L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.
À Caroline ma fille et à Gaël mon petit-fils,
De Besançon au cap Nord… Chiche !
Besançon – le cap Nord…
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage à vélo !
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages de cinq-cents kilomètres, qu’aujourd’hui je considère comme de courtes distances, m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement, de multiples surprises et surtout, ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure, j’ai allongé ces dernières années mes périples avec parfois une impression de frustration. À mon retour, ce n’était jamais assez…
Celui-ci sera le plus long, le plus ambitieux que j’aurai entrepris !
Toutes mes pérégrinations à vélo ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, de vivre des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste.
Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge, j’ai soixante-huit ans, seule, à vélo, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très enthousiaste et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon.
Mais le plus amusant et flatteur aussi, je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne « perchée à l’âme romantique ». Mais tous font preuve d’humanité. Ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout émerveillés !
Certaines amies m’ont attribué le terme de « jeunior ». D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je ne suis pas une personne éthérée et que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille pour ce long voyage, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants.
Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi pour pouvoir cueillir les cadeaux comme autant de fleurs magiques parce qu’il est sûr que je vais rencontrer le père Noël au cap Nord !
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta en Norvège, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront sans doute pleins de souvenirs, de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois.
Quand : 15/05/2022
Durée : 94 jours
Durée : 94 jours
Distance globale :
5638km
Dénivelées :
+26238m /
-26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25
le 09 mai 2022
modifié le 14 avr. 2023
modifié le 14 avr. 2023
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Vue d'ensemble
Le topo : Section 8. Du 19 juin au 24 juin (mise à jour : 05 janv.)
Distance section :
223km
Dénivelées section :
+443m /
-510m
Section Alti min/max : 1m/93m
Description :
Thyborøn / Stenbjerg / Klitmøller / Hanstholm / Torup Strand / Sanden / Rødhus / Løkken / Lønstrup / Hirtshals / Hulsig / Skagen / Ålbæk / Frederikshavn
Le compte-rendu : Section 8. Du 19 juin au 24 juin (mise à jour : 05 janv.)
Dimanche 19 juin – 36e jour
Thyborøn / Stenbjerg / Klitmøller / Hanstholm – 86 km
La bière du matin
Je prends le ferry à Thyborøn tôt ce matin.
Brusquement c’est le spectacle ! Ils arrivent. Ils sont dix à mobylette. Hier en arrivant à Thyborøn, j’ai croisé des motocyclistes qui prenaient un cours avec un instructeur. La plupart avait des barbes blanches. Aucune femme n’était présente parmi eux. Ils ne semblaient pas en grande sécurité sur leurs engins.
Ceux qui arrivent au ferry ce matin ont entre trente et quarante ans. Ceux-là ont l’habitude, ils sont aguerris. Ils partent en vacances à plusieurs centaines de kilomètres de chez eux. En guise de sacoche, ils ont tous une caisse en plastique à l’arrière et certains ont l’essence dans des jerricans accrochés de part et d’autre de leur mob.
Le plus atypique est celui qui tire une grosse remorque surmontée d’un parasol. C’est le bistrot à lui tout seul ! C’est la voiture-balai ! Dans la remorque il y a une énorme bonbonne de bière. Ils se servent déjà de bière pression en attendant le ferry au soleil levant. Les mobylettes circulent ici aussi sur les pistes cyclables, il n’y a pas d’obligation de porter de casque. Dorénavant, si je vois un groupe de ces passionnés sur la piste, je me hâterai de me mettre hors de leur portée dans le talus !
Ils m’offrent une bière, j’accepte le geste mais je contrôle la quantité. Leurs gobelets font un demi-litre ! Je passe un moment très exceptionnel et bien marrant au milieu de ce groupe de garçons. Ils ont dormi sur la plage et ont dû porter leurs engins. Avec leur chargement, on peut aisément imaginer l’impossibilité de faire rouler une Motobécane aussi lourde dans le sable. J’aurais bien aimé voir ça !
Quant à moi, j’ai dormi la nuit passée sous ma tente, dans le joli camping-hôtel de Thyborøn avec salle à manger spacieuse et salon très agréable. J’étais la seule cyclo-voyageuse au camping. J’en ai pris mon parti.
Thyborøn / Stenbjerg / Klitmøller / Hanstholm – 86 km
La bière du matin
Je prends le ferry à Thyborøn tôt ce matin.
Brusquement c’est le spectacle ! Ils arrivent. Ils sont dix à mobylette. Hier en arrivant à Thyborøn, j’ai croisé des motocyclistes qui prenaient un cours avec un instructeur. La plupart avait des barbes blanches. Aucune femme n’était présente parmi eux. Ils ne semblaient pas en grande sécurité sur leurs engins.
Ceux qui arrivent au ferry ce matin ont entre trente et quarante ans. Ceux-là ont l’habitude, ils sont aguerris. Ils partent en vacances à plusieurs centaines de kilomètres de chez eux. En guise de sacoche, ils ont tous une caisse en plastique à l’arrière et certains ont l’essence dans des jerricans accrochés de part et d’autre de leur mob.
Le plus atypique est celui qui tire une grosse remorque surmontée d’un parasol. C’est le bistrot à lui tout seul ! C’est la voiture-balai ! Dans la remorque il y a une énorme bonbonne de bière. Ils se servent déjà de bière pression en attendant le ferry au soleil levant. Les mobylettes circulent ici aussi sur les pistes cyclables, il n’y a pas d’obligation de porter de casque. Dorénavant, si je vois un groupe de ces passionnés sur la piste, je me hâterai de me mettre hors de leur portée dans le talus !
Ils m’offrent une bière, j’accepte le geste mais je contrôle la quantité. Leurs gobelets font un demi-litre ! Je passe un moment très exceptionnel et bien marrant au milieu de ce groupe de garçons. Ils ont dormi sur la plage et ont dû porter leurs engins. Avec leur chargement, on peut aisément imaginer l’impossibilité de faire rouler une Motobécane aussi lourde dans le sable. J’aurais bien aimé voir ça !
Quant à moi, j’ai dormi la nuit passée sous ma tente, dans le joli camping-hôtel de Thyborøn avec salle à manger spacieuse et salon très agréable. J’étais la seule cyclo-voyageuse au camping. J’en ai pris mon parti.
Lundi 20 juin – 37e jour
Hanstholm / Torup Strand / Sanden / Rødhus – 77 km
C’est fait !
Je me perds dans la forêt. Je roule sur la route avec les voitures. Je regarde la mer. Tout à coup, il est là. Nous pédalons côte à côte. Il est Hollandais. Je suis passée dans son village dans le sud. Il va aux îles Lofoten. Il fait cent-cinquante kilomètres par jour. C’est la première année qu’il fait du cyclotourisme et il a deux mois devant lui. Puis il s’élance avec facilité et légèreté. En quelques coups de pédales il disparaît au loin.
La plage est magnifique, aussi loin que mon regard peut porter. Je décide de me baigner. Cela répondra aux attentes de mes amies qui ne cessent de me demander si je me suis trempée dans la mer du Nord. Voilà environ deux-mille kilomètres que je longe la mer derrière les immenses digues, dans les dunes, au milieu des forêts, en entrant dans les terres pour visiter les villages. Je la vois rarement, mais elle est toujours à proximité.
Les rares personnes présentes sur l’immense plage sont au loin. Je fais un tas de mes vêtements au pied de mon vélo et j’y vais. L’eau est particulièrement glacée. Je me mouille brièvement, je saute, je bouge pour conjurer le froid, le sable se dérobe et je tombe dans l’eau !
C’est fait ! Je me suis baignée dans la mer du Nord.
Je veux sortir mais trois personnes marchent les pieds dans l’eau à proximité de moi. Je suis obligée d’attendre. Je n’ai pas pris la peine d’enfiler mon maillot qui est tout au fond d’une sacoche. Je suis bien gelée lorsque je peux enfin courir vers mes vêtements. Deux hommes arrivent et font comme moi. Ils se déshabillent sur la plage, entrent dans la mer, se mouillent, se trempent et ressortent en vitesse. Leur nudité n’est pas un souci.
J’arrive au camping de Rødhus. Il est installé dans une forêt. Les emplacements sont de vraies petites clairières. Jeux d’échecs géants, mini-golf, jeux magnifiques pour enfants, chapiteau immense ; tout cela est prêt à accueillir un monde fou. La réception est fermée, mais je m’installe quand même sur une agréable place. Les sanitaires sont ouverts. Je prends une douche glacée puisque je n’ai pas de jeton pour l’eau chaude. La saison touristique n’a pas encore débuté. Il n’y a que moi dans cette forêt-camping.
Hanstholm / Torup Strand / Sanden / Rødhus – 77 km
C’est fait !
Je me perds dans la forêt. Je roule sur la route avec les voitures. Je regarde la mer. Tout à coup, il est là. Nous pédalons côte à côte. Il est Hollandais. Je suis passée dans son village dans le sud. Il va aux îles Lofoten. Il fait cent-cinquante kilomètres par jour. C’est la première année qu’il fait du cyclotourisme et il a deux mois devant lui. Puis il s’élance avec facilité et légèreté. En quelques coups de pédales il disparaît au loin.
La plage est magnifique, aussi loin que mon regard peut porter. Je décide de me baigner. Cela répondra aux attentes de mes amies qui ne cessent de me demander si je me suis trempée dans la mer du Nord. Voilà environ deux-mille kilomètres que je longe la mer derrière les immenses digues, dans les dunes, au milieu des forêts, en entrant dans les terres pour visiter les villages. Je la vois rarement, mais elle est toujours à proximité.
Les rares personnes présentes sur l’immense plage sont au loin. Je fais un tas de mes vêtements au pied de mon vélo et j’y vais. L’eau est particulièrement glacée. Je me mouille brièvement, je saute, je bouge pour conjurer le froid, le sable se dérobe et je tombe dans l’eau !
C’est fait ! Je me suis baignée dans la mer du Nord.
Je veux sortir mais trois personnes marchent les pieds dans l’eau à proximité de moi. Je suis obligée d’attendre. Je n’ai pas pris la peine d’enfiler mon maillot qui est tout au fond d’une sacoche. Je suis bien gelée lorsque je peux enfin courir vers mes vêtements. Deux hommes arrivent et font comme moi. Ils se déshabillent sur la plage, entrent dans la mer, se mouillent, se trempent et ressortent en vitesse. Leur nudité n’est pas un souci.
J’arrive au camping de Rødhus. Il est installé dans une forêt. Les emplacements sont de vraies petites clairières. Jeux d’échecs géants, mini-golf, jeux magnifiques pour enfants, chapiteau immense ; tout cela est prêt à accueillir un monde fou. La réception est fermée, mais je m’installe quand même sur une agréable place. Les sanitaires sont ouverts. Je prends une douche glacée puisque je n’ai pas de jeton pour l’eau chaude. La saison touristique n’a pas encore débuté. Il n’y a que moi dans cette forêt-camping.
Mardi 21 juin – 38e jour
Rødhus / Løkken / Lønstrup / Hirtshals – 87 km
Le sable… ou la neige !
Je repars au crépuscule du matin. Je me perds encore dans la forêt. Heureusement que j’ai un excellent sens de l’orientation ! Mais dans la forêt on peut vite tourner en rond. J’utilise donc le GPS de mon téléphone pour me situer et me diriger.
La piste cyclable m’entraîne sur une plage. Je reviens en arrière pour vérifier le panneau situé à proximité. Il m’envoie bien sur cette immense étendue de plage. Sur le sable très tassé, je vois une moto et une voiture. Je vérifie ma carte qui me confirme que ma piste cyclable passe bien ici sur cinq kilomètres.
C’est une surprise exceptionnelle !
C’est super !
Mais je déchante rapidement. Ma roue arrière refuse de me suivre correctement et préfère virevolter de droite et de gauche. J’arrive tant bien que mal en dansant avec elle à me maintenir en équilibre jusqu’au moment où, après seulement cent mètres, c’est foutu. La roue arrière devient ingérable. J’essaie de maintenir l’ensemble mais c’est peine perdue. En effet, comment retenir cinquante kilos !
Le vélo se couche, je ne tombe pas avec, mais je me retrouve à califourchon dessus.
Oh ! Là là ! Je me suis cogné fortement le tibia contre le cadre. Après avoir relevé péniblement la pauvre bicyclette, je poursuis ma piste-plage en boitillant et je sais que je devrai faire quatre kilomètres neuf-cents à pied. Le vent de dos est puissant et m’aide à pousser la bicyclette, qui se tient tranquille… Mon vélo est tellement chargé à l’arrière qu’il s’est conduit comme un véhicule à traction arrière.
Je pense à mon père et à sa première voiture. C’était une Dauphine à traction arrière. Cette voiture ne termina même pas son premier hiver. C’est sur les routes enneigées du Haut-Doubs, après plusieurs tonneaux que la voiture a interrompu sa courte existence dans un champ. Mon père, indemne, est rentré à la maison ce jour-là après avoir fait cinq kilomètres à pied, non pas dans le sable mais dans la neige.
Rødhus / Løkken / Lønstrup / Hirtshals – 87 km
Le sable… ou la neige !
Je repars au crépuscule du matin. Je me perds encore dans la forêt. Heureusement que j’ai un excellent sens de l’orientation ! Mais dans la forêt on peut vite tourner en rond. J’utilise donc le GPS de mon téléphone pour me situer et me diriger.
La piste cyclable m’entraîne sur une plage. Je reviens en arrière pour vérifier le panneau situé à proximité. Il m’envoie bien sur cette immense étendue de plage. Sur le sable très tassé, je vois une moto et une voiture. Je vérifie ma carte qui me confirme que ma piste cyclable passe bien ici sur cinq kilomètres.
C’est une surprise exceptionnelle !
C’est super !
Mais je déchante rapidement. Ma roue arrière refuse de me suivre correctement et préfère virevolter de droite et de gauche. J’arrive tant bien que mal en dansant avec elle à me maintenir en équilibre jusqu’au moment où, après seulement cent mètres, c’est foutu. La roue arrière devient ingérable. J’essaie de maintenir l’ensemble mais c’est peine perdue. En effet, comment retenir cinquante kilos !
Le vélo se couche, je ne tombe pas avec, mais je me retrouve à califourchon dessus.
Oh ! Là là ! Je me suis cogné fortement le tibia contre le cadre. Après avoir relevé péniblement la pauvre bicyclette, je poursuis ma piste-plage en boitillant et je sais que je devrai faire quatre kilomètres neuf-cents à pied. Le vent de dos est puissant et m’aide à pousser la bicyclette, qui se tient tranquille… Mon vélo est tellement chargé à l’arrière qu’il s’est conduit comme un véhicule à traction arrière.
Je pense à mon père et à sa première voiture. C’était une Dauphine à traction arrière. Cette voiture ne termina même pas son premier hiver. C’est sur les routes enneigées du Haut-Doubs, après plusieurs tonneaux que la voiture a interrompu sa courte existence dans un champ. Mon père, indemne, est rentré à la maison ce jour-là après avoir fait cinq kilomètres à pied, non pas dans le sable mais dans la neige.
Mercredi 22 juin – 39e jour
Hirtshals / Hulsig / Skagen – 68 km
Vert fluo !
Je vais à Skagen ! C’est la ville la plus au nord du Jutland au Danemark. Elle a été rendue célèbre par la vivacité de l'École picturale à laquelle ce petit village de pêcheurs du dix-neuvième siècle a donné son nom.
Je fais soixante kilomètres sans poser le pied à terre hormis lorsqu’il y a trop de gravillons ou de sable sur la piste. Le vent me pousse à vive allure me donnant l’illusion d’être enfin une grande cycliste. Je croise les filles qui se rendent à Frederikshavn prendre le ferry pour Oslo. Pour l’une ce sera la fin de son voyage et pour l’autre, après quelques jours chez sa sœur, elle reprendra la route pour son retour par la Scandibérique ou EuroVelo 3.
À Skagen, tout en poussant mon vélo dans la rue piétonne, je me fais héler par Josette et Michel, un couple de Français de Bellegarde, à vélo eux-aussi. La veille, ils ont entendu parler de moi par les filles : « Celle qui est tout en vert fluo ! » Ils avaient les indices clefs pour me repérer. Nous allons directement prendre un verre comme si nous étions des amis de longue date. Nous allons ensemble à la pointe de Grenen qui est une bande de sable située à l'extrême nord du Jutland, à deux kilomètres de la ville de Skagen.
Nous sommes émerveillés de voir le conflit des courants de la mer du Nord et de la Baltique dans une mêlée tumultueuse de vagues d’orientation opposée. On voit réellement les deux mers se rejoindre, s’entrechoquer. Nous avons un pied dans chaque mer. C’est à voir et à vivre ! Nous sommes médusés de découvrir un phoque se prélassant sur le sable.
Puis vient le dîner que nous partageons avec grand plaisir. Après toutes les journées pique-nique caractérisant le cyclo, nous nous délectons de la spécialité, petit trésor gastronomique scandinave dans nos assiettes : les plies de Skagen. Le poisson est grillé puis servi dans une sauce sucrée aux baies faites d’airelles et de groseilles. Il est bien arrosé de Spritz Aperol et de bière. Nous partageons nos expériences de cyclo, nous nous racontons nos vies, nous avons l’impression de nous connaître depuis des lustres.
Nous remontons ensuite sur nos vélos pour rejoindre le camping. Déchargées de leurs bagages ou parce que la bière ne fait pas bon ménage avec le vélo, nos montures sont devenues de véritables poids plumes et virevoltent trop facilement. Tenir en équilibre est un exploit digne de funambules. Nous sommes pourtant des cyclistes aguerris, mais nous domptons ordinairement des destriers très alourdis, ancrés dans le sol.
Hirtshals / Hulsig / Skagen – 68 km
Vert fluo !
Je vais à Skagen ! C’est la ville la plus au nord du Jutland au Danemark. Elle a été rendue célèbre par la vivacité de l'École picturale à laquelle ce petit village de pêcheurs du dix-neuvième siècle a donné son nom.
Je fais soixante kilomètres sans poser le pied à terre hormis lorsqu’il y a trop de gravillons ou de sable sur la piste. Le vent me pousse à vive allure me donnant l’illusion d’être enfin une grande cycliste. Je croise les filles qui se rendent à Frederikshavn prendre le ferry pour Oslo. Pour l’une ce sera la fin de son voyage et pour l’autre, après quelques jours chez sa sœur, elle reprendra la route pour son retour par la Scandibérique ou EuroVelo 3.
À Skagen, tout en poussant mon vélo dans la rue piétonne, je me fais héler par Josette et Michel, un couple de Français de Bellegarde, à vélo eux-aussi. La veille, ils ont entendu parler de moi par les filles : « Celle qui est tout en vert fluo ! » Ils avaient les indices clefs pour me repérer. Nous allons directement prendre un verre comme si nous étions des amis de longue date. Nous allons ensemble à la pointe de Grenen qui est une bande de sable située à l'extrême nord du Jutland, à deux kilomètres de la ville de Skagen.
Nous sommes émerveillés de voir le conflit des courants de la mer du Nord et de la Baltique dans une mêlée tumultueuse de vagues d’orientation opposée. On voit réellement les deux mers se rejoindre, s’entrechoquer. Nous avons un pied dans chaque mer. C’est à voir et à vivre ! Nous sommes médusés de découvrir un phoque se prélassant sur le sable.
Puis vient le dîner que nous partageons avec grand plaisir. Après toutes les journées pique-nique caractérisant le cyclo, nous nous délectons de la spécialité, petit trésor gastronomique scandinave dans nos assiettes : les plies de Skagen. Le poisson est grillé puis servi dans une sauce sucrée aux baies faites d’airelles et de groseilles. Il est bien arrosé de Spritz Aperol et de bière. Nous partageons nos expériences de cyclo, nous nous racontons nos vies, nous avons l’impression de nous connaître depuis des lustres.
Nous remontons ensuite sur nos vélos pour rejoindre le camping. Déchargées de leurs bagages ou parce que la bière ne fait pas bon ménage avec le vélo, nos montures sont devenues de véritables poids plumes et virevoltent trop facilement. Tenir en équilibre est un exploit digne de funambules. Nous sommes pourtant des cyclistes aguerris, mais nous domptons ordinairement des destriers très alourdis, ancrés dans le sol.
Jeudi 23 juin – 40e jour
Skagen – 15 km
Le petit plus…
Après quarante jours de pédalage, première journée d’arrêt depuis mon départ.
Je trouve un vélociste pour la révision de ma bicyclette. En deux temps trois mouvements il s’en empare, tâte les pneus et les rayons, vérifie les freins, les vitesses, fait tourner les roues pour l’équilibrage. Tout va bien ! Il remet simplement la roue avant dans l’axe du vélo, huile la chaîne et me dit que c’est un très bon vélo. Il me dit aussi que ma batterie « Cinq » branchée sur la Dynamo est sans doute foutue… Une batterie encore sous garantie, très onéreuse, que je devais rentabiliser par ce voyage, qui devait me permettre une autonomie presque parfaite. Mais cela n'a pas véritablement d’importance, ce n’est que du matériel.
La petite ville de Skagen est un charmant port de pêche, l’un des plus importants du Danemark. L’habitat en Norvège a progressivement évolué du sud au nord. La brique rouge a laissé la place au bois. Les maisons sont essentiellement de couleur jaune. Ici on déguste des glaces à partir du milieu de la matinée. Je m’autoriserai à en manger presque chaque matin et je garderai cette habitude jusqu’au cap Nord.
L’odeur de poisson sur le port est prégnante. Cette odeur ne me dérange pas, a contrario des émanations provenant des fermes allemandes. Je déjeune dans un des cabanons en bordure du port et deux choses surprenantes m’attendent. L’intérieur chic a son sol fait d’une importante couche de sable de plusieurs dizaines de centimètres et la serveuse est une géante de plus de deux mètres, très gentille, toute douce.
Après une heure de recherche, je trouve enfin la Poste dans un supermarché au centre du village, un comptoir planté au milieu du pain et des cigarettes. Je dois absolument alléger mon vélo avant d’arriver en Norvège. J’envoie un carton de trois kilogrammes, rempli de cartes Radveg, d’une tenue de vélo d’été, de petit matériel dont je me passerai et de cadeaux pour Caroline et Gaël : une petite sculpture et un bateau en bois. Les bureaux de poste ont été absorbés par les grandes surfaces, ce sera pareil sur l’ensemble du territoire norvégien.
J’arrive essoufflée, casquée, au Skagenmuseum, ayant tout oublié des langues apprises à la hâte. Je veux absolument voir l’exposition des œuvres de Krøyer. Le personnel à la réception est très aimable avec moi. Il se demande dans quelle langue je parle. Je pense aussi qu’il ne doit pas rencontrer souvent de Français dans ce beau musée d’art, impressionnant par rapport à la taille de la ville. Une personne m’accompagne même aux vestiaires pour me montrer comment fonctionne un casier avec jeton. Oh là là ! ils ont dû penser que j’étais une martienne jetée dans ce petit village à l’extrême nord du Danemark.
L’exposition est très intéressante. Les peintres de Skagen, dont fait partie Krøyer, se sont installés au village au dix-neuvième siècle pour y brosser la lumière très particulière à cet endroit. Krøyer représente essentiellement des scènes de la vie locale et des portraits ; il a subi l’influence des impressionnistes rencontrés en Europe. Son œuvre la plus connue est sans doute Soir d’été sur la plage du sud de Skagen.
Et il y a le petit plus ! Ce sont des bouteilles de La Mortuacienne, limonade fabriquée dans le Doubs depuis 1921, placées au milieu de livres d’art, d’objets, de cartes postales dans la boutique du musée. Pourquoi pas des saucisses de Morteau tant qu’on y est !
Je demande à l’agréable hôtesse du lieu, la raison de la présence de La Mortuacienne ici au Skagenmuseum à quatre-mille kilomètres à vélo de Morteau. Dès son installation dans les années 2000, le caviste du village l’a importée et depuis, « à Skagen on aime la Mortuacienne » me murmure-t-elle. Lorsque je lui dis que j’habite à quelques kilomètres de Morteau et que je suis venue à vélo depuis là-bas, elle s’exclame et hurle de rire dans ce lieu si feutré.
Il y a encore d’autres incongruités dans ce joli village. Un vélo équipé d’un mini moteur de mobylette est exposé dans la vitrine d’une galerie d’art et un autre figure parmi les bijoux dans la vitrine d’une bijouterie. Il s’avère que le Tour de France 2022 passe dans une semaine à Copenhague. Sur un des vélos, je peux lire : Paris Pékin 2008, Fédération française de Cyclotourisme.
Skagen – 15 km
Le petit plus…
Après quarante jours de pédalage, première journée d’arrêt depuis mon départ.
Je trouve un vélociste pour la révision de ma bicyclette. En deux temps trois mouvements il s’en empare, tâte les pneus et les rayons, vérifie les freins, les vitesses, fait tourner les roues pour l’équilibrage. Tout va bien ! Il remet simplement la roue avant dans l’axe du vélo, huile la chaîne et me dit que c’est un très bon vélo. Il me dit aussi que ma batterie « Cinq » branchée sur la Dynamo est sans doute foutue… Une batterie encore sous garantie, très onéreuse, que je devais rentabiliser par ce voyage, qui devait me permettre une autonomie presque parfaite. Mais cela n'a pas véritablement d’importance, ce n’est que du matériel.
La petite ville de Skagen est un charmant port de pêche, l’un des plus importants du Danemark. L’habitat en Norvège a progressivement évolué du sud au nord. La brique rouge a laissé la place au bois. Les maisons sont essentiellement de couleur jaune. Ici on déguste des glaces à partir du milieu de la matinée. Je m’autoriserai à en manger presque chaque matin et je garderai cette habitude jusqu’au cap Nord.
L’odeur de poisson sur le port est prégnante. Cette odeur ne me dérange pas, a contrario des émanations provenant des fermes allemandes. Je déjeune dans un des cabanons en bordure du port et deux choses surprenantes m’attendent. L’intérieur chic a son sol fait d’une importante couche de sable de plusieurs dizaines de centimètres et la serveuse est une géante de plus de deux mètres, très gentille, toute douce.
Après une heure de recherche, je trouve enfin la Poste dans un supermarché au centre du village, un comptoir planté au milieu du pain et des cigarettes. Je dois absolument alléger mon vélo avant d’arriver en Norvège. J’envoie un carton de trois kilogrammes, rempli de cartes Radveg, d’une tenue de vélo d’été, de petit matériel dont je me passerai et de cadeaux pour Caroline et Gaël : une petite sculpture et un bateau en bois. Les bureaux de poste ont été absorbés par les grandes surfaces, ce sera pareil sur l’ensemble du territoire norvégien.
J’arrive essoufflée, casquée, au Skagenmuseum, ayant tout oublié des langues apprises à la hâte. Je veux absolument voir l’exposition des œuvres de Krøyer. Le personnel à la réception est très aimable avec moi. Il se demande dans quelle langue je parle. Je pense aussi qu’il ne doit pas rencontrer souvent de Français dans ce beau musée d’art, impressionnant par rapport à la taille de la ville. Une personne m’accompagne même aux vestiaires pour me montrer comment fonctionne un casier avec jeton. Oh là là ! ils ont dû penser que j’étais une martienne jetée dans ce petit village à l’extrême nord du Danemark.
L’exposition est très intéressante. Les peintres de Skagen, dont fait partie Krøyer, se sont installés au village au dix-neuvième siècle pour y brosser la lumière très particulière à cet endroit. Krøyer représente essentiellement des scènes de la vie locale et des portraits ; il a subi l’influence des impressionnistes rencontrés en Europe. Son œuvre la plus connue est sans doute Soir d’été sur la plage du sud de Skagen.
Et il y a le petit plus ! Ce sont des bouteilles de La Mortuacienne, limonade fabriquée dans le Doubs depuis 1921, placées au milieu de livres d’art, d’objets, de cartes postales dans la boutique du musée. Pourquoi pas des saucisses de Morteau tant qu’on y est !
Je demande à l’agréable hôtesse du lieu, la raison de la présence de La Mortuacienne ici au Skagenmuseum à quatre-mille kilomètres à vélo de Morteau. Dès son installation dans les années 2000, le caviste du village l’a importée et depuis, « à Skagen on aime la Mortuacienne » me murmure-t-elle. Lorsque je lui dis que j’habite à quelques kilomètres de Morteau et que je suis venue à vélo depuis là-bas, elle s’exclame et hurle de rire dans ce lieu si feutré.
Il y a encore d’autres incongruités dans ce joli village. Un vélo équipé d’un mini moteur de mobylette est exposé dans la vitrine d’une galerie d’art et un autre figure parmi les bijoux dans la vitrine d’une bijouterie. Il s’avère que le Tour de France 2022 passe dans une semaine à Copenhague. Sur un des vélos, je peux lire : Paris Pékin 2008, Fédération française de Cyclotourisme.
Vendredi 24 juin – 41e jour
Skagen / Ålbæk / Frederikshavn – 59 km
Un traducteur facétieux
Au chant de l’alouette, je retourne à la pointe de Grenen en espérant observer de nombreux phoques avant l’arrivée du premier tractobus chargé de touristes. Mais les phoques ne sont pas au rendez-vous ! Dommage !
Il fait chaud aujourd’hui, vingt-huit degrés, le vent s’est calmé.
Le long de la nationale 40, les cinquante-neuf kilomètres qui me feront rejoindre Oslo par bateau via Frederikshavn sont laborieux sans raison.
Je m’arrête à Ålbæk et je visite un atelier de peinture. Trois peintres exposent. Seule l’artiste Dunna est présente. Nous partageons un excellent moment ensemble. Elle est norvégienne, retraitée aussi.
Elle peint des scènes extérieures en utilisant essentiellement du bleu. Les personnages sont dans le mouvement, ils sortent ou entrent dans ce bleu. Le bleu d’ici ! Le bleu et blanc du ciel ! Le bleu de la mer du Nord ! C’est expressif, c’est frais, c’est beau, j’aime bien. Il y a deux autres tableaux que j’apprécie également. L’un représente un visage et l’autre montre trois visages de jeunes filles qui évoquent les trois singes de la sagesse. Mythologie chinoise, dont la symbolique « ne rien entendre du Mal, ne rien voir du Mal, ne rien dire du Mal » n’est pas ce qui me caractérise, ni Dunna d’ailleurs. En effet, nous remplissons l’espace de nos voix, de nos rires, de l’étude attentive des différentes œuvres exposées, et par l’écoute curieuse de la vie et des passions qui nous caractérisent mutuellement.
La communication est aussi aisée avec Dunna qu’avec Marta à Büsum, qu’avec Mathilde la jeune maroquinière de Sorcy-Saint-Martin ou qu’avec Jacob rencontré à Dordrecht, avec Jean-Marc le camping-cariste, et évidemment avec Radia et Maryline, Josette et Michel sans oublier tous les autres. C’est un long moment extrêmement sympathique dans l’atelier. J’aime qui elle est et j’aime ses peintures.
Lorsqu’elle m’accompagne vers mon vélo, elle me dit, tout comme Marta de Busüm : « Je vous remercie au nom des femmes pour votre témérité à vélo ! » Je reste pantoise. Me revient en mémoire quand les femmes n’avaient pas le droit de courir. C’est sous un pseudonyme qu’en 1967, j’avais quatorze ans, qu’une femme participa officiellement pour la première fois au marathon de Boston. Effectivement, cinquante-cinq ans plus tard, les cinq droits fondamentaux des femmes ont évolué, mais je peux affirmer que je rencontre très peu de femmes sur les pistes partant pour de longs voyages à vélo.
Puis j’arrive à Frederikshavn. Je suis en avance. Je visite la ville. Je vais repérer l’embarcadère. Un monsieur arrive à côté de moi, la conversation s’engage. Je mets en route mon traducteur. « J’attends mes chevaux », m’indique mon traducteur facétieux. Mais point de chevaux… Il veut simplement aller à Göteborg en Suède avec le ferry. Il y a quatre ans, il a fait le mont Everest et si je comprends bien, il a grimpé à sept-mille mètres d’altitude. Il a quatre-vingt-cinq ans ! On ne le dirait pas ! C’est un athlète ! Aujourd’hui il fait un petit voyage pour se changer les idées, car sa femme est morte. Et il rit de notre discussion que le traducteur rend surprenante, amusante et pleine d’humour.
Les rencontres, les conversations pour un cyclo-voyageur sont extrêmement faciles, dépourvues de formalités tout en étant profondes. Ce sont des relations humaines non hiérarchisées, des relations d’identification mutuelle et d’empathie, aussi bien avec la population qu’avec les autres cyclotouristes.
Avec les autres cyclo-voyageurs, nous sommes en corrélations par différentes analogies. Nous nous sommes échappés de notre quotidien. Nous parcourons le monde sur de frêles montures. Le sport à haute dose rend heureux, volubile.
Les heures passées seule vont renforcer le besoin de la communication. Je sais que chaque étape doit se gagner aux prix d’efforts. Je fais partie d’une sorte de communauté et les rencontres sont des notes joyeuses qui éclairent mes journées.
Pendant la longue attente du bateau qui a presque deux heures de retard, je discute avec un jeune étudiant norvégien. Il est fasciné par mon voyage. Cependant il me glisse dans la conversation qu’il ne ferait jamais de vélo sur la route côtière de son pays, c’est trop dangereux, et un cycliste est mort récemment. Voilà ce que je n’ai pas envie d’entendre.
C’est à deux heures du matin que je rejoins ma cabine très confortable de l’immense bateau. Le paquebot propose de nombreux agréments pour les noctambules, avec bar, boîte de nuit, conférences. Quant à moi qui veux profiter de la journée à venir, je me couche pour les quelques heures qui me restent de nuit.
Skagen / Ålbæk / Frederikshavn – 59 km
Un traducteur facétieux
Au chant de l’alouette, je retourne à la pointe de Grenen en espérant observer de nombreux phoques avant l’arrivée du premier tractobus chargé de touristes. Mais les phoques ne sont pas au rendez-vous ! Dommage !
Il fait chaud aujourd’hui, vingt-huit degrés, le vent s’est calmé.
Le long de la nationale 40, les cinquante-neuf kilomètres qui me feront rejoindre Oslo par bateau via Frederikshavn sont laborieux sans raison.
Je m’arrête à Ålbæk et je visite un atelier de peinture. Trois peintres exposent. Seule l’artiste Dunna est présente. Nous partageons un excellent moment ensemble. Elle est norvégienne, retraitée aussi.
Elle peint des scènes extérieures en utilisant essentiellement du bleu. Les personnages sont dans le mouvement, ils sortent ou entrent dans ce bleu. Le bleu d’ici ! Le bleu et blanc du ciel ! Le bleu de la mer du Nord ! C’est expressif, c’est frais, c’est beau, j’aime bien. Il y a deux autres tableaux que j’apprécie également. L’un représente un visage et l’autre montre trois visages de jeunes filles qui évoquent les trois singes de la sagesse. Mythologie chinoise, dont la symbolique « ne rien entendre du Mal, ne rien voir du Mal, ne rien dire du Mal » n’est pas ce qui me caractérise, ni Dunna d’ailleurs. En effet, nous remplissons l’espace de nos voix, de nos rires, de l’étude attentive des différentes œuvres exposées, et par l’écoute curieuse de la vie et des passions qui nous caractérisent mutuellement.
La communication est aussi aisée avec Dunna qu’avec Marta à Büsum, qu’avec Mathilde la jeune maroquinière de Sorcy-Saint-Martin ou qu’avec Jacob rencontré à Dordrecht, avec Jean-Marc le camping-cariste, et évidemment avec Radia et Maryline, Josette et Michel sans oublier tous les autres. C’est un long moment extrêmement sympathique dans l’atelier. J’aime qui elle est et j’aime ses peintures.
Lorsqu’elle m’accompagne vers mon vélo, elle me dit, tout comme Marta de Busüm : « Je vous remercie au nom des femmes pour votre témérité à vélo ! » Je reste pantoise. Me revient en mémoire quand les femmes n’avaient pas le droit de courir. C’est sous un pseudonyme qu’en 1967, j’avais quatorze ans, qu’une femme participa officiellement pour la première fois au marathon de Boston. Effectivement, cinquante-cinq ans plus tard, les cinq droits fondamentaux des femmes ont évolué, mais je peux affirmer que je rencontre très peu de femmes sur les pistes partant pour de longs voyages à vélo.
Puis j’arrive à Frederikshavn. Je suis en avance. Je visite la ville. Je vais repérer l’embarcadère. Un monsieur arrive à côté de moi, la conversation s’engage. Je mets en route mon traducteur. « J’attends mes chevaux », m’indique mon traducteur facétieux. Mais point de chevaux… Il veut simplement aller à Göteborg en Suède avec le ferry. Il y a quatre ans, il a fait le mont Everest et si je comprends bien, il a grimpé à sept-mille mètres d’altitude. Il a quatre-vingt-cinq ans ! On ne le dirait pas ! C’est un athlète ! Aujourd’hui il fait un petit voyage pour se changer les idées, car sa femme est morte. Et il rit de notre discussion que le traducteur rend surprenante, amusante et pleine d’humour.
Les rencontres, les conversations pour un cyclo-voyageur sont extrêmement faciles, dépourvues de formalités tout en étant profondes. Ce sont des relations humaines non hiérarchisées, des relations d’identification mutuelle et d’empathie, aussi bien avec la population qu’avec les autres cyclotouristes.
Avec les autres cyclo-voyageurs, nous sommes en corrélations par différentes analogies. Nous nous sommes échappés de notre quotidien. Nous parcourons le monde sur de frêles montures. Le sport à haute dose rend heureux, volubile.
Les heures passées seule vont renforcer le besoin de la communication. Je sais que chaque étape doit se gagner aux prix d’efforts. Je fais partie d’une sorte de communauté et les rencontres sont des notes joyeuses qui éclairent mes journées.
Pendant la longue attente du bateau qui a presque deux heures de retard, je discute avec un jeune étudiant norvégien. Il est fasciné par mon voyage. Cependant il me glisse dans la conversation qu’il ne ferait jamais de vélo sur la route côtière de son pays, c’est trop dangereux, et un cycliste est mort récemment. Voilà ce que je n’ai pas envie d’entendre.
C’est à deux heures du matin que je rejoins ma cabine très confortable de l’immense bateau. Le paquebot propose de nombreux agréments pour les noctambules, avec bar, boîte de nuit, conférences. Quant à moi qui veux profiter de la journée à venir, je me couche pour les quelques heures qui me restent de nuit.