Du Léman au Cap Nord: 5'800 km en kayak de mer
Et si l'on reprenait la route. Une route différente avec pour seule ligne blanche l'écume et la neige ? Et si l'on reprenait la route non pas que pour nous, mais pour une raison plus grande transcendant le simple fait de voyager ? 5'800km en kayak de mer pour rejoindre le cap Nord dont 600km de marche, en hiver, en tractant nos bateaux à travers la mythique Laponie. Cap Kayak est la réponse à nos envies, nos besoins, une nouvelle aventure en faveur des enfants atteints d'un cancer.
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randonnée/trek
kayak de mer
/
Carnet publié par Chasseurs d horizon
le 27 oct. 2023
modifié le 02 juil.
modifié le 02 juil.
Mobilité douce
du pas de la porte au pas de la porte
Précisions :
ou presque. Partis de la maison avec nos kayaks et baskets, nous avons laissé toutes les portes ouvertes pour le trajet du retour... Mais où débute le retour quand un voyage n'a pas de fin ?
Coup de coeur !
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Vue d'ensemble
Le topo : Laponie, hiver et kayaks (mise à jour : 02 juil.)
Distance section :
520km
Dénivelées section :
+1501m /
-1500m
Section Alti min/max : 0m/731m
Description :
Traverser la Laponie en hiver avec des kayaks. Une idée qui, peut-être, n'a de sens que pour ceux qui l'imaginent. Tracter 240 kilos de matériel sur 580 kilomètres avec des périodes d'autarcie allant jusqu'à 24 jours. Et c'est sans parler de la température qui sera de -30°C le jour du départ et de -24°C, six semaines plus tard, deux jours avant notre arrivée au bord de la mer de Norvège. On nous le dira, c'est impossible... Mais on nous l'a déjà si souvent dit ! Nous partons de Luleå le 12 février en direction de la Baltique. Puis après, on s'adaptera...
Le compte-rendu : Laponie, hiver et kayaks (mise à jour : 02 juil.)
Changements et doutes - 03.12.23
Nos racines s'étendent de plus en plus dans cette terre d'accueil du Nord, sous cette neige qui recouvre depuis plus d'un mois toute végétation. Le vert a disparu du décor et ne réapparaîtra que dans bien longtemps... Autre porté disparu, le soleil. Seules quelques lumières timides émergent encore de la forêt les beaux jours et nous font garder espoir que l'astre se trouve toujours là, quelque part. Lorsque l'application météorologique a présenté pour la première fois le symbole de la lune à 13h00, j'ai songé à un phénomène céleste particulier. J'ai tôt fait de réaliser qu'il s'agissait simplement de notre nouvelle réalité. A l'instar de l'intérêt que nous portons à la femelle élan et ses deux petits installés non loin de chez nous, alors que les locaux s'y baladent en y prêtant autant garde que nous le ferions pour des vaches, je réalise que si nous nous sentons ici chez nous, nous ne sommes pas d'ici. Plutôt que ségrégatives, ces différences nous ouvrent des portes, tout comme la singularité de ce que nous entreprenons. Notre attitude interpelle, que nous parlions anglais attise la curiosité ; le premier maillon d'une relation est tissé. Corosh, que nous croisons lors de notre entraînement matinal près du territoire de l'élan, décide de tisser quelques mailles supplémentaires et nous invite chez lui. Une soirée internationale qui nous emmène sur les sentiers du monde grâce à ses talents culinaires et aux expériences de chaque invité. Corosh a quitté son pays d'origine, l'Iran, à l'âge de 16 ans, illégalement. Aujourd'hui, il est aux commandes d'une entreprise d'envergure dans le domaine de la plongée, qu'il a créée de ses propres mains.
Nos racines s'étendent de plus en plus dans cette terre d'accueil du Nord, sous cette neige qui recouvre depuis plus d'un mois toute végétation. Le vert a disparu du décor et ne réapparaîtra que dans bien longtemps... Autre porté disparu, le soleil. Seules quelques lumières timides émergent encore de la forêt les beaux jours et nous font garder espoir que l'astre se trouve toujours là, quelque part. Lorsque l'application météorologique a présenté pour la première fois le symbole de la lune à 13h00, j'ai songé à un phénomène céleste particulier. J'ai tôt fait de réaliser qu'il s'agissait simplement de notre nouvelle réalité. A l'instar de l'intérêt que nous portons à la femelle élan et ses deux petits installés non loin de chez nous, alors que les locaux s'y baladent en y prêtant autant garde que nous le ferions pour des vaches, je réalise que si nous nous sentons ici chez nous, nous ne sommes pas d'ici. Plutôt que ségrégatives, ces différences nous ouvrent des portes, tout comme la singularité de ce que nous entreprenons. Notre attitude interpelle, que nous parlions anglais attise la curiosité ; le premier maillon d'une relation est tissé. Corosh, que nous croisons lors de notre entraînement matinal près du territoire de l'élan, décide de tisser quelques mailles supplémentaires et nous invite chez lui. Une soirée internationale qui nous emmène sur les sentiers du monde grâce à ses talents culinaires et aux expériences de chaque invité. Corosh a quitté son pays d'origine, l'Iran, à l'âge de 16 ans, illégalement. Aujourd'hui, il est aux commandes d'une entreprise d'envergure dans le domaine de la plongée, qu'il a créée de ses propres mains.
Et puis, parce que six jours sur sept nous foulons les mêmes sentiers de la station de sport de plein air d'Ormberget, certains visages nous deviennent familiers. Le simple hochement de tête impersonnel devient sourire complice. Un jour, la conversation est entamée. Ainsi faisons-nous la connaissance de Lennart, retraité de 76 ans, qui démontre et proclame que « le sport est le meilleur des médicaments ». Lennart ne parlant pas anglais, c'est l'occasion pour moi de mettre en pratique mes connaissances de suédois. Lui et son épouse Arja-Riitta nous invitent pour un café, qui se révèlera être un véritable souper aux inspirations suédo-finlandaises.
Début novembre nous déménageons à 2 kilomètres de chez Ragnhild et Lasse, à Sinksundet. Nous posons nos valises dans une charmante petite stuga au bord de l'eau, à Luleå Beach Cabin. Une petite maison aux couleurs locales avec cuisine, salle de bain, sauna; de l'eau chaude, de l'électricité et une connexion à disposition. Un standard pour certains que la vie sur la route promeut pour nous au rang de luxe. Nous avons un arrangement avec le propriétaire des lieux, Carl-Magnus, qui loue cinq autres stugas via Airbnb. Notre travail : assurer le ménage des maisons entre le départ et l'arrivée des clients. Nous faisons rapidement de cette nouvelle situation une routine dans laquelle la répartition des rôles se dessine naturellement. Olivier s'occupe du nettoyage des surfaces, du réapprovisionnement, du déneigement et de la gestion des déchets, je m'occupe de la literie, des textiles et de la lessive. Sous la casquette originelle de « patron », nous découvrons en Carl une personne riche, au parcours atypique, qui a su créer sa propre trace en dehors des sentiers battus et qui regarde un horizon qui ressemble en bien des points au nôtre...
Début novembre nous déménageons à 2 kilomètres de chez Ragnhild et Lasse, à Sinksundet. Nous posons nos valises dans une charmante petite stuga au bord de l'eau, à Luleå Beach Cabin. Une petite maison aux couleurs locales avec cuisine, salle de bain, sauna; de l'eau chaude, de l'électricité et une connexion à disposition. Un standard pour certains que la vie sur la route promeut pour nous au rang de luxe. Nous avons un arrangement avec le propriétaire des lieux, Carl-Magnus, qui loue cinq autres stugas via Airbnb. Notre travail : assurer le ménage des maisons entre le départ et l'arrivée des clients. Nous faisons rapidement de cette nouvelle situation une routine dans laquelle la répartition des rôles se dessine naturellement. Olivier s'occupe du nettoyage des surfaces, du réapprovisionnement, du déneigement et de la gestion des déchets, je m'occupe de la literie, des textiles et de la lessive. Sous la casquette originelle de « patron », nous découvrons en Carl une personne riche, au parcours atypique, qui a su créer sa propre trace en dehors des sentiers battus et qui regarde un horizon qui ressemble en bien des points au nôtre...
Grâce à l'arrivée précoce du froid et de la neige, tout comme à l'anticipation d'Olivier pour la construction des traîneaux, nous avons pu éprouver fin novembre notre plan pour la traversée de la Laponie. Si les premiers essais de traction des traîneaux sur de la neige tassée nous ont laissé croire en tous les possibles, les nouvelles précipitations de début décembre ont tout ébranlé, jusqu'au fondement même de notre philosophie de voyage. Serons-nous en mesure de transporter tout notre matériel ? / AG
L'abandon d'un rêve
L'hiver précoce de cette année nous a offert bien des avantages. Le principal fut que le bras de mer qui s'étend devant notre stuga s'est couvert le 20 octobre d'une fine pellicule de glace et, huit jours plus tard, nous nous y entraînions pour notre traversée de la Laponie. Le timing était idéal. Cela faisait deux semaines et demie que je travaillais à la construction de nos traîneaux et ils étaient fin prêts pour les premiers tests. Le challenge était de taille. Il m'avait fallu construire deux pièces adaptées à la réalité scandinave et capables de transporter nos kayaks ainsi que le matériel et la nourriture nécessaires à la suite de notre aventure. En d'autres termes, pouvoir résister à un peu plus de 250 kilos et parcourir les 580 kilomètres qui séparent Luleå de Skibotn en Norvège (un article sur la construction, le coût de production et les choix de conception des traîneaux sera disponible dans notre magazine Le Vagabond n°5 qui sortira en juin 2024. www.chasseursdhorizon.com/le-vagabond).
L'abandon d'un rêve
L'hiver précoce de cette année nous a offert bien des avantages. Le principal fut que le bras de mer qui s'étend devant notre stuga s'est couvert le 20 octobre d'une fine pellicule de glace et, huit jours plus tard, nous nous y entraînions pour notre traversée de la Laponie. Le timing était idéal. Cela faisait deux semaines et demie que je travaillais à la construction de nos traîneaux et ils étaient fin prêts pour les premiers tests. Le challenge était de taille. Il m'avait fallu construire deux pièces adaptées à la réalité scandinave et capables de transporter nos kayaks ainsi que le matériel et la nourriture nécessaires à la suite de notre aventure. En d'autres termes, pouvoir résister à un peu plus de 250 kilos et parcourir les 580 kilomètres qui séparent Luleå de Skibotn en Norvège (un article sur la construction, le coût de production et les choix de conception des traîneaux sera disponible dans notre magazine Le Vagabond n°5 qui sortira en juin 2024. www.chasseursdhorizon.com/le-vagabond).
Les premiers tests ont été couronnés de succès, bien au-delà de mes espérances. A l'aide d'un harnais, je pouvais tirer mon traîneau de 35 kilos comme si c'était une luge Davos. J'étais tout enthousiasmé et mon sourire trahissait la joie de celui qui a réussi. Encore quelques retouches, du fignolage pour être honnête, et nos deux « bêtes » seraient celles qui ouvriraient la voie d'un nouveau possible. Les semaines passèrent, les traîneaux au chaud dans l'atelier, nous à peaufiner notre endurance. Notre objectif est de marcher journellement 1 mil suédois (10km) dans le but d'atteindre la barre des 500 kilomètres. Jour après jour, les flocons de neige blanchissaient notre région d’accueil, à l’instar des kilomètres qui, eux, noircissaient notre feuille d'entraînement. Quel bel hiver ! De surcroît, une élan et ses deux juvéniles avaient établi leurs quartiers sur notre parcours du matin et les rencontrer n'était plus une surprise. C'était le matin, vers 7h30, peut-être 8h et nous avions reçu nos nouveaux harnais la veille. Même si la météo n'était pas favorable, nous avions hâte de réaliser notre première sortie avec les pièces maîtresses de l'expédition. Le harnais ajusté, relié à mon bébé et... je m'élance. 10 mètres plus loin, je m'arrête. Je sens la première goutte de sueur couler le long de ma colonne vertébrale. 10 mètres et je comprends qu'il sera impossible de les utiliser pour la traversée de notre Grand Nord. La désillusion a donc une longueur... 10 mètres.
Je suis plus déçu qu'en colère. Mon ego est blessé... Je balbutie des excuses sans fondement, Aline me propose un élargissement des patins, elle y croit encore. Les flocons, eux, tombent, ignorant totalement notre désarroi. Ceux qui prétendent que notre projet de traversée est impossible auraient-ils raison ? Non, cela serait trop facile de rejoindre leur rang à ce stade de l'aventure. Si mon être assume encore le coup, mon esprit, lui, est déjà au travail. Il analyse la problématique avec pragmatisme et deux heures plus tard, la nouvelle solution a déjà été confrontée à une batterie de tests. Certes théoriques, mais cela peut fonctionner. Les pulkas Xplorer 168 que nous avions obtenues de notre partenaire Fjellpulken et qui devaient être reliées à l'arrière de nos traîneaux par une corde - ceci pour alléger la charge de ces derniers - passent du banc de touche au rôle de titulaire. Il nous faudra également deux pulkas de transport supplémentaires (pulka sans sac incorporé). Fixées aux Xplorer comme le serait un wagon, elles accueilleront les kayaks, coques en l'air. Il y aura bien deux ou trois détails à fignoler, quelques astuces à trouver pour que cela fonctionne. Mais le plus important est de retour : avoir une idée pour continuer.
Mon frère m'a demandé par mail si abandonner nos traîneaux était, je cite : « Une bonne dose de frustration à avaler après tout ce travail… ? » Et là où aurait pu souffler le blizzard, c'est un coin de ciel bleu qui est apparu. Mon grand-père, qui a exercé le métier d'ébéniste, nous avait offert un peu d'argent pour notre voyage et je l'avais précieusement conservé pour nous offrir le bois nécessaire à la réalisation de nos traîneaux. J'ai donc pu les construire en pensant à lui. En repensant à ces moments passés autour de son établi, à sa grande fierté : la construction pierre après pierre de sa maison en ville de Vevey. Alors oui, je partirai de Luleå en laissant mes créations, mais je partirai riche de ces beaux moments qui eux m'accompagneront bien au-delà de la frontière norvégienne. / OF
Je suis plus déçu qu'en colère. Mon ego est blessé... Je balbutie des excuses sans fondement, Aline me propose un élargissement des patins, elle y croit encore. Les flocons, eux, tombent, ignorant totalement notre désarroi. Ceux qui prétendent que notre projet de traversée est impossible auraient-ils raison ? Non, cela serait trop facile de rejoindre leur rang à ce stade de l'aventure. Si mon être assume encore le coup, mon esprit, lui, est déjà au travail. Il analyse la problématique avec pragmatisme et deux heures plus tard, la nouvelle solution a déjà été confrontée à une batterie de tests. Certes théoriques, mais cela peut fonctionner. Les pulkas Xplorer 168 que nous avions obtenues de notre partenaire Fjellpulken et qui devaient être reliées à l'arrière de nos traîneaux par une corde - ceci pour alléger la charge de ces derniers - passent du banc de touche au rôle de titulaire. Il nous faudra également deux pulkas de transport supplémentaires (pulka sans sac incorporé). Fixées aux Xplorer comme le serait un wagon, elles accueilleront les kayaks, coques en l'air. Il y aura bien deux ou trois détails à fignoler, quelques astuces à trouver pour que cela fonctionne. Mais le plus important est de retour : avoir une idée pour continuer.
Mon frère m'a demandé par mail si abandonner nos traîneaux était, je cite : « Une bonne dose de frustration à avaler après tout ce travail… ? » Et là où aurait pu souffler le blizzard, c'est un coin de ciel bleu qui est apparu. Mon grand-père, qui a exercé le métier d'ébéniste, nous avait offert un peu d'argent pour notre voyage et je l'avais précieusement conservé pour nous offrir le bois nécessaire à la réalisation de nos traîneaux. J'ai donc pu les construire en pensant à lui. En repensant à ces moments passés autour de son établi, à sa grande fierté : la construction pierre après pierre de sa maison en ville de Vevey. Alors oui, je partirai de Luleå en laissant mes créations, mais je partirai riche de ces beaux moments qui eux m'accompagneront bien au-delà de la frontière norvégienne. / OF
De la sueur - 18.12.2023
Aller de l'avant étape par étape. Répondre aux interrogations l'une après l'autre et ne pas se laisser submerger par la globalité de la problématique : serons-nous en mesure de transporter nos kayaks jusqu'à la côte norvégienne ? La première question à laquelle répondre : quelle charge sommes-nous physiquement capables de tracter ? Nous avons défini le 31 décembre comme ultimatum pour y répondre. Dès lors nous nous entraînons avec nos deux pulkas, débutant avec une charge équivalente au matériel indispensable pour la traversée des terres. Une fois la distance de 10 km atteinte (distance moyenne quotidienne prévue), nous augmentons progressivement la charge, jusqu'à atteindre l'équivalent de l'entier de notre matériel (y compris kayaks et matériel de navigation). Le résultat de cet entraînement orientera alors la direction à adopter : étudier comment tracter nos kayaks différemment d'avec les traîneaux ou trouver une solution alternative. Mais autant dire que le cerveau d'Olivier n'a eu cure du calendrier et a d'ores et déjà échafaudé plusieurs solutions, bien avant que les douze coups de minuit de la Saint-Sylvestre n'aient sonné.
Le temps et l'énergie consacrés à la recherche de nouveaux partenaires n'aura donc pas été vains, puisque c'est de nos échanges avec l'entreprise norvégienne Fjellpulken qu'a germé l'idée de voyager avec des pulkas. L'entreprise suédoise Icebug, spécialisée dans les chaussures aux revêtements anti-glisse, et Revario, entreprise suisse relevant le défi d'une production locale de vêtements de sport, ajoutent également leurs couleurs à celles de Cap Kayak, ce mélange de Zoé4life et de Chasseurs d'horizon. Un camaïeu qui continue de produire ses fruits ; en cette fin d'année 2023, plus que l'entier de nos kilomètres effectifs réalisés jusqu'à présent, à savoir 4'628, ont été parrainés. Mais comme aucune somme ne serait suffisante pour pouvoir dire : « nous en avons fait assez », nous mettons la main à la pâte et vendons nos biscuits dans les stugas de Luleå Beach Cabin.
Aller de l'avant étape par étape. Répondre aux interrogations l'une après l'autre et ne pas se laisser submerger par la globalité de la problématique : serons-nous en mesure de transporter nos kayaks jusqu'à la côte norvégienne ? La première question à laquelle répondre : quelle charge sommes-nous physiquement capables de tracter ? Nous avons défini le 31 décembre comme ultimatum pour y répondre. Dès lors nous nous entraînons avec nos deux pulkas, débutant avec une charge équivalente au matériel indispensable pour la traversée des terres. Une fois la distance de 10 km atteinte (distance moyenne quotidienne prévue), nous augmentons progressivement la charge, jusqu'à atteindre l'équivalent de l'entier de notre matériel (y compris kayaks et matériel de navigation). Le résultat de cet entraînement orientera alors la direction à adopter : étudier comment tracter nos kayaks différemment d'avec les traîneaux ou trouver une solution alternative. Mais autant dire que le cerveau d'Olivier n'a eu cure du calendrier et a d'ores et déjà échafaudé plusieurs solutions, bien avant que les douze coups de minuit de la Saint-Sylvestre n'aient sonné.
Le temps et l'énergie consacrés à la recherche de nouveaux partenaires n'aura donc pas été vains, puisque c'est de nos échanges avec l'entreprise norvégienne Fjellpulken qu'a germé l'idée de voyager avec des pulkas. L'entreprise suédoise Icebug, spécialisée dans les chaussures aux revêtements anti-glisse, et Revario, entreprise suisse relevant le défi d'une production locale de vêtements de sport, ajoutent également leurs couleurs à celles de Cap Kayak, ce mélange de Zoé4life et de Chasseurs d'horizon. Un camaïeu qui continue de produire ses fruits ; en cette fin d'année 2023, plus que l'entier de nos kilomètres effectifs réalisés jusqu'à présent, à savoir 4'628, ont été parrainés. Mais comme aucune somme ne serait suffisante pour pouvoir dire : « nous en avons fait assez », nous mettons la main à la pâte et vendons nos biscuits dans les stugas de Luleå Beach Cabin.
La préparation physique n'est de loin pas la seule au programme de notre hivernage. Il nous a fallu tout d'abord élaborer notre itinéraire pour rejoindre la mer de Norvège. Et si nous pensions initialement rejoindre Narvik, nos recherches et réflexions nous orientent finalement vers Skibotn, non loin de Tromsø. Un itinéraire de 580 kilomètres construit sur le réseau des pistes de motoneige. Une route qui dresse devant nous un challenge de taille : parcourir une portion de 170 kilomètres en pleine nature, sans réapprovisionnement possible, nécessitant ainsi de transporter avec nous 24 jours de nourriture. Il nous a donc fallu nous pencher sur la question de l'alimentation. En plus du poids, les températures négatives que nous rencontrerons durant les premières semaines de marche se doivent d'être prises en considération. Croquer dans une pomme gelée ou couper un morceau de viande dur comme de la pierre peuvent être évités par la déshydratation de ces aliments. Alors nous séchons fruits, légumes, viandes... Notre future réalité nous incite aussi à creuser certaines notions. De quels minéraux allons-nous manquer du fait que nous allons consommer de l'eau de pluie et non de l'eau du robinet ? De combien de bouteilles de gaz allons-nous avoir besoin pour transformer neige et glace en eau et pour cuisiner ? Quelles seront réellement les températures que nous allons rencontrer ? Notre départ à la mi-février suscite bien souvent cette réaction de la part des locaux : «En février, il va faire froid ! » Une date que nous ne pouvons toutefois reculer, de peur que les températures douces ne nous rejoignent avant que nous n’ayons franchi les lacs et rivières gelés du nord de la Suède et de Finlande.
Si la traversée à pied de la Laponie soulève de nombreuses questions, la dernière partie de Cap Kayak, soit la navigation de Skibotn jusqu'au Cap Nord, n'est pas en rade. Recherche d'informations quant aux conditions de navigation, aux particularités météorologiques et climatiques de cette région, prise de contact avec des expérimentés, étude des lieux de réapprovisionnement et de bivouac, etc.
Une chose est certaine, le Cap Nord par la mer se mérite. Le Cap Nord, l'été prochain, nous paraît encore bien loin... / AG
Départ imminent - 29 janvier 2024
Le départ est imminent ! Deux jours et nous mettons un pied dans février, quelques pas de plus et nous levons l'ancre. Ou le camp. Car si nous aurons bel et bien nos kayaks avec nous, seule une ancre à neige pourrait nous être utile durant ces prochains mois. Du moins c'est ce que l'on espère, car avec la variation des températures, l'on ne sait guère plus à quel saint se vouer ni quel Dieu prier pour que les conditions nous permettent de réaliser nos projets. Aujourd'hui le thermomètre affiche +5°C, la mer et ses lacs conjoints sont bordés de grandes flaques couleur rouille et d'une neige appelée par les locaux «la neige de sang». Alors qu'il y a quelques semaines à peine, la Suède enregistrait un record de température négative avec -43,6°C. Quelles seront les conditions le 12 février, jour prévu du départ ? Cela nous semble tenir de la loterie, car les « d'habitude », « d'ordinaire » ou toute autre affirmation basée sur l'expérience n'ont plus vraiment de valeur aujourd'hui...
Une chose est certaine, le Cap Nord par la mer se mérite. Le Cap Nord, l'été prochain, nous paraît encore bien loin... / AG
Départ imminent - 29 janvier 2024
Le départ est imminent ! Deux jours et nous mettons un pied dans février, quelques pas de plus et nous levons l'ancre. Ou le camp. Car si nous aurons bel et bien nos kayaks avec nous, seule une ancre à neige pourrait nous être utile durant ces prochains mois. Du moins c'est ce que l'on espère, car avec la variation des températures, l'on ne sait guère plus à quel saint se vouer ni quel Dieu prier pour que les conditions nous permettent de réaliser nos projets. Aujourd'hui le thermomètre affiche +5°C, la mer et ses lacs conjoints sont bordés de grandes flaques couleur rouille et d'une neige appelée par les locaux «la neige de sang». Alors qu'il y a quelques semaines à peine, la Suède enregistrait un record de température négative avec -43,6°C. Quelles seront les conditions le 12 février, jour prévu du départ ? Cela nous semble tenir de la loterie, car les « d'habitude », « d'ordinaire » ou toute autre affirmation basée sur l'expérience n'ont plus vraiment de valeur aujourd'hui...
Même les locaux en ont marre de ces longues périodes où le thermomètre stagne en-dessous des -20°C. Le froid s'immisce partout, même et surtout là où on ne le souhaite pas, comme les conduites d'eau. « Ces tubes-là n'ont pourtant jamais gelé depuis la construction de la maison ! » Les stocks de bois de chauffe fondent comme neige au soleil. Quoi que cette année, les montagnes de neige générées par les tractopelles en charge du déblayage des routes atteignent de telles altitudes que l'on se demande si l'été en viendra à bout...
Nous partirons avec nos kayaks. Non pas sur les traîneaux en bois construits initialement par Olivier, mais avec des « semi-pulkas ». Imaginés sur le principe des semi-remorques, cet agencement des plus singulier est le fruit des nombreuses réflexions d'Olivier. Une fois rassurés sur notre capacité à tracter le poids correspondant à l'ensemble de notre matériel, il a fallu trouver comment le transporter. Un premier test a été réalisé avec le kayak biplace de 6 mètres de long d'Olivier, placé à l'envers sur nos deux pulkas. Celui-ci étant concluant, nous avons acquis deux pulkas supplémentaires basiques, destinées à supporter l'arrière des kayaks. Mais faire en sorte que les kayaks reposent à l'horizontale, sur du matériel relativement souple, de les sangler de manière à ce qu'ils puissent absorber les chocs liés aux irrégularités du terrain, tout en tenant compte de la répartition inégale des poids entre nos deux convois, a relevé d'un Tetris complexe aux paramètres multiples. Finalement, Olivier a trouvé une solution : construire une structure en bois pour les pulkas arrières, sur laquelle repose l'extrémité du kayak et sous laquelle nous pouvons placer des bagages. Nouvel essai : concluant lui aussi, même si cela nous met face à l'évidence que l'effort sera augmenté par une surface de frottement nettement plus importante que lors de nos entraînements. Difficile mais possible, serions-nous tentés de dire. Mais l'un comme l'autre pourrait se révéler inexact. Car s'il y a bien un apprentissage que nos entraînements quotidiens nous permettent de réaliser, c'est que ce que l'on nomme génériquement « neige » est une structure véritablement complexe. Et plus nous apprenons, de manière empirique la plupart du temps, et plus nous constatons l'étendue de nos méconnaissances. La température de l'air, celle de la neige, la présence de vent et j'en passe... autant de paramètres qui, combinés les uns aux autres, offrent des conditions de glisse des plus variables. Un jour la pulka semble résister effrontément à nos efforts acharnés ; un jour nous nous demandons si nous n'avons pas oublié de les charger. Un jour nos pulkas suivent une voie toute tracée par les motoneiges ; un jour Olivier doit ouvrir la piste dans de la poudreuse. Facile, difficile, possible, impossible... ce qui est certain, c'est que chaque jour nous nous réveillerons avec cette question : comment sera la neige aujourd'hui ?
Nous partirons avec nos kayaks. Non pas sur les traîneaux en bois construits initialement par Olivier, mais avec des « semi-pulkas ». Imaginés sur le principe des semi-remorques, cet agencement des plus singulier est le fruit des nombreuses réflexions d'Olivier. Une fois rassurés sur notre capacité à tracter le poids correspondant à l'ensemble de notre matériel, il a fallu trouver comment le transporter. Un premier test a été réalisé avec le kayak biplace de 6 mètres de long d'Olivier, placé à l'envers sur nos deux pulkas. Celui-ci étant concluant, nous avons acquis deux pulkas supplémentaires basiques, destinées à supporter l'arrière des kayaks. Mais faire en sorte que les kayaks reposent à l'horizontale, sur du matériel relativement souple, de les sangler de manière à ce qu'ils puissent absorber les chocs liés aux irrégularités du terrain, tout en tenant compte de la répartition inégale des poids entre nos deux convois, a relevé d'un Tetris complexe aux paramètres multiples. Finalement, Olivier a trouvé une solution : construire une structure en bois pour les pulkas arrières, sur laquelle repose l'extrémité du kayak et sous laquelle nous pouvons placer des bagages. Nouvel essai : concluant lui aussi, même si cela nous met face à l'évidence que l'effort sera augmenté par une surface de frottement nettement plus importante que lors de nos entraînements. Difficile mais possible, serions-nous tentés de dire. Mais l'un comme l'autre pourrait se révéler inexact. Car s'il y a bien un apprentissage que nos entraînements quotidiens nous permettent de réaliser, c'est que ce que l'on nomme génériquement « neige » est une structure véritablement complexe. Et plus nous apprenons, de manière empirique la plupart du temps, et plus nous constatons l'étendue de nos méconnaissances. La température de l'air, celle de la neige, la présence de vent et j'en passe... autant de paramètres qui, combinés les uns aux autres, offrent des conditions de glisse des plus variables. Un jour la pulka semble résister effrontément à nos efforts acharnés ; un jour nous nous demandons si nous n'avons pas oublié de les charger. Un jour nos pulkas suivent une voie toute tracée par les motoneiges ; un jour Olivier doit ouvrir la piste dans de la poudreuse. Facile, difficile, possible, impossible... ce qui est certain, c'est que chaque jour nous nous réveillerons avec cette question : comment sera la neige aujourd'hui ?
Au total nous nous serons entraînés sur plus de 1100 km, à pied, avec et sans pulkas. Cette auto-discipline, au-delà du bénéfice qu'elle nous offre pour notre traversée des terres, nous « contraint » à être à l'extérieur 3 heures chaque matin et par là même à profiter des tableaux grandioses que nous offrent les lumières célestes. Si les aurores boréales font l'objet d'une réelle chasse de la part des touristes, rares sont les personnes qui évoquent les nuages de nacre, phénomène rare et fascinant. A plusieurs reprises, la lumière d'un soleil en dessous de l'horizon est venue iriser nos ciels de flammes féériques et nous laisser pantois devant une telle beauté. Le 15 janvier précisément, je vois Olivier devant moi franchir une ligne. Celle entre l'ombre et la lumière. Un pas de plus et le voilà inondé des rayons du soleil. Il est revenu ; enfin il dépasse la cime des arbres qui bordent notre terrain de vie. Cette présence lumineuse nous fait prendre conscience que nous avons vécu des mois durant dans cette grande absence. Et le 25 janvier, c'est la chaleur du soleil sur notre peau que nous sentons à nouveau.
Il est vrai que la préparation de la suite du voyage prend une place importante dans notre vie de tous les jours. Toutefois, ces différentes tâches se complètent d'un quotidien ancré dans le présent. Notre travail se poursuit agréablement dans le Airbnb de Carl-Magnus, où se succèdent touristes de passage, vacanciers en quête de « l'expérience du Nord », expatriés venus rendre visite à leur famille lors des fêtes de fin d'année... Pour notre part, nous passons le réveillon de Noël chez Kerstin, en compagnie de sa famille, de Ragnhild et Lasse ainsi que d'une amie. De cette soirée chaleureuse, passée autour d'une table débordante de délices, me reste cette beauté, celle de la place qui a été faite à deux « étrangers » de passage lors d'une fête chez nous généralement réservée à la famille. L'une des marques significatives de cette intégration : la langue. Aucune personne autour de cette table n'avait pour langue maternelle l'anglais. Et pourtant chaque personne autour de cette table a fait l'effort de le parler pour que tout le monde puisse prendre part aux discussions. Le passage à la nouvelle année, nous le célébrons dans le bistro où Carl-Magnus travaille comme animateur de quizz. Par là entendez des jeux de questions à thématique variable – musiques, films, culture générale -, dont les Suédois sont friands et qui échauffe le lieu tous les dimanches soirs. Là encore, si les questions étaient posées en suédois, nous avons eu droit à une traduction simultanée de la part de nos « concurrents » des tables voisines. Et lorsque nous nous retrouvons à la table de Lennart et Arja, qui nous reçoivent toujours avec beaucoup d'enthousiasme, c'est un quatre-langue qui s'installe à la table.
Mais sous peu, c'est le français qui reprendra ses droits. L'équipe de Passe-moi les Jumelles nous rejoint quelques jours avant le départ. Une session de tournage entre froid et neige, efforts et échanges, qui tentera de mettre en boîte ces moments-clé de transition où l'on quitte un monde connu et familier pour un nouveau à découvrir et à apprivoiser. / AG
Il est vrai que la préparation de la suite du voyage prend une place importante dans notre vie de tous les jours. Toutefois, ces différentes tâches se complètent d'un quotidien ancré dans le présent. Notre travail se poursuit agréablement dans le Airbnb de Carl-Magnus, où se succèdent touristes de passage, vacanciers en quête de « l'expérience du Nord », expatriés venus rendre visite à leur famille lors des fêtes de fin d'année... Pour notre part, nous passons le réveillon de Noël chez Kerstin, en compagnie de sa famille, de Ragnhild et Lasse ainsi que d'une amie. De cette soirée chaleureuse, passée autour d'une table débordante de délices, me reste cette beauté, celle de la place qui a été faite à deux « étrangers » de passage lors d'une fête chez nous généralement réservée à la famille. L'une des marques significatives de cette intégration : la langue. Aucune personne autour de cette table n'avait pour langue maternelle l'anglais. Et pourtant chaque personne autour de cette table a fait l'effort de le parler pour que tout le monde puisse prendre part aux discussions. Le passage à la nouvelle année, nous le célébrons dans le bistro où Carl-Magnus travaille comme animateur de quizz. Par là entendez des jeux de questions à thématique variable – musiques, films, culture générale -, dont les Suédois sont friands et qui échauffe le lieu tous les dimanches soirs. Là encore, si les questions étaient posées en suédois, nous avons eu droit à une traduction simultanée de la part de nos « concurrents » des tables voisines. Et lorsque nous nous retrouvons à la table de Lennart et Arja, qui nous reçoivent toujours avec beaucoup d'enthousiasme, c'est un quatre-langue qui s'installe à la table.
Mais sous peu, c'est le français qui reprendra ses droits. L'équipe de Passe-moi les Jumelles nous rejoint quelques jours avant le départ. Une session de tournage entre froid et neige, efforts et échanges, qui tentera de mettre en boîte ces moments-clé de transition où l'on quitte un monde connu et familier pour un nouveau à découvrir et à apprivoiser. / AG
De Luleå à Gällivare - Mise en route d'une caravane pas comme les autres - 2 mars 2024
Tel un chat blotti dans les replis d'un édredon, accroupie sur un étroit banc en bois je me tiens. Non que nous ne jouions à Chat perché, simplement que ce siège de fortune est celui qui se trouve le plus près du poêle. Ce dernier lui aussi a 4 pattes, reposant de justesse sur des briques pour l'isoler du froid. Ou serait-ce pour lui offrir les quelques centimètres manquant à l'édifice ? Quoi qu'il en soit, il turbine sans relâche depuis hier soir pour élever non son âtre mais la température de la petite cabane où nous avons trouvé refuge. Il était temps. Petit à petit, au fil des heures et des bûches qui viennent alimenter le brasier, nos affaires enfin sèchent. « Aline, le feu s'éteint ! » s'exclame Olivier tout en essuyant la toile de tente suspendue aux crochets en bois au-dessus de nos lits, leur offrant ainsi des airs de baldaquin. « Aline, j'ai pas l'impression que ton feu ait repris... » C'est qu'il ne suffit pas de le nourrir, notre ami de fonte, il faut en outre lui donner de l'attention, ce que je manque à faire lorsque plongée dans mon carnet. Sous mon nez, perchées à la même enseigne que moi, nos chaussures encore gorgées d'eau patientent. Quelques taches plus claires témoignent de la lente évolution de leur condition et nous permettent de ne pas perdre l'espoir que demain, elles ne seront si ce n'est sèches, du moins, moins trempes. Hier, elles ont parcouru quelque vingt kilomètres pour atteindre ce lieu, motivées par la perspective d'une trêve avec l'humidité. Cette dernière s'est clairement affirmée en ce premier jour du mois de mars. Le constat fut sans appel dès l'aube ; des gouttes d'eau sur notre toile de tente ?! Nous étions jusqu'alors habitués à y voir du givre, de la glace, de la neige... Mais pas de l'eau ! Le jour précédent encore, alors que nous déjeunions dans la chaleur résiduelle de nos sacs de couchage, quelques gouttes d'eau sont tombées du thermos sur le fond de la tente. En fin de repas, Olivier a pu saisir le petit bloc de glace en lequel elles s'étaient transformées pour les jeter à l'extérieur. Il n'y a pas de petit bénéfice lorsqu'il s'agit de lutter contre l'humidité.
Tel un chat blotti dans les replis d'un édredon, accroupie sur un étroit banc en bois je me tiens. Non que nous ne jouions à Chat perché, simplement que ce siège de fortune est celui qui se trouve le plus près du poêle. Ce dernier lui aussi a 4 pattes, reposant de justesse sur des briques pour l'isoler du froid. Ou serait-ce pour lui offrir les quelques centimètres manquant à l'édifice ? Quoi qu'il en soit, il turbine sans relâche depuis hier soir pour élever non son âtre mais la température de la petite cabane où nous avons trouvé refuge. Il était temps. Petit à petit, au fil des heures et des bûches qui viennent alimenter le brasier, nos affaires enfin sèchent. « Aline, le feu s'éteint ! » s'exclame Olivier tout en essuyant la toile de tente suspendue aux crochets en bois au-dessus de nos lits, leur offrant ainsi des airs de baldaquin. « Aline, j'ai pas l'impression que ton feu ait repris... » C'est qu'il ne suffit pas de le nourrir, notre ami de fonte, il faut en outre lui donner de l'attention, ce que je manque à faire lorsque plongée dans mon carnet. Sous mon nez, perchées à la même enseigne que moi, nos chaussures encore gorgées d'eau patientent. Quelques taches plus claires témoignent de la lente évolution de leur condition et nous permettent de ne pas perdre l'espoir que demain, elles ne seront si ce n'est sèches, du moins, moins trempes. Hier, elles ont parcouru quelque vingt kilomètres pour atteindre ce lieu, motivées par la perspective d'une trêve avec l'humidité. Cette dernière s'est clairement affirmée en ce premier jour du mois de mars. Le constat fut sans appel dès l'aube ; des gouttes d'eau sur notre toile de tente ?! Nous étions jusqu'alors habitués à y voir du givre, de la glace, de la neige... Mais pas de l'eau ! Le jour précédent encore, alors que nous déjeunions dans la chaleur résiduelle de nos sacs de couchage, quelques gouttes d'eau sont tombées du thermos sur le fond de la tente. En fin de repas, Olivier a pu saisir le petit bloc de glace en lequel elles s'étaient transformées pour les jeter à l'extérieur. Il n'y a pas de petit bénéfice lorsqu'il s'agit de lutter contre l'humidité.
Alors que nous faisions nos au revoir à Luleå, le 12 février, le thermomètre affichait -30°C. Ce qui n'a pas découragé nos amis à venir partager ensemble un dernier café. A l'extérieur bien sûr. Et sous leurs regards bienveillants, un peu inquiets pour certains, dans leurs émotions et les nôtres, nous avons enfilé nos harnais, attelé nos semi-pulkas et fait nos premiers pas dans cette aventure un peu folle. C'est accompagnés de Matthieu et Tim, sous les caméras de Passe-moi les jumelles, que nous quittons ce lieu qui désormais raisonne avec les mots « chez nous ». Je me suis d'ailleurs surprise il y a quelques jours à répondre à Olivier qui me questionnait sur la provenance d'un tube d'épices : « Il vient de la maison ! »
Durant quatre jours, la Baltique gelée nous sert de route. Etrange concept que d'imaginer qu'alors nous serpentons dans une fraîche neige sur cette immense étendue blanche, poissons et autres êtres marins se fraient leur propre itinéraire juste au-dessous de nous... Comme pour eux, nous n'avons ni trace ni limite dans nos déplacements ; nous créons notre piste. Ou plus exactement, Olivier, au prix d'un effort intense et d'une volonté de fer, crée un sillon dont je profite ensuite. Les premiers kilomètres mettent en lumière ce qui a lieu d'être adapté dans nos installations. Car si nous nous étions entraînés à la marche avec assiduité durant l'hiver, nous n'avions pu le faire avec le matériel ni les conditions réelles de voyage. D'ailleurs, se prépare-t-on à la vie ? Ou ne nous adaptons-nous pas au fur et à mesure qu'elle se révèle ? Il a fallu modifier les distances des pulkas de l'attelage du kayak double, pour optimiser la gestion de la direction. Puis réorganiser les affaires dans les pulkas pour améliorer la stabilité des bateaux fixés dessus. Et enfin installer le grand kayak sur les semi-pulkas les plus basses, pour diminuer la fréquence des renversements lorsque les traces glacées de motoneige guident les pulkas dans des positions d'équilibriste. Mais avant tout, ce qui est génial, c'est que les conceptions d'Olivier fonctionnent et notre caravane avance ! L'emploi quotidien de cette composition atypique en révèle également ses avantages. Les pulkas de deuxième position, grâce à la construction en bois, offrent un espace de stockage facile d'accès en journée, sans avoir besoin de démonter l'attelage. Les piquets de fixation à GoPro font également office de penderie ; notre drapeau, ondoyant fièrement sur son support en bois, attise la curiosité des quelques personnes que nous croisons.
Durant quatre jours, la Baltique gelée nous sert de route. Etrange concept que d'imaginer qu'alors nous serpentons dans une fraîche neige sur cette immense étendue blanche, poissons et autres êtres marins se fraient leur propre itinéraire juste au-dessous de nous... Comme pour eux, nous n'avons ni trace ni limite dans nos déplacements ; nous créons notre piste. Ou plus exactement, Olivier, au prix d'un effort intense et d'une volonté de fer, crée un sillon dont je profite ensuite. Les premiers kilomètres mettent en lumière ce qui a lieu d'être adapté dans nos installations. Car si nous nous étions entraînés à la marche avec assiduité durant l'hiver, nous n'avions pu le faire avec le matériel ni les conditions réelles de voyage. D'ailleurs, se prépare-t-on à la vie ? Ou ne nous adaptons-nous pas au fur et à mesure qu'elle se révèle ? Il a fallu modifier les distances des pulkas de l'attelage du kayak double, pour optimiser la gestion de la direction. Puis réorganiser les affaires dans les pulkas pour améliorer la stabilité des bateaux fixés dessus. Et enfin installer le grand kayak sur les semi-pulkas les plus basses, pour diminuer la fréquence des renversements lorsque les traces glacées de motoneige guident les pulkas dans des positions d'équilibriste. Mais avant tout, ce qui est génial, c'est que les conceptions d'Olivier fonctionnent et notre caravane avance ! L'emploi quotidien de cette composition atypique en révèle également ses avantages. Les pulkas de deuxième position, grâce à la construction en bois, offrent un espace de stockage facile d'accès en journée, sans avoir besoin de démonter l'attelage. Les piquets de fixation à GoPro font également office de penderie ; notre drapeau, ondoyant fièrement sur son support en bois, attise la curiosité des quelques personnes que nous croisons.
Jour après jour nous prenons nos marques, développons des stratégies pour s'économiser face au froid, adoptons un nouveau rythme quotidien. Du réveil jusqu'au démarrage de la marche, deux heures nous sont généralement nécessaires dans cet environnement polaire. Tout prend du temps. Parvenir à enfiler ses chaussures gelées requiert parfois plusieurs longues minutes. Plier les trois sacs qui composent notre couchage est fastidieux lorsque les revêtements glacés exigent le port de gants. La mise en place du campement elle aussi occupe une grande partie de notre journée. Damer au mieux l'emplacement, installer les kayaks et les pulkas qui offrent des lieux d'attache pour la tente, déployer notre maison de toile, la fixer, dégivrer l'intérieur, installer les couchages... Le simple fait de marcher autour du campement avec les raquettes pour ne pas s'enfoncer jusqu'aux hanches, tout en enjambant les fils de la tente, demande concentration et chaque pas devient un geste réfléchi. La plupart du temps, j'installe le campement alors qu'Olivier gère la question de l'eau et du repas. Car si nous avons autour de nous une source actuellement intarissable de neige, la transformer en un liquide tempéré au moyen de notre réchaud à gaz prend plusieurs heures. Le repas une fois terminé, nous nous réfugions dans notre tente, où seul le fait d'avoir chaud suffit à nous satisfaire et bien souvent nous nous endormons avant 18h30.
A Råneå débute la Malmensväg, route empruntée jusqu'en 1882 par un autre type d'attelage: des rennes tirant des traîneaux remplis de plus de 800 kg de minerais, depuis les mines de fer proches de Gällivare à la mer Baltique. Le long de cette piste historique nous découvrons quelques petites cabanes ouvertes qui nous permettent de faire sécher nos affaires et parfois de faire un brin de toilette. C'est autour de l'une d'entre elles que nous retrouvons Ulrika, une journaliste freelance souhaitant nous rencontrer en cours de route. Vers Gunnarsbyn, je contacte Anna, la journaliste radiophonique qui nous avait interviewés à Luleå, sachant qu'elle habitait ce petit village. C'est ainsi que nous faisons la connaissance de son mari, Fredrik, qui nous ouvre les portes de ses connaissances de la région ainsi que celles d'une incroyable maison ordinairement louée aux vacanciers. « Dans une quarantaine de kilomètres, à Spiken, il y a une stuga. Je vous donnerai le code d'accès pour la maison. C'est le même qui ouvre la porte du bûcher ainsi que celle du sauna. » Nous nous y sommes offert notre première journée de repos. Fredrik nous avait dit également « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, écrivez-moi.» Ce que nous avons fait lorsque Olivier découvre après une journée de marche que ses deux raquettes à neige sont cassées. Ainsi nous retrouvons notre homme, au cercle polaire précisément, venu nous amener 2 paires de raquettes. Si jusqu'au cercle polaire ces dernières étaient indispensables, nous avons dès lors pu marcher sans, la qualité de la piste étant suffisamment bonne pour évoluer avec nos chaussures uniquement. Le paysage et le dénivelé changent eux aussi; des forêts denses et du up-and-down nous débouchons sur de grandes plaines immaculées où le kilomètre-effort rejoint la distance parcourue. Par contre, une constante jusqu'à présent, celle du ciel couvert et de la timidité du soleil qui vient à réellement nous manquer.
Demain, nous reprenons notre lente migration nordique et arriverons aux portes de Gällivare, ville clé sur notre parcours où notre objectif premier sera le réapprovisionnement. / AG
Demain, nous reprenons notre lente migration nordique et arriverons aux portes de Gällivare, ville clé sur notre parcours où notre objectif premier sera le réapprovisionnement. / AG
De Gällivare à Kiruna - Ensemble en terre sauvage - 15 mars 2024
Kiruna.
Nous avions traversé cette ville en 2017, alors à vélo. L'une des seules images conservées de ce rapide passage était celle de l'office du tourisme. Une réalité qui désormais n'est plus. Ville en mouvance depuis 2009 en raison de la fragilisation des sols liée à l'exploitation minière, elle ne cesse de se transformer et de se déplacer.
Kiruna.
Etape importante de notre traversée à pied de la Laponie. Pointée sur la carte, notée sur notre décompte kilométrique, inscrite dans le planning des réapprovisionnements, elle nous fait également miroiter un temps de pause.
Peut-être...
Kiruna.
Nous avions traversé cette ville en 2017, alors à vélo. L'une des seules images conservées de ce rapide passage était celle de l'office du tourisme. Une réalité qui désormais n'est plus. Ville en mouvance depuis 2009 en raison de la fragilisation des sols liée à l'exploitation minière, elle ne cesse de se transformer et de se déplacer.
Kiruna.
Etape importante de notre traversée à pied de la Laponie. Pointée sur la carte, notée sur notre décompte kilométrique, inscrite dans le planning des réapprovisionnements, elle nous fait également miroiter un temps de pause.
Peut-être...
A Gällivare, après une descente quelque peu frustrante, nous atteignons la ville. L'urbanité. Frustrante, car d'une part la descente n'est pas plus facile que la montée, au contraire, et d'autre part car cela signifie qu'il nous faudra plus tard regagner cette altitude perdue. Urbanité, car après trois semaines en pleine nature, la concentration de monde et les bruits citadins parviennent à nos capteurs de manière exacerbée. Pourtant, cette ville, nous ne faisons que l'effleurer, suivant les pistes qui la contournent. Un arrêt tout de même, pour se ravitailler. Comme à notre habitude, Olivier reste avec notre équipement pendant que je foule l'asphalte pour rejoindre le magasin le plus proche. L'article rédigé par Ulrika a été publié dans le quotidien NSD, diffusé dans l'ensemble de la région du Norrbotten. Force est de constater que notre « réputation » nous précède. Durant mon escapade marchande, Olivier discute avec différentes personnes qui viennent à lui. L'une d'entre elles revient alors que nous nous remettons en route, avec du pain tout juste sorti du four.
Est-ce cette reconnexion à la ville et au stress qu'elle induit, le cumul de l'effort jusqu'alors fourni, la fatigue liée à la gestion du froid, le spot de bivouac sinistre que nous trouvons le soir ou encore la perspective des futurs portages pour traverser les routes asphaltées... mais voilà, ce jour-là, le moral assume un coup bas.
Est-ce cette reconnexion à la ville et au stress qu'elle induit, le cumul de l'effort jusqu'alors fourni, la fatigue liée à la gestion du froid, le spot de bivouac sinistre que nous trouvons le soir ou encore la perspective des futurs portages pour traverser les routes asphaltées... mais voilà, ce jour-là, le moral assume un coup bas.
Le lendemain matin précisément, une voiture s'arrête à notre hauteur, une femme bourrée d'énergie en sort et nous demande « Vous avez besoin de quelque chose ? » Et Olivier de répondre « Une douche peut-être ? » Denise brandit son téléphone. « C'est arrangé, dans 5 km la piste passe devant un hôtel, vous pouvez vous y arrêter pour prendre une douche. » Ainsi nous arrivons au Skogen-Lodge à Koskullskulle, où les propriétaires nous attendent, les bras chargés de linges et d'eau fraîche. Puis ils nous guident jusqu'au bâtiment ouvrant sur une salle d'eau. Il y fait bon. L'eau est chaude à souhait. Les prises nombreuses pour recharger nos différentes batteries. Alors que nous prenons ce qui est notre première douche depuis Luleå, les propriétaires nous préparent un panier pic-nic des plus inattendu. A côté des sandwiches et des bouteilles d'eau gazeuse, nous découvrons avec une surprise que je ne peux m'empêcher d'être sonore, des branches Cailler et un paquet de Läckerli ! Les propriétaires de ce lieu le sont depuis peu, ayant déménagé de Suisse-allemande en fin d'année passée. Récemment, un groupe de vacanciers helvétiques leur a amené ce qui représente pour eux – et pour nous - des saveurs familières.
Nous nous sommes fait avoir comme des bleus. En ce début du mois de mars, les températures diurnes flirtent avec le zéro. Le jour de notre douche, mis en confiance par un soleil enfin bien présent, nous laissons dans nos pulkas nos sur-sac de couchage. Mal nous en a pris. Le mercure a fait cette nuit-là un saut vertigineux dans les profondeurs de son tube de verre, et nous n'avons pas dormi de la nuit. Les heures sont longues. La leçon est apprise et retenue.
A Tjautjas, nous arrivons devant des panneaux indicatifs plantés dans la glace du lac. Kiruna pointant vers l'ouest. Pourtant, nous avions imaginé poursuivre au nord. En pleine réflexion, un homme arrive à notre hauteur. « Mon cousin vient de me téléphoner, il vous a vu passer devant chez lui il y a 5 minutes et m'a dit de venir à votre rencontre. » Un peu emprunté, comme en s'excusant, il poursuit « alors voilà, j'ai pour mission de vous demander, est-ce que vous avez besoin de quelque chose ? Ma maison est juste là. » Il est encore tôt et demander un lieu où poser la tente serait inapproprié. Par contre... « Serait-il possible de venir chez vous faire sécher nos sacs de couchage ? » Finalement nous resterons chez Peter jusqu'au lendemain. Nous discutons des différents itinéraires pour Kiruna, nous nous rendons au sommet de la montagne voisine pour alimenter la réflexion puis la décision est prise. Arrivés le jour de son anniversaire, nous avons la chance de partager avec lui une énorme prinsesstårta. Quand je dis partager... il faut avouer que nous en avons à nous deux dévoré la majeure partie. Au soir, sous le spectacle céleste d'aurores boréales, nous nous frottons à la neige entre deux séances de sauna, pour ensuite nous blottir sous le duvet d'un lit oh combien confortable.
Nous nous sommes fait avoir comme des bleus. En ce début du mois de mars, les températures diurnes flirtent avec le zéro. Le jour de notre douche, mis en confiance par un soleil enfin bien présent, nous laissons dans nos pulkas nos sur-sac de couchage. Mal nous en a pris. Le mercure a fait cette nuit-là un saut vertigineux dans les profondeurs de son tube de verre, et nous n'avons pas dormi de la nuit. Les heures sont longues. La leçon est apprise et retenue.
A Tjautjas, nous arrivons devant des panneaux indicatifs plantés dans la glace du lac. Kiruna pointant vers l'ouest. Pourtant, nous avions imaginé poursuivre au nord. En pleine réflexion, un homme arrive à notre hauteur. « Mon cousin vient de me téléphoner, il vous a vu passer devant chez lui il y a 5 minutes et m'a dit de venir à votre rencontre. » Un peu emprunté, comme en s'excusant, il poursuit « alors voilà, j'ai pour mission de vous demander, est-ce que vous avez besoin de quelque chose ? Ma maison est juste là. » Il est encore tôt et demander un lieu où poser la tente serait inapproprié. Par contre... « Serait-il possible de venir chez vous faire sécher nos sacs de couchage ? » Finalement nous resterons chez Peter jusqu'au lendemain. Nous discutons des différents itinéraires pour Kiruna, nous nous rendons au sommet de la montagne voisine pour alimenter la réflexion puis la décision est prise. Arrivés le jour de son anniversaire, nous avons la chance de partager avec lui une énorme prinsesstårta. Quand je dis partager... il faut avouer que nous en avons à nous deux dévoré la majeure partie. Au soir, sous le spectacle céleste d'aurores boréales, nous nous frottons à la neige entre deux séances de sauna, pour ensuite nous blottir sous le duvet d'un lit oh combien confortable.
Cap à l'Ouest. Notre nouvel itinéraire traverse des régions plus sauvages que celui prévu initialement et garde une part d'inconnu. Sur notre carte des pistes motoneige, le tronçon entre Kaitum et Kiruna n'est pas répertorié comme tracé officiel. Toutefois, il est dit que les Samis empruntent une route qui suit les pylônes électriques. Mais sera-t-elle ouverte lorsque nous y serons ? Prévoyants, nous avons suffisamment de vivres pour que la réponse à cette question ne nous mette pas en péril.
Désertes oui, les régions que nous traversons le sont. De vastes plaines blanches, des forêts de bouleaux et de pins chétifs mais présents. Au loin, des sommets doux et ronds dont l'absence de végétation offre aux rayons du soleil un miroir captivant. Environnement en noir et blanc, nous évoluons dans une gravure grandeur nature.
La piste sami est ouverte ! Alors malgré les montées et descentes si abruptes qu'elles exigent que nous les effectuions à deux, nous arrivons en quelques jours à Kiruna. Comme s'il fallait véritablement la mériter, notre dernière journée a de loin été la plus pénible du voyage. Nous abordons la ville par le sud et de ce point-là, nous devinons le lieu où nous sommes attendus, au nord. Pensant couper par ce qui se révèlera être une zone appartenant à la compagnie minière interdite aux civiles, nous devons nous résoudre à l'évidence. Nous sommes contraints à suivre les pistes de motoneige qui contournent la ville pour nous rapprocher au maximum de notre adresse. Cela représente quelque six kilomètres supplémentaires. Mais surtout, cela signifie se frotter à la ville. Et les pulkas en prennent un coup. Nous enneigeons certaines routes asphaltées au moyen de notre pèle pour offrir à nos pulkas un terrain accommodant. Puis nous les portons lorsque le trafic intense empêche cette manoeuvre. Mais en fin de parcours, nous capitulons. La distance asphaltée est trop importante pour la contourner ; nous serrons les dents et nous ripons nos montures. Nous avons depuis rencontré plusieurs personnes qui nous ont dit « Ah, mais je vous ai vus en ville ! » C'est sûr que deux personnes en vêtements de sport, flanquées de masques de ski, trimbalant des kayaks sur des pulkas en pleine zone commerciale à l'heure de pointe, ça ne passe pas inaperçu ! Plus nous avançons, plus nous nous éloignons de la ville et nous rapprochons de montagnes. Si cela a de positif que nous sommes moins stressés par la traversée improbable de routes, cela affaiblit ma confiance dans le succès de notre opération. Serons-nous réellement en mesure d'atteindre notre destination ? Ou allons-nous nous retrouver face à un ravin infranchissable ? Finalement, il est plus de 17h30 lorsque nous nous retrouvons devant la porte de Kajsa. C'est son voisin qui nous accueille en premier car c'est chez lui que nous pouvons parquer nos semi-pulkas. Kajsa, Karin de son prénom officiel, nous ouvre ensuite les portes de sa maison. Il s'agit de la voisine d'une amie de la cousine d'une amie de Suisse... Autant dire que nous ne nous connaissions ni d'Eve ni d'Adam. Et pourtant elle nous accueille, nous laisse sa chambre et finalement sa maison car elle s'en va pour 6 jours chez sa soeur dans le Sud « Restez aussi longtemps que vous le souhaitez !» Sur le trousseau de clés, celle de sa voiture également. Son unique demande : venir parler de notre expérience dans le cadre du cours d'anglais qu'elle donne à l'école populaire de Kiruna. Alors réunis autour de la table ronde d'une bibliothèque, devant un café et quelques biscuits, nous répondons aux questions d'une dizaine de retraités curieux.
La beauté du voyage, c'est cela aussi, et surtout. L'inattendu. / AG
Désertes oui, les régions que nous traversons le sont. De vastes plaines blanches, des forêts de bouleaux et de pins chétifs mais présents. Au loin, des sommets doux et ronds dont l'absence de végétation offre aux rayons du soleil un miroir captivant. Environnement en noir et blanc, nous évoluons dans une gravure grandeur nature.
La piste sami est ouverte ! Alors malgré les montées et descentes si abruptes qu'elles exigent que nous les effectuions à deux, nous arrivons en quelques jours à Kiruna. Comme s'il fallait véritablement la mériter, notre dernière journée a de loin été la plus pénible du voyage. Nous abordons la ville par le sud et de ce point-là, nous devinons le lieu où nous sommes attendus, au nord. Pensant couper par ce qui se révèlera être une zone appartenant à la compagnie minière interdite aux civiles, nous devons nous résoudre à l'évidence. Nous sommes contraints à suivre les pistes de motoneige qui contournent la ville pour nous rapprocher au maximum de notre adresse. Cela représente quelque six kilomètres supplémentaires. Mais surtout, cela signifie se frotter à la ville. Et les pulkas en prennent un coup. Nous enneigeons certaines routes asphaltées au moyen de notre pèle pour offrir à nos pulkas un terrain accommodant. Puis nous les portons lorsque le trafic intense empêche cette manoeuvre. Mais en fin de parcours, nous capitulons. La distance asphaltée est trop importante pour la contourner ; nous serrons les dents et nous ripons nos montures. Nous avons depuis rencontré plusieurs personnes qui nous ont dit « Ah, mais je vous ai vus en ville ! » C'est sûr que deux personnes en vêtements de sport, flanquées de masques de ski, trimbalant des kayaks sur des pulkas en pleine zone commerciale à l'heure de pointe, ça ne passe pas inaperçu ! Plus nous avançons, plus nous nous éloignons de la ville et nous rapprochons de montagnes. Si cela a de positif que nous sommes moins stressés par la traversée improbable de routes, cela affaiblit ma confiance dans le succès de notre opération. Serons-nous réellement en mesure d'atteindre notre destination ? Ou allons-nous nous retrouver face à un ravin infranchissable ? Finalement, il est plus de 17h30 lorsque nous nous retrouvons devant la porte de Kajsa. C'est son voisin qui nous accueille en premier car c'est chez lui que nous pouvons parquer nos semi-pulkas. Kajsa, Karin de son prénom officiel, nous ouvre ensuite les portes de sa maison. Il s'agit de la voisine d'une amie de la cousine d'une amie de Suisse... Autant dire que nous ne nous connaissions ni d'Eve ni d'Adam. Et pourtant elle nous accueille, nous laisse sa chambre et finalement sa maison car elle s'en va pour 6 jours chez sa soeur dans le Sud « Restez aussi longtemps que vous le souhaitez !» Sur le trousseau de clés, celle de sa voiture également. Son unique demande : venir parler de notre expérience dans le cadre du cours d'anglais qu'elle donne à l'école populaire de Kiruna. Alors réunis autour de la table ronde d'une bibliothèque, devant un café et quelques biscuits, nous répondons aux questions d'une dizaine de retraités curieux.
La beauté du voyage, c'est cela aussi, et surtout. L'inattendu. / AG
De Kiruna aux Alpes scandinaves – l'humidité et ses pièges – mars 2023
Nous reprenons la route du Nord chargés de 24 jours de nourriture et de gaz. Autant dire que nos pulkas n'ont jamais pesé si lourd. Nous avons trop, nous le savons. Mais nous sommes aux abords d'une étape dont les inconnues sont nombreuses en termes de dénivelé cumulé, de qualité de neige, de météo... Une seule certitude, la distance qui nous sépare du prochain lieu de ravitaillement, celui de Kilpishalli, à quelque 170 km de Kiruna. Si prudents que nous sommes, nous avons estimé à 8 les kilomètres quotidiens dans les hauts plateaux. Alors oui nous partons chargés d'un poids excessif, mais c'est le prix que nous sommes prêts à payer pour que la nourriture ne devienne pas elle-même un problème en cas d'imprévu. Les températures négatives nous contraignent à adopter un régime similaire à celui des premières semaines de marche, car tout ce qui contient du liquide gèlera. Cet hiver à Luleå, nous avions profité du voyage d'une connaissance se rendant à Kiruna pour lui demander d'y acheminer une partie des aliments que nous avions déshydratés. Nos batteries rechargées, nous quittons la maison de Karin, mettons les clés dans sa boîte aux lettres et renouons avec notre itinérance.
Si nous avions pensé pouvoir utiliser à nouveau notre panneau solaire pour recharger nos appareils lors de cette deuxième partie de traversée pédestre, nous déchantons, car les températures ne semblent définitivement pas vouloir s'aventurer dans le positif. Nous devons donc composer avec la seule charge de notre batterie qui, une fois réchauffée dans mon sac de couchage le soir, peut délivrer sa charge à nos instruments. Autant dire que la manœuvre est douloureuse lorsque le métal glacé se met en contact du corps.
La succession de lacs que nous traversons les quatre premiers jours nous offre un terrain relativement aisé pour évoluer avec nos chargements. Une réalité que nous savons devoir abandonner lorsque devant nous se dressent les montagnes au travers desquelles nous allons serpenter pour rejoindre la Finlande. Nous quittons le dernier lac, à quelque 340 mètres d'altitude. Nous laissons également derrière nous les dernières végétations et nous retrouvons dans un paradis blanc, un vide puissant.
Nous reprenons la route du Nord chargés de 24 jours de nourriture et de gaz. Autant dire que nos pulkas n'ont jamais pesé si lourd. Nous avons trop, nous le savons. Mais nous sommes aux abords d'une étape dont les inconnues sont nombreuses en termes de dénivelé cumulé, de qualité de neige, de météo... Une seule certitude, la distance qui nous sépare du prochain lieu de ravitaillement, celui de Kilpishalli, à quelque 170 km de Kiruna. Si prudents que nous sommes, nous avons estimé à 8 les kilomètres quotidiens dans les hauts plateaux. Alors oui nous partons chargés d'un poids excessif, mais c'est le prix que nous sommes prêts à payer pour que la nourriture ne devienne pas elle-même un problème en cas d'imprévu. Les températures négatives nous contraignent à adopter un régime similaire à celui des premières semaines de marche, car tout ce qui contient du liquide gèlera. Cet hiver à Luleå, nous avions profité du voyage d'une connaissance se rendant à Kiruna pour lui demander d'y acheminer une partie des aliments que nous avions déshydratés. Nos batteries rechargées, nous quittons la maison de Karin, mettons les clés dans sa boîte aux lettres et renouons avec notre itinérance.
Si nous avions pensé pouvoir utiliser à nouveau notre panneau solaire pour recharger nos appareils lors de cette deuxième partie de traversée pédestre, nous déchantons, car les températures ne semblent définitivement pas vouloir s'aventurer dans le positif. Nous devons donc composer avec la seule charge de notre batterie qui, une fois réchauffée dans mon sac de couchage le soir, peut délivrer sa charge à nos instruments. Autant dire que la manœuvre est douloureuse lorsque le métal glacé se met en contact du corps.
La succession de lacs que nous traversons les quatre premiers jours nous offre un terrain relativement aisé pour évoluer avec nos chargements. Une réalité que nous savons devoir abandonner lorsque devant nous se dressent les montagnes au travers desquelles nous allons serpenter pour rejoindre la Finlande. Nous quittons le dernier lac, à quelque 340 mètres d'altitude. Nous laissons également derrière nous les dernières végétations et nous retrouvons dans un paradis blanc, un vide puissant.
Si nous utilisons avec parcimonie notre smartphone-GPS, il y a une application sur laquelle nous ne lésinons pas, et ce d'autant plus aux abords des montagnes, celle des prévisions météorologiques. Nous savons alors que de forts vents et des précipitations abondantes sont prévus pour la nuit et la journée entière du lendemain de notre début d'ascension. Alors la perspective d'une cabane libre d'accès nous encourage à aligner les kilomètres. En fin d'après-midi, au lieu dit, aucun refuge, mais un soleil qui menace sérieusement de nous quitter rapidement et de laisser place au froid de l'obscurité. Nous montons le campement après avoir, non sans un effort dont on se serait bien passé, tassé l'emplacement et ses 90 cm de poudreuse. Après une journée de presque 20 kilomètres, mes muscles sont fatigués et rester stoïque durant cette tâche, alors que mes raquettes s'enfoncent jusqu'à ma taille, relève du défi. Le lendemain, ni réveil ni rangement, nous resterons la journée sous la tente à écouter la neige tomber et à nous demander dans quel état sera la piste future. Nous sommes pour peu heureux d'entendre une motoneige passer au loin, espérant qu'elle emprunte le même itinéraire que nous...
La montée est rude, éreintante, les kilomètres s'égrènent au compte-goutte. Impossible d'échapper à la transpiration tant nous chauffons, alors que nous ne pouvons nous arrêter plus de quelques minutes en raison du froid. Nous effectuons néanmoins une brève pause ravitaillement après chaque kilomètre, autant pour l'énergie calorique que motivationnelle. Lorsque nous nous trouvons dans cette ambivalence calorifique, nous n'effectuons pas de pause repas, pour ne pas nous refroidir démesurément. Alors nous carburons aux encas facile et rapide à consommer ; chocolat, fruits secs, biscuits, amandes et noix.
La gestion de l'humidité est une entreprise complexe au cœur de notre vie quotidienne. De jour comme de nuit, c'est elle qui peut mettre en péril notre expédition. Un secouriste suédois rencontré dans les montagnes, ayant dû récemment porter assistance à plusieurs randonneurs en raison de gelures aux pieds, nous le répète : restez secs ! Vite dit, mais complexe à mettre en pratique lorsque le seul intérieur que nous possédons est notre maison de toile non chauffée et que le bois sec est recouvert de neige. Un défi par ailleurs tout à fait inégal entre Olivier et moi, lui qui transpire facilement et en quantité. Les techniques et stratégies pour gérer les problématiques de l'humidité et du froid sont nombreuses sur la toile, mais que savons-nous du niveau de transpiration de la personne qui l'affirme comme vérité ? La situation d'Olivier révèle que seule une démarche empirique permet de définir ce qui fonctionne pour soi, même si l'équilibre calorifique reste parfois difficile, voire impossible, à maîtriser. Car la chaleur de nos corps est à la fois alliée et ennemie. Nécessaire et souhaitée pour chauffer nos sacs de couchage, elle devient problématique lorsqu'elle les humidifie. Et le sac d'Olivier se retrouve invariablement trempe le matin. La plupart du temps, ce dernier constate un refroidissement de son corps récurent aux premières heures du jour, lequel le réveille. Raison pour laquelle il garde toujours de quoi s'alimenter à côté de son oreiller, pour que la nourriture offre les calories nécessaires à son corps pour créer à nouveau de la chaleur. Olivier doit également faire face aux conséquences de sa transpiration abondante lors de la marche. Le soir, ses chaussettes sont bonnes à essorer. Les suspendre dans la tente, comme nous le faisions les saisons précédentes, reviendrait à retrouver des blocs difformes et rigides au matin. Chausser de tels instruments de torture reviendrait à mettre en danger la santé de nos pieds, cloques et gelures n'étant alors jamais loin. Alors en fin de journée, une fois dans nos sacs de couchage, nous installons nos chaussettes sur notre torse. Ainsi, l'humidité peut transiter vers l'extérieur et, pour peu que l'air ne soit pas trop froid et qu'un vent aère notre habitacle, les chaussettes retrouvent un état acceptable. Pour les chaussures et les gants, nous nous sommes résolus à faire avec. Mais au matin, à la perspective de revêtir ces véritables glaçons avec un thermomètre endormi sous les -20°C, c'est une dose de courage considérable qui est nécessaire pour parvenir à sortir de nos sacs de couchage. Les chaussures, nous avons appris à nos dépens à les délacer au maximum lorsque nous les enlevons le soir, au risque de réellement ne pas pouvoir les enfiler le matin en raison de leur rigidité. Quant aux gants de journée, si nous avons essayé de les préserver au début de notre itinérance, la fatigue nous les fait lâchement abandonner dans l'abside le soir, chargés de l'humidité de nos tâches ménagères. Ils se réchaufferont le lendemain, durant la journée, lorsque la chaleur de nos corps sera suffisante pour leur transmettre quelques calories. / AG
La montée est rude, éreintante, les kilomètres s'égrènent au compte-goutte. Impossible d'échapper à la transpiration tant nous chauffons, alors que nous ne pouvons nous arrêter plus de quelques minutes en raison du froid. Nous effectuons néanmoins une brève pause ravitaillement après chaque kilomètre, autant pour l'énergie calorique que motivationnelle. Lorsque nous nous trouvons dans cette ambivalence calorifique, nous n'effectuons pas de pause repas, pour ne pas nous refroidir démesurément. Alors nous carburons aux encas facile et rapide à consommer ; chocolat, fruits secs, biscuits, amandes et noix.
La gestion de l'humidité est une entreprise complexe au cœur de notre vie quotidienne. De jour comme de nuit, c'est elle qui peut mettre en péril notre expédition. Un secouriste suédois rencontré dans les montagnes, ayant dû récemment porter assistance à plusieurs randonneurs en raison de gelures aux pieds, nous le répète : restez secs ! Vite dit, mais complexe à mettre en pratique lorsque le seul intérieur que nous possédons est notre maison de toile non chauffée et que le bois sec est recouvert de neige. Un défi par ailleurs tout à fait inégal entre Olivier et moi, lui qui transpire facilement et en quantité. Les techniques et stratégies pour gérer les problématiques de l'humidité et du froid sont nombreuses sur la toile, mais que savons-nous du niveau de transpiration de la personne qui l'affirme comme vérité ? La situation d'Olivier révèle que seule une démarche empirique permet de définir ce qui fonctionne pour soi, même si l'équilibre calorifique reste parfois difficile, voire impossible, à maîtriser. Car la chaleur de nos corps est à la fois alliée et ennemie. Nécessaire et souhaitée pour chauffer nos sacs de couchage, elle devient problématique lorsqu'elle les humidifie. Et le sac d'Olivier se retrouve invariablement trempe le matin. La plupart du temps, ce dernier constate un refroidissement de son corps récurent aux premières heures du jour, lequel le réveille. Raison pour laquelle il garde toujours de quoi s'alimenter à côté de son oreiller, pour que la nourriture offre les calories nécessaires à son corps pour créer à nouveau de la chaleur. Olivier doit également faire face aux conséquences de sa transpiration abondante lors de la marche. Le soir, ses chaussettes sont bonnes à essorer. Les suspendre dans la tente, comme nous le faisions les saisons précédentes, reviendrait à retrouver des blocs difformes et rigides au matin. Chausser de tels instruments de torture reviendrait à mettre en danger la santé de nos pieds, cloques et gelures n'étant alors jamais loin. Alors en fin de journée, une fois dans nos sacs de couchage, nous installons nos chaussettes sur notre torse. Ainsi, l'humidité peut transiter vers l'extérieur et, pour peu que l'air ne soit pas trop froid et qu'un vent aère notre habitacle, les chaussettes retrouvent un état acceptable. Pour les chaussures et les gants, nous nous sommes résolus à faire avec. Mais au matin, à la perspective de revêtir ces véritables glaçons avec un thermomètre endormi sous les -20°C, c'est une dose de courage considérable qui est nécessaire pour parvenir à sortir de nos sacs de couchage. Les chaussures, nous avons appris à nos dépens à les délacer au maximum lorsque nous les enlevons le soir, au risque de réellement ne pas pouvoir les enfiler le matin en raison de leur rigidité. Quant aux gants de journée, si nous avons essayé de les préserver au début de notre itinérance, la fatigue nous les fait lâchement abandonner dans l'abside le soir, chargés de l'humidité de nos tâches ménagères. Ils se réchaufferont le lendemain, durant la journée, lorsque la chaleur de nos corps sera suffisante pour leur transmettre quelques calories. / AG
Des Alpes scandinaves à Rostujávri - Si puissant qu’est le blanc – 27.03.24
Une nouvelle vague de froid s'installe en cette fin de mois de mars et nous retrouvons des températures de plus de -25°C. Certains jours, le ressenti, souvent exacerbé par un vent glacial, est si cruel que nous expédions au plus vite les tâches, réduites alors à l'essentiel, lorsque nous posons le campement. L'une d'elles, irréductible, faire de l'eau, tâche qui consiste à faire fondre de la neige au moyen de notre réchaud. Malgré le mélange de gaz spécifique pour l'hiver, celui-ci perd de son efficience en raison des températures. Et ce qui paraît déjà trop long d'ordinaire prend encore plus de temps. Pour obtenir suffisamment de liquide pour s'hydrater et remplir nos trois thermos, plus d'une heure et demie est généralement nécessaire. Alors lorsqu'il faut encore cuisiner à la suite de cela, Olivier finit transit de froid, il nous tarde d'en finir, et tels des gloutons nous vidons une casserole qui restera sale jusqu'à la prochaine utilisation. Car question hygiène et propreté...nous avons depuis longtemps quitté les normes avec lesquelles nous avons été éduqués. Se laver n'est même pas ne serait-ce qu'envisagé dans un tel environnement. Et si l'on vous disait que durant toute la traversée, jamais nous n'avons ôté notre première couche en mérinos, excepté lorsque nous avons pu trouver un foyer ?
« J'ai l'impression d'avoir des couteaux à la place des doigts » me dit un soir Olivier en se mettant en urgence dans ses sacs de couchage, après s'être occupé de l'eau. Ce soir-là, lequel ne fait nullement figure d'exception, nous soupons dans la tente, d'un repas froid. Que dis-je, d'un repas gelé ! Pain gelé, morceau de fromage gelé. Seuls les fruits secs ne le sont pas. Entre se brûler les doigts de froid ou avoir les gants d'intérieur gras de fromage, il nous faut choisir. Forte d'une technique salvatrice, je m'ose à sortir mes mains de tout textile et gère l'approvisionnement des troupes. Cette technique, c'est celle des mains sous les aisselles. Mon torse étant généralement suffisamment chaud pour ne pas avoir à lutter, contrairement à mes extrémités, placer mes mains à cet endroit tempéré me soulage sans délai de la douleur. Femme aux mains constamment glacées, avoir froid aux mains ne me fait dorénavant plus peur, car je possède une solution constamment à portée de bras. Le matin, lorsqu'il s'agit de plier nos draps de soie, sacs et sur-sac de couchage ainsi que nos matelas, je ponctue la tâche de séances axillaires, tant le froid brûle mes chaires. Je ne peux m'empêcher de repenser à ces exercices de sensibilisation à la dyspraxie effectués auprès des écoles dans le cadre de mon activité professionnelle. Nous proposions aux enfants d'enfiler des moufles et d'effectuer ainsi des tâches telles qu'écrire, découper, jouer, pour éprouver les difficultés de manipulation que certains éprouvent au quotidien. Autant dire que la frustration gagnait rapidement plus d'un. Et c'est elle qui a raison de moi presque chaque matin, qui me fait ôter mes gants pour empoigner et faire entrer ces textiles dans leur housse toujours trop étroite.
Une nouvelle vague de froid s'installe en cette fin de mois de mars et nous retrouvons des températures de plus de -25°C. Certains jours, le ressenti, souvent exacerbé par un vent glacial, est si cruel que nous expédions au plus vite les tâches, réduites alors à l'essentiel, lorsque nous posons le campement. L'une d'elles, irréductible, faire de l'eau, tâche qui consiste à faire fondre de la neige au moyen de notre réchaud. Malgré le mélange de gaz spécifique pour l'hiver, celui-ci perd de son efficience en raison des températures. Et ce qui paraît déjà trop long d'ordinaire prend encore plus de temps. Pour obtenir suffisamment de liquide pour s'hydrater et remplir nos trois thermos, plus d'une heure et demie est généralement nécessaire. Alors lorsqu'il faut encore cuisiner à la suite de cela, Olivier finit transit de froid, il nous tarde d'en finir, et tels des gloutons nous vidons une casserole qui restera sale jusqu'à la prochaine utilisation. Car question hygiène et propreté...nous avons depuis longtemps quitté les normes avec lesquelles nous avons été éduqués. Se laver n'est même pas ne serait-ce qu'envisagé dans un tel environnement. Et si l'on vous disait que durant toute la traversée, jamais nous n'avons ôté notre première couche en mérinos, excepté lorsque nous avons pu trouver un foyer ?
« J'ai l'impression d'avoir des couteaux à la place des doigts » me dit un soir Olivier en se mettant en urgence dans ses sacs de couchage, après s'être occupé de l'eau. Ce soir-là, lequel ne fait nullement figure d'exception, nous soupons dans la tente, d'un repas froid. Que dis-je, d'un repas gelé ! Pain gelé, morceau de fromage gelé. Seuls les fruits secs ne le sont pas. Entre se brûler les doigts de froid ou avoir les gants d'intérieur gras de fromage, il nous faut choisir. Forte d'une technique salvatrice, je m'ose à sortir mes mains de tout textile et gère l'approvisionnement des troupes. Cette technique, c'est celle des mains sous les aisselles. Mon torse étant généralement suffisamment chaud pour ne pas avoir à lutter, contrairement à mes extrémités, placer mes mains à cet endroit tempéré me soulage sans délai de la douleur. Femme aux mains constamment glacées, avoir froid aux mains ne me fait dorénavant plus peur, car je possède une solution constamment à portée de bras. Le matin, lorsqu'il s'agit de plier nos draps de soie, sacs et sur-sac de couchage ainsi que nos matelas, je ponctue la tâche de séances axillaires, tant le froid brûle mes chaires. Je ne peux m'empêcher de repenser à ces exercices de sensibilisation à la dyspraxie effectués auprès des écoles dans le cadre de mon activité professionnelle. Nous proposions aux enfants d'enfiler des moufles et d'effectuer ainsi des tâches telles qu'écrire, découper, jouer, pour éprouver les difficultés de manipulation que certains éprouvent au quotidien. Autant dire que la frustration gagnait rapidement plus d'un. Et c'est elle qui a raison de moi presque chaque matin, qui me fait ôter mes gants pour empoigner et faire entrer ces textiles dans leur housse toujours trop étroite.
Poète et bourreau, cet environnement avec lequel nous ne faisons qu'un nous enseigne, de manière autoritaire et généreuse, le fonctionnement de nos corps.
Le point culminant, c'est ici ? Voilà la question à ne pas se poser. Oui ! Voilà la réponse à ne pas espérer. Car jamais elle ne vient. Chaque bosse en cache une autre. Ce vallonnement me rappelle celui rencontré lors de notre tour des Annapurnas, alors à vélo. Toujours se méfier d'un sommet, éviter tant que possible la réjouissance à une telle perspective. Mais c'est tellement beau, qu'on l'accepte avec docilité. Car chaque bosse cache une vue d'autant plus sublime. Cette beauté n'est pas qu'esthétique mais multisensorielle, car de ce grand blanc émane une atmosphère particulière, puissante et saisissante. Autour de nous, de la neige aussi loin que nos yeux nous portent. Et nous sommes bien souvent seuls. Si nous croisons quelques personnes à motoneige le jour, toute âme humaine a déjà depuis longtemps rejoint ville ou village lorsque le soleil se couche. Et alors nous sommes réellement seuls au milieu de cette nuit sauvage qui, jour après jour, perd de sa longueur. Le réseau lui-même n'atteint pas ces plateaux. Pour preuve, les deux postes de téléphones d'urgence placés dans cette région solitaire. Lorsque nous captons du signal, nous nous empressons de relever les prévisions météo pour les jours à venir avant que nous ne le perdions. Cette prévoyance nous permet d'ailleurs d'éviter une redoutable tempête de neige. Cette prévoyance, certes, ainsi que le fait que nous nous trouvions à proximité du seul lieu d'hébergement à plusieurs jours de marche à la ronde... Nous avions en poche un joker, celui de trois amies nous ayant offert un bon pour une nuit au chaud durant notre voyage. L'occasion ne pouvait être plus adaptée. C'est derrière la fenêtre d'une stuga du camp de pêche sami de Rostojávri, que j'observe le vent se déchaîner, la neige tourbillonner en des nuages qui petit à petit recouvrent la vitre. Mêlé au soulagement et à la reconnaissance, un sentiment de tristesse s'invite sans crier gare. Je réalise alors que l'état de vulnérabilité dans lequel nous sommes lorsque nous parcourons de telles régions me saisit et me rappelle de jamais ne l'oublier. / AG
Le point culminant, c'est ici ? Voilà la question à ne pas se poser. Oui ! Voilà la réponse à ne pas espérer. Car jamais elle ne vient. Chaque bosse en cache une autre. Ce vallonnement me rappelle celui rencontré lors de notre tour des Annapurnas, alors à vélo. Toujours se méfier d'un sommet, éviter tant que possible la réjouissance à une telle perspective. Mais c'est tellement beau, qu'on l'accepte avec docilité. Car chaque bosse cache une vue d'autant plus sublime. Cette beauté n'est pas qu'esthétique mais multisensorielle, car de ce grand blanc émane une atmosphère particulière, puissante et saisissante. Autour de nous, de la neige aussi loin que nos yeux nous portent. Et nous sommes bien souvent seuls. Si nous croisons quelques personnes à motoneige le jour, toute âme humaine a déjà depuis longtemps rejoint ville ou village lorsque le soleil se couche. Et alors nous sommes réellement seuls au milieu de cette nuit sauvage qui, jour après jour, perd de sa longueur. Le réseau lui-même n'atteint pas ces plateaux. Pour preuve, les deux postes de téléphones d'urgence placés dans cette région solitaire. Lorsque nous captons du signal, nous nous empressons de relever les prévisions météo pour les jours à venir avant que nous ne le perdions. Cette prévoyance nous permet d'ailleurs d'éviter une redoutable tempête de neige. Cette prévoyance, certes, ainsi que le fait que nous nous trouvions à proximité du seul lieu d'hébergement à plusieurs jours de marche à la ronde... Nous avions en poche un joker, celui de trois amies nous ayant offert un bon pour une nuit au chaud durant notre voyage. L'occasion ne pouvait être plus adaptée. C'est derrière la fenêtre d'une stuga du camp de pêche sami de Rostojávri, que j'observe le vent se déchaîner, la neige tourbillonner en des nuages qui petit à petit recouvrent la vitre. Mêlé au soulagement et à la reconnaissance, un sentiment de tristesse s'invite sans crier gare. Je réalise alors que l'état de vulnérabilité dans lequel nous sommes lorsque nous parcourons de telles régions me saisit et me rappelle de jamais ne l'oublier. / AG
De Rostujávri à Skibotn - réveil givré et autres péripéties – 13.04.24
Nous avions quitté les lacs au nord de Kiruna à une altitude de 340 mètres. Nous savons devoir franchir le point culminant de Cap Kayak peu après Rostojávri, à près de 800 mètres. Nous gravissons alors les pentes les plus raides jusqu'alors rencontrées, devant nous y prendre à deux pour acheminer une semi-pulka après l'autre, tronçon par tronçon. Depuis notre départ, au fil des kilomètres, nous avons dû développer des stratégies afin de parer aux dénivelés trop importants pour pouvoir gérer seul nos chargements. Ainsi, pour les montées, l'un tracte alors que l'autre pousse le kayak par l'arrière. Pour les descentes, lesquelles peuvent se révéler bien plus problématiques et risquées que les montées, nous avons mis en place la « technique du bâton ». Ceci suite à quelques descentes au bas desquelles Olivier s'est retrouvé à devoir gérer seul et en catastrophe un chargement m'ayant échappé des mains. Dès lors, je tiens par le bout un bâton attaché au préalable à la poignée arrière du kayak, pour une prise et une position optimale. Quant à Olivier, qui bien souvent se retrouve en mode dérapage, il retient l'avant du kayak, dos à la pente, tout en dirigeant la charge.
Alors en plein effort ascensionnel, un large gaillard en motoneige s'arrête. Face à ce spectacle aux traits rocambolesques, il nous demande s'il peut nous aider. Nous déclinons poliment sa proposition ; nous prendrons le temps, userons de l'huile de coude, et nous y arriverons. L'homme part, revient. « Au fait, avez-vous déjà goûté à la viande de renne séchée ? Selon la méthode traditionnelle finlandaise ? » Il part à nouveau et revient encore. Mathias. Il nous fait goûter une tranche fine de son morceau de renne. « Vous aimez ? » Devant nos sourires, il sort un deuxième morceau de sa poche et nous les donne tous les deux. « C'est pour vous. C'est plein de protéines ! » Puis il sort une bouteille d'alcool à la menthe et nous la fait goûter, après s'être assuré que nous ayons bien noté que la bouteille était à l'instant décachetée. A nos mines réjouies, il la referme et nous la tend. « C'est pour vous, vous avez fait un si long voyage. » Puis il s'en retourne vers le groupe de Samis qui pêche sur un lac dont les contours ont disparu dans le grand blanc.
Nous avions quitté les lacs au nord de Kiruna à une altitude de 340 mètres. Nous savons devoir franchir le point culminant de Cap Kayak peu après Rostojávri, à près de 800 mètres. Nous gravissons alors les pentes les plus raides jusqu'alors rencontrées, devant nous y prendre à deux pour acheminer une semi-pulka après l'autre, tronçon par tronçon. Depuis notre départ, au fil des kilomètres, nous avons dû développer des stratégies afin de parer aux dénivelés trop importants pour pouvoir gérer seul nos chargements. Ainsi, pour les montées, l'un tracte alors que l'autre pousse le kayak par l'arrière. Pour les descentes, lesquelles peuvent se révéler bien plus problématiques et risquées que les montées, nous avons mis en place la « technique du bâton ». Ceci suite à quelques descentes au bas desquelles Olivier s'est retrouvé à devoir gérer seul et en catastrophe un chargement m'ayant échappé des mains. Dès lors, je tiens par le bout un bâton attaché au préalable à la poignée arrière du kayak, pour une prise et une position optimale. Quant à Olivier, qui bien souvent se retrouve en mode dérapage, il retient l'avant du kayak, dos à la pente, tout en dirigeant la charge.
Alors en plein effort ascensionnel, un large gaillard en motoneige s'arrête. Face à ce spectacle aux traits rocambolesques, il nous demande s'il peut nous aider. Nous déclinons poliment sa proposition ; nous prendrons le temps, userons de l'huile de coude, et nous y arriverons. L'homme part, revient. « Au fait, avez-vous déjà goûté à la viande de renne séchée ? Selon la méthode traditionnelle finlandaise ? » Il part à nouveau et revient encore. Mathias. Il nous fait goûter une tranche fine de son morceau de renne. « Vous aimez ? » Devant nos sourires, il sort un deuxième morceau de sa poche et nous les donne tous les deux. « C'est pour vous. C'est plein de protéines ! » Puis il sort une bouteille d'alcool à la menthe et nous la fait goûter, après s'être assuré que nous ayons bien noté que la bouteille était à l'instant décachetée. A nos mines réjouies, il la referme et nous la tend. « C'est pour vous, vous avez fait un si long voyage. » Puis il s'en retourne vers le groupe de Samis qui pêche sur un lac dont les contours ont disparu dans le grand blanc.
Ce même jour, nous atteignons le sommet et devons poursuivre encore en raison des forts vents. En fin de journée, un oeil au tachymètre et nous réalisons que nous venons de parcourir 17 kilomètres, dont la plupart en dénivelé positif, tout en tractant nos lourds chargements. « Nous sommes des bêtes » dira Olivier. Nous prenons conscience de l'impact de plusieurs centaines de kilomètres d'itinérance pédestre sur le développement de nos capacités physiques. Toutefois, si nous nous flattons de notre performance, nos corps accusent ces efforts non sans manifestations. Mes pieds sont les plus maltraités ; des talons cloqués aux articulations endolories et aux bouts d'orteils insensibles, ils n'ont que peu de répit la nuit. Olivier, quant à lui, déplore l'usure de ses articulations et des plaies apparaissent sur sa peau en raison des frottements du harnais.
A Luleå, Olivier avait fabriqué des sardines en bois pour pouvoir ancrer la tente sur la neige. Mais parfois la neige est si légère et volatile qu'il est impossible de la tasser suffisamment pour maintenir de manière solide les sardines au sol. Alors il a fallu trouver une autre stratégie. Prévoyant, Olivier avait anticipé la problématique et installé sur nos kayaks trois points de fixation pour les cordes latérales de notre maison de toile. La moitié de la solution était là. La seconde partie a été élaborée sur le terrain. Nos pulkas placées alors aux extrémités de notre terrain, équipées des tendeurs utilisés de jour pour fixer nos chargements, ont permis de compléter l'ancrage au sol. Et en cas de vents importants, la construction d'un mur de neige est alors nécessaire pour éviter que le vent ne s'engouffre dans les absides. L'installation du campement, du tassement de l'emplacement à la préparation des couchages, nous prend généralement plus d'une heure et demie. En raison du froid et de la quantité de neige, chaque geste, chaque pas est ralenti.
Alors que nous nous apprêtons à rejoindre la plaine, des sentiments ambivalents nous habitent. La fatigue et l'exigence de cette vie quotidienne nous poussent à aller de l'avant pour rejoindre la côte norvégienne. Mais déjà les hauts plateaux et leur atmosphère envoûtante nous manquent, alors que nous les quittons à peine.
Cette descente en plaine n'est nullement significative de réchauffement. Nous accusons les nuits les plus froides du voyage et ce constat n'est pas que théorique. Nous nous réveillons, nos bonnets et l'encolure de nos sacs recouverts du givre généré par notre respiration. Pour peu que l'on touche malencontreusement le plafond de notre toile et nous voilà douchés de cristaux. Notre polarbröd (pain suédois) gèle durant la nuit, le pas de vis de nos thermos se remplit de glace et les matières plastiques deviennent brûlantes de froid. Et pourtant, la journée, en raison du soleil, de la réflexion de la neige et de l'air sec, nous nous retrouvons parfois en tenue légère et parvenons à faire sécher partiellement nos couchages. Nous vivons pleinement ce que les gens du nord appellent la 5ème saison. Ce froid entame sérieusement notre endurance et nous ne pouvons ignorer la fatigue physique et psychique. Le matériel lui aussi subit la distance. Les cordes s'usent et même le métal des mousquetons reliant nos harnais aux chargements est entamé. Nous pourrions opter pour de courtes étapes quotidiennes afin de nous économiser. Mais cela voudrait dire augmenter le nombre de bivouacs, et c'est bien là la partie la plus éprouvante de la journée.
A Luleå, Olivier avait fabriqué des sardines en bois pour pouvoir ancrer la tente sur la neige. Mais parfois la neige est si légère et volatile qu'il est impossible de la tasser suffisamment pour maintenir de manière solide les sardines au sol. Alors il a fallu trouver une autre stratégie. Prévoyant, Olivier avait anticipé la problématique et installé sur nos kayaks trois points de fixation pour les cordes latérales de notre maison de toile. La moitié de la solution était là. La seconde partie a été élaborée sur le terrain. Nos pulkas placées alors aux extrémités de notre terrain, équipées des tendeurs utilisés de jour pour fixer nos chargements, ont permis de compléter l'ancrage au sol. Et en cas de vents importants, la construction d'un mur de neige est alors nécessaire pour éviter que le vent ne s'engouffre dans les absides. L'installation du campement, du tassement de l'emplacement à la préparation des couchages, nous prend généralement plus d'une heure et demie. En raison du froid et de la quantité de neige, chaque geste, chaque pas est ralenti.
Alors que nous nous apprêtons à rejoindre la plaine, des sentiments ambivalents nous habitent. La fatigue et l'exigence de cette vie quotidienne nous poussent à aller de l'avant pour rejoindre la côte norvégienne. Mais déjà les hauts plateaux et leur atmosphère envoûtante nous manquent, alors que nous les quittons à peine.
Cette descente en plaine n'est nullement significative de réchauffement. Nous accusons les nuits les plus froides du voyage et ce constat n'est pas que théorique. Nous nous réveillons, nos bonnets et l'encolure de nos sacs recouverts du givre généré par notre respiration. Pour peu que l'on touche malencontreusement le plafond de notre toile et nous voilà douchés de cristaux. Notre polarbröd (pain suédois) gèle durant la nuit, le pas de vis de nos thermos se remplit de glace et les matières plastiques deviennent brûlantes de froid. Et pourtant, la journée, en raison du soleil, de la réflexion de la neige et de l'air sec, nous nous retrouvons parfois en tenue légère et parvenons à faire sécher partiellement nos couchages. Nous vivons pleinement ce que les gens du nord appellent la 5ème saison. Ce froid entame sérieusement notre endurance et nous ne pouvons ignorer la fatigue physique et psychique. Le matériel lui aussi subit la distance. Les cordes s'usent et même le métal des mousquetons reliant nos harnais aux chargements est entamé. Nous pourrions opter pour de courtes étapes quotidiennes afin de nous économiser. Mais cela voudrait dire augmenter le nombre de bivouacs, et c'est bien là la partie la plus éprouvante de la journée.
Nous rêvons d'un temps meilleur. Et nous le pensons pour bientôt ; une fois Kilpisjärvi franchi et la séparation des eaux au niveau de la frontière norvégio-finlandaise atteinte, nous n'aurons plus qu'à descendre jusqu'à Skibotn ; du moins est-ce notre croyance. Car kilomètre après kilomètre, nous réalisons que ce trajet ne correspond en rien à celui imaginé. A force de monter, l'humour d'Olivier vire au jaune « Je pense que nous allons atteindre la mer la plus haute du monde. » A la frontière, un douanier plus curieux que zélé nous arrête, et ses questions n'ont rien des habituelles en un tel lieu. Le seul élément que nous ayons à déclarer, c'est notre histoire et nos projets. En connaisseur de la région, cet employé a l'intelligence de nous avertir de ce qui nous attend en fin de parcours, à savoir une montée qu'il estime impossible à réaliser avec nos chargements. La vallée est si étroite que seule la route carrossable parvient à s'y faufiler, confinée entre rivière et falaises. Celle des motoneiges se voit alors prendre les hauteurs des montagnes avoisinantes. Le douanier nous conseille vivement d'opter pour la route asphaltée. Arrivés là où il nous faut choisir, la décision est complexe. La piste des montagnes semble n'avoir pas été empruntée depuis longtemps ; nous faudra-t-il ouvrir la piste de ces pentes raides ? Un coup d'oeil à notre GPS nous révèle que nous avons plus de 260 mètres de dénivelé positif à franchir sur une courte distance. Après réflexions, nous décidons de tenter la route. Olivier avait anticipé la possibilité que nous nous retrouvions dans l'impossibilité d'atteindre notre destination sur la neige. Il avait élaboré à Luleå une manière d'équiper nos pulkas rouges et les structures en bois de nos pulkas noires de roues, avec un minimum de matériel supplémentaire. Olivier se met alors à l'oeuvre et après plusieurs heures de travail, nos semis-pulkas sont transformées et prêtes à rouler sur l'asphalte. Après un kilomètre nous abandonnons cette option. Le danger de causer un accident, compte tenu du trafic et de la vitesse des véhicules, dont beaucoup sont des camions et semi-remorques, le risque est trop important et rien ne permet de justifier que nous le prenions sur les 25 kilomètres restants. Retour case départ et nouvelle transformation des pulkas vers leur version glisse. Nous décidons de partir à l'assaut des montagnes le lendemain. Mais en fin de journée, nous apprenons que la piste de motoneige est impraticable environ 10 kilomètres avant Skibotn en raison du manque de neige ! Une situation tout à fait atypique pour la saison, nous diront les locaux. Si l'on considère 10 kilomètres de portage, cela devient 60 kilomètres effectifs. Une situation qui teinte de ridicule notre persévérance à vouloir aller jusqu'au bout avec tout notre chargement. Alors nous faisons appel à notre contact de Skibotn, Thomas, qui nous avait d'ores et déjà proposé de venir nous chercher en cas de besoin. Si l'intellect comprend rapidement l'inéluctable de cette décision, l'émotionnel a plus de peine à l'accepter. Le lendemain, c'est une dépanneuse à camions flambante neuve qui débarque au lieu de rdv. Comme un clin d'oeil enjoué de cette grande orchestration qui nous transcende, Thomas possède précisément une entreprise de dépannage... Un pincement au coeur, nous observons nos kayaks et pulkas prendre les devants et s'en aller. De notre côté, nous découvrons au rythme de nos pas une vallée de plus en plus contrastée entre le vert des forêts de pins, le brun de la terre et le blanc des montagnes qui continuent de nous accompagner. Et puis le bleu, celui de l'eau déliée qui nous ouvrira la voie vers le Cap Nord.
Nous arrivons à Skibotn en bout de course, les pieds en compote, les jambes douloureuses et lourdes. Les derniers pas sont difficiles. Mais nous y sommes ! Thomas et Annette nous y cueillent et nous amènent à leur pub. Actuellement inactif, ils nous mettent généreusement à disposition ces locaux et ce, pour le temps qu'il nous conviendra. Avec une rapidité qui ne cesse de nous déconcerter, nous prenons possession des lieux et dès les premiers jours nous nous sentons chez nous.
Comme si le corps et l'esprit avaient compris que la tâche est maintenant terminée et qu'ils peuvent se détendre, la souffrance de nos pieds et le froid extérieur nous sautent aux yeux. Et déjà nous nous questionnons : comment avons-nous réussi à évoluer nuit et jour dans ce congélateur grandeur nature, en tractant plus de 240 kg sur quelque 620 kilomètres ? / AG
Comme si le corps et l'esprit avaient compris que la tâche est maintenant terminée et qu'ils peuvent se détendre, la souffrance de nos pieds et le froid extérieur nous sautent aux yeux. Et déjà nous nous questionnons : comment avons-nous réussi à évoluer nuit et jour dans ce congélateur grandeur nature, en tractant plus de 240 kg sur quelque 620 kilomètres ? / AG