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Du Léman au Cap Nord: 5'800 km en kayak de mer

(en cours)
Et si l'on reprenait la route. Une route différente avec pour seule ligne blanche l'écume et la neige ? Et si l'on reprenait la route non pas que pour nous, mais pour une raison plus grande transcendant le simple fait de voyager ? 5'800km en kayak de mer pour rejoindre le cap Nord dont 600km de marche, en hiver, en tractant nos bateaux à travers la mythique Laponie. Cap Kayak est la réponse à nos envies, nos besoins, une nouvelle aventure en faveur des enfants atteints d'un cancer.

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kayak de mer / randonnée/trek
Quand : 12/03/2022
Durée : 880 jours
Distance globale : 5541km
Dénivelées : +2356m / -2718m
Alti min/max : 0m/887m
Carnet publié par Chasseurs d horizon le 27 oct. 2023
modifié le 02 juil.
Mobilité douce
du pas de la porte au pas de la porte
Précisions : ou presque. Partis de la maison avec nos kayaks et baskets, nous avons laissé toutes les portes ouvertes pour le trajet du retour... Mais où débute le retour quand un voyage n'a pas de fin ?
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Vue d'ensemble

Le topo : Suède, mais où débute le Nord ? (mise à jour : 27 oct. 2023)

Distance section : 542km
Dénivelées section : +1m /
Section Alti min/max : 0m/1m

Description :

Retour à la maison ou presque... On l'aime tellement cette Suède. Ici, plus besoin de se cacher pour camper. Plus besoin de rejoindre un lieu dédié au bivouac. Ce sont les aigles marins qui nous accueillent, les phoques qui partagent avec nous la curiosité de la rencontre...

Milieu traversé :

Environnement : [mer]

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Le compte-rendu : Suède, mais où débute le Nord ? (mise à jour : 27 oct. 2023)


DE YSTAD À ELLEHOLM - 14.08.2022

La côte sud de la Suède est finalement plus séduisante que ce que sa linéarité et son attrait touristique ne le présageaient. Certes, les longues plages de sable sont parfois « bondées » ; mais cela reste une notion toute relative. La population y est plus dense que sur les abords boisés, mais ces plages-là ne sauraient concurrencer ses homologues méditerranéennes.

Ces côtes de sable offrent à nos kayaks un accostage facilité et moins risqué que celles faites de rochers, de galets ou de béton. Un cadeau de la nature qui se révèle néanmoins être des plus fourbes, l'architecture du fond marin générant parfois un phénomène redoutable. La mer peut être facile à naviguer au large mais complexe à gérer lorsque nous arrivons proche de la rive, là où les petites vagues deviennent voluptueuses lorsqu'elles buttent contre les hauts-fonds. A plusieurs reprises nous nous sommes faits avoir. Néanmoins, notre mésaventure la plus importante, je la dois aussi à mon insouciance. Ainsi qu'au « speed-boat » reliant Ystad à Bornholm, un ferry traçant à toute allure et générant un déplacement d'eau phénoménal. N'ayant mesuré l'importance des rouleaux formés par ces ondes rencontrant les hauts-fonds, je dessale. Un terme quelque peu ironique au regard du fait que l'on ressort de la manoeuvre trempe de la tête aux pieds... Je chavire, et ce pour la première fois. Je me retrouve sens dessus dessous, totalement immergée sous mon kayak. Cette situation, je l'ai appréhendée. Si je devais me retrouver prisonnière de mon hiloire par la jupe qui m'enserre à la taille, parviendrais-je à faire le nécessaire pour retrouver l'air à temps ? Certes, les habitués pourraient voir ici un coup de théâtre imaginaire, un scenario faussement dramatique, tant la manoeuvre est banale. Maintenant je le sais. Mais à ce moment précis, ne l'ayant jamais expérimenté, le doute est présent. Alors je recrute toute mes capacités pour atteindre cet unique objectif : me délivrer de mon kayak. Je lâche tout ce que j'ai en main pour tirer sur la lanière de ma jupe qui heureusement ne me résiste, je pivote et remonte à la surface. Je parviens à retourner mon kayak et à rassembler les quelques affaires qui n'étaient pas attachées au bateau, excepté la caméra prêtée par l'équipe de Paju et mes lunettes. Mon hiloire est une véritable piscine. Je ne peux la vider, l'écope étant dans le bateau d'Olivier. Ce dernier ne peut s'approcher de moi car les vagues sont trop importantes pour qu'il puisse m'aider sans risquer de faire plus de dégâts. A distance, il me dicte les opérations. Rejoindre la plage. Ainsi je prends mon kayak en main et nous laisse nous faire entraîner par les vagues en direction de la rive. Là, un homme vient m'aider à retourner le kayak pour le vider puis à le tirer pour le mettre hors de portée des assauts de l'eau. Une fois la mer plus calme, je reprends la navigation. Contente d'avoir expérimenté avec succès cette situation de dessalage, le contrecoup lié à la charge émotionnelle qu'a représenté cet évènement ainsi que la perte de la caméra et par là même des images qu'elle contenait, me saisit dans un deuxième temps. Un 1er août des plus inattendu qui restera gravé dans ma mémoire.


Cet évènement, où les émotions sont à fleur de peau et où les remises en question n'attendent que d'être cueillies, nous nous interrogeons sur notre manière de voyager. De voyager ou de vivre ? Voilà une rengaine qui revient bien souvent. Il est facile d'occuper son temps à pagayer. Mais si nous vivons plus que nous ne voyageons, alors quelles sont ces autres occupations dont nous souhaitons emplir nos journées et qui y donnent du sens ? Autant dire que la question demeure ouverte et si nous avons pu trouver quelques pistes de réponses, elle le demeurera tant que nous vivrons. Car je sais que la réponse n'aura de cesse d'évoluer au fil du temps. Olivier découvre le Qi Qong et persévère dans la pêche. Jusqu'à présent, ses tentatives se soldent par une récolte fructueuse d'algues. Les poissons sont déclarés absents. Rien de surprenant, car lorsque l'on scrute le fond marin, seules les méduses animent cette masse d'eau. L'environnement terrestre se révèle plus intéressant au niveau de l'enjolivement de nos assiettes. Les rosiers rugueux sont souvent nos compagnons de bivouac et nous apprenons à apprêter ses fruits. Notre guide sur les plantes comestibles à la main, nous découvrons alors notre environnement sous un regard gourmand.

Lors de notre séjour chez Cino, vers Trelleborg, nous y avions rencontré sa sœur Tove. Cette dernière habitant à proximité de la mer, nous avions convenu de reprendre contact lorsque nous serions proches de chez elle. Ce que nous avons fait. Ainsi, un vendredi matin pluvieux, nous atteignons le bras de rivière où se trouve le port de Åhus. Tove a organisé le parcage de nos kayaks. Mieux aurait été impossible. Ingvar et Maria, des connaissances de Tove, ont accepté d'héberger nos embarcations dans leur jardin, ce dernier se trouvant littéralement dans le port et jouxtant la rivière. Ingvar a par ailleurs lui-même relié Åhus à Paris à vélo, dans le cadre d'un évènement international ayant pour but de récolter des fonds pour le cancer pédiatrique. Alors que nous débarquons chez Tove, nous étions loin de nous imaginer que nous y resterions cinq jours et encore plus ignorants de tout ce que cette rencontre allait générer. Pour elle et pour nous. Car ce fut un réel échange. Tove nous a offert énormément ; sa connaissance de la région, des repas sublimes, des contacts pour notre hivernage sur Gotland, sa vivacité d'esprit et d'action, son aide pour la diffusion de notre action via un interview avec le journal régional, son enthousiasme pour notre projet... Et si nous ne lui avons rien offert de matériel ni de financier, de par ce qu'elle exprime, Tove nous témoigne qu'elle aussi a reçu. De l'espoir peut-être, celui qu'il est possible de réaliser des actions positives à l'époque où les médias ne cessent de nous dire le contraire. La certitude aussi qu'elle peut toujours se rendre utile auprès d'autrui, alors que son dévouement auprès de son époux a pris fin il y a quelques mois lorsqu'il s'en est allé. Le plaisir aussi d'avoir une présence à la maison lorsqu'elle y revient, de cuisiner pour trois et partager ce repas. C'est donc entourés d'une énergie positive et stimulante que nous avons évolué à ses côtés. Sans compter que d'avoir une chambre, un lit double, une salle de bain et une machine à café furent en soi un régal. Une nouvelle fois, nous reprenons la route emplis de la beauté de l'hospitalité suédoise. Et au moment de quitter la maison de Tove, je ne peux m'empêcher d'avoir le cœur serré.


La beauté de la nature sait y faire pour combler le vide laissé par les au revoir. Nous renouons avec le bivouac sur une petite île habitée par un troupeau de moutons et quantité de cormorans et où nous furent les seuls bipèdes le temps de notre séjour. L'île de Hanö, sur laquelle nous passons également une nuit, est quant à elle bien habitée. Et selon certains, pas que par des êtres humains. Les dragons, les géants et des êtres invisibles sont à l'origine de bien des légendes qui expliquent les formations minérales de cette île charmante... Palpable est le coucher du soleil que la hauteur des terres nous permet d'apprécier ; peut-être l'un des derniers avant bien longtemps... Non qu'il s'agisse du soleil de minuit, mais bien du fait que nous allons à présent longer la côte est de la Suède.

Nous voilà aujourd'hui à la veille des retrouvailles avec Christian et Danièle, les parents d'Olivier. En prenant nos pagaies ce matin, notre unique objectif était de trouver un emplacement accessible en véhicule, acceptant le stationnement nocturne des camping-cars et à proximité duquel nous pourrions planter la tente. Autant dire que nous avons fait deux kilomètres pour dénicher notre endroit. Il nous reste à nous délecter de ce lieu autant que des myrtilles et des mûres de la forêt voisines avant cette rencontre. #Aline

Partir avec un kayak c'est être non pas face, mais sur un miroir de plus de 361 millions de kilomètres carré, les jours sans vent...
Partir avec un kayak c'est être non pas face, mais sur un miroir de plus de 361 millions de kilomètres carré, les jours sans vent...

QUAND ON ARRÊTE DE VOYAGER - 22.08.2022

Cinq mois déjà que nous avons quitté la pelouse familiale, une matinée à la robe printanière. Cent-cinquante jours que notre « jardin » s'est mué tantôt en forêts, en îles, en plages, en prairies, en parcs, en digues, en ports, en invitations et rares sont les fois où j'ai griffonné le papier pour alimenter notre blog. Il est vrai qu'Aline prend à coeur cette activité et que « l'encre » qu'elle utilise est loin d'être gaspillée. Mais les raisons de mon absence ne sont pas habillées d'une certaine galanterie. Non, loin de là !

Partir en vacances est un acte facile. Pour la plupart des gens, elles sont méritées et donc justifiées. De plus, le fait de se vautrer dans un transat les pieds en éventail fait partie du programme d'un bon nombre d'estivaliers et devient par conséquent accepté, voire valorisé (cf. photos likées sur les réseaux sociaux). Mais qu'en est-il de celui qui prend le large, quittant une réalité pas toujours facile, abandonnant ses semblables à cette vie de labeur. Si, avec le temps, le regard critique de certains peut s'ignorer, l'introspection est elle un passage obligé. Partir avec un kayak c'est être non pas face, mais sur un miroir de plus de 361 millions de kilomètres carré, les jours sans vent. Là, les réflexions déferlent comme la houle sur une plage en mer du Nord. Invisibles, elles « s'amoncèlent », faisant parfois un vacarme de tous les diables. Faites de pourquoi, de comment, d'où et de quand, elles prennent sournoisement de l'énergie aux « navigateurs » comme le fait parfois le jusant (marée descendante).

Suède, mais où débute le Nord ?

Imperceptible ou tout au contraire implacable, elle entraîne le marin là où il ne le souhaite pas, semant le désordre dans ses plans de navigation, l'amenant parfois dans des eaux faites de doutes et de remises en question. Entrer dans un voyage demande du temps et de l'énergie. Et peut-être que la venue des premiers cheveux blancs n'arrange rien à la question ? Mais voilà, après cinq mois d'itinérance, je me trouve enfin à ma place. Plus besoin de trouver de prétexte pour avoir un jour revêtu la parure du voyageur. Plus besoin d'excuse pour justifier cette - arrogante - itinérance auprès de ceux qui ne se satisfont plus de leur pesante sédentarité. Plus besoin de... puisqu'aujourd'hui je ne voyage plus ! Je vis de vagabondage. Et qui, doté d'un esprit sain, peut en vouloir à quelqu'un qui vit de simplicité, de rencontres bienveillantes et de sobriété ? Mais j'y pense... Que vais-je bien pouvoir faire de cette nouvelle vie qui s'offre à moi ? #Olivier


DE ELLEHOLM À KLUMPUDDEN - 17.09.2022

Assise à l'abris du vent dans un shelter en bois, faisant face à la mer encerclée de roseaux et de forêts lui offrant des airs de lacs, je n'entends plus que le vent froisser les feuilles de ces plantes des rives. Tout est calme, seules dansent les branches souples des pins qui font vibrer le ciel gris, ainsi que les fines tiges des graminées qui tremblent sous l'effet d'une force invisible. Non loin, la balançoire, fragment de bois soutenu par deux cordes roses, timidement invite au jeu. Les insectes se sont tus ; peut-être en raison de la pluie. Le bêlement d'un mouton rompt avec la mélancolie de l'instant en me rappelle que non, nous ne sommes pas seuls.

Il y a quelques heures encore, ce lieu était ampli d'un quatuor de voix et était le théâtre du tournage de scènes de vie. Un décor naturel pour partager une vie simple et authentique, la nôtre. Une vie qui est devenue pour nous la norme mais qui, de par le regard de nos colocataires d'un temps, de par la présence des caméras et de l'intérêt dont elles sont le véhicule, nous rappelle qu'elle n'est pas si ordinaire. L'équipe de Passe-moi les Jumelles, Matthieu et Tim, sont repartis à la mi-journée après cinq jours de partage. Une session centrée sur notre vie à terre, cette vie de tous les jours que l'on appelle vie quotidienne, qui s'est installée depuis que l'environnement et la temporalité nous l'ont permis. Des activités somme toute élémentaires mais qui ouvrent la porte à l'intellect. Et derrière des allures de simplicité se tapit un réseau de réflexions, se dévoilant à qui prend le temps de s'y arrêter. Faire la lessive nous emmène sur le chemin de notre lien à l'hygiène, idéologie que l'on tente d'essorer des préconçus sociaux. Lire dans notre tente interroge sur notre conception du terme « maison ». Cueillir des pommes permet de saisir notre relation à la Nature.

Mais avant cette rencontre, quelque trois semaines de vagabondage patientent d'être narrées.


Si le temps avait besoin de nous prouver qu'il file à sa guise, il le fait en nous mettant face à ce constat éloquent. Nous avions terminé le récit précédent à la veille de nos retrouvailles avec Christian et Danièle, les parents d'Olivier. Ce matin, nous les avons quittés alors qu'ils entament leur retour vers la Suisse. Entre nos deux retrouvailles, ils ont atteint le Cap Nord à bord de leur bus-camping, ont traversé des contrées finlandaises, norvégiennes et suédoises, se sont rendus à notre ancienne propriété de Bonäset pour rapatrier nos dernières affaires, ont croisé des rennes et des sourciers... De notre côté, le nombre de kilomètres est certes quelque peu moindre et les contrées traversées se limitent à celles des archipels de Blekinge et de la côte de Kalmar. Mais les îles y sont si nombreuses, la Nature si accueillante, la chaleur des journées ensoleillées si agréable, qu'en une pirouette le temps nous bluffe. Tant de temps s'est écoulé ; est-ce possible ? Il y a des signes qui ne trompent pas. Alors sur le Rhin, les oies ont accompagné notre migration vers le nord. Aujourd'hui, nous les voyons se regrouper pour entamer leur retour vers le sud, tandis que nous continuons à progresser vers son opposé.

Sur les îles des archipels, dédale que nous prenons plaisir à sillonner, les ronces à mûres nous accueillent immanquablement. Plus nous avançons dans la saison, plus les fruits deviennent beaux, charnus, goûtus, jusqu'à leur apothéose sur l'île de Ütlängen. Installés alors au pied d'un phare, douché par une pluie qui enfin nourrit cette terre trop sèche, nous profitons des accalmies pour se remplir la panse de ces baies noires. Des petites sucrées aux plus grosses juteuses, il n'y a qu'à se servir. L'envie d'en faire de la confiture me démange, mais une interdiction de faire des feux sévit dans le comté en raison de la sécheresse, et ce n'est pas cette journée orageuse qui aurait suffi à compenser les mois sans eau.


Il n'est pas rare de se trouver seuls habitants d'une île sauvage le temps d'un bivouac et nous prenons plaisir à trouver ces terres où l'on se sent bien, reconnaissants de cette Nature préservée. Sur l'une de ces petites îles, c'est un pommier que l'on découvre. Riche de ces cadeaux, ma tasse d'avoine du petit-déjeuner s'en retrouve sublimée et chaque matin je remercie cette Nature généreuse. Je ne peux m'empêcher de me dire qu'il y a fort longtemps, à eux seuls ces fruits de la Nature nourrissaient les humains. A ce jour, je « m'extasie » devant ces quelques ornements qui viennent contraster d'avec la nourriture achetée en magasin... Convaincue qu'un équilibre différent peut être créé, il me faut acquérir plus amples connaissances sur ce qui se trouve autour de moi. La Nature est là, mais je ne sais encore la déchiffrer. Alors, nos livres en mains, nous apprenons. Ainsi je découvre que l'arbre qui se trouve à côté de ma tente est une aubépine et que ses fruits peuvent être consommés en confiture ou en purée. Cet arbre présent à mes côtés depuis plusieurs jours n'a pas changé, seul mon regard a évolué. Il y a tant à apprendre... 

Nos quelques incrustations en milieu urbain contrastent fortement avec notre immersion en nature. Nous y sommes contraints pour nous ravitailler, mais nous sommes également curieux de découvrir les villes côtières de ces régions, pour la richesse de son histoire militaire entre autres. Mais à maintes reprises, nous constatons que lorsque nous abordons ces lieux, le coeur n'y est pas. Nous débarquons à Karlskrona avec l'intention de découvrir la vieille ville classée au patrimoine de l'UNESCO. Mais voilà. Nous parquons nos kayaks sur une plage où l'on ne se sent pas à l'aise de délaisser nos affaires pour flâner dans les ruelles. En outre le vent est important et il est fort probable qu'il augmente au cours de la journée. Plus nous passons de temps en ville, plus grand est le risque de devoir lutter contre cette force. Visiter ce patrimoine dans cette tension n'a pas de sens. Alors nous parons au plus pressé. Olivier reste avec nos bateaux, je pars faire les courses. Lorsque je reviens, Olivier s'en va visiter les alentours alors qu'à mon tour je pique-nique. Puis nous reprenons la mer pour rejoindre un lieu où nous pourrons bivouaquer, et retournons ainsi à notre vie sauvage.

Suède, mais où débute le Nord ?

Nous quittons le comté de Blekinge et entrons dans celui de Kalmar, dont le chef-lieu est l'une des villes les plus anciennes de Suède. Nous pensions nous retrouver le long d'une côte quelque peu linéaire et moins intéressante que les archipels traversés. Nous avons tôt fait de corriger nos croyances. Les îles sont toujours bien présentes ; elles sont maintenant recouvertes de forêts de pins, de bouleaux et de sapins. Nous y retrouvons les couleurs du nord, ces luminosités qui nous font nous sentir ailleurs, celles qui dorent les tiges des roseaux tout en soutenant le vert puissant des arbres, celles qui peuvent à la fois offrir une atmosphère de douceur et de menace. Nous retrouvons ces ciels majestueux qui donnent une dimension si vaste à notre univers et qui se teintent de couleurs chaudes lorsque le jour décline. Dans ces décors, nous sommes libérés de l'instant crucial où tout se joue, cet instant toujours trop court résumé en cette phrase frustrante « C'est trop tard, tu l'as loupé ! » Ici, à chaque instant et durant des heures, je reprends ce refrain : « Regarde, c'est encore plus beau qu'avant ! »


Si je m'étais émerveillée de rencontrer un phoque dans la mer des Wadden, nous sommes maintenant entourés de colonies entières. A plusieurs reprises ce sont des dizaines de phoques qui viennent à notre rencontre, nous tournant autour, donnant l'impression d'être partagés entre curiosité et crainte. A notre approche ils glissent de leur promontoire de pierre pour rejoindre la sécurité de l'eau. Mais plutôt que de nous fuir, ils tracent furtivement leur route jusqu'à nous. Alors émergent de l'eau des petites têtes rondes aux gros yeux noirs, les uns après les autres, comme des bouées remontant à la surface. Certains osent s'approcher à proximité et se retrouvent à moins de deux mètres de nous. La plupart du temps ils se tiennent dans notre dos. Il nous suffit de nous retourner, de croiser leur regard pour que vite ils replongent. Depuis que nous avons vu l'un d'entre eux mort et en putréfaction sur une plage, je les considère à leur plus juste valeur. Jamais je n'aurais imaginé qu'ils aient de telles griffes et soient équipés de dents aussi longues et pointues...

Les distances parcourues quotidiennement sont modestes et nous prenons le temps de passer certaines journées à terre. Néanmoins nos corps sont sollicités et le mien tire la sonnette d'alarme un soir alors que je me penche pour prendre la moutarde dans un sac. Une lancée fulgurante m'oblige à abandonner tout objectif autre que celui de trouver la position qui n'exacerbera pas la douleur. C'est la première fois que je dois faire face à ce que je pense être un lumbago. Inutile de préciser que dans des conditions de bivouac, cela n'est guère pratique. Mon dos ne m'autorise pas à me mettre accroupie et passer de la position couchée à debout relève d'un art complexe digne d'une scène en slow motion. Alors autant dire que faire ses besoins devient problématique. Néanmoins, je le sais : le remède contre ce mal est le mouvement. Alors quelques antidouleurs, massages et promenades plus tard, nous reprenons la mer. Admirative de la capacité qu'a mon corps de se régénérer, je me réjouis néanmoins de lui offrir la nouvelle réalité que sera celle de notre saison d'hivernage. Une période qui se dessine et qui prend forme justement à ce moment-là, pour finalement déboucher sur un projet concret des plus réjouissants. Kenneth et Wilma nous attendent chez eux, sur l'île de Gotland, pour la durée qui nous conviendra. Le rendez-vous a même déjà été fixé au 19 septembre. Dans une dizaine de jours nous aurons un toit. Dans une dizaine de jours nous installerons nos kayaks dans leur cocon d'hibernation. Dans une dizaine de jours...

Régulièrement nous recevons le relevé des dons pour l'association Zoé4life et à l'heure où nous nous apprêtons à mettre en pause le relevé kilométrique, le compte n'y est pas. Avec une certaine déception nous constatons que les dons n'évoluent plus beaucoup et cela habite nos pensées alors que nous pagayons. Comment encourager les gens à participer à cette aventure et ainsi soutenir cette association ? Comment nous y prendre pour les sensibiliser à ces besoins si réels, à cette réalité si triviale dont l'enjeu est la vie d'enfants ? Quels mots utiliser, quel ton employer pour ne pas paraître moralisateurs mais suffisamment explicites pour que le lecteur soit touché et motivé à aller au-delà du constat ? La réponse, nous ne l'avons pas encore trouvée... #Aline


DES MÉDUSES DANS MA SALLE DE BAIN - 06.10.2022

Pourquoi se lave-t-on ? Trivialité, parjure envers nos dogmes sacralisés, hérésie et « encre » gâchée ; renouvelons avec nos vielles traditions chrétiennes, Olivier refait des siennes, que revive l’inquisition ne serait-ce que le temps d'un instant. Mais oui, osons remettre en question nos principes, même les plus fondamentaux. Pourquoi se lave-t-on ? La réponse qui brûle bien des lèvres est naturellement liée à l'hygiène. Cet ensemble de pratiques et principes qui ont en commune intention d'améliorer notre santé. Mais voilà, cela fait un peu plus d'un mois que je n'ai pris ni douche ni de bain, un peu plus d'un mois qu'aucune goutte d'eau chaude n'a effleuré mon enveloppe charnelle et... nu, mon corps ne présente ni pustule, ni infection douteuse. Une peau où les seules rougeurs sont faites d'éraflures, marques d'une trop grande affection laissée par notre environnement.

« Plus on a, plus on veut ». Ce proverbe est bien connu de tous et s'applique dans plus d'un domaine : finance, pouvoir, amour, sex... nul n'oserait remettre en question ce principe et ses applications tellement il est « humain ». Mais combien d'entre nous savent qu'il s'applique également à notre besoin d'hygiène ? Car oui, l’hygiène amène à un besoin croissant d'hygiène. A force d'évoluer dans des environnements aseptisés, nous nous fragilisons, renversant cet idéal qui a vu le jour dans l'antiquité et qui a pour probable « papa » Hippocrate. Par souci d'être moins sale, siècle après siècle, nous avons cherché à être plus propre, faisant de la propreté d'hier un état de saleté actuel. Comme l'Homme craint la nuit et la forêt, il s'est mis à craindre la « saleté » sans plus trop savoir pourquoi ; cette dernière étant devenue un ennemi péremptoire. De ce fait découle des aberrations, telle que notre inaptitude progressive à évoluer dans un environnement naturel. Il y a une quinzaine d'années en Europe, la classification des champignons a été revisitée. Un grand nombre de champignons alors comestibles, mais sans intérêt gastronomique, ont été classés comme toxiques. Le règne Fungi, qui n'a rien à voir avec la régence de shoguns au pays du soleil levant, n'a de son coté que peu évolué, mais nos organismes sous sollicités ont perdu certaines de leurs facultés.

Mais oui, osons remettre en question nos principes, même les plus fondamentaux. Pourquoi se lave-t-on ?
Mais oui, osons remettre en question nos principes, même les plus fondamentaux. Pourquoi se lave-t-on ?

Alors, pourquoi se lave-t-on ? Pour ne pas importuner ses pairs, ni sa mère ? Pour maman, je veux bien comprendre. Elle qui a passé tant d'années à nous inculquer ce principe doctrinaire consistant à aller se coucher propre comme un sous neuf. Mais, je vous le demande, qui a reçu une explication objective et non sentencieuse sur le bien-fondé de cette torture pré-nocturne ? Par contre, pour nos pairs, laissez-moi en douter. Si l'on se souciait réellement de leur bien-être, on ne prendrait pas une douche quotidiennement, mais on commencerait par se soucier de ses voisins de palier. On userait un peu plus d'altruisme et on chercherait à se laver de nos préjugés qui nous rendent si sales... Alors oui, pourquoi se lave-t-on ? Oh, mais je vois déjà ceux qui s'imaginent mon rapport décadent avec ladite hygiène. A eux je leur dis d'imaginer un peu plus haut, d'imaginer un plus loin, un peu plus extrême... Car oui, j'ai atteint des sommets, comme aux Annapurna où j'ai porté un slip durant 360 heures non-stop, soit 15 jours d’affilée. La raréfaction de l'oxygène et la température oscillant autour du zéro degré a annulé l'intérêt scientifique qu'aurait pu avoir une telle expérience. Expérience qui, sous d'autres latitudes, aurait pu provoquer la création d'un biotope complexe mêlant fungi, archées, protozoaires, algues et petits invertébrés. Et osons rêver, tout cela dans une osmose parfaite...

J'ai bien réfléchi et je crois vous en avoir donné la preuve dans les lignes ci-dessus. Je ne trouve qu'une réponse à cette question récurrente mais d'intérêt qu'est « Pourquoi se lave-t-on ? » Une réponse bien loin de la médecine appliquée, loin de ce besoin qui nous consume au quotidien et que l'on appelle l'altruisme, loin de cet enjeu qu'est le jeu de la séduction... Mais j'y pense, j'allais oublier. Vu que j'ai le « stylo » en main, j'en profite pour vous expliquer à quel point le taux de divorces actuel est lié à cette nécessité de trop se laver. Et à ce problème - si cela en est un -, ce n'est pas l'eau de Cologne qui est la solution. Bien au contraire. Mais rassurez-vous, après cette digression, j'attaque la conclusion. Et puis hop à la douche ! Il a été démontré, blouse blanche à l'appui, que chez les mammifères, les individus recherchent un partenaire avec un patrimoine génétique de qualité, mais également complémentaire. Et cette complémentarité est identifiable au travers de l'odeur de chacun des individus de l'espèce. Donc, nous qui sommes des mammifères et qui masquons notre identité olfactive derrière des odeurs plus ou moins synthétiques, nous asphaltons quotidiennement la route qui nous mènera droit devant le juge aux affaires familiales !

Et donc là, comme promis, conclusion. Ou plutôt apocalypse, au sens étymologique du terme. On se lave à l'égocentricité, pour se détendre et se faire du bien. Car oui, proche ou loin des autres, de sa maman, dans la Nature ou après le bureau, on ressent l'envie de se laver, plus que le besoin. Quand le soleil a tanné votre peau, que la mer vague après vague vous a salé comme un vieux gruyère, l'envie de se débarbouiller se fait sentir, mais pas le besoin. Et si, sous une douche, on enlève le gras par le gras (savon), en mer on enlève le sel par le sel. De l'eau salée pour enlever le sel accumulé, de l'eau salée à défaut d'autre chose. #Olivier


DE KLUMPUDDEN À KLINTEHAMN - 17.10.2022

Installée dans ma nouvelle vie, les pieds ancrés à terre, la mer me semble lointaine. Pourtant, elle borde le village de Klintehamn, où nous nous sommes établis. Plus exact serait de dire que c'est la vie en mer qui déjà se fond dans les souvenirs d'un autre temps. Un temps où l'hivernage sur Gotland s'est vu naître, de ce terreau fertile en constante évolution qu'est celui du voyage. Selon notre planning initial, nous aurions dû être actuellement à Luleå, à quelques 900 kilomètres d'ici, et Gotland n'aurait été qu'une île trop éloignée de la côte pour faire partie de notre itinéraire. Mais nous y voilà, et ce pour une demi-année. Ainsi entamons-nous une tranche de vie nouvelle, qui se distingue en bien des points de la première partie de notre voyage, mais qui s'inscrit dans un tout cohérent. Entre ces deux univers, celui de la mer et celui de la terre, un réseau de fils conducteurs tisse des ponts. Notre action en faveur de Zoé4life en fait partie.
 
Mais au fait, comment sommes-nous arrivés sur cette île, la plus grande de Suède, éloignée de plus de huitante kilomètres de la côte ? Comment sommes-nous passés de notre vie de navigateurs à celle de villageois ? Et bien en douceur. Avec le naturel qui ne cesse de nous surprendre.


Début septembre, alors que nous percevons la météo glisser progressivement vers l'automne, nous profitons des dix derniers jours de vagabondage pour apprécier cette vie qui, nous le devinons, nous manquera. D'île en île, nous sillonnons à travers des réserves naturelles de plus en plus belles. Ou peut-être est-ce la perspective de quitter cet environnement qui amplifie la beauté perçue ? Ces derniers jours sont fastes. Enfin les champignons poussent à proximité des rives. Les coulemelles et les bolets finissent dans nos assiettes sous forme de ragoût, de friture ou de poêlée. Puis, dans une ambiance flambante d'émotions contrastées, arrive la série des derniers. Denier montage de la tente, dernier feu de camp, dernière nuit en pleine nature et finalement derniers coups de pagaie. Le 19 septembre, nous réalisons les derniers kilomètres qui nous séparent d'Oskarshamn dans un décor authentique, propice à la fomentation d'une nostalgie future. La luminosité est puissante, tout comme le vent. Sur un rocher émergeant des eaux, un aigle se pose, une proie entre ses serres. Le petit caneton ne donne plus signe de vie, son corps suit mollement les gestes vifs de son bourreau. L'aigle est à l'affût d'autres prédateurs envieux de son repas futur. Entre deux coups de becs pour plumer le canard il sécurise son périmètre et ne manque de nous observer, incertain de nos intentions. Le vent emporte au loin les petites plumes blanches du cadavre alors que nous luttons avec force pour ne pas dériver. Au port d'Ernemar, à quelques kilomètres de celui d'Oskarshamn, nous trouvons une rampe et débarquons. Pour la dernière fois de la saison. Dans ce port de plaisance, alors que nous organisons nos affaires pour optimiser la place qu'elles prendront dans le véhicule qui vient nous chercher, nous faisons la rencontre de Peter. Cet homme aux yeux vert émeraude nous invite à bord de son bateau. Celui-ci représente tout ce qu'il lui reste de Suède. Sa terre promise : les Philippines. Coïncidence ? Nous ne pouvons nous empêcher de refléter ce projet de vie à celui de nos futurs hôtes, dont l'épouse est philippine. Peter, dont le parcours professionnel semble être le miroir de celui d'Olivier, a levé l'ancre non loin de Stockholm. S'il est stationné maintenant au port d'Ernemar, c'est pour des raisons quelque peu incroyables. Il s'est fait voler son bateau par son matelot il y a quelques jours. Ce dernier, novice dans la navigation, s'est vu mal pris dans une météo exigeante et a été contraint d'appeler les secouristes. Les dégâts sur le bateau sont nombreux. Mais le lendemain de notre rencontre, Peter peut lever l'ancre ; son aventure se poursuit.


Quelques jours auparavant, nous avions été contactés par une journaliste de la presse régionale ayant entendu parler de note aventure. Dans l'après-midi de ce jour charnière, nous la rencontrons. Puis arrivent Kenneth et Agne, deux personnes qui feront partie de notre nouveau cercle social. Ils ont consacré leur journée entière à venir nous chercher en voiture. Car voilà. S'il était évident que nous ne pouvions réaliser la traversée du continent à Gotland en kayak, nous avons appris que nos bateaux ne pouvaient être embarqués sur le ferry à moins qu'ils ne soient fixés sur un véhicule. Kenneth a pris à coeur notre problème et a organisé cette expédition avec Agne, son ami et voisin, patron d'une entreprise de location de véhicule. Un arrangement qui s'inscrit à merveille dans notre concept « d'échange » et s'aligne à celui qui régit notre séjour sur l'île. Agne s'est proposé de prendre en charge l'entier des frais liés à cette excursion en contrepartie de quelques heures de travail pour lui.

Une fois nos kayaks sanglés sur le toit de la voiture, nous nous laissons guider. Et à 01h00 du matin nous arrivons à Klintehamn. Wilma, l'épouse de Kenneth, nous a attendu pour nous souhaiter la bienvenue. Pétris de fatigue suite à cette journée intense, nous nous affalons dans le lit douillet d'une petite stuga rose qui sera notre chambre. Nous attendrons le lendemain pour prendre cette douche dont nous avons tant rêvé... Nous avons attendu six semaines, nous ne sommes plus à quelques heures près, et nous avons tout notre temps...
 
En parlant de temps...
 
Ils vont passer six mois à Klintehamn ? Mais que vont-ils bien pouvoir faire ??
 
Cette interrogation, je l'entends souvent dans les échanges entre les villageois et nos hôtes. Une perplexité certes légitime qui met en lumière la singularité de notre manière de vivre. Traduire en mots ce qui pour nous est une évidence est complexe. La rhétorique pourrait nous amener à nous exclamer « Mais vous, cela fait bien 10 ans que vous y vivez ! » Mais je ne suis pas certaine que cet argument éclaire notre concept. Comment faire comprendre que pour nous, c'est une opportunité extraordinaire que de pouvoir s'insérer dans une communauté et simplement y vivre ? Comment expliquer que profiter de notre temps pour concrétiser les projets de celui qui peut-être en manque s'inscrit dans notre philosophie de vie ? Peut-être simplement en le réalisant ? #Aline

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