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Du Léman au Cap Nord: 5'800 km en kayak de mer

(en cours)
Et si l'on reprenait la route. Une route différente avec pour seule ligne blanche l'écume et la neige ? Et si l'on reprenait la route non pas que pour nous, mais pour une raison plus grande transcendant le simple fait de voyager ? 5'800km en kayak de mer pour rejoindre le cap Nord dont 600km de marche, en hiver, en tractant nos bateaux à travers la mythique Laponie. Cap Kayak est la réponse à nos envies, nos besoins, une nouvelle aventure en faveur des enfants atteints d'un cancer.

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kayak de mer / randonnée/trek
Quand : 12/03/2022
Durée : 880 jours
Distance globale : 5541km
Dénivelées : +2356m / -2718m
Alti min/max : 0m/887m
Carnet publié par Chasseurs d horizon le 27 oct. 2023
modifié le 02 juil.
Mobilité douce
du pas de la porte au pas de la porte
Précisions : ou presque. Partis de la maison avec nos kayaks et baskets, nous avons laissé toutes les portes ouvertes pour le trajet du retour... Mais où débute le retour quand un voyage n'a pas de fin ?
Coup de coeur ! 1877 lecteur(s) -
Vue d'ensemble

Le topo : Archipels sur fond bleu, une idée un peu folle ! (mise à jour : 27 oct. 2023)

Distance section : 716km
Dénivelées section : +22m / -18m
Section Alti min/max : 0m/12m

Description :

Jouir de cette expérience nouvelle pour transcender le simple fait de voyager. Pousser l'art culinaire sur feu de camp dans ses retranchements en jouant avec le smörgåsjärn, le fameux fer à croque-monsieur scandinave. Naviguer à minuit ou à midi puisque l'astre brille en passionné. Se sentir bien, peut-être un peu trop et tenter la traversée de la Baltique pour rejoindre la Finlande en kayak de mer...

Milieu traversé :

Environnement : [mer]

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Le compte-rendu : Archipels sur fond bleu, une idée un peu folle ! (mise à jour : 27 oct. 2023)

DE KLINTEHAMN À GUBBEN, OU LORSQUE L'AVENTURE REPREND - 19.04.2023

Gotland, Klintehamn et le monde qui fut nôtre durant cet hiver, font désormais partie de ces précieux souvenirs qui accompagnent le voyageur itinérant. Un lieu qui naît au fil d'une distance grandissante, où reposer son imaginaire quand le besoin de lien se fait sentir. Ou simplement une réserve immatérielle dans laquelle puiser pour se laisser bercer par les émanations d'une douce nostalgie.

Les deux dernières semaines à Klintehamn ont été bien occupées. Olivier par le travail au garage d'Agne, assigné au changement des pneus d'hiver pour ceux d'été. Un agenda moins chargé que prévu en raison de la météo. Alors que l'état décrète qu'il est temps de tourner la page hivernale, le ciel décide d'en faire qu'à sa tête ; les routes sont recouvertes de neige et de glace. Le jour avant notre départ, le thermomètre se fait porter pâle et nous chargeons les kayaks sur le toit de la voiture en prêt, sous des flocons défiant notre détermination. Laquelle n'en est nullement ébranlée. Car la « rese feber* » est là, notre soif de retour à la vie vagabonde en pleine nature loin d'être étouffée par une météo capricieuse.

Les loppis, magasins de seconde main de l'association C.O.S, ont été pour moi une ressource précieuse. J'ai pu y emprunter une garde-robe éphémère. Et à la veille du départ, alors que les habits de voyage ont gagné une dernière fois les quartiers de la buanderie, jeans, petits hauts et manteau de ville s'en retournent à leur boutique, en attente d'une vie nouvelle.

L'avant-veille de notre départ, nous avons proposé à nos amis insulaires de venir partager un dernier moment autour d'une tasse de café. Kenneth a refusé l'appellation de « goodbye fika** » et a baptisé ce moment le « see you another time fika » ; nom adopté immédiatement, trahissant notre souhait réciproque de voir les liens perdurer au-delà du départ. Ainsi nombreux sont venus en cette occasion dans la demeure généreuse de nos hôtes, sous l'oeil attentif d'une Wilma aux petits soins, soucieuse que ce moment puisse être le nôtre. Café et gourmandises ont été le support à de beaux moments d'échanges et, inévitablement, à celui d'émotions. Et puis un dernier repas, non pas celui des condamnés, mais de ceux qui sont au-devant de la fin d'une tranche de vie et d'une séparation. Nos hôtes nous ont fait, une fois encore, l'honneur d'un repas grandiose et en bonne compagnie. Ce n'est que tard que nous regagnons notre stuga rose, pour notre dernière nuit dans un véritable lit. Le 6 avril, à l'aube de ce nouveau jour, nous étreignons nos amis tombés du lit tout exprès, puis roulons en direction de Visby au clair de la pleine lune. J'ai envie de voir en ce lièvre qui gambade le long de la route, en cet échassier qui s'envole à notre passage et en ces dizaines d'oies qui nous regardent, le dernier salut de cette île qui nous est chère.

Ça y est, nous levons l'ancre !

* la fièvre du voyage
** le fika est une institution en Suède, pouvant s'apparenter à une « pause café » ou, dans ce contexte, à nos 4heures.


Ça y est, nous levons l'ancre !
Ça y est, nous levons l'ancre !
Débarqués à Oskarshamn, nous rejoignons le petit port que nous avions quitté le 19 septembre passé. Alors que je règle la partie administrative liée au rapatriement du véhicule de prêt sur Gotland, l'employée de la compagnie de ferry me lance : « Vous allez rejoindre la gare ferroviaire maintenant je suppose. » « Eh bien non, en réalité, je vais rejoindre mon kayak. » Après quelques explications qui se doivent de compléter une telle évocation, la femme s'exclame « Ah, mais j'ai lu un article sur vous il y a quelque temps ! » Cette fois c'est certain, l'aventure et son lot de surprises reprend.

Mais où allait donc cette sacoche ? Comment faisais-je pour rentrer tout ça ici ? Nos gestes semblent un peu maladroits, hésitants, à l'instar d'une machine que l'on actionne après une longue veille. Ou peut-être était-ce le fruit d'une certaine émotion ? Très vite les rouages se remettent en place et la machine ronronne. Néanmoins les muscles, eux, doivent se reformer. Nous avons le temps devant nous et, peut-être aussi, une certaine sagesse qui nous évite d'adopter un rythme frénétique inutile. Le premier jour, nous parcourons trois kilomètres, puis huit, neuf, quinze, jusqu'à adopter notre rythme de croisière. Ce dernier diffère de la fin de la saison précédente, en raison des conditions météorologiques qui nous contraignent à porter une tenue inconfortable pour les pauses et la vie à terre. Nous pagayons généralement d'une traite, à force de chocolat dont la réserve a atteint une abondance inégalée grâce à nos visites helvétiques de cet hiver. Notre quinzaine de kilomètres parcourue, il nous est aisé de trouver une île accueillante dans ce dédale naturel, à la baie protectrice des humeurs marines. Le pied posé à terre, Olivier et moi avons la même priorité en ligne de mire : se changer. Il nous faut pour cela vider nos kayaks de leur chargement pour être capables de les sortir de l'eau, incontournable avant de pouvoir ôter notre combinaison étanche, nous mettre au chaud et au sec. Ensuite seulement nous considérons notre estomac qui timidement se manifeste. Cuisiner dans ces petits bouts de paradis boisés aux allures de bûcher abondant est un délice. Il est impressionnant ce que l'on peut réaliser avec ce qui nous entoure. Cuire nos aliments, faire la vaisselle et se laver à l'eau chaude, chauffer l'eau du café, manger dans le confort de la chaleur du foyer... Tout cela sans le stress d'arriver à bout de carburant. Afin d'augmenter notre durée d'autonomie entre deux points de réapprovisionnement, nous cuisinons à l'eau de mer. Et nous pouvons l'affirmer : la Baltique n'est pas suffisamment salée pour cuire des pâtes ! Offert par nos amis de l'association C.O.S, nous avons à disposition un nouvel ustensile de cuisine : un fer à croque-monsieur. Appellation bien réductrice lorsque l'on imagine tout ce que l'on va pouvoir en faire. La bouche pleine d'un petit pain fourré au fromage fondant, nous discutons de nos futures inventions culinaires, alors qu'un cygne, lui, pêche à nos côtés en toute confiance face à ces deux bipèdes dont il semble s'être habitué. Si rares sont les gens que nous rencontrons, nous sommes entourés quotidiennement d'une quantité fascinante d'oiseaux. Des vols de groupes de cygnes à la blancheur scintillante au regroupement de plus de septante hérons, ils n'ont de cesse de nous sublimer.


Les journées deviennent de plus en plus longues et le soleil est présent bien des jours. Pourtant, après une semaine de voyage, nous devons nous résoudre à ce constat : notre batterie ne charge pas. A Västervik nous attaquons le problème et tentons de le définir. Le chargement de la batterie à la prise du club de voiliers nous permet de confirmer que le problème ne vient pas de la batterie mais assurément de la connectique. Quelques jours plus tard, au milieu de la nature, Olivier se retrousse les manches. Muni de notre réchaud à gaz, d'un fil d'étain, d'une cuillère et d'une broche de réserve, il sectionne au canif l'ancien connecteur reliant le panneau solaire à la batterie, qui s'était oxydé, et soude le nouveau. Après la résolution de divers problèmes techniques, car rien n'est jamais aussi simple que prévu, victoire ! La batterie charge à nouveau, nous voilà autonomes en électricité et le rationnement de l'utilisation du téléphone portable est levé. Car si nous avons bel et bien un impératif technologique, c'est celui de l'utilisation de nos outils de navigation, d'autant plus dans ces archipels où l'on pourrait se perdre des jours entiers à tricoter avec les points cardinaux. La notion de vol d'oiseau, ici, prend tout son sens. Nombreuses sont les formations que l'on observe dans le ciel, de ces créatures ailées qui font fi de tous ces rochers émergés et tracent leur route en ligne droite alors que nous serpentons. Et si Stockholm est à quelques battements d'ailes, il nous faudra encore deux petites semaines pour y parvenir. #Aline

DE GUBBEN À BILDÖ - ENTRE ARCHIPELS ET RENCONTRE IMPRÉVUES - 08.05.2023

D'archipel en archipel, Stockholm est à présent derrière nous. Un point clé symbolique qui longtemps représentait notre cap du nord et qui maintenant se retrouve de l'autre côté de la boussole. Tout finit par arriver et le passé récupère ce qui nous a paru si lointain dans l'avenir. Et un jour, nous serons au Cap Nord... Mais qui sait de quoi sera composé notre itinéraire ? Car les imprévus font partie de la magie du voyage au long cours. A Oxelösund, alors que nous espérions trouver un lieu de bivouac légèrement en périphérie de la ville, nous nous adressons aux propriétaires d'un terrain capable d'accueillir sans difficulté notre tente. Mais ces derniers nous conseillent d'aller prospecter plus loin. Et plus loin, c'est la ville. Autant dire qu'y camper semble tout à fait improbable. Nous devons néanmoins nous y arrêter pour nous réapprovisionner, avec la perspective d'ensuite repagayer pour dénicher une île non habitée. Nous débarquons sur une petite plage de sable à proximité des magasins et remarquons que nous sommes arrivés juste devant le club de kayak de la ville. Un groupe de personnes est réuni à l'extérieur, la fumée qui se dégage en son sein laisse présager d'un barbecue. A peine le pied à terre, tout s'enchaîne. Nous entamons la conversation avec une femme assise sur la plage, un homme vient à notre rencontre, et nous voilà un hamburger dans la main. Une fois par année, les membres se réunissent pour mettre en état le matériel en vue de la saison de kayak et terminent leurs besognes par des grillades. Et il a fallu que nous arrivions ce jour-là précisément, à l'heure pile où la viande est à point. Thomas, le président du club, nous donne même sa clé des locaux ainsi que l'autorisation d'y installer nos matelas pour la nuit. Les membres s'en vont en début d'après-midi et nous restons les bienheureux bénéficiaires des lieux. Le jour précédent, soit vendredi, j'eus une pensée nostalgique pour nos traditionnels saunas dans le port de Klintehamn. Bien loin de moi d'imaginer que le jour suivant, nous aurions à disposition un sauna, une douche et un lieu au chaud et au sec pour dormir... Stefan, l'un des membres, nous met en contact avec ses confrères des clubs de Stockholm où nous cherchons un lieu pour parquer nos bateaux. Nous avons dorénavant même un contact au sein du club de Luleå, via Thomas. Le réseau se déploie...

Nous choisissons de prendre le canal de Södertälje pour rejoindre Stockholm par l'Ouest et ainsi traverser la capitale de part en part. Après une interminable ligne droite où le pont ferroviaire de Södertälje nous nargue des kilomètres à l'avance et semble ne jamais vouloir se laisser approcher, nous finissons par le franchir et atteindre l'écluse qui sépare la Baltique du lac Mälar. Précisément lorsque nous arrivons à l'écluse, celle-ci s'ouvre et un bateau à moteur y entre. Nous en profitons pour faire de même. La plaisancière nous dit en anglais « Bon timing ! Nous, cela fait deux heures que l'on attend l'ouverture de l'écluse. » Nous posons notre tente au bord de l'eau désormais non salée, avec une vue imprenable sur les impressionnants bâtiments d'Astra-Zeneca. L'objectif de cet arrêt urbain est le réapprovisionnement, l'évacuation de nos poubelles et le plein en eau. Suite à la suggestion d'une dame entre deux âges, passant à côté de notre tente et qui nous dit « Moi aussi je fais du kayak, mais pas en hiver ! », nous optons le jour suivant pour un petit détour par l'île de Björkön, où se trouvait Birka, l'une des toutes premières villes de Suède et siège commercial important lors de la période viking.


Notre arrivée à Stockholm nous remémore celle de Pékin, alors chevauchant nos biclous. Nous y étions entrés par une porte verte, celle d'une forêt sans fin tout à fait inattendue. Et sur des kilomètres nous avons douté de l'exactitude de notre itinéraire. Sommes-nous réellement au coeur d'une mégapole ? L'accès par l'eau à la capitale suédoise nous offre également un environnement de choix. Quelques kilomètres avant notre arrivée au coeur de la ville, Karin nous rejoint à bord de son kayak. Elle est notre contact au sein du club Örnsbergs Kanotsällskap, le plus grand club de Suède avec ses plus de mille deux cents membres. Elle nous introduit dans Stockholm tout comme dans le club. Ce dernier nous offre la possibilité de stocker nos kayaks dans leur local le temps de notre visite de la ville. Sans quoi, nous aurions dû la traverser sans nous y attarder, toujours limités par notre matériel que nous ne pouvons transporter sur terre ni laisser seul en pleine ville. Nous parquons donc nos deux bateaux, qui prennent des allures de paquebots, lorsqu'entourés par les centaines de kayaks élancés entreposés dans le local. Nous y rencontrons également Tommy Karls, sexagénaire médaillé olympique de vitesse en 1984 et qui demeure l'un des kayakistes les plus rapides de Suède selon notre informatrice. Une fois le problème kayak résolu, notre champ des possibles pour dénicher un lieu où poser nos matelas s'ouvre. Et c'est auprès de Beyla et André que nous trouvons l'hospitalité. Nous avions rencontré ce couple de trentenaires sur Gotland, André étant le fils d'Agne. Ils déplacent plantes vertes et guitares de leur bureau pour nous faire de la place. Nous profitons même d'un créneau horaire de libre dans la buanderie de l'immeuble pour faire notre première machine à laver de la saison. Je comprends qu'il y a également une pièce où faire sécher le linge. Lorsque je demande à Beyla combien de temps nous pouvons y laisser nos vêtements suspendus, elle semble perplexe. « Eh bien nous avons deux heures à disposition » me répond-elle. Ce à quoi je m'exclame réflexive « hmmm, le linge n'aura pas le temps de sécher alors». Un ange désorienté passe. Lorsque je me rends compte que la pièce est en réalité une armoire dans laquelle on suspend le linge, munie d'un système de séchage, je comprends qu'une heure sera amplement suffisante... Nous prenons un jour pour parcourir la ville et avons la chance d'arriver au moment où les cerisiers du parc du roi sont en fleurs. Le soir, après une pizza maison qui célèbre l'accès à un four, nous prenons une dernière bière au pub du quartier, en compagnie de Jonas, du groupe « Tennessee Tears », semi-finaliste de la très populaire compétition « Melodifestivalen » dont le vainqueur représente la Suède à l'Eurovision de la chanson. André, guitariste de renom, a accompagné le groupe à l'occasion de ce concours, muni de son bandjo.

La pause terrestre aura été de courte durée, mais intense et riche. A la sortie de Stockholm nous repassons par une écluse et nous trouvons projetés dans un trafic accru de bateaux-pendulaires, bateaux-moteurs de plaisance ou de pêche, de voiliers ainsi que d'énormes ferries de croisières. Nous n'avons aucune difficulté à imaginer qu'en période estivale cela soit une véritable pagaille, comme expliqué par Karin. Plus nous nous éloignons de la capitale, plus l'archipel devient intéressant, composé de petites îles beaucoup plus forestières que celles des archipels traversés jusqu'à présent. Ici aussi trouver un emplacement de bivouac est un réel plaisir car les lieux sans habitation sont pléthoriques et les accès souvent des plus aisés.

Depuis longtemps déjà notre projet est de pagayer jusqu'à Aland, qui se trouve à une distance d'environ quarante kilomètres  de la côte suédoise. Karin nous a fait prendre conscience d'un deuxième itinéraire possible. Les deux routes ont leurs propres spécificités et difficultés. L'une exige de l'endurance en raison des distances, l'autre de la technique en raison des hauts-fonds et des courants. Mais l'une comme l'autre requière d'attendre une fenêtre météo adéquate au niveau des vents. Aujourd'hui à la porte de ces voies en haute mer, les prévisions pour les jours à venir ne nous laissent d'autre choix que celui de patienter... #Aline


PRENDRE LE LARGE ET DÉFIER L'IMMENSITÉ BLEUE - 04.06.2023

Chevaucher l'écume, s'aventurer là où les embruns se lèvent et s'élèvent plus haut que nos visages. C'est l'idée qui nous est venue, il y a de cela quelques semaines. Besoin de quitter une routine sécurisante ? Appel de l'aventure ? Envie de nouvelles découvertes ? Peut-être un peu de tout cela, mais surtout beaucoup de ce qui ne peut être expliqué, pour la simple raison que nous-mêmes ne l'avons pas encore compris. C'est donc l'île de Märket qui a retenu notre attention. Un rocher perdu entre la Suède et la Finlande, une pierre flanquée d'un phare construit au XIXème siècle, alors qu'elle était sous domination russe.

Notre périple ne peut être réalisé d'une seule traite. Il nous faut, au minimum, six jours pour atteindre notre objectif, mais surtout pour en revenir. Et c'est là que le bât blesse. En mer, le vent souffle. Et en ce début de printemps, il n'en est que renforcé. Les fenêtres météo favorables s'ouvrent et se referment comme la bouche d'une carpe. Il nous faut, pour rejoindre nos objectifs, au mieux trois heures par jour avec des vents en dessous de 21 kilomètres par heure. Rapidement nous acceptons le fait qu'une fenêtre qui débute à trois heures du matin est une option. Après une grosse journée de trente et un kilomètres, nous rejoignons un petit groupe de rochers à l'extrême est de l'archipel jouxtant la côte ; les dernières terres suédoises que se disputent un phare, une place militarisée et un grand nombre d'oiseaux marins dont des pingouins Alca torda. Ce sont les derniers de la famille, depuis que leurs grands frères ont été décimés par nos soins au milieu du XIXème ; l’hémisphère Sud ne comptant que des manchots. Le volatil, car oui, ce pingouin vole, est on ne peut moins farouche. Mal habile sur terre, il se distingue en vol et sous l'eau lors de parties de pêche. Nous escaladons un rocher, y faisons monter nos kayaks, cherchons la zone la moins pentue du récif – et suffisamment grande – pour y monter notre tente que nous amarrons à l'aide de lourdes pierres. Nos sardines ne nous étant d'aucune utilité sur cette grande dalle sertie de bleu. Bien avant le soleil, nous nous couchons avec pour objectif de nous lever en même temps que lui. Trois heures du matin, le réveil sonne et c'est avec déception que nous constatons que la météo a évolué défavorablement. Des vents entre 5 et 6 Beaufort sont annoncés et nous décidons alors de rejoindre une île, proche de la côte, comprenant de la forêt, pour nous y abriter.

Notre périple ne peut être réalisé d'une seule traite. Il nous faut, au minimum, six jours pour atteindre notre objectif, mais surtout pour en revenir.
Notre périple ne peut être réalisé d'une seule traite. Il nous faut, au minimum, six jours pour atteindre notre objectif, mais surtout pour en revenir.
Retour en arrière. Le calcul est simple, nous n'avons plus suffisamment d'eau pour reconduire notre « expédition ». Retour à la case départ. Enfin presque, puisqu'à mi-chemin, nous apercevons quatre hommes, des ouvriers, qui ont la gentillesse de nous céder un peu de leur eau. Dans les archipels, rares sont les îles qui sont autonomes en eau potable. Cinq jours plus tard, la météo est à nouveau à notre avantage. Notre application météorologique nous informe de petites fenêtres quotidiennes, de trois à quatre heures, propices à la navigation. Mais elles nous obligent à nous lever aux aurores – terminologie relative vu la latitude – et à ne pas traîner en route. Pour passer de notre rocher aux pingouins au centre de la Baltique, il nous faut franchir un couloir à cargos, large de trois kilomètres (40 min de kayak). Le lieu que nous avons sélectionné pour rejoindre la Finlande est avantageux au niveau des distances de navigation, puisque la largeur de la Baltique y est naturellement réduite. Mais cet avantage est accompagné de quelques anicroches. Un rétrécissement côtier est généralement accompagné de hauts fonds forçant la navigation commerciale à se concentrer dans des couloirs. De plus, la hauteur des vagues y est augmentée et dans ce cas précis, les vents suivent la même tendance.

Nous quittons donc notre caillou, chargés en eau et en nourriture, cap au large, plein Est en direction d'un grand rien. Ou alors, d'une boule de feu qui émerge gentiment d'une eau agitée de petites vaguelettes. L'astre monte, libérant l'horizon de sa lumière aveuglante. Deux cargos se dessinent à l'horizon, puis là-bas, au loin, un trait vertical, notre phare, celui qui nous indique l'emplacement de ce rocher, notre refuge pour deux nuits. Les cargos vont vite. Et penser qu'ils peuvent nous éviter est une illusion qui s'est échouée dans l'une de nos expériences passées. Une seule certitude. Tant que tu vois ledit bâtiment de la poupe à la proue, tu es en sécurité. Autrement, fais en sorte que cela ne soit pas la proue que tu aies dans ton champ de vision ! A Stockholm, nous avons rencontré une kayakiste qui nous a mis en garde contre ces Léviathans des temps modernes. Elle nous explique que des accidents arrivent parfois. Son explication se termine par un long silence accompagné d'un regard perdu vers l'océan... Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer, nous dit Aristote. Deux cargos. Notre ange gardien a encore fait du zèle ce matin. Que deux cargos ! Nous patientons au bord du couloir à bateaux – ligne aussi visible que l'est un méridien -, comme le feraient des enfants avant de traverser la route. Puis nous nous lançons. La visibilité est bonne, mais l'horizon est traître et les distances sont ici plus qu’ailleurs trompeuses. Le trait vertical prend forme. A ses côtés, deux petits rectangles se dessinent. Puis de la couleur s'ajoute au tableau. Deux lignes rouges sur fond blanc. La marque du phare. Le rocher que nous nous apprêtons à rejoindre est unique sur bien des points. L'Histoire l'a rendu tantôt Russe, tantôt Suédois, pour finalement lui offrir une identité suédo-finlandaise. Son rang, en tant que deuxième plus petite île au monde avec une frontière internationale, le distingue de ces pierres, perpétuels pièges à bateaux. Sa situation géographique fait de lui l'unique lieu où la frontière suédo-finlandaise est terrestre (hors rivière). Ce caillou gris oranger peut également se targuer d'être la seule place au monde où l'on peut se tenir en Finlande et observer la Suède à l'Est. Cette île est tellement particulière qu'elle a reçu le droit d’émettre ses propres timbres, ainsi que son propre préfixe de pays radioamateur OJ0-land. Et avec cette liste, je vous épargne la complexité de sa situation géopolitique liée à son rattachement à la province d'Åland, province autonome de Finlande, membre à part entière de l'Union européenne. 

L'histoire de la construction de son phare est elle qualifiable de rocambolesque. C'est à la demande du Tsar Nicolas II que l'édifice a été construit du côté ouest de l'île. Le caillou fait au bas mot, d'ouest en est, trois cent cinquante mètres pour une largeur de huitante mètres. Puis la Finlande regagne son indépendance le 6 décembre 1917. Märket retrouve ainsi son identité binationale d'antan. Sauf que voilà, le phare a été construit par des Finlandais du côté suédois de l'île et est géré par des gardes-côtes finlandais. Problème ! Mais pas trop urgent apparemment. Les Etats se rencontrent soixante-huit ans plus tard, en 1985 et décident de faire un échange de territoire pour résoudre cette situation gênante. Des géomètres se rendent sur place et tracent un splendide zigzag pour que la surface équivalente à la zone de construction du phare soit « rendue » aux Suédois. Une absurdité politique réalisée afin que la Suède retrouve 0,002 kilomètre carré de territoire, alors qu'elle en possédait déjà 528 447. Une bêtise administrative qui a l’avantage de bien faire rire tout le monde sur l'île. Parce que oui, Märket n'est pas inhabitée comme nous l'avions imaginé. Elle y grouille d'une vie de passionnés en tous genres et il y est même possible d'y trouver du travail. Mais ceci est une autre histoire... #Olivier


MAIS QUE VOIS-JE ? DU CHANT DES SIRÈNES À LA RÉALITÉ DES PHOCIDÉS - 06.06.2023

Dans les balbutiements d'un certain vendredi, nous pagayons vers le phare de Märket, qui se situe précisément sur la frontière entre la Suède et la Finlande. L'objectif bien en vue, celui-ci devant théoriquement grandir à chaque coup de pagaie mais semblant défier les lois de la physique, je m'arrête soudain dans mon élan. La pâle gauche de ma pagaie reste suspendue dans les airs. Surprise, elle esquive cette immobilité imposée en faisant ruisseler quelques gouttes d'eau le long de sa tranche inférieure, jusqu'à ce qu'un discret clapotis se fasse entendre. Mais à cet instant précis, cette percussion subtile est totalement ignorée de ma conscience, bien trop occupée à déterminer la provenance d'un autre bruit. Quoi que ce qui m'interpelle ne saurait être nommé ainsi. Mélodie. Chant. Complainte peut-être. Si faible, fragile ; à moins que ce ne soit mon audition qui faillisse ? Ou peut-être pire, ne l'aurais-je qu'imaginé ? Un coup d'oeil vers Olivier me rassure quant à l'inexactitude de cette dernière hypothèse. Lui aussi semble troublé. Nos regards s'unissent pour rejoindre le même horizon, celui qui naît de la différence. Devant nous, seules deux tâches bleues aux teintes légèrement dissemblables permettent l'existence de cet abstrait, de ce tracé inexistant. Car la Baltique nous entoure et un ciel dégagé nous chapeaute. Dans ce grand rien fait d'air et d'eau, quelque chose d’imperceptible à nos yeux produit un son. Ou alors serait-ce quelqu'un ? Dans ce contexte incertain, il est facile de laisser glisser l'imagination vers le fantastique. Et si des sirènes chantaient ? Olivier sort les jumelles. Rien.

Décidément rien.

Bon.

Poursuivons.

Et la pagaie plonge à nouveau, enfin, dans l'eau, nous propulsant jusqu'à Märket.

Un jour passe.…

 
Aux aurores du deuxième jour de notre séjour sur ce rocher atypique, nous prenons nos amis à témoin.
-Là, vous entendez ?
-Eh bien oui, c'est la colonie de phoques qui loge non loin et qui chante, comme chaque matin.
 
Un autre jour passe...
 
Lundi matin, lorsque nous chevauchons nos kayaks pour regagner la côte suédoise, nous sommes bien décidés à en avoir le coeur net et les yeux satisfaits. Un petit détour du côté de la mélodie. Attirés par ce chant séduisant comme... Un récif à peine émergé en vue, Olivier sort ses jumelles. Rien. Mince alors, mais où peuvent-ils bien être ? On dépasse le rocher et en découvrons un autre, un kilomètre plus au nord. On s'en approche, doucement, tendant l'oreille pour s'assurer que l'on ne se laisse pas mener par une chimère. Olivier observe.
- Ah oui, ils sont là.
Je prends à mon tour les jumelles en main, les visse sur mon nez. J'ai beau faire rouler la molette dans tous les sens...
-Zut, je n'arrive pas à les distinguer. Je vois bien des tâches, mais j'ai l'impression que ce n'est que la roche.
Olivier me reprend l'instrument.
- C'est normal que tu ne les distingues pas de la roche, vu que ce que tu vois, ce ne sont QUE des phoques. Il y en a tellement qu'on ne voit plus un bout de caillou !
- Quoi ??
Je reprends le binoculaire en main.
- Oh mon Dieu !!
Je viens de terminer la lecture de « L'éloge de la baleine », dans lequel l'auteur fait mention de cette phrase récurrente que l'on entend sur les vidéos amateurs de ceux qui rencontrent les cétacés : « Oh, my God. » Je n'ai pas pu m'en empêcher, c'est sorti tout seul, assénant un coup massif de normalité dans l'expression de mes émotions qui me semblaient pourtant si uniques. Mais peu importe, oh mon Dieu ! C'est énooooorme ! Car petit à petit, à la lumière des dires d'Olivier, mon cerveau donne une interprétation toute nouvelle aux informations que mes yeux lui transmettent. Les grosses taches prennent vie, obtiennent un corps, une tête, une queue, une identité. Une masse de phoques, enchevêtrés les uns dans les autres. Seule la différence d'épiderme, gris, tacheté, sombre ou clair, permet l'identification des pièces de ce puzzle vivant. Je demeure subjuguée tant par le spectacle que par le fait que l'on peut voir sans voir. Voir sans percevoir. Voir erronément.
 
Combien de fois la réalité s'est jouée de ma vision ? Combien de fois ma réalité n'était qu'erreur de perception ?

Mais pour l'heure, le spectacle s'anime. Les phoques, les uns après les autres, mus assurément par leur curiosité caractéristique, se propulsent par reptation par bonds jusqu'à atteindre l'eau et générer une farandole d'éclaboussements proportionnels à la masse de leurs corps. Comme une réaction en chaîne que l'on ne peut arrêter, l'île se vide. Ne reste qu'un spécimen, perché sur la roche, dont on distingue maintenant la forme. A l'eau, trois groupes se forment. Deux d'entre eux viennent pour ainsi dire nous encercler, alors qu'un troisième s'en va au loin. Des dizaines et des dizaines d'immenses paires de perles sombres nous observent attentivement. Leur nombre et leur taille en imposent. Soudain je me sens bien vulnérable. Petite créature qui pourrait en un rien de temps se retourner si ces princes des mers venaient à nous explorer d'un peu trop près.
-Mmmm, Olivier, on s'en va ?
Je me sens fébrile, comme lorsque l'adrénaline retombe après un évènement stressant. Ce n'est toutefois pas le danger qui est à l'origine ici de cet état, mais bien l'émotion saisissante qui s'est infiltrée jusque dans mes tréfonds. C'est en silence que nous reprenons notre route, impact d'une telle rencontre. Bercée entre bouleversement et béatitude, je mesure la chance d'avoir pu assister à cette scène de vie et d'avoir découvert une dimension nouvelle dans la beauté de l'expression de la nature. D'avoir côtoyé, l'histoire d'un instant, ces êtres fascinants qui vivent non loin de nous sans que nous ne nous en rendions compte.
 
Combien de réalités vivent à mes côtés dont j'ignore l'existence ? #Aline


MER, MER, MER... OU VARIATIONS SUR LE THÈME DE L'EAU - 09.06.2023

Nous avons décidé de ne pas aller jusqu'à Åland. A la lumière de notre quotidien actuel, notre souhait de nous rendre dans cet archipel n'a plus la même vigueur que lorsque nous l'avions formulé. Pesée du pour, du contre, balance décisionnelle. Aujourd'hui, notre motivation étant avant tout de nous rendre sur l'île fino-suédoise à mi-parcours, inutile de persévérer dans une direction uniquement pour ne pas se contredire. Ayant réservé un mois et demi pour l'escapade finlandaise, nous voilà avec du temps supplémentaire à offrir à de nouvelles aventures. Et pourquoi ne pas remonter une rivière ? Celle de Dalälven, près de Gävle, semble intéressante, brochette aquatique composée de deltas, de sections sinueuses de rivière et de lacs. Un couple de locaux rencontrés dans la marina d'Öregrund nous informe que s'y trouvent également des barrages que l'on doit contourner par la terre. Bah, question portage, on a connu pire.
 
La veille de notre départ en rivière, nous bivouaquons sur une magnifique plage de sable clair, située à un kilomètre du delta et séparée de celui-ci par une langue de terre. L'avantage de remonter une rivière, nous disons-nous, est que nous ne sommes plus tributaires des vents, ceux-ci pouvant être très importants à cette saison. Lorsqu'au réveil nous constatons une mer moutonneuse, dans laquelle les vagues prennent plaisir à rouler, encouragées par des hauts-fonds évidents, nous nous disons « Bon, il nous faut juste braver cette eau pour démarrer, contourner la langue de terre puis nous serons au calme. » Toutefois, ce n'est pas la fleur au fusil que nous prenons la mer. Car oui, son agitation ne me laisse pas indifférente. Un sentiment toutefois non proportionnel à la réalité. Car si nous avions pris la mesure des perturbations de l'entier du parcours, nous n'aurions pas levé l'ancre. C'est certain.

Bagages prêts et alignés sur la plage, nous nous tenons face à la mer et Olivier prépare la planification des étapes : chargement des kayaks, direction à prendre pour éviter les roches visibles et celles à peine émergées, orientation des premiers coups de pagaie pour éviter les plus gros rouleaux.
 
Nous nous jetons à l'eau, avec ma pointe d'appréhension bien calée sous des « ça va aller, aie confiance, tu es capable, et surtout ne paniques pas ».
 
Premiers rochers traîtres contournés avec succès. C'était pas si dur !
 
Première vague qui s'invite dans l'hiloire. Tant pis, je le sais, je vais être mouillée et en fin de compte ce n'est pas grave.
 
Car il m'est impossible de mettre ma jupe. J'ai déjà eu l'occasion d'occuper mes mains à autre chose que tenir ma pagaie durant une mer agitée, et j'ai fini à l'envers sous mon kayak. On apprend de ses erreurs.
 
Deuxième puis troisième vague, le niveau de ma piscine improvisée augmente. Petite réflexion express auto-rassurante : je pourrais tout à fait peser quelques dizaines de kilos supplémentaires, mon kayak n'en coulerait pas pour autant. Donc aucun souci.
 
Si ce n'est que franchement, avoir les fesses gogeant dans un liquide froid n'est pas des plus agréable. Mais ce n'est pas le sujet du moment.
 
Les vagues sont hautes ! Je les vois se former devant moi, essayant d'anticiper à quel stade de son évolution elle en sera lorsque l'on se rencontrera. Parfois elle retombe sur l'avant de mon kayak, émettant un claquement. Parfois elle me cible moi, en plein coeur. Parfois elle ne fait que passer, me soulevant de sa hauteur, l'avant de mon kayak retombant sur le creux suivant avec tout autant de fracas. Allez, mon kayak est solide, je le sais.
 
Et puis il faut changer d'orientation pour contourner la langue de terre.
 
Les vagues me prennent maintenant par le côté.
 
Puis par l'arrière.
 
Nous avions imaginé qu'une fois la direction de la rivière adoptée, nous serions tranquilles. Ce que nous ne savions pas, c'est qu'en fait, la situation était pire. Des hauts-fonds. Et donc des vagues plus féroces encore.
 
Olivier est loin devant moi, je le vois surfer. Aline, ne le regarde pas. S'il devait avoir un problème, tu ne peux rien faire pour lui et tu vas paniquer, ce qui ne te sera d'aucune utilité.
 
Cette fois ce ne sont pas mes yeux qui évaluent et anticipent les dégâts à chaque formation de vague, mais mon ouïe. Le signalement d'une grosse vague en formation ou en déferlement est vite compris. Plusieurs fois je pars en surf, ma vitesse de déplacement grimpant en flèche. Et là, mon expérience de retournement me guide. Si j'avais alors commis une erreur, c'était celle de me laisser orienter par le mouvement de l'eau parallèlement à la vague qui, continuant sa route, avait joué à pile ou face avec moi, aussi simplement qu'on retourne une crêpe. Donc, ne pas la laisser me déjouer. Corriger son intention, avec fermeté et conviction.
 
Et ça fonctionne. Jusqu'à ce que...
 
-censure-
 
Devant moi, deux gros rochers sortis de nulle part ! Mais ce n'est pas possible ! A la vitesse où je suis propulsée, dans quelques secondes je fais intimement leur connaissance. Je vois alors le film en accéléré : moi allant inévitablement me fracasser contre eux, et c'est la fin. Mais non, il y a encore un espoir, vas-y. Connaissant ma difficulté à faire un choix, hésitant généralement entre aller à droite ou à gauche ? Passer de ce côté ou de ce côté de la bouée ? De celui-ci. Ah non, de celui-là. Finalement non, c'est mieux ici. Aline ! Tu décides. Maintenant. A gauche. Et de toutes mes forces je pagaie en espérant que cela soit suffisant...
 
Et ça passe.
 
Olivier, lui, a atteint la zone de délivrance. Elle est donc là, la fin. Quelques dizaines de mètres nous séparent, mais nous sommes dans deux réalités différentes. Lui dans une eau calme et paisible. Moi dans un enfer déchaîné. Un contraste si éloquent que cela rend presque absurde la difficulté avec laquelle je me démène.
 
Je le rejoins. On débriefe. Les deux traîtres, là, tu les as vus ? Olivier me raconte qu'une vague l'a entraîné dans un surf diabolique, l'emmenant probablement du côté des 16 km/h, et que c'est à ce moment-là, dans cette folle course involontaire, qu'il a aperçu les rochers. Aucune maîtrise de la situation n'est possible. Laisser faire les éléments, et espérer qu'ils ne s'imbriquent pas les uns dans les autres. Car modifier la trajectoire c'est prendre le risque de se retourner. Se retourner, c'est prendre le risque de non pas heurter la pierre avec la fibre de verre mais avec ses propres cellules. Poursuivre tout droit, sans autre choix. C'est à 30 cm des rochers que la vague dessine la trajectoire du Crapaud fou.
 
Nous sommes. Tous les deux heureux qu'il n'y ait pas eu de dégâts. Tous les deux amortis par la retombée d'adrénaline. Tous les deux les muscles brûlants. Tous les deux formulant ce constat : c'était un peu stupide de notre part, quand même.


Il est 10h00. La journée est encore devant nous. Nous poursuivons notre idée d'aller rejoindre le barrage hydroélectrique à quelque 9 kilomètres en amont, après une petite pause dans une marina pour nous réapprovisionner en eau et adopter des vêtements secs. Un kilomètre et demi avant le barrage, nous commençons à pagayer dans la semoule. Je rame, j'y mets de la force, mais le résultat me laisse perplexe. L'arbre sur la rive ne bouge pas. Ou plutôt, je n'en décolle pas, de lui qui semble me regarder avec pitié et indulgence. Amusement et peut-être interrogation, c'est ce que je décèle dans le regard des pêcheurs, de l'autre côté de la rive. Oui je rame. Oui nous remontons une rivière, oui avec des kayaks de mer chargés comme des boeufs. Oui je sais, normalement c'est dans l'autre sens qu'il faut aller. Mais la marginalité, ça nous connaît. Olivier opte pour la marche. Il sort de son kayak et le tire là où le courant l'empêche de progresser, marchant sur les galets du bord de rive. Je fais de même. Mais étant évidemment en aval, mon terrain est différent. Et je dois traverser une zone où je n'ai pas pied, Olivier l'ayant lui passé dans son kayak. Alors je décide de remonter dans le mien et de pagayer jusqu'à ce que j'aie à nouveau mon fond. Et hop, dans le kayak, un coup de pagaie et... le nez de mon bateau est attiré par le courant, comme le mien le serait par une odeur de pain frais... Et sans rien n'y comprendre je suis emportée, obligée de poursuivre le mouvement imposé par cette force qu'est l'eau. Me voilà donc à vive allure à contre-sens de la direction souhaitée. Mauvais lancé de dé, à pied joint dans la case échelle, n'ayant d'autre choix que de la descendre. Retour à la case départ. Il me faut alors tout miser sur le rapprochement vers le bord, là où l'eau est la plus sage. Après un splendide demi-tour sur route, fait avec douceur et fermeté, je me retrouve dans le bon sens. J'insiste sur le caractère élégant de ma manoeuvre ; il me faut bien cela pour compenser la note amateur de l'ensemble de ma pirouette absurde. Et je recommence. Je pense à la fourmi que j'ai observée l'autre jour. Elle transportait dans ses mandibules une coccinelle morte, d'au moins quatre fois sa taille. Son objectif était de gravir une roche lisse et verticale. Elle s'y est prise à plus de dix reprises pour finalement parvenir à son but. Persévérance. Bref, me voilà à nouveau devant le point critique. J'analyse la situation et ajuste ma tactique, avec succès. Ceci étant fait, il n'en reste pas moins que devant nous, les rapides se dévoilent aussi loin qu'il nous est possible de voir. Olivier part à pied explorer ce qui nous attend au tournant. Les courants sont de plus en plus forts, et ce au moins jusqu'au barrage. Alors on se questionne. Vaut-il la peine de poursuivre ? Pesée du pour, du contre ; le jeu n'en vaut pas la chandelle.
 
Cette fois ce n'est ni le hasard ni une maladresse qui nous fait retourner à la case départ, mais bien une décision raisonnée. Et c'est ainsi que nous parcourons à rebrousse poile l'ensemble de notre itinéraire du jour.
 
A l'exception du dernier tronçon, que nous gardons pour des temps meilleurs, lorsque la mer aura retrouvé son calme, soit le surlendemain. #Aline


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