L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.
À Caroline ma fille et à Gaël mon petit-fils,
De Besançon au cap Nord… Chiche !
Besançon – le cap Nord…
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage à vélo !
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages de cinq-cents kilomètres, qu’aujourd’hui je considère comme de courtes distances, m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement, de multiples surprises et surtout, ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure, j’ai allongé ces dernières années mes périples avec parfois une impression de frustration. À mon retour, ce n’était jamais assez…
Celui-ci sera le plus long, le plus ambitieux que j’aurai entrepris !
Toutes mes pérégrinations à vélo ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, de vivre des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste.
Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge, j’ai soixante-huit ans, seule, à vélo, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très enthousiaste et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon.
Mais le plus amusant et flatteur aussi, je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne « perchée à l’âme romantique ». Mais tous font preuve d’humanité. Ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout émerveillés !
Certaines amies m’ont attribué le terme de « jeunior ». D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je ne suis pas une personne éthérée et que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille pour ce long voyage, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants.
Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi pour pouvoir cueillir les cadeaux comme autant de fleurs magiques parce qu’il est sûr que je vais rencontrer le père Noël au cap Nord !
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta en Norvège, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront sans doute pleins de souvenirs, de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois.
Quand : 15/05/2022
Durée : 94 jours
Durée : 94 jours
Distance globale :
5638km
Dénivelées :
+26238m /
-26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25
le 09 mai 2022
modifié le 14 avr. 2023
modifié le 14 avr. 2023
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Vue d'ensemble
Le topo : Section 14. Du 11 juillet au 15 .. (mise à jour : 05 janv.)
Distance section :
376km
Dénivelées section :
+3583m /
-3575m
Section Alti min/max : 1m/278m
Description :
Trondheim / Rørvika / Rissa / Årnes / Hofstad / Osen / Vassmoen / Fosslia / Namsos / Lund / Kolvereid / Kjelda / Holm / Vennesund
Le compte-rendu : Section 14. Du 11 juillet au 15 .. (mise à jour : 05 janv.)
Lundi 11 juillet – 58e jour
Trondheim / Rørvika / Rissa / Årnes – 95 km
Alignement des planètes
Je peux repartir avec sérénité. Je m’arrête chez un vélociste pour remplacer mon rétroviseur. J’en ai déjà cassé deux. Je dois savoir ce qui se passe derrière moi, c’est donc un élément de sécurité indispensable. J’achète aussi un super éclairage pour l’avant de mon vélo, un vrai spot pour les tunnels à venir et une paire de gants imperméables, car la pluie me glace les mains. Je quitte donc la ville à une heure bien avancée de la matinée.
Peu après Trondheim, depuis le haut de la falaise de Flakk, je vois le ferry au loin, au milieu du fjord. Je veux arriver en même temps que lui. Je pédale à toute vitesse. Même si c’est en contrebas, la route épouse le relief et ça ne descend pas tout le temps. Lorsque j’arrive, il est à quelques mètres de moi, repartant en sens inverse. Heureusement ce ferry fait de nombreuses traversées au cours de la journée.
Je circule aujourd’hui à l’intérieur des terres. Pour la première fois je pédale au milieu d’une plaine, puis d’une vallée encaissée. Cela me fait penser à la vallée du Doubs ou du Dessoubre. Une petite pointe de nostalgie me pique les yeux.
Je traverse une région purement agricole, avec quelques fermes éparses. Au bord de la route, un petit abri occupé par de multiples objets, attire mon regard. Tout naturellement je prends le chemin et je découvre une jolie maison d’habitation, couverte d’herbe, offrant un univers enchanteur. Les coins et recoins du jardin regorgent d’objets décoratifs organisés parfois par thème ou par accumulation. Les tableaux accrochés aux arbres ne semblent pas trop défraîchis par les intempéries. Une minuscule cabane élégante, octogonale, blanche, vitrée, est une vraie maison du cristal. Des centaines, voire des milliers d’objets dans ce jardin sont un régal pour les yeux. Rien n’est à vendre. Je n’ose imaginer l’investissement financier que cela doit représenter.
J’arrive à proximité de Rissa. À un croisement de routes, isolée sur une légère hauteur, se trouve une église en bois. Elle ne ressemble pas aux autres. C’est une grande et grosse bâtisse rouge. Je dépose mon vélo sur le bas-côté de la route. Deux femmes sont assises sur les marches de l’église. Elles m’invitent à m’asseoir à côté d’elles. L’une raconte en français l’histoire de l’église, la Bojerkjerka, et comment l’écrivain Joyan Bojer est relié à cette dernière.
La dame est une véritable conteuse avec un accent français du Haut-Doubs. Elle est Belge, de ma génération. Elle habite à Rissa depuis les années soixante-dix, avec son mari norvégien rencontré sur les bancs de l’université à Bruxelles. C’était la bibliothécaire de Rissa. Elle est engoncée dans son blouson de pluie et son expression n’appelle pas le dialogue. Elle est habituée à ce qu’on l’écoute. L’autre dame est son amie, venue de Belgique pour quelques semaines de vacances. Suspendues aux paroles de celle qui est devenue norvégienne au fur et à mesure des années, nous grignotons, l’amie et moi, les gâteaux sablés qu’elles ont préparés la veille.
Elle nous explique que l’écrivain Johan Bojer vivait, jeune, dans une famille pauvre de la région. À la suite de la disparition de l’église de bois du village, il avait promis à sa mère adoptive Randi, qu’un jour il construirait une nouvelle église. Et c’est sur ses fonds personnels qu’en 1932, il fit construire cette Bojerkjerka, copie fidèle de l’ancienne église.
Elle continue, enthousiaste et emportée par ses souvenirs de bibliothécaire, en nous racontant l’histoire de son ouvrage Les émigrants, dans lequel Bojer relate, de façon romanesque, la migration des Norvégiens vers le Dakota du Nord à la fin du dix-neuvième siècle. Le quart de la population quitta la Norvège qui à l’époque, était l’un des pays européens les plus pauvres, contrairement à ce qu’il est devenu aujourd’hui.
Voilà un livre que je ne manquerai pas de lire à mon retour !
J’ai une étape de quatre-vingt-quinze kilomètres aujourd’hui. Je pédale bien. Je me sens en forme. Toutes mes émotions positives de cyclo-voyageuse sont revenues. J’arrive vers vingt-deux heures au camping d’Årnes ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je loue un petit chalet. Il est trop tard pour monter ma tente. Le jour permanent me permet de circuler durant ce qui serait chez nous, la nuit noire.
Deux cyclo-voyageurs sont installés, nous nous saluons de loin. Bien des kilomètres, après le cercle arctique, l’un deux deviendra un compagnon de route et me nommera avec beaucoup d’humour « ma tortue verte préférée ».
J’ai la nette impression que je vais dorénavant bénéficier d’un alignement des planètes très favorable pour la poursuite de mon voyage.
Trondheim / Rørvika / Rissa / Årnes – 95 km
Alignement des planètes
Je peux repartir avec sérénité. Je m’arrête chez un vélociste pour remplacer mon rétroviseur. J’en ai déjà cassé deux. Je dois savoir ce qui se passe derrière moi, c’est donc un élément de sécurité indispensable. J’achète aussi un super éclairage pour l’avant de mon vélo, un vrai spot pour les tunnels à venir et une paire de gants imperméables, car la pluie me glace les mains. Je quitte donc la ville à une heure bien avancée de la matinée.
Peu après Trondheim, depuis le haut de la falaise de Flakk, je vois le ferry au loin, au milieu du fjord. Je veux arriver en même temps que lui. Je pédale à toute vitesse. Même si c’est en contrebas, la route épouse le relief et ça ne descend pas tout le temps. Lorsque j’arrive, il est à quelques mètres de moi, repartant en sens inverse. Heureusement ce ferry fait de nombreuses traversées au cours de la journée.
Je circule aujourd’hui à l’intérieur des terres. Pour la première fois je pédale au milieu d’une plaine, puis d’une vallée encaissée. Cela me fait penser à la vallée du Doubs ou du Dessoubre. Une petite pointe de nostalgie me pique les yeux.
Je traverse une région purement agricole, avec quelques fermes éparses. Au bord de la route, un petit abri occupé par de multiples objets, attire mon regard. Tout naturellement je prends le chemin et je découvre une jolie maison d’habitation, couverte d’herbe, offrant un univers enchanteur. Les coins et recoins du jardin regorgent d’objets décoratifs organisés parfois par thème ou par accumulation. Les tableaux accrochés aux arbres ne semblent pas trop défraîchis par les intempéries. Une minuscule cabane élégante, octogonale, blanche, vitrée, est une vraie maison du cristal. Des centaines, voire des milliers d’objets dans ce jardin sont un régal pour les yeux. Rien n’est à vendre. Je n’ose imaginer l’investissement financier que cela doit représenter.
J’arrive à proximité de Rissa. À un croisement de routes, isolée sur une légère hauteur, se trouve une église en bois. Elle ne ressemble pas aux autres. C’est une grande et grosse bâtisse rouge. Je dépose mon vélo sur le bas-côté de la route. Deux femmes sont assises sur les marches de l’église. Elles m’invitent à m’asseoir à côté d’elles. L’une raconte en français l’histoire de l’église, la Bojerkjerka, et comment l’écrivain Joyan Bojer est relié à cette dernière.
La dame est une véritable conteuse avec un accent français du Haut-Doubs. Elle est Belge, de ma génération. Elle habite à Rissa depuis les années soixante-dix, avec son mari norvégien rencontré sur les bancs de l’université à Bruxelles. C’était la bibliothécaire de Rissa. Elle est engoncée dans son blouson de pluie et son expression n’appelle pas le dialogue. Elle est habituée à ce qu’on l’écoute. L’autre dame est son amie, venue de Belgique pour quelques semaines de vacances. Suspendues aux paroles de celle qui est devenue norvégienne au fur et à mesure des années, nous grignotons, l’amie et moi, les gâteaux sablés qu’elles ont préparés la veille.
Elle nous explique que l’écrivain Johan Bojer vivait, jeune, dans une famille pauvre de la région. À la suite de la disparition de l’église de bois du village, il avait promis à sa mère adoptive Randi, qu’un jour il construirait une nouvelle église. Et c’est sur ses fonds personnels qu’en 1932, il fit construire cette Bojerkjerka, copie fidèle de l’ancienne église.
Elle continue, enthousiaste et emportée par ses souvenirs de bibliothécaire, en nous racontant l’histoire de son ouvrage Les émigrants, dans lequel Bojer relate, de façon romanesque, la migration des Norvégiens vers le Dakota du Nord à la fin du dix-neuvième siècle. Le quart de la population quitta la Norvège qui à l’époque, était l’un des pays européens les plus pauvres, contrairement à ce qu’il est devenu aujourd’hui.
Voilà un livre que je ne manquerai pas de lire à mon retour !
J’ai une étape de quatre-vingt-quinze kilomètres aujourd’hui. Je pédale bien. Je me sens en forme. Toutes mes émotions positives de cyclo-voyageuse sont revenues. J’arrive vers vingt-deux heures au camping d’Årnes ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je loue un petit chalet. Il est trop tard pour monter ma tente. Le jour permanent me permet de circuler durant ce qui serait chez nous, la nuit noire.
Deux cyclo-voyageurs sont installés, nous nous saluons de loin. Bien des kilomètres, après le cercle arctique, l’un deux deviendra un compagnon de route et me nommera avec beaucoup d’humour « ma tortue verte préférée ».
J’ai la nette impression que je vais dorénavant bénéficier d’un alignement des planètes très favorable pour la poursuite de mon voyage.
Mardi 12 juillet – 59e jour
Årnes / Hofstad / Osen – 62 km
La Française qui poussait son vélo dans les montagnes norvégiennes
Je prends mon temps. J’ai une petite étape de soixante-deux kilomètres aujourd’hui. Le soleil est là ! Il fait trente degrés alors que les jours derniers la température oscillait entre dix et treize degrés. Le village d’Årnes a, comme partout ailleurs, son unique commerce avec sa table en bois posée à l’extérieur devant l’entrée. Un couple de Zurichois à vélo est installé. Ils sont partis de Tromsø et descendent dans le sud de la Norvège. Lorsque je leur dis que je n’ai pas croisé grand monde dans la campagne du sud, le monsieur laisse exploser sa rancœur. Il dit qu’il en a marre de cette campagne, qu’on ne peut faire de pauses nulle part, ni prendre un café ou une bière sur une terrasse… que ce pays ressemble à l’Amérique.
J’étais dans cette dynamique négative lors de mes premières étapes après Bergen. Depuis, je me suis intégrée à la Norvège. Je n’ai plus aucun ressenti pénible. Je suis fière de ce que je fais. J’ai la chance d’avoir parcouru cinq pays avant de découvrir celui-ci, d’avoir cette bicyclette très fiable, ces jolies sacoches vertes, suffisamment de vigueur à mon âge pour faire parfois plus de cent kilomètres en une journée, d’avoir ma famille, mes amis, mes connaissances qui me suivent sur mon blog, qui me félicitent, qui m’envoient des messages d’encouragement, qui me disent vivre un voyage à travers moi.
Ayant bien traîné ce matin sans savoir ce qui m’attend, je me retrouve confrontée, dans l’après-midi, à d’extrêmes longues côtes me retardant considérablement. Ce n’est pas un fait nouveau !
Les paysages changent au fur et à mesure de ma lente progression. Je vois des montagnes de sapins ou alors sans aucun arbre. Je suis surprise par d’immenses hauteurs de roches très étranges. Elles sont composées d’imposants rochers arrondis, polis, semblant en mouvement. Le spectacle est saisissant !
Je marche, je pédale, je freine dans de folles descentes et je rechigne à photographier, car il pleut et il fait froid. Les voitures s’arrêtent derrière moi à des dizaines de mètres. Les automobilistes se déportent sur l’autre voie pour me doubler seulement lorsqu’ils ont une visibilité parfaite. Il arrive qu’une voiture puisse me suivre sur plusieurs kilomètres. Les Norvégiens ont vraiment l’art de la patience. Je ne verrai jamais une voiture doubler un autre véhicule à moteur durant mes longues semaines en Norvège. Incroyable !
J’arrive à une heure vespérale au camping d’Osen. Le propriétaire, amusé, me donne une glace, j’ai parfois l’impression d’être une enfant, et me dit qu’il m’a vue cette après-midi poussant mon vélo dans des côtes à douze pour cent. Il me dit que je suis « La Française poussant son vélo dans les montagnes norvégiennes ». L’essentiel n’est-il pas d’arriver à bon port ?
Mais la journée n’est pas terminée !
Les deux cyclo-voyageurs aperçus au camping d’Årnes sont installés à l’abri de la pluie sur la toute petite terrasse de ma cabane louée pour la nuit. Cela fait trois heures qu’ils sont arrivés. Bon ! Ils sont partis avant moi et n’ont pas discuté avec les Zurichois, mais ils ont été retardés deux fois par la réparation d’un pneu crevé. Aucune panne, aucune crevaison n’ont affecté ma bicyclette depuis mon départ. C’est vraiment celle qu’il me fallait !
Rupert est allemand et Paul est écossais. Ils se sont rencontrés sur la route. Tout naturellement ils organisent un petit apéritif dans ma cabane. Ils ont tout ce qu’il faut ! Nous avons une discussion vive et enjouée grâce à mon traducteur vocal. Paul trouve que la Norvège ressemble au Canada. Que tout a perdu son sens. Il n’a pas vu de piscine, de terrain de foot, de cinéma, de théâtre et les sempiternels supermarchés sont tous remplis des mêmes produits, rangés de la même façon. Nos conceptions initiales avant d’arriver en Norvège ne s’accordent pas avec ce que nous percevons depuis que nous circulons dans le pays. Nous ne comprenons pas le monde qui nous entoure ici !
Nous passons un excellent moment et si je ne les avais pas mis à la porte, ma cabane serait devenue un bar de nuit. Demain ils vont aussi à Namsos et espèrent bien me voir. Moi aussi…
Årnes / Hofstad / Osen – 62 km
La Française qui poussait son vélo dans les montagnes norvégiennes
Je prends mon temps. J’ai une petite étape de soixante-deux kilomètres aujourd’hui. Le soleil est là ! Il fait trente degrés alors que les jours derniers la température oscillait entre dix et treize degrés. Le village d’Årnes a, comme partout ailleurs, son unique commerce avec sa table en bois posée à l’extérieur devant l’entrée. Un couple de Zurichois à vélo est installé. Ils sont partis de Tromsø et descendent dans le sud de la Norvège. Lorsque je leur dis que je n’ai pas croisé grand monde dans la campagne du sud, le monsieur laisse exploser sa rancœur. Il dit qu’il en a marre de cette campagne, qu’on ne peut faire de pauses nulle part, ni prendre un café ou une bière sur une terrasse… que ce pays ressemble à l’Amérique.
J’étais dans cette dynamique négative lors de mes premières étapes après Bergen. Depuis, je me suis intégrée à la Norvège. Je n’ai plus aucun ressenti pénible. Je suis fière de ce que je fais. J’ai la chance d’avoir parcouru cinq pays avant de découvrir celui-ci, d’avoir cette bicyclette très fiable, ces jolies sacoches vertes, suffisamment de vigueur à mon âge pour faire parfois plus de cent kilomètres en une journée, d’avoir ma famille, mes amis, mes connaissances qui me suivent sur mon blog, qui me félicitent, qui m’envoient des messages d’encouragement, qui me disent vivre un voyage à travers moi.
Ayant bien traîné ce matin sans savoir ce qui m’attend, je me retrouve confrontée, dans l’après-midi, à d’extrêmes longues côtes me retardant considérablement. Ce n’est pas un fait nouveau !
Les paysages changent au fur et à mesure de ma lente progression. Je vois des montagnes de sapins ou alors sans aucun arbre. Je suis surprise par d’immenses hauteurs de roches très étranges. Elles sont composées d’imposants rochers arrondis, polis, semblant en mouvement. Le spectacle est saisissant !
Je marche, je pédale, je freine dans de folles descentes et je rechigne à photographier, car il pleut et il fait froid. Les voitures s’arrêtent derrière moi à des dizaines de mètres. Les automobilistes se déportent sur l’autre voie pour me doubler seulement lorsqu’ils ont une visibilité parfaite. Il arrive qu’une voiture puisse me suivre sur plusieurs kilomètres. Les Norvégiens ont vraiment l’art de la patience. Je ne verrai jamais une voiture doubler un autre véhicule à moteur durant mes longues semaines en Norvège. Incroyable !
J’arrive à une heure vespérale au camping d’Osen. Le propriétaire, amusé, me donne une glace, j’ai parfois l’impression d’être une enfant, et me dit qu’il m’a vue cette après-midi poussant mon vélo dans des côtes à douze pour cent. Il me dit que je suis « La Française poussant son vélo dans les montagnes norvégiennes ». L’essentiel n’est-il pas d’arriver à bon port ?
Mais la journée n’est pas terminée !
Les deux cyclo-voyageurs aperçus au camping d’Årnes sont installés à l’abri de la pluie sur la toute petite terrasse de ma cabane louée pour la nuit. Cela fait trois heures qu’ils sont arrivés. Bon ! Ils sont partis avant moi et n’ont pas discuté avec les Zurichois, mais ils ont été retardés deux fois par la réparation d’un pneu crevé. Aucune panne, aucune crevaison n’ont affecté ma bicyclette depuis mon départ. C’est vraiment celle qu’il me fallait !
Rupert est allemand et Paul est écossais. Ils se sont rencontrés sur la route. Tout naturellement ils organisent un petit apéritif dans ma cabane. Ils ont tout ce qu’il faut ! Nous avons une discussion vive et enjouée grâce à mon traducteur vocal. Paul trouve que la Norvège ressemble au Canada. Que tout a perdu son sens. Il n’a pas vu de piscine, de terrain de foot, de cinéma, de théâtre et les sempiternels supermarchés sont tous remplis des mêmes produits, rangés de la même façon. Nos conceptions initiales avant d’arriver en Norvège ne s’accordent pas avec ce que nous percevons depuis que nous circulons dans le pays. Nous ne comprenons pas le monde qui nous entoure ici !
Nous passons un excellent moment et si je ne les avais pas mis à la porte, ma cabane serait devenue un bar de nuit. Demain ils vont aussi à Namsos et espèrent bien me voir. Moi aussi…
Mercredi 13 juillet – 60e jour
Osen / Vassmoen / Fosslia / Namsos – 82 km
À bicyclette…
Je pensais qu’après Trondheim je circulerais sur les Champs-Élysées où paraderaient de nombreux cyclo-voyageurs. Mais non !
Les fermes sont vétustes dans cette région. Les maisons d’habitations ont perdu porches et balcons et auraient parfois besoin d’un petit ravalement, ce qui est inaccoutumé.
De petits troupeaux de vaches et de moutons paissent dans les champs inondés en me regardant passer béatement. Des montagnes de ballots de foin enveloppés dans du plastique sont entreposés dans les champs. Les hivers longs et rigoureux imposent de bonnes réserves, en effet il faudra nourrir les animaux qui séjourneront de longs mois bien à l’abri dans les étables.
Je retrouve Rupert et Paul, attablés devant un supermarché. Je suis surprise par la quantité importante de denrées alimentaires qu’ils sortent de multiples sacs en plastique. Quant à moi, mes repas sont nettement plus frugaux. Stéphane, lyonnais, parti d’Oslo à vélo s’est joint à eux. Le trio s’en donne à cœur joie. Leurs plaisanteries portent sur mon vélo trop lourd et trop chargé, sur ma sacoche de guidon trop bien rangée à leur goût…
Nous repartons tous les quatre, mais je ne sais pas et ne peux pas pédaler aussi vite qu’eux. Je suis donc rapidement distancée. Je prends mon temps, j’ai mon propre rythme.
Je remarque que chaque fenêtre des maisons est illuminée par des lampes posées sur le rebord intérieur ou accrochées dans l’encadrement.
L’électricité n’est arrivée que dans les années soixante dans les villages du nord de la Norvège. Les habitants se sont longtemps contentés de subir le noir. Peu à peu, à coup de lampadaires et de petites loupiotes, la nuit s’est laissé apprivoiser, humaniser. Cette habitude des fenêtres allumées date du temps où il n’y avait pas d’électricité. Il fallait garder les maisons éclairées pour que les pêcheurs se repèrent à leur retour, notamment au cours de la nuit permanente.
Dans les contrées traversées depuis que je circule en Norvège, beaucoup de maisons restent allumées tout le temps ; quand on part de chez soi, quand on dort, aussi bien pendant le phénomène de la nuit polaire que durant celui de la journée polaire.
Je retrouve les trois garçons en fin d’après-midi au camping de Namsos. Stéphane arrive plus tardivement. Il a dû s’arrêter chez un vélociste pour réparer sa jante de vélo abîmée. Il ne jure que par son vélo gravel ; le vélo de gravier. Il n’en démord pas. Il me dit que mon vélo en acier est trop lourd, non adapté au cyclotourisme. Il rejette tous mes arguments. Mais moi, je ne tombe jamais en panne, la fiabilité de mon vélo se confirmera à la fin de mon voyage. J’ai remplacé récemment le Trek que j’utilisais auparavant pour le Fahrrad XT 400 spécial tourisme.
Pour rien au monde je ne changerais de bicyclette. Elle est confortable, résistante, infatigable, courageuse, quasi invincible, indomptable. Elle est fière. Elle est fidèle.
Le ciel prend plaisir à se déverser sur nous. Stéphane et moi décidons de louer un chalet en commun. Ces derniers sont onéreux, prévus pour quatre ou six personnes, ils grèvent considérablement le budget d’une personne seule. Rupert et Paul préfèrent rester sous leurs tentes. Ce sont de vrais cyclo-voyageurs, aguerris aux intempéries.
Osen / Vassmoen / Fosslia / Namsos – 82 km
À bicyclette…
Je pensais qu’après Trondheim je circulerais sur les Champs-Élysées où paraderaient de nombreux cyclo-voyageurs. Mais non !
Les fermes sont vétustes dans cette région. Les maisons d’habitations ont perdu porches et balcons et auraient parfois besoin d’un petit ravalement, ce qui est inaccoutumé.
De petits troupeaux de vaches et de moutons paissent dans les champs inondés en me regardant passer béatement. Des montagnes de ballots de foin enveloppés dans du plastique sont entreposés dans les champs. Les hivers longs et rigoureux imposent de bonnes réserves, en effet il faudra nourrir les animaux qui séjourneront de longs mois bien à l’abri dans les étables.
Je retrouve Rupert et Paul, attablés devant un supermarché. Je suis surprise par la quantité importante de denrées alimentaires qu’ils sortent de multiples sacs en plastique. Quant à moi, mes repas sont nettement plus frugaux. Stéphane, lyonnais, parti d’Oslo à vélo s’est joint à eux. Le trio s’en donne à cœur joie. Leurs plaisanteries portent sur mon vélo trop lourd et trop chargé, sur ma sacoche de guidon trop bien rangée à leur goût…
Nous repartons tous les quatre, mais je ne sais pas et ne peux pas pédaler aussi vite qu’eux. Je suis donc rapidement distancée. Je prends mon temps, j’ai mon propre rythme.
Je remarque que chaque fenêtre des maisons est illuminée par des lampes posées sur le rebord intérieur ou accrochées dans l’encadrement.
L’électricité n’est arrivée que dans les années soixante dans les villages du nord de la Norvège. Les habitants se sont longtemps contentés de subir le noir. Peu à peu, à coup de lampadaires et de petites loupiotes, la nuit s’est laissé apprivoiser, humaniser. Cette habitude des fenêtres allumées date du temps où il n’y avait pas d’électricité. Il fallait garder les maisons éclairées pour que les pêcheurs se repèrent à leur retour, notamment au cours de la nuit permanente.
Dans les contrées traversées depuis que je circule en Norvège, beaucoup de maisons restent allumées tout le temps ; quand on part de chez soi, quand on dort, aussi bien pendant le phénomène de la nuit polaire que durant celui de la journée polaire.
Je retrouve les trois garçons en fin d’après-midi au camping de Namsos. Stéphane arrive plus tardivement. Il a dû s’arrêter chez un vélociste pour réparer sa jante de vélo abîmée. Il ne jure que par son vélo gravel ; le vélo de gravier. Il n’en démord pas. Il me dit que mon vélo en acier est trop lourd, non adapté au cyclotourisme. Il rejette tous mes arguments. Mais moi, je ne tombe jamais en panne, la fiabilité de mon vélo se confirmera à la fin de mon voyage. J’ai remplacé récemment le Trek que j’utilisais auparavant pour le Fahrrad XT 400 spécial tourisme.
Pour rien au monde je ne changerais de bicyclette. Elle est confortable, résistante, infatigable, courageuse, quasi invincible, indomptable. Elle est fière. Elle est fidèle.
Le ciel prend plaisir à se déverser sur nous. Stéphane et moi décidons de louer un chalet en commun. Ces derniers sont onéreux, prévus pour quatre ou six personnes, ils grèvent considérablement le budget d’une personne seule. Rupert et Paul préfèrent rester sous leurs tentes. Ce sont de vrais cyclo-voyageurs, aguerris aux intempéries.
Jeudi 14 juillet – 61e jour
Namsos / Lund / Kolvereid – 85 km
En savoir plus
Dommage que le soleil soit caché et ne puisse faire resplendir les paysages.
Je me répète, les côtes sont rudes ! Mais j’avance, je réalise des étapes tout à fait raisonnables en alliant la marche au pédalage. Lors de mes premiers jours en Norvège, j’ai fortement douté de mes capacités pour mener à bien mon projet. Je n’ai plus d’inquiétude ! J’y arrive !
Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec Rupert et Stéphane à Kolvereid. À seize heures ils sont déjà arrivés et moi j’en suis loin ! Le ferry me retarde, je dois l’attendre une heure, mais exceptionnellement un café-restaurant m’accueille à l’embarcadère. Le jeune serveur apprend le Français à l’école et il est ravi de pouvoir converser avec moi. Un grand écran de télévision est allumé et permet de regarder… le Tour de France ! C’est vraiment un événement international.
J’arrive à vingt heures, trempée comme une soupe. Le chalet est très spacieux avec deux chambres, un très grand salon-cuisine, une salle de bains et un chauffage bienvenu qui sèchera tous nos vêtements. Ça sent bon ! Ils sont quatre, attablés. Une délicieuse soupe norvégienne, à base de boulettes de viande, a été cuisinée par Knut. Stéphane et Rupert, eux, ont préparé de nombreuses salades et de la bière est évidemment présente sur la table.
Un des Knut, les deux ont le même prénom, nos voisins de chalet, me parle de la Norvège, c’est la première fois que je discute longuement avec un Norvégien.
Il raconte… « Les Norvégiens sont très réservés. Le pays est classé n°1 mondial à l’indice de développement humain. C’est l’un des pays les plus riches du monde. Quatrième en 2016, la Norvège est arrivée cette année en tête du classement des pays les plus heureux du monde. » Mais selon le classement Forbes, c’est le huitième. Les dires de Knut sont sans doute dus à son côté partisan me racontant fièrement sa Norvège.
Je suis complètement à son écoute. Il poursuit… « Les Norvégiens sont riches depuis qu’ils ont découvert du pétrole en mer du Nord. » J’ajoute que la richesse ne fait pas le bonheur, tout dépend en effet de la façon dont l’argent public est dépensé. « Les Norvégiens ont le sentiment d’être à l’abri de tout accident et d’être accompagnés tout au long de leur vie. Ils disposent d’une bonne sécurité sociale, d’un enseignement gratuit jusqu’à l’université, de longs congés parentaux, d’une retraite garantie à soixante-sept ans… tout cela, en contrepartie d’une imposition élevée. » L’espérance de vie en Norvège est sensiblement identique à la France, d’où ma remarque sur une retraite trop tardive pour ce pays riche.
Knut est intarissable… « Quatre-vingt-dix-huit pour cent de l’électricité produite dans le pays est d’origine renouvelable, essentiellement hydraulique. » Les barrages ont modifié profondément les écosystèmes. Pas si écolo que ça, donc !
« Des chercheurs ont montré qu’un climat froid et peu ensoleillé, comme celui de la Norvège, rend les habitants plus heureux sur le long terme parce que la nécessité de survivre les pousse à se soutenir les uns les autres. » L’avis de Daniel rencontré à Selje différait. Knut poursuit : « Les Norvégiens déménagent peu, entretiennent une relation spéciale avec leur lieu d’origine et s’établissent souvent à proximité de leur famille. L’état d’esprit reste fortement empreint de protestantisme, ce qui autorégule la société, les comportements un tant soit peu déviants étant prohibés par le contrôle social ».
Knut parle aussi des problèmes comme l’alcoolisme, un fléau de santé publique malgré les taxes et la réglementation de la distribution. Stéphane, qui est médecin, ajoute que dans les régions à hiver très gris comme l'Europe du Nord, c'est la baisse de luminosité hivernale qui déclencherait une surproduction de mélatonine engendrant chez un grand nombre de personnes une asthénie, voire une dépression saisonnière qui devrait disparaître en principe au printemps. Pour lui ce facteur dépressif pourrait engendrer un abus d’alcool chez certains.
J’ai lu récemment les conclusions d’un travail de Greta Brancaleoni, psychologue italienne. La chercheuse ne croit pas à la « dépression d’hiver ». Elle a fait une étude comparative entre les étudiants de Tromsø en Norvège, et ceux de Bologne en Italie ; ils ont le même blues à la même période, en octobre, quand l’hiver arrive et qu’il pleut. Pas en décembre pourtant beaucoup plus froid et plus noir.
Puis vient le moment d’aller se coucher. Nous avons trop chaud dans ce chalet surchauffé. Nous avons vécu de nombreux jours où nos nuits se sont passées sous nos tentes et au froid. Depuis que nous sommes en Norvège, hormis deux journées, la température est basse, entre dix et quatorze degrés. Nous sommes aussi toute la journée dehors, pédalant, réchauffés et transpirants dans les côtes puis glacés par la pluie et le vent dans les descentes. Le sport intensif nous procure certainement de bonnes défenses immunitaires. Personne n’est malade ! Seul Paul a contracté le virus du COVID-19. Récemment, il est resté confiné une semaine sous sa tente, malade, épuisé.
Namsos / Lund / Kolvereid – 85 km
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Dommage que le soleil soit caché et ne puisse faire resplendir les paysages.
Je me répète, les côtes sont rudes ! Mais j’avance, je réalise des étapes tout à fait raisonnables en alliant la marche au pédalage. Lors de mes premiers jours en Norvège, j’ai fortement douté de mes capacités pour mener à bien mon projet. Je n’ai plus d’inquiétude ! J’y arrive !
Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec Rupert et Stéphane à Kolvereid. À seize heures ils sont déjà arrivés et moi j’en suis loin ! Le ferry me retarde, je dois l’attendre une heure, mais exceptionnellement un café-restaurant m’accueille à l’embarcadère. Le jeune serveur apprend le Français à l’école et il est ravi de pouvoir converser avec moi. Un grand écran de télévision est allumé et permet de regarder… le Tour de France ! C’est vraiment un événement international.
J’arrive à vingt heures, trempée comme une soupe. Le chalet est très spacieux avec deux chambres, un très grand salon-cuisine, une salle de bains et un chauffage bienvenu qui sèchera tous nos vêtements. Ça sent bon ! Ils sont quatre, attablés. Une délicieuse soupe norvégienne, à base de boulettes de viande, a été cuisinée par Knut. Stéphane et Rupert, eux, ont préparé de nombreuses salades et de la bière est évidemment présente sur la table.
Un des Knut, les deux ont le même prénom, nos voisins de chalet, me parle de la Norvège, c’est la première fois que je discute longuement avec un Norvégien.
Il raconte… « Les Norvégiens sont très réservés. Le pays est classé n°1 mondial à l’indice de développement humain. C’est l’un des pays les plus riches du monde. Quatrième en 2016, la Norvège est arrivée cette année en tête du classement des pays les plus heureux du monde. » Mais selon le classement Forbes, c’est le huitième. Les dires de Knut sont sans doute dus à son côté partisan me racontant fièrement sa Norvège.
Je suis complètement à son écoute. Il poursuit… « Les Norvégiens sont riches depuis qu’ils ont découvert du pétrole en mer du Nord. » J’ajoute que la richesse ne fait pas le bonheur, tout dépend en effet de la façon dont l’argent public est dépensé. « Les Norvégiens ont le sentiment d’être à l’abri de tout accident et d’être accompagnés tout au long de leur vie. Ils disposent d’une bonne sécurité sociale, d’un enseignement gratuit jusqu’à l’université, de longs congés parentaux, d’une retraite garantie à soixante-sept ans… tout cela, en contrepartie d’une imposition élevée. » L’espérance de vie en Norvège est sensiblement identique à la France, d’où ma remarque sur une retraite trop tardive pour ce pays riche.
Knut est intarissable… « Quatre-vingt-dix-huit pour cent de l’électricité produite dans le pays est d’origine renouvelable, essentiellement hydraulique. » Les barrages ont modifié profondément les écosystèmes. Pas si écolo que ça, donc !
« Des chercheurs ont montré qu’un climat froid et peu ensoleillé, comme celui de la Norvège, rend les habitants plus heureux sur le long terme parce que la nécessité de survivre les pousse à se soutenir les uns les autres. » L’avis de Daniel rencontré à Selje différait. Knut poursuit : « Les Norvégiens déménagent peu, entretiennent une relation spéciale avec leur lieu d’origine et s’établissent souvent à proximité de leur famille. L’état d’esprit reste fortement empreint de protestantisme, ce qui autorégule la société, les comportements un tant soit peu déviants étant prohibés par le contrôle social ».
Knut parle aussi des problèmes comme l’alcoolisme, un fléau de santé publique malgré les taxes et la réglementation de la distribution. Stéphane, qui est médecin, ajoute que dans les régions à hiver très gris comme l'Europe du Nord, c'est la baisse de luminosité hivernale qui déclencherait une surproduction de mélatonine engendrant chez un grand nombre de personnes une asthénie, voire une dépression saisonnière qui devrait disparaître en principe au printemps. Pour lui ce facteur dépressif pourrait engendrer un abus d’alcool chez certains.
J’ai lu récemment les conclusions d’un travail de Greta Brancaleoni, psychologue italienne. La chercheuse ne croit pas à la « dépression d’hiver ». Elle a fait une étude comparative entre les étudiants de Tromsø en Norvège, et ceux de Bologne en Italie ; ils ont le même blues à la même période, en octobre, quand l’hiver arrive et qu’il pleut. Pas en décembre pourtant beaucoup plus froid et plus noir.
Puis vient le moment d’aller se coucher. Nous avons trop chaud dans ce chalet surchauffé. Nous avons vécu de nombreux jours où nos nuits se sont passées sous nos tentes et au froid. Depuis que nous sommes en Norvège, hormis deux journées, la température est basse, entre dix et quatorze degrés. Nous sommes aussi toute la journée dehors, pédalant, réchauffés et transpirants dans les côtes puis glacés par la pluie et le vent dans les descentes. Le sport intensif nous procure certainement de bonnes défenses immunitaires. Personne n’est malade ! Seul Paul a contracté le virus du COVID-19. Récemment, il est resté confiné une semaine sous sa tente, malade, épuisé.
Vendredi 15 juillet – 62e jour
Kolvereid / Kjelda / Holm / Vennesund – 75 km
Un café et deux bananes
Avant de quitter le camping je fais la connaissance de Marine et Damien. Ils sont partis de la Mayenne et vont aussi au cap Nord. Ils tirent de lourdes remorques avec deux énormes chiens comme passagers. Ils sont pieds et pattes liés à leurs animaux. On aura tout vu ! Enfin, presque !
Je pousse ma bicyclette, c’est devenu une habitude dans les côtes.
Il me voit avant que je ne le voie. Je lève la tête et je n’en crois pas mes yeux. Il est là ! À environ trente ou quarante mètres, au bord de la route, tout en haut de la côte. Il est sur le qui-vive ! Il est en alerte ! Imposant ! Noir ! Grand ! Les pattes d’une longueur inhabituelle, dans une position bizarre ! Ses bois sont larges et plats. Il me fixe et reste interdit.
Je me fige aussi… J’ai l’impression que cet instant est interminable, je ne sais ce qui va se passer. Il urine, j’ai peur. Puis après quelques minutes interminables, il tourne les sabots et part tranquillement sur la route avec une démarche particulière, dégingandée. Vite ! Vite ! Mon appareil photo ! Il commence à s’éloigner, il risque de disparaitre après le virage.
C’était un élan ! Quelle aubaine de l’avoir vu…
J’attends un peu avant de repartir en espérant qu’il se soit enfoncé dans la forêt. Je sais qu’il peut être offensif si son petit est à proximité. Je n’en mène pas large sur quelques kilomètres.
Puis voici une autre apparition… c’est le jeune Romain qui revient du cap Nord. Il est parti de Lourdes et a traversé un grand nombre de pays d’Europe. Ses bagages sont a minima. Il me dit qu’il n’a pas de matériel de camping, ni tente, ni réchaud, rien... Il essaie chaque soir de trouver un abri de fortune, mais bien souvent ces derniers jours, il se réveille mouillé par la pluie. Au cours de son voyage, il s’est fait dévorer par les midges et les moustiques. Il faisait trente degrés lorsqu’il est passé au cercle polaire. Cela ne fait que deux jours qu’il rencontre la pluie, contrairement à moi venant du sud de la Norvège où les jours de beau temps se comptent sur les doigts d’une main. Mais cela a été bénéfique, effectivement sous la pluie les insectes restent bien cachés.
Il vient de terminer ses études de chiropracteur et avant d’installer son cabinet, il a entrepris ce voyage. Il rayonne de bonheur. Avant de partir il a passé un message sur Facebook pour être hébergé par des gens du même corps de métier et, de façon inattendue, il a eu des réponses en Finlande… et également sur les îles Lofoten.
Il a vingt-quatre ans. Il n’est pas très grand mais il est taillé comme un athlète. Enfin ! comme s’il fallait être grand pour être un athlète… Il fait cent-cinquante kilomètres par jour. Parti bien après moi, Stéphane nous rejoint. Romain indique qu’en Finlande, la route pouvait être bordée de sapins sur une centaine de kilomètres. Un couloir désertifié de tout humain, interminable ! Il s’est donc acheté un réchaud pour se préparer régulièrement un café. Une poche sur la cuisse de son cuissard laisse apparaître deux bananes. Fruits indispensables constituant un élément essentiel de notre régime de cyclistes.
Nous regardons Romain repartir en danseuse. Il a une magnifique allure, pédalant avec grâce et puissance. Stéphane dit : « C’est un champion ! » Je le pense aussi !
Je vois Rupert au camping de Vennesund. Je ne sais pas où s’est arrêté Stéphane. Chacun a repris ses habitudes de cyclo-voyageurs solitaires. Je dois porter quelques couches de vêtements chauds pour lutter contre le froid de la nuit. Il fait vraiment froid !
Kolvereid / Kjelda / Holm / Vennesund – 75 km
Un café et deux bananes
Avant de quitter le camping je fais la connaissance de Marine et Damien. Ils sont partis de la Mayenne et vont aussi au cap Nord. Ils tirent de lourdes remorques avec deux énormes chiens comme passagers. Ils sont pieds et pattes liés à leurs animaux. On aura tout vu ! Enfin, presque !
Je pousse ma bicyclette, c’est devenu une habitude dans les côtes.
Il me voit avant que je ne le voie. Je lève la tête et je n’en crois pas mes yeux. Il est là ! À environ trente ou quarante mètres, au bord de la route, tout en haut de la côte. Il est sur le qui-vive ! Il est en alerte ! Imposant ! Noir ! Grand ! Les pattes d’une longueur inhabituelle, dans une position bizarre ! Ses bois sont larges et plats. Il me fixe et reste interdit.
Je me fige aussi… J’ai l’impression que cet instant est interminable, je ne sais ce qui va se passer. Il urine, j’ai peur. Puis après quelques minutes interminables, il tourne les sabots et part tranquillement sur la route avec une démarche particulière, dégingandée. Vite ! Vite ! Mon appareil photo ! Il commence à s’éloigner, il risque de disparaitre après le virage.
C’était un élan ! Quelle aubaine de l’avoir vu…
J’attends un peu avant de repartir en espérant qu’il se soit enfoncé dans la forêt. Je sais qu’il peut être offensif si son petit est à proximité. Je n’en mène pas large sur quelques kilomètres.
Puis voici une autre apparition… c’est le jeune Romain qui revient du cap Nord. Il est parti de Lourdes et a traversé un grand nombre de pays d’Europe. Ses bagages sont a minima. Il me dit qu’il n’a pas de matériel de camping, ni tente, ni réchaud, rien... Il essaie chaque soir de trouver un abri de fortune, mais bien souvent ces derniers jours, il se réveille mouillé par la pluie. Au cours de son voyage, il s’est fait dévorer par les midges et les moustiques. Il faisait trente degrés lorsqu’il est passé au cercle polaire. Cela ne fait que deux jours qu’il rencontre la pluie, contrairement à moi venant du sud de la Norvège où les jours de beau temps se comptent sur les doigts d’une main. Mais cela a été bénéfique, effectivement sous la pluie les insectes restent bien cachés.
Il vient de terminer ses études de chiropracteur et avant d’installer son cabinet, il a entrepris ce voyage. Il rayonne de bonheur. Avant de partir il a passé un message sur Facebook pour être hébergé par des gens du même corps de métier et, de façon inattendue, il a eu des réponses en Finlande… et également sur les îles Lofoten.
Il a vingt-quatre ans. Il n’est pas très grand mais il est taillé comme un athlète. Enfin ! comme s’il fallait être grand pour être un athlète… Il fait cent-cinquante kilomètres par jour. Parti bien après moi, Stéphane nous rejoint. Romain indique qu’en Finlande, la route pouvait être bordée de sapins sur une centaine de kilomètres. Un couloir désertifié de tout humain, interminable ! Il s’est donc acheté un réchaud pour se préparer régulièrement un café. Une poche sur la cuisse de son cuissard laisse apparaître deux bananes. Fruits indispensables constituant un élément essentiel de notre régime de cyclistes.
Nous regardons Romain repartir en danseuse. Il a une magnifique allure, pédalant avec grâce et puissance. Stéphane dit : « C’est un champion ! » Je le pense aussi !
Je vois Rupert au camping de Vennesund. Je ne sais pas où s’est arrêté Stéphane. Chacun a repris ses habitudes de cyclo-voyageurs solitaires. Je dois porter quelques couches de vêtements chauds pour lutter contre le froid de la nuit. Il fait vraiment froid !