et le temps n'en seront pas pour autant perturbés.
Nous allons reprendre la mer. Et ce n'est pas la plaisante Baltique. La mer de Norvège semble avoir plus de familiarité avec celle exigeante des Wadden.
Trois semaines de pause à Skibotn, qui n'ont paru être qu'un instant saisi au vol. Quatre semaines de navigation à venir, qui paraissent une éternité. Jeu de l'esprit, la démesure de ma subjectivité entre les mains d'un Cronos amusé. A elles seules mes croyances, ma méconnaissance et mes craintes donnent à la distance qui nous sépare du Cap Nord une place disproportionnée dans mes représentations. L'espace et le temps n'en seront pas pour autant perturbés.
Nous allons reprendre la mer. Et ce n'est pas la plaisante Baltique. La mer de Norvège semble avoir plus de familiarité avec celle exigeante des Wadden.
Jamais nous n'aurions imaginé rester trois semaines dans ce petit village côtier de Skibotn, parmi ses 500 habitants, une durée définie par notre rendez-vous avec l'équipe de Passe-moi les Jumelles. Etre en mesure de passer autant de temps dans un lieu à priori insignifiant, simplement parce que du temps, nous en avons, c'est l'opportunité de pouvoir créer du quelconque une pousse sans laquelle notre arbre de vie serait différent. Car désormais Skibotn est un lieu d'accueil, d'amitié et de générosité. Thomas et Annette nous ont ouvert la porte des locaux de leur pub pour autant de temps que nous le souhaitions. Ils nous ont également mis à disposition une voiture, leurs connaissances, leur réseau. Et comme si tout cela n'était pas encore assez, ils nous tendent un sac rempli de chocolats au moment des au revoir. En leur présence, le 28 avril, nous mettons les kayaks à l'eau dans le petit port de Skibotn.
Le vent est important, mais nous l'avons dans le dos et venant des terres, son terrain de jeu dans ce fjord n'est guère assez vaste pour former les vagues dont on le sait capable. Pour chaque section Les quelque 460 km à venir, il nous faudra analyser la situation, car aucun lieu n'est pareil et l'exception semble faire figure de norme. De toutes parts nous avons cherché à obtenir des informations sur les courants, sur les réalités multiples et variables que nous allons rencontrer. Souvent avons-nous fait chou blanc. Un ouvrage semble toutefois être LA référence des navigateurs en tous genres, « Den norske los ». Nous passons quelques heures à en traduire plusieurs dizaines de pages puisqu’il ne se trouve qu’en norvégien. Trond, un kayakiste expérimenté de Tromsø, nous a fait part de ses connaissances et conseils. Un point est certain, la formule magique ou mathématique unique nous permettant de planifier nos navigations n'existe pas. Alors, la stratégie sage que cet homme chevronné nous livre, en joli pied de nez à notre besoin de connaître, calculer, planifier et anticiper, est la suivante : « Si le courant est trop fort pour moi, je m'arrête, je me fais un café, et je reprends lorsqu'il a diminué. » Nos deux atouts pour ne pas être contraints à prendre des risques et gérer une réalité impossible à planifier, ne serait-ce que pour des raisons météorologiques : le temps et la nourriture. Et en avoir suffisamment.
Les premiers jours de navigation nous font miroiter de belles perspectives ; soleil, vent modéré et bien orienté, accès à la terre confortables. Un plan d'eau dont la tranquillité permet aux montagnes enneigées à fleur de rive de se dupliquer en un reflet argenté. Il n'aura fallu que quelques coups de pagaies pour déjà rencontrer des cétacés, probablement des marsouins, dont les ailerons tranchent avec douceur la surface de l'eau en une courbe harmonieuse. Déjà nous retrouvons les vols majestueux des aigles marins et les roucoulements des eiders.
Les premiers jours de navigation nous font miroiter de belles perspectives ; soleil, vent modéré et bien orienté, accès à la terre confortables. Un plan d'eau dont la tranquillité permet aux montagnes enneigées à fleur de rive de se dupliquer en un reflet argenté. Il n'aura fallu que quelques coups de pagaies pour déjà rencontrer des cétacés, probablement des marsouins, dont les ailerons tranchent avec douceur la surface de l'eau en une courbe harmonieuse. Déjà nous retrouvons les vols majestueux des aigles marins et les roucoulements des eiders.
Entre terre et mer, Paju se met au défi de saisir cette vie de vagabondage qu'est la nôtre, dont les teintes sont parfois complexes à traduire en images et dont certaines fragrances ne peuvent se révéler dans la courte durée. Après trois jours d'itinérance en compagnie de Tim, de Matthieu et de leurs objectifs, nous reprenons notre rythme en duo. C'est alors que la pluie et des vents forts s'imposent au tableau, nous contraignant à rester à terre. Nous l'avons dit, nous nous le sommes répété : nous avons le temps. Celui de patienter à la venue de jours plus adaptés à la navigation. Pourtant, il nous faut nous le rappeler encore et sans cesse alors que nous étudions les prévisions, car il y a ce je ne sais quoi qui nous pousse subrepticement en avant. Ah, la sagesse n'est pas si simple à mettre en pratique ! / AG
52 cairns sur les rives du fjord de Lyngen, symbole du nombre moyen d'enfants qui décèdent chaque année du cancer en Suisse. Une réalité qui ne connaît pas les frontières et contre laquelle Zoé4life lutte avec force et persévérance depuis plus de 10 ans.
De Rotnvika à Årøya – Essayé pas pu – 15.05.2024
Essayé pas pu ! Le constat de ce jour, la résultante d'un changement brusque de météo.
Essayé pas pu, une réalité adaptative qu'il est de bon ton d'accepter.
En ce matin du 15 mai, nous déjeunons sous une tente illuminée des rayons d'un soleil-surprise. Nous contrôlons les prévisions météorologiques sur nos deux sites-références qui s'accordent à dire que les vents modérés de la matinée nous ouvrent une belle fenêtre de navigation. Nous plions donc le campement. Mais en un éclair le vent se lève et l'atmosphère vire tendance orageuse. Le plan d'eau jusqu'alors calme se voit envahi de moutons blancs en une rapidité fulgurante. A la même vitesse nous prenons la décision du repli. Re-montage du campement et mise à l'abri d'une pluie qui s'impose sans invitation. Impassibles, nos deux sites météo n'ont pas bougé d'un iota malgré ce revirement de situation. Si nous sommes bien heureux de nous trouver à terre et à l'abri de ces intempéries, nous ne pouvons que frémir face à ce changement si brusque et non planifié. Serait-il survenu une heure plus tard que nous aurions été sur l'eau et les conséquences auraient été toutes autres.
Essayé pas pu ! Le constat de ce jour, la résultante d'un changement brusque de météo.
Essayé pas pu, une réalité adaptative qu'il est de bon ton d'accepter.
En ce matin du 15 mai, nous déjeunons sous une tente illuminée des rayons d'un soleil-surprise. Nous contrôlons les prévisions météorologiques sur nos deux sites-références qui s'accordent à dire que les vents modérés de la matinée nous ouvrent une belle fenêtre de navigation. Nous plions donc le campement. Mais en un éclair le vent se lève et l'atmosphère vire tendance orageuse. Le plan d'eau jusqu'alors calme se voit envahi de moutons blancs en une rapidité fulgurante. A la même vitesse nous prenons la décision du repli. Re-montage du campement et mise à l'abri d'une pluie qui s'impose sans invitation. Impassibles, nos deux sites météo n'ont pas bougé d'un iota malgré ce revirement de situation. Si nous sommes bien heureux de nous trouver à terre et à l'abri de ces intempéries, nous ne pouvons que frémir face à ce changement si brusque et non planifié. Serait-il survenu une heure plus tard que nous aurions été sur l'eau et les conséquences auraient été toutes autres.
C'est en conscience de cette réalité que nous réalisons nos choix de navigation. Mais parfois nous ne pouvons nous empêcher de nous demander s'il n'y a pas un manque de témérité ou une certaine frilosité qui influencent nos décisions... Et puis somme toute, nous avons certes le temps, mais aussi l'envie d'atteindre notre Cap ! Alors l'essayé-pas-pu est parfois la bonne option, pour autant que des points de replis aient été définis à l'avance.
Ce fut le cas au matin du 7 mai, naviguant aux aurores pour combiner vents et marées. Après une heure de navigation, nous attaquons une traversée de 5 km. Mais au bout d'un demi, Olivier s'interroge face à la vue des vagues qui se forment, au vent contraire et à notre progression lambinante. Repli. Nous rejoignons alors la côte et accostons dans une nouvelle baie qui se révèlera être paradisiaque. Nous n'avons parcouru que 7 km ce jour-là. Et pourtant, cette distance nous a permis de rejoindre le 7ème ciel. Dans le contre jour d'un soleil éblouissant, Olivier distingue des ailerons. « Aline, regarde, ils sont énormes !!! » L'excitation dans sa voix est palpable et me gagne instantanément. « Où ça ? Où ça ? Ils sont où ? » Et les voilà qui surgissent à nouveau hors de l'eau et tracent clairement leur itinéraire dans notre direction. La suite, je n'en suis plus certaine car les images ont été brouillées par les émotions. A tel point qu'une fois la rencontre terminée, j'en redemande, encore et encore, pour pouvoir plus en profiter, peut-être mieux en profiter... Dans ma coquille de noix, encerclée de toutes parts par ces grands cétacés, autour mais aussi au-dessous de nous, le sentiment de vulnérabilité est saisissant. Nous n'en voyons qu'une partie et nous savons pertinemment que la plus importante se situe sous l'eau, cet écran obscur dont l'imaginaire crée tous les possibles. En même temps, c'est simplement fabuleux ! C'est un spectacle sonore, visuel, émotionnel. Le bruit de leur respiration est saisissant; ils sont si près ! Leur ronde autour de nous ne laisse aucun doute : ils sont venus nous rencontrer. Puis ils s'en retournent à leur pêche. Est-ce fini ? Déjà ? Mais au fait, qui étaient-ils ? Du noir, du blanc, un grand aileron et une taille respectable... Une fois à terre et le tumulte émotionnel retombé, nous investiguons, et c'est Thomas de Skibotn qui trouve l'identité probable de nos compagnons de route, le dauphin à nez blanc.
Ce fut le cas au matin du 7 mai, naviguant aux aurores pour combiner vents et marées. Après une heure de navigation, nous attaquons une traversée de 5 km. Mais au bout d'un demi, Olivier s'interroge face à la vue des vagues qui se forment, au vent contraire et à notre progression lambinante. Repli. Nous rejoignons alors la côte et accostons dans une nouvelle baie qui se révèlera être paradisiaque. Nous n'avons parcouru que 7 km ce jour-là. Et pourtant, cette distance nous a permis de rejoindre le 7ème ciel. Dans le contre jour d'un soleil éblouissant, Olivier distingue des ailerons. « Aline, regarde, ils sont énormes !!! » L'excitation dans sa voix est palpable et me gagne instantanément. « Où ça ? Où ça ? Ils sont où ? » Et les voilà qui surgissent à nouveau hors de l'eau et tracent clairement leur itinéraire dans notre direction. La suite, je n'en suis plus certaine car les images ont été brouillées par les émotions. A tel point qu'une fois la rencontre terminée, j'en redemande, encore et encore, pour pouvoir plus en profiter, peut-être mieux en profiter... Dans ma coquille de noix, encerclée de toutes parts par ces grands cétacés, autour mais aussi au-dessous de nous, le sentiment de vulnérabilité est saisissant. Nous n'en voyons qu'une partie et nous savons pertinemment que la plus importante se situe sous l'eau, cet écran obscur dont l'imaginaire crée tous les possibles. En même temps, c'est simplement fabuleux ! C'est un spectacle sonore, visuel, émotionnel. Le bruit de leur respiration est saisissant; ils sont si près ! Leur ronde autour de nous ne laisse aucun doute : ils sont venus nous rencontrer. Puis ils s'en retournent à leur pêche. Est-ce fini ? Déjà ? Mais au fait, qui étaient-ils ? Du noir, du blanc, un grand aileron et une taille respectable... Une fois à terre et le tumulte émotionnel retombé, nous investiguons, et c'est Thomas de Skibotn qui trouve l'identité probable de nos compagnons de route, le dauphin à nez blanc.
Essayé et pu au-delà du prévu, c'est possible aussi. Repartis de notre baie spectaculaire pour la fameuse traversée avortée précédemment, nous en réalisons une deuxième dans la foulée, de même longueur, et dépassons ainsi l'île de Spildra sans nous y arrêter. Si la première se réalise pour ainsi dire agréablement, ce qui signifie pour moi sans réel stress, la deuxième est de celle qui me fait bouder le kayak. Une fois encore, ce que nous observons de notre environnement ne correspond pas à ce qui est prévu par les sites météorologiques. Néanmoins, le trajet nous semble réalisable. Et certes il le fut, mais au prix d'un effort soutenu où la pénibilité physique s'alourdit de l'incertitude quant à l'évolution de la situation. Nous arrivons fourbus, le dos douloureux, dans une petite baie quelque peu préservée du tumulte des vagues. Le jour suivant, pluie et vent nous invitent à la récupération.
C'est cette même réalité, celle d'une météo capricieuse et parfois imprévisible, qui oriente notre choix d'effectuer un portage de 8 km plutôt que de nous aventurer en haute mer autour d'une grande péninsule. Ainsi, à Alteidet, nous sortons de l'eau kayaks et matériel pour le porter à terre, sous le regard mi-amusé mi-intrigué d'Einart. Il me dira ensuite «Quand je t'ai vue arriver, c'était comme voir une sirène surgissant de la mer. » Une sirène affublée d'une combinaison étanche encombrante, d'une jupe qui n'a de sexy que le nom, d'un gilet tacheté de sel et d'une chevelure accusant le manque de douche... Une apparition somme toute bien éloignée des mythologiques. Nous débarquons donc sur le terrain de cet homme, occupé alors à entretenir la coque de son bateau. Apprenant notre projet de rejoindre Langfjordsbotn à pied, il nous propose de nous y emmener en tracteur. Le remerciant vivement, nous déclinons sa proposition. Nous allons plutôt utiliser l'un des chariots de fortune réalisés par Olivier à Luleå, destinés initialement aux pulkas. En prévision de cet éventuel itinéraire routier, nous en avions conservé un exemplaire. Sans aucune certitude que cela fonctionne. Essayé pas pu. Là, il ne nous faut que quelques mètres pour établir le constat. Les sacoches étanches fixées au support en bois et sur lesquelles repose le kayak, sont trop proches de l'asphalte et lèchent âprement le bitume. Einart aide Olivier à solutionner le problème et le chariot se voit amélioré de 2 lambourdes supplémentaires. Deuxième essai : ça fonctionne ! Mais cela va-t-il tenir jusqu'au bout ? Il n'y a qu'une façon de le savoir... Olivier tire son biplace chargé d'une partie des affaires sur le chariot pendant que je marche en portant une autre partie. Si tout se passe bien, nous n'aurons à effectuer que 3 fois les distances. Aller-retour-aller. Pour ce premier jour de portage, nous parcourons 12 km effectifs pour une avancée sur la carte de 4 km. Nous avons fait la moitié. Le lendemain, nous entamons la deuxième partie du trajet, mais l'entrée dans la commune d'Alta amène une donne supplémentaire : un entretien bien plus précaire des routes ! Les nids de poule sont de réels pièges pour notre fragile chariot. La veille, il nous a fallu nous rendre à l'évidence : le bois subit le poids du chargement et deux des tiges métalliques fixant les roues au cadre menacent de céder. La tâche est rude et douloureuse pour Olivier. Finalement, un bon kilomètre avant d'atteindre la destination avec le deuxième kayak, le chariot nous lâche. Une roue en moins. C'est précisément à ce moment que nous rencontrons Nathan, un Français en échange Erasmus à Tromsø, qui fait la course avec des potes pour atteindre le Cap Nord en auto-stop. Diversion sympathique à ce moment critique, il nous faut néanmoins retourner à notre réalité et terminer notre entreprise. Olivier traîne plus qu'il ne tire le kayak sur son support boiteux ; le bois est poncé à une vitesse folle, à tel point qu'il s'en dégage cette odeur caractéristique des scieries. Nous finissons par décharger au maximum le kayak et faisons plusieurs aller-retour pour acheminer l'entier du matériel sur les rives du Langfjord. Les deux jours suivants. Une mer calmissime nous offre des navigations agréables et se transforme en un miroir fascinant aux reflets parfaits, nous donnant l'impression d'évoluer dans un kaléidoscope géant.
C'est cette même réalité, celle d'une météo capricieuse et parfois imprévisible, qui oriente notre choix d'effectuer un portage de 8 km plutôt que de nous aventurer en haute mer autour d'une grande péninsule. Ainsi, à Alteidet, nous sortons de l'eau kayaks et matériel pour le porter à terre, sous le regard mi-amusé mi-intrigué d'Einart. Il me dira ensuite «Quand je t'ai vue arriver, c'était comme voir une sirène surgissant de la mer. » Une sirène affublée d'une combinaison étanche encombrante, d'une jupe qui n'a de sexy que le nom, d'un gilet tacheté de sel et d'une chevelure accusant le manque de douche... Une apparition somme toute bien éloignée des mythologiques. Nous débarquons donc sur le terrain de cet homme, occupé alors à entretenir la coque de son bateau. Apprenant notre projet de rejoindre Langfjordsbotn à pied, il nous propose de nous y emmener en tracteur. Le remerciant vivement, nous déclinons sa proposition. Nous allons plutôt utiliser l'un des chariots de fortune réalisés par Olivier à Luleå, destinés initialement aux pulkas. En prévision de cet éventuel itinéraire routier, nous en avions conservé un exemplaire. Sans aucune certitude que cela fonctionne. Essayé pas pu. Là, il ne nous faut que quelques mètres pour établir le constat. Les sacoches étanches fixées au support en bois et sur lesquelles repose le kayak, sont trop proches de l'asphalte et lèchent âprement le bitume. Einart aide Olivier à solutionner le problème et le chariot se voit amélioré de 2 lambourdes supplémentaires. Deuxième essai : ça fonctionne ! Mais cela va-t-il tenir jusqu'au bout ? Il n'y a qu'une façon de le savoir... Olivier tire son biplace chargé d'une partie des affaires sur le chariot pendant que je marche en portant une autre partie. Si tout se passe bien, nous n'aurons à effectuer que 3 fois les distances. Aller-retour-aller. Pour ce premier jour de portage, nous parcourons 12 km effectifs pour une avancée sur la carte de 4 km. Nous avons fait la moitié. Le lendemain, nous entamons la deuxième partie du trajet, mais l'entrée dans la commune d'Alta amène une donne supplémentaire : un entretien bien plus précaire des routes ! Les nids de poule sont de réels pièges pour notre fragile chariot. La veille, il nous a fallu nous rendre à l'évidence : le bois subit le poids du chargement et deux des tiges métalliques fixant les roues au cadre menacent de céder. La tâche est rude et douloureuse pour Olivier. Finalement, un bon kilomètre avant d'atteindre la destination avec le deuxième kayak, le chariot nous lâche. Une roue en moins. C'est précisément à ce moment que nous rencontrons Nathan, un Français en échange Erasmus à Tromsø, qui fait la course avec des potes pour atteindre le Cap Nord en auto-stop. Diversion sympathique à ce moment critique, il nous faut néanmoins retourner à notre réalité et terminer notre entreprise. Olivier traîne plus qu'il ne tire le kayak sur son support boiteux ; le bois est poncé à une vitesse folle, à tel point qu'il s'en dégage cette odeur caractéristique des scieries. Nous finissons par décharger au maximum le kayak et faisons plusieurs aller-retour pour acheminer l'entier du matériel sur les rives du Langfjord. Les deux jours suivants. Une mer calmissime nous offre des navigations agréables et se transforme en un miroir fascinant aux reflets parfaits, nous donnant l'impression d'évoluer dans un kaléidoscope géant.
Essayé et pu de peu, la traversée jusqu'à Årøya. Une histoire de prévisions erronées dans ce carrefour à l'intersection de 5 bras de mer ou fjords, réputée pour être imprévisible et chaotique. Aux abords de l'île, une nuée d'eiders roucoule, un nuage de mouettes s'excite au passage d'un aigle marin. Deux bipèdes débarquent, créent un instant d'agitation, avant que chacun ne reprenne sa place et poursuive son occupation.
Demain, nous essaierons à nouveau et qui sait si nous pourrons ou non ? Ce qui est certain, c'est que quelle que soit la résultante, elle sera colorée des teintes majestueuses et authentiques de cette Norvège du Nord. / AG
Demain, nous essaierons à nouveau et qui sait si nous pourrons ou non ? Ce qui est certain, c'est que quelle que soit la résultante, elle sera colorée des teintes majestueuses et authentiques de cette Norvège du Nord. / AG
De Årøya à Hattvika – Des Cétacés, des déchets et des Hommes – 22.05.2024
« Cette année, nous avons eu un bel été ! C'était hier. » Trait d'humour jaune suédois qui sied à merveille à son voisin la Norvège. Hier nous avons eu droit à 20°C, demain il fera 6° et avant-hier nous désespérions de connaître un printemps avant le prochain hiver. Car de la neige et du froid, nous en avons soupé. Mais déjà nous appréhendons leur probable absence la saison prochaine, alors sous d'autres latitudes. Nous les aimons et nous voulons les quitter, sans être prêts à les perdre...
Sans plus de philosophie ni d'humour, la persistance de la saison froide nous a surpris. Lorsqu'il avait fallu faire le tri de nos affaires à Skibotn, si nous avions hésité quant à l'utilité de certains accessoires, ce ne fut en aucun cas sur nos chaussures d'hiver que se sont portés nos doutes. Pourtant, en cette fin mai, elles nous ont manqué. Deux jours à passer sous la tente, bloqués par les vents pour naviguer, bloqués par la neige pour randonner. Car à quand une météo capable de sécher notre unique paire de chaussures trempées ? Alors depuis la fenêtre de notre maison de toile, nous nous émerveillons de la beauté qui nous enveloppe. Tout est blanc autour de nous, à l'exception de cette grande tache bleue qui se perd à l'infini...
« Cette année, nous avons eu un bel été ! C'était hier. » Trait d'humour jaune suédois qui sied à merveille à son voisin la Norvège. Hier nous avons eu droit à 20°C, demain il fera 6° et avant-hier nous désespérions de connaître un printemps avant le prochain hiver. Car de la neige et du froid, nous en avons soupé. Mais déjà nous appréhendons leur probable absence la saison prochaine, alors sous d'autres latitudes. Nous les aimons et nous voulons les quitter, sans être prêts à les perdre...
Sans plus de philosophie ni d'humour, la persistance de la saison froide nous a surpris. Lorsqu'il avait fallu faire le tri de nos affaires à Skibotn, si nous avions hésité quant à l'utilité de certains accessoires, ce ne fut en aucun cas sur nos chaussures d'hiver que se sont portés nos doutes. Pourtant, en cette fin mai, elles nous ont manqué. Deux jours à passer sous la tente, bloqués par les vents pour naviguer, bloqués par la neige pour randonner. Car à quand une météo capable de sécher notre unique paire de chaussures trempées ? Alors depuis la fenêtre de notre maison de toile, nous nous émerveillons de la beauté qui nous enveloppe. Tout est blanc autour de nous, à l'exception de cette grande tache bleue qui se perd à l'infini...
Depuis que nous naviguons en Norvège, jamais nous n'avons eu de difficulté à trouver de l'eau, celle-ci ruisselant des hauteurs en timides ruisseaux ou en cascades luxuriantes. Par sécurité, nous voyageons toujours avec nos deux vaches à eau remplies de 4 litres chacune ; stigmates de périodes moins abondantes ? Lorsque les habitants dans les propriétés desquels nous plantons la tente nous le proposent, nous profitons de nous réapprovisionner à l'eau filtrée du robinet. Trouver un emplacement de bivouac est somme toute relativement aisé dans ces régions, et ce grâce à trois facteurs principaux. Le droit d'accès à la Nature, la gentillesse des locaux et l'anticipation d'Olivier. Ce dernier ayant relevé à l'avance sur notre carte une multitude de lieux accostables, nous n'avons plus qu'à composer nos navigations en fonction. Et les manœuvres d'accès à la rive que j'appréhendais tant deviennent alors anodines, ou presque. Dépendamment du niveau de la marée à notre arrivée à terre et à notre départ, nous pouvons avoir quelques surprises : un tapis d'algues glissantes ou une baie entière à parcourir à pied pour rejoindre la mer qui s'est retirée sur une distance remarquable mais ennuyeuse.
Si jamais nous ne manquons d'eau, il en va de même pour la nourriture. Hyper prévoyants ou simplement conscients d'une réalité météorologique, nous avons pris l'habitude de calculer nos achats avec une marge de manœuvre relative. Si nous devons par exemple nous réapprovisionner pour cinq jours de navigation, nous achetons pour quinze jours de nourriture. Jamais nos kayaks n'ont été aussi lourds de victuailles ! Parallèlement, nous avons aussi épuré notre équipement au fil du temps, plus à même d'évaluer nos besoins pour cette vie d'itinérance en kayak que l'on a adoptée il y a plus de deux ans maintenant.
Si jamais nous ne manquons d'eau, il en va de même pour la nourriture. Hyper prévoyants ou simplement conscients d'une réalité météorologique, nous avons pris l'habitude de calculer nos achats avec une marge de manœuvre relative. Si nous devons par exemple nous réapprovisionner pour cinq jours de navigation, nous achetons pour quinze jours de nourriture. Jamais nos kayaks n'ont été aussi lourds de victuailles ! Parallèlement, nous avons aussi épuré notre équipement au fil du temps, plus à même d'évaluer nos besoins pour cette vie d'itinérance en kayak que l'on a adoptée il y a plus de deux ans maintenant.
e temps file, la barbe pousse, le poil blanchit. Et ce ne sont pas les quelques coups de ciseaux donnés de sept en quatorze destinés à dompter cette broussaille qui changeront cet inéluctable.
Conjugués aux icebergs, aux morceaux de glace flottants, banquise et autres chevaliers des temps froids, la nuit disparaît. Soleil de minuit, c'est vite dit. Faut-il que la vedette ne lui soit pas dérobée par les nuages ni par un pan de montagne. Ce qui est par contre certain, c'est que l'obscurité a décampé il y a bien longtemps maintenant. Pour parer à son absence magistrale et tirant bénéfice des basses températures je l'admets, je dors avec mon bonnet calé sur mes yeux, qui n'y voient que du feu. En même temps, cette luminosité est un réel atout car elle nous offre carte blanche pour nos horaires de navigation et anéantit tout stress lié à la tombée de la nuit. Nuit, jour, les mots perdent de leur sens et nous le nord. Car oui, il y a bien eu une fois ou deux où l'on se réveille, prêts à attaquer la journée avec entrain, avant de réaliser qu'il n'est que deux heures du matin, ou pire, onze heures du soir...
Des jours durant nous ne voyons âme humaine. Pourtant, chaque jour nous rencontrons une armée de déchets. Impossible de s'imaginer au milieu de nulle part, lorsque chaque lieu est défini comme quelque part où les rejets de l'homme s'encoublent à la Nature. Belle plage paradisiaque ? Affublée d'une parure plastique. Une baie sauvage et authentique ? Perlée de pare-battages et autres bouées. Dans ce lot de déchets, il y a les habituels et puis les insolites, ou encore ceux qui nous font revisiter les lois de la physique. Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander comment une télévision a pu échouer sur les rives d'une baie isolée. Et une roue de camion, ça flotte ? Le jour de mes 40 ans, alors en pleine navigation « au milieu de nulle part », la mer de Norvège nous offre un ballon de foot. Quelques centaines de mètres plus loin, un deuxième ballon de foot. De quoi échafauder les hypothèses des plus farfelues. Néanmoins, une fois les chaussures, flacons de savon et autres accessoires de beauté sortis du lot, la plupart des déchets proviennent de l'industrie de la pêche. Filets, bacs plastiques, bidons de produits chimiques, sections d'enclos à saumon... Le poisson de l'Atlantique a comme qui dirait un petit arrière-goût.
Conjugués aux icebergs, aux morceaux de glace flottants, banquise et autres chevaliers des temps froids, la nuit disparaît. Soleil de minuit, c'est vite dit. Faut-il que la vedette ne lui soit pas dérobée par les nuages ni par un pan de montagne. Ce qui est par contre certain, c'est que l'obscurité a décampé il y a bien longtemps maintenant. Pour parer à son absence magistrale et tirant bénéfice des basses températures je l'admets, je dors avec mon bonnet calé sur mes yeux, qui n'y voient que du feu. En même temps, cette luminosité est un réel atout car elle nous offre carte blanche pour nos horaires de navigation et anéantit tout stress lié à la tombée de la nuit. Nuit, jour, les mots perdent de leur sens et nous le nord. Car oui, il y a bien eu une fois ou deux où l'on se réveille, prêts à attaquer la journée avec entrain, avant de réaliser qu'il n'est que deux heures du matin, ou pire, onze heures du soir...
Des jours durant nous ne voyons âme humaine. Pourtant, chaque jour nous rencontrons une armée de déchets. Impossible de s'imaginer au milieu de nulle part, lorsque chaque lieu est défini comme quelque part où les rejets de l'homme s'encoublent à la Nature. Belle plage paradisiaque ? Affublée d'une parure plastique. Une baie sauvage et authentique ? Perlée de pare-battages et autres bouées. Dans ce lot de déchets, il y a les habituels et puis les insolites, ou encore ceux qui nous font revisiter les lois de la physique. Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander comment une télévision a pu échouer sur les rives d'une baie isolée. Et une roue de camion, ça flotte ? Le jour de mes 40 ans, alors en pleine navigation « au milieu de nulle part », la mer de Norvège nous offre un ballon de foot. Quelques centaines de mètres plus loin, un deuxième ballon de foot. De quoi échafauder les hypothèses des plus farfelues. Néanmoins, une fois les chaussures, flacons de savon et autres accessoires de beauté sortis du lot, la plupart des déchets proviennent de l'industrie de la pêche. Filets, bacs plastiques, bidons de produits chimiques, sections d'enclos à saumon... Le poisson de l'Atlantique a comme qui dirait un petit arrière-goût.
Des jours durant nous ne voyons âme humaine, mais pas un seul ne se passe sans que nous ne rencontrions âmes qui vivent. Les Macareux font désormais partie de nos compagnons de route, tout comme les Sternes arctiques. Les Nise, ou Marsouins communs, sont des amis de longue date maintenant et un nouvel individu a rejoint la famille des Cétacés. Nous ne l'avons pas tout de suite reconnu. D'abord l'avons-nous pris pour des Springers, Dauphins à nez blanc, mais rapidement avons-nous réalisé que cela ne collait pas. Ce que nous observons, c'est un aileron relativement petit comparativement au Springer, placé en arrière d'un long dos plat exposant clairement son évent à l'avant, non loin d'une bouche qui n'a absolument rien du bec du dauphin mais tient plutôt de celle de la baleine. Retour à nos encyclopédies ! S'il n'est pas facile de s'y retrouver dans la classification et la dénomination des Cétacés, c'est la Baleine de Minke, appelée aussi Petit Rorqual, qui correspond au mieux à nos observations. La croiser me fascine et me déconcerte car inéluctablement je me demande comment une masse de plus de huit tonnes peut, de par son mouvement, insuffler une telle légèreté ? La voir surgir de l'eau en une courbe lente, m'offre à chaque fois comme une respiration à pleins poumons, comme un souffle d'air doux et reposant. Quand en outre l'une d'entre elles nous surprend aux aurores ou lorsque nous voguons en synchronicité, c'est tout simplement puissant. / AG
De Hattvika à Burstad – Sous le voile du paradis... – 27.05.2024
Sous le voile du paradis, l'enfer. Emergeant de l'enfer, la beauté.
Le 23 mai, nous effectuons une courte navigation avec pour objectif de nous installer dans une baie, à l'abri des vents tempétueux annoncés pour les jours suivants. Un étroit corridor nous amène dans le petit éden de Burstad, une crique entourée de montagnes abruptes. Nous essayons d'évaluer la direction des prochains vents et montons la tente en conséquence, non loin d'une maison en ruine. Au vu de la beauté du lieu, de la clarté de l'eau et du soleil qui nous fait grâce de sa présence, déjà élaborons-nous mille et un projets pour les prochains jours à terre. Mais nous étions bien loin d'imaginer celui qui nous attendait...
Prévoyant, Olivier installe autour de la tente les plus grosses pierres qu'il soit raisonnablement capable de transporter pour remplacer les sardines que le sol ne nous permet pas d'ancrer solidement. A peine couchés que le vent déjà forcit. N'ayant aucune réception, nous ne pouvons mettre à jour les prévisions météos qui annonçaient précédemment la tempête pour le lendemain seulement. Impossible de s'endormir, la toile gémissant bruyamment sous les assauts d'un vent latéral. Olivier brave et les vents et la pluie à plusieurs reprises pour retendre les cordes de la tente et constate avec effroi que les rocs ont beau peser entre 25 et 30 kg, le vent se joue d'eux comme d'un hochet. Olivier essaie tant qu'il peut d'augmenter la stabilité de ce château branlant. Mais à force de prêter main forte à la structure de notre tente, de la soutenir tant bien que mal de l'intérieur et réalisant que les tubulures commencent à s'arquer plus que de raison, il nous faut agir. Nous essayons de pivoter la tente pour l'orienter face au vent. Mal nous en a pris, la manœuvre se révèle être un échec total. Par instants, les gifles du vent sont si violentes que la tente en perd sa troisième dimension, s'aplatissant comme une crêpe. Nous capitulons. En quatrième vitesse je plie les affaires à l'intérieur, mais ce n'est pas assez rapide. L'un des arceaux rompt et déchire sa gaine de tissu, les deux autres gardent la marque du vent imprimée à jamais dans leur structure. Nous décampons et rapatrions nos affaires dans la ruine. Juste avant ça, Olivier regarde en direction de nos kayaks. Je regarde Olivier. Au vu de sa réaction, je m'imagine le pire. Plus de kayak. Je me rue là où on les avait entreposés. Le mien n'a pas bougé d'une once. Celui d'Olivier, par contre, a fait un vol plané dont nous préférons censurer les images que notre esprit s'empresse de produire. Comment a-t-il pu se retrouver là, dans cette position ? Un rapide coup d'oeil évalue à zéro les dégâts. On le transporte alors jusqu'à la « cave » de la maison, où il s'enfile de justesse aux ¾, et lestons le mien de grosses pierres, par sécurité. Est venu le temps d'un café et d'un point de situation. Etablir les priorités. De un, aménager un lieu où se tenir. De deux, réaliser le bilan des dégâts. Se mettre à l'oeuvre, faire le ménage et nous arranger un coin nous permet de penser à autre chose qu'à la tente. L’éventrement de la maison nous offre une vue plongeante sur la baie, où nous observons, interdits, des tornades d'eau se former. Plutôt qu'abris, les montagnes semblent être un toboggan pour ces vents qui ne cessent de changer de direction et transformer le plan d'eau en un carrousel endiablé. Les assauts du vent sont par moment si puissants qu'à peine atteignent-ils les abords de l'eau qu'ils la creusent et génèrent des vagues. La rencontre de ces dernières avec des vents opposés fait jaillir des gerbes d'eau en l'air. Il se vit un tel conflit sur ce plan d'eau que celui-ci ressemble à un champ de bataille où les deux éléments que sont l'eau et l'air s'affrontent sans merci.
Sous le voile du paradis, l'enfer. Emergeant de l'enfer, la beauté.
Le 23 mai, nous effectuons une courte navigation avec pour objectif de nous installer dans une baie, à l'abri des vents tempétueux annoncés pour les jours suivants. Un étroit corridor nous amène dans le petit éden de Burstad, une crique entourée de montagnes abruptes. Nous essayons d'évaluer la direction des prochains vents et montons la tente en conséquence, non loin d'une maison en ruine. Au vu de la beauté du lieu, de la clarté de l'eau et du soleil qui nous fait grâce de sa présence, déjà élaborons-nous mille et un projets pour les prochains jours à terre. Mais nous étions bien loin d'imaginer celui qui nous attendait...
Prévoyant, Olivier installe autour de la tente les plus grosses pierres qu'il soit raisonnablement capable de transporter pour remplacer les sardines que le sol ne nous permet pas d'ancrer solidement. A peine couchés que le vent déjà forcit. N'ayant aucune réception, nous ne pouvons mettre à jour les prévisions météos qui annonçaient précédemment la tempête pour le lendemain seulement. Impossible de s'endormir, la toile gémissant bruyamment sous les assauts d'un vent latéral. Olivier brave et les vents et la pluie à plusieurs reprises pour retendre les cordes de la tente et constate avec effroi que les rocs ont beau peser entre 25 et 30 kg, le vent se joue d'eux comme d'un hochet. Olivier essaie tant qu'il peut d'augmenter la stabilité de ce château branlant. Mais à force de prêter main forte à la structure de notre tente, de la soutenir tant bien que mal de l'intérieur et réalisant que les tubulures commencent à s'arquer plus que de raison, il nous faut agir. Nous essayons de pivoter la tente pour l'orienter face au vent. Mal nous en a pris, la manœuvre se révèle être un échec total. Par instants, les gifles du vent sont si violentes que la tente en perd sa troisième dimension, s'aplatissant comme une crêpe. Nous capitulons. En quatrième vitesse je plie les affaires à l'intérieur, mais ce n'est pas assez rapide. L'un des arceaux rompt et déchire sa gaine de tissu, les deux autres gardent la marque du vent imprimée à jamais dans leur structure. Nous décampons et rapatrions nos affaires dans la ruine. Juste avant ça, Olivier regarde en direction de nos kayaks. Je regarde Olivier. Au vu de sa réaction, je m'imagine le pire. Plus de kayak. Je me rue là où on les avait entreposés. Le mien n'a pas bougé d'une once. Celui d'Olivier, par contre, a fait un vol plané dont nous préférons censurer les images que notre esprit s'empresse de produire. Comment a-t-il pu se retrouver là, dans cette position ? Un rapide coup d'oeil évalue à zéro les dégâts. On le transporte alors jusqu'à la « cave » de la maison, où il s'enfile de justesse aux ¾, et lestons le mien de grosses pierres, par sécurité. Est venu le temps d'un café et d'un point de situation. Etablir les priorités. De un, aménager un lieu où se tenir. De deux, réaliser le bilan des dégâts. Se mettre à l'oeuvre, faire le ménage et nous arranger un coin nous permet de penser à autre chose qu'à la tente. L’éventrement de la maison nous offre une vue plongeante sur la baie, où nous observons, interdits, des tornades d'eau se former. Plutôt qu'abris, les montagnes semblent être un toboggan pour ces vents qui ne cessent de changer de direction et transformer le plan d'eau en un carrousel endiablé. Les assauts du vent sont par moment si puissants qu'à peine atteignent-ils les abords de l'eau qu'ils la creusent et génèrent des vagues. La rencontre de ces dernières avec des vents opposés fait jaillir des gerbes d'eau en l'air. Il se vit un tel conflit sur ce plan d'eau que celui-ci ressemble à un champ de bataille où les deux éléments que sont l'eau et l'air s'affrontent sans merci.
Olivier trouve parmi les débris de la construction de quoi aveugler quelques fenêtres pour diminuer l’engouffrement du vent. Nous établissons notre QG dans ce qui devait être un jour des toilettes, ou peut-être était-ce un réduit ? Une pièce aux dimensions précises de nos deux matelas. Quelques clous supplémentaires et voilà une penderie. Nous essayons de nous reposer mais mon corps se crispe à chaque rafale, malgré mes tentatives pour le rassurer sur notre situation et celle de nos affaires. Finalement, au soir, nous parvenons à nous endormir. C'était sans compter avec la pluie... A 3h00, l'unique point faible de notre réduit, une ouverture dans le plafond, nous trahit et il commence à grêler sur mon matelas tout comme sur mon visage. Nous nous replions dans un second tout petit local qu'Olivier avait aménagé pour y stocker nos affaires. Droits et rangés comme nos sacoches, nous nous tenons dans l'obscurité de cette pièce borgne qui a pour avantage de n'avoir aucune ouverture ni sur l'extérieur, ni au plafond. Par contre, il nous faut veiller à ne pas poser le pied n'importe où, au risque de se voir recalé à l'étage inférieur, c'est à dire à la cave où est entreposé le kayak. Le temps d'un chocolat chaud et Olivier a déjà rehaussé le standing de notre nouvel abri de fortune en lui offrant un banc. Ainsi, dans le noir et dans nos sacs de couchage, l'un assis l'autre couché, nous patientons, attendant que le temps passe. Dans la matinée, nous partons en quête de la 4G. Avec persévérance, confiance puis soulagement, nous la captons après avoir crapahuté dans les hauteurs, bravé des névés et enjambé quelques rivières. La mise à jour des prévisions confirme ce que nous savions déjà, à savoir une fenêtre navigable pour le surlendemain. Rentrés chez nous, Olivier s'attaque alors à l'aménagement d'une troisième pièce. Et là encore, notre niveau de confort augmente. Des clous rouillés récupérés sur de vieilles pièces en bois, un cylindre métallique en guise de marteau, des planches en sapin, une structure de table, pas mal d'ingéniosité et nous avons droit à une pièce abritée des vents, étanche, d'un banc et d'une table. Olivier appose la touche finale en installant dans la dernière ouverture une porte et un système de blocage. La nuit suivante, nous dormons 13 heures d'affilée... Et le jour suivant, nous le passons à réparer la tente au maximum de nos possibilités, à faire l'inventaire de nos provisions, à retourner à notre repère dans les montagnes pour une dernière mise à jour des prévisions. Ce jour-là, la grande baie vitrée sans vitre de notre maison nous offre le spectacle d'un troupeau de rennes au sein duquel gambadent maladroitement des nouveau-nés qui ne doivent pas avoir encore vécu une semaine entière. Non conscients de la présence de deux bipèdes tapis dans l'obscurité de cette ruine, ils s'en approchent au plus près, broutent ou essaient de téter, puis s'en retournent dans les montagnes.
Le 27 mai, à 4h30, nous plions bagage et quittons cette maison avec un pincement au cœur. Olivier résumera en quelques mots cette émotion que je partage « C'est fou comme planter quelques clous peut transformer une ruine en un véritable chez nous. » / AG
Le 27 mai, à 4h30, nous plions bagage et quittons cette maison avec un pincement au cœur. Olivier résumera en quelques mots cette émotion que je partage « C'est fou comme planter quelques clous peut transformer une ruine en un véritable chez nous. » / AG
De Burstad aux coulisses du Cap Nord – là où volent les aigles – 04.06.2024
Quand la Nature nous met à genou, l'Homme nous tend la main. Lorsque fatigués de l'Homme, la Nature nous ressource. Un équilibre en redéfinition constante qu'il n'est pas toujours facile d'identifier ni maintenir. Lorsqu'il se révèle, c'est l'intensité du moment, la beauté de ce qui se présente qui le traduit.
Lorsque nous quittons la baie de Burstad, après quatre jours d'assiègement par les vents, nous savons que nous devons désormais composer avec l'handicap d'une tente fragilisée. Thomas et Annette de Skibotn ont passé du temps à prospecter pour nous les possibilités d'obtenir de nouvelles tubulures, sans succès. Au soir de notre reprise de navigation, nous redoublons de vigilance sur l'emplacement de bivouac. Il nous faut trouver un lieu protégé des vents, quand bien même ma confiance en ma capacité à évaluer cette donne a été fortement ébranlée par notre expérience des jours passés. Nous pagayons quelques kilomètres hors itinéraire pour atteindre le fin fond d'un fjord, là où une route et surtout une bâtisse nous offre une solution de repli. Au cas où. Après une prospection plus rapprochée, nous découvrons un ensemble de maisons rouges, un petit port, et réalisons qu'il s'agit là en réalité d'un site dédié au tourisme de pêche. Nous décidons toutefois de demander la permission d'installer notre tente à proximité de l'un des bâtiments. Qui sait ? Ainsi faisons-nous la connaissance de Claudine puis de son mari Jan-Eric, un couple franco-suédois qui gère depuis plus de quinze ans le site de Myrfjord, et ce pour la dernière année. De fil en aiguille, nous nous retrouvons installés gracieusement dans une petite chambre au-dessus du local de dépeçage des poissons, avec à disposition, entre autres, douche, lave-linge, salon puis encore cuisine. « J'aime bien aider les voyageurs, nous avons pas mal voyagé nous aussi. » nous dira Claudine. En plus de tout ce confort, le couple nous offre la valeur inestimable de leurs vastes connaissances et expérience de vie dans cette région où la pêche tient la vedette. Claudine et Jan-Eric nous retrouveront plus tard à Havøysund pour nous emmener visiter ce village coloré centré sur l'industrie halieutique et port de transbordement pour le Hurtigruten. Bateau que nous croiserons le lendemain de notre passage et que nous entendrons converser avec son homologue dans la langue de la corne de brume.
Quand la Nature nous met à genou, l'Homme nous tend la main. Lorsque fatigués de l'Homme, la Nature nous ressource. Un équilibre en redéfinition constante qu'il n'est pas toujours facile d'identifier ni maintenir. Lorsqu'il se révèle, c'est l'intensité du moment, la beauté de ce qui se présente qui le traduit.
Lorsque nous quittons la baie de Burstad, après quatre jours d'assiègement par les vents, nous savons que nous devons désormais composer avec l'handicap d'une tente fragilisée. Thomas et Annette de Skibotn ont passé du temps à prospecter pour nous les possibilités d'obtenir de nouvelles tubulures, sans succès. Au soir de notre reprise de navigation, nous redoublons de vigilance sur l'emplacement de bivouac. Il nous faut trouver un lieu protégé des vents, quand bien même ma confiance en ma capacité à évaluer cette donne a été fortement ébranlée par notre expérience des jours passés. Nous pagayons quelques kilomètres hors itinéraire pour atteindre le fin fond d'un fjord, là où une route et surtout une bâtisse nous offre une solution de repli. Au cas où. Après une prospection plus rapprochée, nous découvrons un ensemble de maisons rouges, un petit port, et réalisons qu'il s'agit là en réalité d'un site dédié au tourisme de pêche. Nous décidons toutefois de demander la permission d'installer notre tente à proximité de l'un des bâtiments. Qui sait ? Ainsi faisons-nous la connaissance de Claudine puis de son mari Jan-Eric, un couple franco-suédois qui gère depuis plus de quinze ans le site de Myrfjord, et ce pour la dernière année. De fil en aiguille, nous nous retrouvons installés gracieusement dans une petite chambre au-dessus du local de dépeçage des poissons, avec à disposition, entre autres, douche, lave-linge, salon puis encore cuisine. « J'aime bien aider les voyageurs, nous avons pas mal voyagé nous aussi. » nous dira Claudine. En plus de tout ce confort, le couple nous offre la valeur inestimable de leurs vastes connaissances et expérience de vie dans cette région où la pêche tient la vedette. Claudine et Jan-Eric nous retrouveront plus tard à Havøysund pour nous emmener visiter ce village coloré centré sur l'industrie halieutique et port de transbordement pour le Hurtigruten. Bateau que nous croiserons le lendemain de notre passage et que nous entendrons converser avec son homologue dans la langue de la corne de brume.
Lors de notre passage à Myrfjord, nous assistons un groupe de Suédois lors de la préparation du fruit de leur pêche matinale. Principalement du cabillaud, mais aussi du lieu noir et loup atlantique. Les filets sont habilement tirés, tout le reste retourne à la mer, pour le plus grand plaisir des mouettes qui attendent impatiemment leur pitance de luxe. Pour nous qui mettons un point d'honneur à ne rien jeter, nous nous interrogeons sur cette pratique. Nos conversations avec Claudine et Jan-Eric nous permettront d'en saisir la probable origine. La quantité de poisson par personne est limitée pour franchir la frontière internationale ; alors au vu du nombre de spécimens pêchés, seul le meilleur est conservé. Les Suédois nous offrent quatre magnifiques filets, ainsi qu'à titre expérimental de la langue, une joue et du foie de morue. Ce dernier, selon les conseils de l'un des pêcheurs, doit être congelé au minimum 24 heures puis bouilli 20 minutes pour tuer les éventuels parasites. Selon cet homme costaud de plus de 2 mètres, le foie est relativement nourrissant voire écoeurant, et gras, évidemment. Notre expérience le confirmera.
A chaque soir sa baie, à chaque soir son point de vue spectaculaire que les pans de montagne abrupts nous permettent d'atteindre en quelques enjambées. Finalement nous atteignons l'ultime île de notre périple, celle qui se nomme l'île aride ou maigre, Magerøya. Au Nord, le cap Nord, le touristique. Et encore plus au Nord, « notre » cap, Knivskjellodden, le point le plus septentrional d'Europe. Ces lieux ont définitivement placé dans l'ombre le reste de l'île qui pourtant mérite que l'on s'y attarde. A cette saison où la fonte des neiges et des glaces est à son paroxysme, l'eau se décline partout autour de nous en ruisseaux, cascades, lacs, gouilles... A en perdre la tête tant la scène est spectaculaire. Alors que nous nous baignons dans l'un de ces lacs glacials, un lièvre blanc bondit de roche en roche, des aigles marins planent nonchalamment au-dessus de nos têtes alors que des mouettes les provoquent, un renard trottine innocemment pour aller se servir sans gêne dans nos sacoches, une loutre fait sa toilette avec application... Les bourgeons de feuilles enfin s'ouvrent et se déploient à vue d'oeil. Mais comment allons-nous pouvoir quitter ces lieux ?
A chaque soir sa baie, à chaque soir son point de vue spectaculaire que les pans de montagne abrupts nous permettent d'atteindre en quelques enjambées. Finalement nous atteignons l'ultime île de notre périple, celle qui se nomme l'île aride ou maigre, Magerøya. Au Nord, le cap Nord, le touristique. Et encore plus au Nord, « notre » cap, Knivskjellodden, le point le plus septentrional d'Europe. Ces lieux ont définitivement placé dans l'ombre le reste de l'île qui pourtant mérite que l'on s'y attarde. A cette saison où la fonte des neiges et des glaces est à son paroxysme, l'eau se décline partout autour de nous en ruisseaux, cascades, lacs, gouilles... A en perdre la tête tant la scène est spectaculaire. Alors que nous nous baignons dans l'un de ces lacs glacials, un lièvre blanc bondit de roche en roche, des aigles marins planent nonchalamment au-dessus de nos têtes alors que des mouettes les provoquent, un renard trottine innocemment pour aller se servir sans gêne dans nos sacoches, une loutre fait sa toilette avec application... Les bourgeons de feuilles enfin s'ouvrent et se déploient à vue d'oeil. Mais comment allons-nous pouvoir quitter ces lieux ?
Quel que sera notre état d'esprit au moment de laisser derrière nous cette faune et ce décor, cela n'est pas pour tout de suite. Car notre dernier rendez-vous avec l'équipe de Passe-moi les Jumelles, dans le village de pêcheurs de Gjesvær, définit notre agenda. Si ce temps d'attente se mêle de la frustration de ne pouvoir profiter des fenêtres météo qui s'ouvrent puis se referment sous nos yeux, nous savons que c'est aussi l'opportunité de s'imprégner d'un lieu plus intensément, de le découvrir différemment. Ainsi ferons-nous la connaissance de Steinar, puis de Natalia... / AG
Des coulisses du Cap Nord à Skarsvåg - Le passage d'un Cap, épilogue de Cap Kayak - 16.06.24
Le 5 juin, nous établissons nos quartiers dans le petit village de Gjesvær. Tout d'abord dans ses abords, là où seuls les eiders, les mouettes et les aigles logent et où nous montons notre tente. Puis, aux aurores d'un jour brumeux, nous déménageons en son coeur, où nous intégrons le logement réservé par l'équipe de la télévision suisse.
Alors en train d'installer notre campement à l'écart du village, nous faisons la connaissance de Steinar, un natif de plus de 80 ans, qui marche cahin-caha sur ce terrain on ne peut plus accidenté, deux bâtons de marche assurant un équilibre bien précaire. Une fois n'est pas coutume, le suédois sera le point de rencontre de nos deux langues distinctes. Il nous explique qu'il vient de sortir d'une opération importante, qu'il s'entraîne pour améliorer sa mobilité, et c'est avec un grand respect que nous le regardons s'éloigner. C'est suite au récit de cette rencontre par Steinar auprès de Natalia, la tenancière de l'unique magasin du village, que nous entamerons la conversation avec cette Russe installée ici depuis plus de 23 ans. S'étant attelée avec assiduité depuis quelques années à l'étude de l'Historique de la région, elle nous partage ses connaissances, et avec elle plongeons dans une réalité où le village n'était accessible que par la mer, où le commerce russo-norvégien fleurissait, où les infrastructures se déplaçaient pour permettre aux navires de plus en plus grands d'accoster... Natalia nous transmet d'ailleurs un extrait du récit de l'expédition de La Recherche, une exploration des pays scandinaves entre 1838 et 1840, ordonnée par l'Amirauté française. Un extrait dans lequel la découverte de la région de Gjesvær et du Cap Nord y est contée. Le récit date d'il y a presque 200 ans, pourtant la réalité décrite raisonne en moi...
Pour ainsi dire chaque jour nous allons à la supérette pour prospecter l'étalage des produits en promotion car passés de date ; prétexte à l'échange plus que nécessité. Dans un second temps nous faisons la connaissance d'Erling, le mari de Natalia, qui possède, entre autres, l'église du village. Il s'agit peut-être là de l'unique établissement religieux norvégien, en fonction et détenu par un privé. En passionné d'Histoire, de littérature, d'art et surtout de cartographie ancienne, il nous fait découvrir ses trésors tout en narrant les innombrables défis et aventures enveloppant ses objets de collection.
Le 5 juin, nous établissons nos quartiers dans le petit village de Gjesvær. Tout d'abord dans ses abords, là où seuls les eiders, les mouettes et les aigles logent et où nous montons notre tente. Puis, aux aurores d'un jour brumeux, nous déménageons en son coeur, où nous intégrons le logement réservé par l'équipe de la télévision suisse.
Alors en train d'installer notre campement à l'écart du village, nous faisons la connaissance de Steinar, un natif de plus de 80 ans, qui marche cahin-caha sur ce terrain on ne peut plus accidenté, deux bâtons de marche assurant un équilibre bien précaire. Une fois n'est pas coutume, le suédois sera le point de rencontre de nos deux langues distinctes. Il nous explique qu'il vient de sortir d'une opération importante, qu'il s'entraîne pour améliorer sa mobilité, et c'est avec un grand respect que nous le regardons s'éloigner. C'est suite au récit de cette rencontre par Steinar auprès de Natalia, la tenancière de l'unique magasin du village, que nous entamerons la conversation avec cette Russe installée ici depuis plus de 23 ans. S'étant attelée avec assiduité depuis quelques années à l'étude de l'Historique de la région, elle nous partage ses connaissances, et avec elle plongeons dans une réalité où le village n'était accessible que par la mer, où le commerce russo-norvégien fleurissait, où les infrastructures se déplaçaient pour permettre aux navires de plus en plus grands d'accoster... Natalia nous transmet d'ailleurs un extrait du récit de l'expédition de La Recherche, une exploration des pays scandinaves entre 1838 et 1840, ordonnée par l'Amirauté française. Un extrait dans lequel la découverte de la région de Gjesvær et du Cap Nord y est contée. Le récit date d'il y a presque 200 ans, pourtant la réalité décrite raisonne en moi...
Pour ainsi dire chaque jour nous allons à la supérette pour prospecter l'étalage des produits en promotion car passés de date ; prétexte à l'échange plus que nécessité. Dans un second temps nous faisons la connaissance d'Erling, le mari de Natalia, qui possède, entre autres, l'église du village. Il s'agit peut-être là de l'unique établissement religieux norvégien, en fonction et détenu par un privé. En passionné d'Histoire, de littérature, d'art et surtout de cartographie ancienne, il nous fait découvrir ses trésors tout en narrant les innombrables défis et aventures enveloppant ses objets de collection.
Il ne se passe pas un seul jour à Gjesvær où je ne me laisse captiver par la forme atypique de l'archipel de Gjesværstappan, où niche entre autres, la deuxième plus grande colonie de macareux de Norvège. Le soleil s'y cache à minuit, avant d'entamer une nouvelle ronde au-dessus de nous. Ces îles m'attirent, le kayak nous en offre l'accès, mais les vents en décident autrement. Car dès notre arrivée au village, ils ne cessent de balayer les plans d'eau exposés, insufflant le doute sur la possibilité d'atteindre le Cap Nord par la voie maritime. Les prévisions ne cessent de se modifier ; force est de constater qu'il est impossible de prédire la météo 24 heures à l'avance. Je ne saurais comptabiliser le nombre de consultations quotidiennes de nos sites météorologiques de références, Windy et Yr.no.
« Le bateau était amarré dans le port, les matelots avaient déjà revêtu leurs tuniques de cuir et leurs longues bottes; mais le vent du nord soufflait avec violence : il était impossible de mettre à la voile ou de ramer. Nous restâmes ainsi toute une semaine, regardant à l'horizon et consultant les nuages. Enfin, il s'éleva une légère brise d'ouest, et nous nous embarquâmes. »*
* Extraits issus du livre « Voyages de la Commission scientifique du Nord en Scandinavie, en Laponie, au Spitzberg et aux Feröe, pendant les années 1838, 1839, 1840, sur la corvette La Recherche »
L'équipe de Passe-moi les Jumelles, Matthieu et Tim, arrivent le 10 juin. Cinq jours, c'est le temps imparti pour atteindre le Cap Nord en leur compagnie. Etablir un programme avec un paramètre aussi instable que la force du vent tient du véritable casse-tête chinois. A leur arrivée, une fenêtre météo s'ouvre pour le jeudi 13, laquelle se maintient sur deux jours, avant de se refermer, repoussant un potentiel départ à vendredi. Mais mercredi soir, juste avant d'aller nous coucher, nous constatons que les prévisions sont encore bouleversées et il va peut-être nous falloir lever le camp le lendemain, au risque de ne pas partir du tout ! Les réveils sont enclenchés, les affaires empaquetées et le programme initial du lendemain mis en suspens jusqu'à la prochaine consultation météo.
« Le bateau était amarré dans le port, les matelots avaient déjà revêtu leurs tuniques de cuir et leurs longues bottes; mais le vent du nord soufflait avec violence : il était impossible de mettre à la voile ou de ramer. Nous restâmes ainsi toute une semaine, regardant à l'horizon et consultant les nuages. Enfin, il s'éleva une légère brise d'ouest, et nous nous embarquâmes. »*
* Extraits issus du livre « Voyages de la Commission scientifique du Nord en Scandinavie, en Laponie, au Spitzberg et aux Feröe, pendant les années 1838, 1839, 1840, sur la corvette La Recherche »
L'équipe de Passe-moi les Jumelles, Matthieu et Tim, arrivent le 10 juin. Cinq jours, c'est le temps imparti pour atteindre le Cap Nord en leur compagnie. Etablir un programme avec un paramètre aussi instable que la force du vent tient du véritable casse-tête chinois. A leur arrivée, une fenêtre météo s'ouvre pour le jeudi 13, laquelle se maintient sur deux jours, avant de se refermer, repoussant un potentiel départ à vendredi. Mais mercredi soir, juste avant d'aller nous coucher, nous constatons que les prévisions sont encore bouleversées et il va peut-être nous falloir lever le camp le lendemain, au risque de ne pas partir du tout ! Les réveils sont enclenchés, les affaires empaquetées et le programme initial du lendemain mis en suspens jusqu'à la prochaine consultation météo.
A 7h00 le jeudi 13, la fenêtre se confirme, alors nous levons l'ancre. Non sans une certaine excitation. Le vent certes n'est pas au calme, et il nous vient de face, mais nous ne pouvons que relativiser compte tenu de la réalité de cette portion du monde où les exigences se doivent d'être revisitées.
Finalement, nous voilà à ce point qui fut notre Cap durant plus de deux ans. Depuis notre départ, nous avons appris son réel nom : Knivskjellodden. Le point le plus au nord de l'Europe, dont la magnificence règne dans ce qu'il représente plutôt que dans ce qu'il évoque à l'oeil du visiteur. Comme pour nous y accueillir, des phoques nous attendent à cet endroit précis, nous scrutant de leurs yeux fabuleux. Nous y attend également Matthieu, qui nous salue depuis ce qui semble bien être le rocher accessible le plus septentrional d'Europe ! Pourtant nous ne pouvons nous y attarder, car le plan d'eau est à cet endroit malmené, les vagues venant se fracasser à ses pieds. Nous savons en outre que le vent forcit à mesure que le jour avance. Nous nous permettons tout de même l'originalité de revenir en arrière et de passer une seconde fois le Cap, pour les besoins filmiques.
« Mais il est vrai de dire qu'autour de ces rochers qui forment la pointe du cap, la mer est rarement calme : même quand le vent se tait, les longues vagues de l'océan Glacial roulent avec fracas, comme si elles étaient encore soulevées par l'orage de la veille, et la côte est hérissée de brisants, où les flots impétueux se précipitent avec un rugissement pareil au bruit du tonnerre. Là , si l'on est surpris par l'ouragan, nul asile ne s'offre à la barque fragile, nulle terre ne la protège; et, si le vent contraire persiste, l'excursion de trente lieues peut durer trente jours. »*
Finalement, nous voilà à ce point qui fut notre Cap durant plus de deux ans. Depuis notre départ, nous avons appris son réel nom : Knivskjellodden. Le point le plus au nord de l'Europe, dont la magnificence règne dans ce qu'il représente plutôt que dans ce qu'il évoque à l'oeil du visiteur. Comme pour nous y accueillir, des phoques nous attendent à cet endroit précis, nous scrutant de leurs yeux fabuleux. Nous y attend également Matthieu, qui nous salue depuis ce qui semble bien être le rocher accessible le plus septentrional d'Europe ! Pourtant nous ne pouvons nous y attarder, car le plan d'eau est à cet endroit malmené, les vagues venant se fracasser à ses pieds. Nous savons en outre que le vent forcit à mesure que le jour avance. Nous nous permettons tout de même l'originalité de revenir en arrière et de passer une seconde fois le Cap, pour les besoins filmiques.
« Mais il est vrai de dire qu'autour de ces rochers qui forment la pointe du cap, la mer est rarement calme : même quand le vent se tait, les longues vagues de l'océan Glacial roulent avec fracas, comme si elles étaient encore soulevées par l'orage de la veille, et la côte est hérissée de brisants, où les flots impétueux se précipitent avec un rugissement pareil au bruit du tonnerre. Là , si l'on est surpris par l'ouragan, nul asile ne s'offre à la barque fragile, nulle terre ne la protège; et, si le vent contraire persiste, l'excursion de trente lieues peut durer trente jours. »*
Puis nous abordons les célèbres falaises dont la verticalité vertigineuse est, je dois le reconnaître, absolument saisissante. Ici aussi le plan d'eau ne nous laisse que peu de répit pour apprécier la vue. C'est ici que se rencontrent la mer de Norvège et la mer de Barents, entraînant des conflits belliqueux de courants. Quelques coups d'oeil volés à ma concentration m'étourdissent face à cette perturbation des repères dimensionnels. Peu après, nous atteignons l'objectif final de cette journée, la baie historique de Hornvika. Nichée au pied de ce mur de 300 mètres de haut, elle est le lieu où les premiers explorateurs du Cap débarquaient. Fascinée, je regarde ce tableau se transformer en noir et blanc, à l'image des premières représentations de ce lieu autrefois mystérieux. De cette bichromie s'illuminent les boutons d'or, les mêmes narrés par M. Xavier Marmier dans son récit.
« Notre guide nous fit doubler sa pointe, et nous entrâmes dans une petite baie creusée au milieu de la montagne. Là, nous fûmes surpris par un singulier point de vue. Devant nous était une enceinte de rocs partagés par larges bandes comme l'ardoise, ou broyés comme la lave; au milieu l'eau de la baie verte et limpide, abritée contre les vents, unie comme une glace ; et sur la rive de ce port paisible, au pied des cimes nues et escarpées, un lit de fleurs et de gazon, et un ruisseau d'argent fuyant entre les blocs de pierre. Sur ses bords fleurissaient le vergissmeinnicht aux yeux bleus, la renoncule à la tête d'or, le géranium sauvage avec sa robe violette et ses feuilles veloutées, le petit œillet des bois; et, un peu plus loin, de hautes tiges d'angélique cachaient, sous leurs larges rameaux, des touffes d'herbe. Je ne saurais dire l'effet que produisit sur moi cette végétation inattendue : c'était comme un dernier rayon de vie sur cette terre inanimée, comme un dernier sourire de la nature dans l'aridité du désert. »*
« Notre guide nous fit doubler sa pointe, et nous entrâmes dans une petite baie creusée au milieu de la montagne. Là, nous fûmes surpris par un singulier point de vue. Devant nous était une enceinte de rocs partagés par larges bandes comme l'ardoise, ou broyés comme la lave; au milieu l'eau de la baie verte et limpide, abritée contre les vents, unie comme une glace ; et sur la rive de ce port paisible, au pied des cimes nues et escarpées, un lit de fleurs et de gazon, et un ruisseau d'argent fuyant entre les blocs de pierre. Sur ses bords fleurissaient le vergissmeinnicht aux yeux bleus, la renoncule à la tête d'or, le géranium sauvage avec sa robe violette et ses feuilles veloutées, le petit œillet des bois; et, un peu plus loin, de hautes tiges d'angélique cachaient, sous leurs larges rameaux, des touffes d'herbe. Je ne saurais dire l'effet que produisit sur moi cette végétation inattendue : c'était comme un dernier rayon de vie sur cette terre inanimée, comme un dernier sourire de la nature dans l'aridité du désert. »*
Le lendemain, nous embarquons dans nos kayaks en sachant que nous abordons là notre dernière navigation.L'objectif : atteindre un lieu accessible par voie terrestre, ouverture sur un changement de paradigme. Skarsvåg nous offre cette possibilité, ainsi qu'une baie un peu à l'écart du village pour pouvoir passer les quelques jours de transition avant notre retour. Dernier cadeau de la Nature, un Nise (marsouin commun) bondit hors de l'eau et tout près de nous, alors que nous nous apprêtons à accoster. Matthieu et Tim nous attendent sur la plage et avec eux nous réalisons les derniers tournages pour l'émission de Passe-moi les Jumelles.
Puis nous passons les derniers jours de ce voyage à huit clos, tous les deux, et en compagnie de dizaines de rennes qui font désormais partie de notre vie quotidienne. En ce 16 juin, alors que nous nous apprêtons à quitter ces lieux et rendre les clés de Cap Kayak, la tristesse pointe le bout de son nez. Ou serait-ce déjà de la nostalgie ? Ce n'est pas tant l'envie de tirer en longueur, la formulation le traduit d'ailleurs, qui me place dans cette émotion diffuse. Mais plutôt le fait de quitter cette bulle dans laquelle nous évoluons depuis plus de deux ans, dont les contours se nomment Cap Kayak. Un quotidien fait de simplicité, du bonheur de composer avec ce qui nous entoure et se présente à nous, de l'émerveillement de petits riens, de la puissance de l'Amitié, de l'inconnu accueilli en confiance... Alors avec philosophie me dis-je qu'il s'agit peut-être simplement de prendre un peu de recul, de s'apercevoir que cette bulle s'inscrit dans une plus large, qui s'appelle la Vie. Que terminer ce projet ne signifie pas en quitter ses composantes. Cap Kayak se termine. Mais tout demeure. Seuls nos choix dessineront la suite. Les falaises ne bougeront pas. Les amitiés nouvelles ont été tissées au-delà d'un point géographique. Les eiders continueront de roucouler et les baleines de surgir des profondeurs. Zoé4life poursuit d'arrachepied ses actions, la cause du cancer pédiatrique nécessite toujours que l'on se batte pour elle.
Tout demeure, tout est là et rien n'est perdu. Ne tient qu'à moi de leur donner un sens en harmonie avec des besoins en constante évolution. Je suis moi ici. Je serai moi ailleurs.
En soi, passer le Cap n'est pas si important, mais ce lieu géographique a été notre repère, la référence de notre boussole, durant plus de deux ans. Alors atteint ce point le plus au Nord du continent, où nous orienter ? Plus qu'une perte de repères, ce passage est une porte ouverte sur un arbre des possibles qui jamais n'a été aussi luxuriant. Tout s'ouvre à nous.
Demain, Carl-Magnus vient nous chercher. Avec lui, nous rentrerons à Luleå.
La Vie continue, et c'est avec enthousiasme que nous nous élançons vers l'Horizon. / AG
Puis nous passons les derniers jours de ce voyage à huit clos, tous les deux, et en compagnie de dizaines de rennes qui font désormais partie de notre vie quotidienne. En ce 16 juin, alors que nous nous apprêtons à quitter ces lieux et rendre les clés de Cap Kayak, la tristesse pointe le bout de son nez. Ou serait-ce déjà de la nostalgie ? Ce n'est pas tant l'envie de tirer en longueur, la formulation le traduit d'ailleurs, qui me place dans cette émotion diffuse. Mais plutôt le fait de quitter cette bulle dans laquelle nous évoluons depuis plus de deux ans, dont les contours se nomment Cap Kayak. Un quotidien fait de simplicité, du bonheur de composer avec ce qui nous entoure et se présente à nous, de l'émerveillement de petits riens, de la puissance de l'Amitié, de l'inconnu accueilli en confiance... Alors avec philosophie me dis-je qu'il s'agit peut-être simplement de prendre un peu de recul, de s'apercevoir que cette bulle s'inscrit dans une plus large, qui s'appelle la Vie. Que terminer ce projet ne signifie pas en quitter ses composantes. Cap Kayak se termine. Mais tout demeure. Seuls nos choix dessineront la suite. Les falaises ne bougeront pas. Les amitiés nouvelles ont été tissées au-delà d'un point géographique. Les eiders continueront de roucouler et les baleines de surgir des profondeurs. Zoé4life poursuit d'arrachepied ses actions, la cause du cancer pédiatrique nécessite toujours que l'on se batte pour elle.
Tout demeure, tout est là et rien n'est perdu. Ne tient qu'à moi de leur donner un sens en harmonie avec des besoins en constante évolution. Je suis moi ici. Je serai moi ailleurs.
En soi, passer le Cap n'est pas si important, mais ce lieu géographique a été notre repère, la référence de notre boussole, durant plus de deux ans. Alors atteint ce point le plus au Nord du continent, où nous orienter ? Plus qu'une perte de repères, ce passage est une porte ouverte sur un arbre des possibles qui jamais n'a été aussi luxuriant. Tout s'ouvre à nous.
Demain, Carl-Magnus vient nous chercher. Avec lui, nous rentrerons à Luleå.
La Vie continue, et c'est avec enthousiasme que nous nous élançons vers l'Horizon. / AG