L'improbable voyage à vélo de Besançon au cap Nord en 2022.
À Caroline ma fille et à Gaël mon petit-fils,
De Besançon au cap Nord… Chiche !
Besançon – le cap Nord…
Partir en solitaire, un défi pour un si long voyage à vélo !
Il faut donc relever la bravade par un premier coup de pédale. Mes premiers voyages de cinq-cents kilomètres, qu’aujourd’hui je considère comme de courtes distances, m’ont fait découvrir ce qui m’apportait de l’étonnement, de multiples surprises et surtout, ce qui me procurait un véritable sentiment de liberté. Au fur et à mesure, j’ai allongé ces dernières années mes périples avec parfois une impression de frustration. À mon retour, ce n’était jamais assez…
Celui-ci sera le plus long, le plus ambitieux que j’aurai entrepris !
Toutes mes pérégrinations à vélo ont été l’occasion de faire des rencontres magiques, de découvrir des paysages magnifiques, de vivre des surprises émouvantes. Quand je pédale, j’éprouve un grand sentiment de liberté. Je deviens philosophe, poète, artiste.
Je partage mes réflexions et mes sentiments, mes efforts aussi, avec les cyclotouristes qui m’accompagnent quelquefois sur des dizaines de kilomètres. Certains me disent que croiser une dame de mon âge, j’ai soixante-huit ans, seule, à vélo, partant si loin, les aide et les motive. Moi aussi je suis très enthousiaste et je continue, le nez au vent et les sourires dans mon baluchon.
Mais le plus amusant et flatteur aussi, je l’avoue, c’est de lire dans le regard de certains l’étonnement, l’admiration et le respect. Parfois même, on me perçoit comme une personne « perchée à l’âme romantique ». Mais tous font preuve d’humanité. Ils sont accueillants, aimables, généreux et surtout émerveillés !
Certaines amies m’ont attribué le terme de « jeunior ». D’autres sont subjuguées. Rares sont celles qui me regardent d’un air circonspect voire dubitatif. Ma fille Caroline, qui sait que je ne suis pas une personne éthérée et que je n’outrepasserai pas mes capacités physiques, me fait confiance et c’est important. De cette façon, je pars tranquille pour ce long voyage, l’esprit léger.
Quant à Gaël, mon petit-fils, adepte de cyclotourisme depuis nos échappées complices, il sera penché sur les cartes, à tracer mon parcours et à dessiner des campings et des restaurants.
Mais je sais qu’au fond de lui, il aimerait partir avec moi pour pouvoir cueillir les cadeaux comme autant de fleurs magiques parce qu’il est sûr que je vais rencontrer le père Noël au cap Nord !
Enfin, pour mon retour, fin août 2022, lorsque je prendrai l’avion à Alta en Norvège, mes sacoches, mon cœur, ma tête, mes jambes aussi, seront sans doute pleins de souvenirs, de rencontres, de paysages, de saines fatigues qui me rendront heureuse et fière d’avoir fait ce que j’aurai fait en trois mois.
Quand : 15/05/2022
Durée : 94 jours
Durée : 94 jours
Distance globale :
5638km
Dénivelées :
+26238m /
-26332m
Alti min/max : -1m/488m
Carnet publié par Jacqueline25
le 09 mai 2022
modifié le 14 avr. 2023
modifié le 14 avr. 2023
6743 lecteur(s)
-
Vue d'ensemble
Le topo : Section 15. Du 16 juillet au 20 .. (mise à jour : 05 janv.)
Distance section :
313km
Dénivelées section :
+1553m /
-1561m
Section Alti min/max : 0m/342m
Description :
Vennesund / Berg / Brønnøysund / Mossem / Anddalsvågen / Alstahaug / Levang / Nesna / Haugland / Kilbogham – Jektvika – Ågskardet
Le compte-rendu : Section 15. Du 16 juillet au 20 .. (mise à jour : 05 janv.)
Samedi 16 juillet – 63e jour
Vennesund / Berg / Brønnøysund – 50 km
Ana et son barda
Knut et Knut me doublent. Ils sont partis d’Oslo pour Bodø. Leurs vélos sont peu chargés. Ils ne transportent pas de matériel de camping. Ils louent systématiquement chaque soir un chalet. L’un me dit qu’il est étonné que je fasse autant de kilomètres par jour. Marine et Damien et leurs chiens me dépassent ensuite dans une côte. Il s’avère que Damien est un triathlonien. Tout s’explique ! Marine est aussi une excellente sportive.
A contrario des jours précédents les fermes sont prospères dans cette région.
J’arrive à la ville de Brønnøysund. Le Rootsfestivalen a commencé. Pendant quatre jours, on peut découvrir un mélange fantastique de musiciens locaux, de nouveaux talents et d'artistes nationaux et internationaux célèbres. J’entre sur les lieux du festival. Deux vigiles me suivent d’un regard bienveillant. Je dois ressembler à un ovni avec mon casque, mon vélo, mes habits vert fluo de cycliste et mes drapeaux. Le lieu est décoré de bâches noires, les grillages extérieurs en sont recouverts, les scènes des artistes sont noires, les comptoirs des bars sont aussi agrémentés de bâches noires.
Je poursuis mon chemin sans passer par la caisse. Je la verrai seulement en ressortant. Je me dirige vers un immense chapiteau où des centaines de Norvégiens sont attablés avec un verre de bière sans alcool devant eux. Il semble que l’alcool soit interdit en journée. Le feu de l’action devrait avoir lieu ce soir ! Je prends le temps d’écouter un groupe de musiciens. J’aime bien ce groupe. Le chanteur est un véritable éléphant sur la scène, avec une voix extrêmement puissante, à faire frémir.
Une dame accompagnée de ses deux gamines vient discuter avec moi. Elle parle parfaitement le français appris à l’Université. Elle s’intéresse à mon voyage, me demande mon âge. Elle me serre la main en me regardant intensément et me dit à plusieurs reprises « Incroyable ! Incroyable ! » Elle me conseille un bon restaurant. J’apprécie un délicieux Spritz et une excellente soupe de poissons. Il vaut mieux ne pas avoir trop faim et pas trop soif, car une petite soupe, mais délicieuse, vaut deux-cents Nok (vingt euros) et un Spritz cent-trente Nok (treize euros). Mais bon ! J’ai la chance de ne pas être à quatre sous près.
Je croise ensuite Rupert. Il va prendre un ferry cette nuit à la place de son étape à vélo du lendemain. C’est un gentil garçon, au physique de colosse, avec une pointe de nostalgie dans le regard. Il réalise des courts-métrages sur des sujets variés en fonction des demandes que l’on lui fait. Il pense arriver vers le dix août au cap Nord. On se frappe dans les mains, on se dit au revoir avec émotion ! On sait que nos chemins ne se croiseront plus.
Le camping de Brønnøysund est à la périphérie de la toute petite ville. Deux vieilles dames en sont les propriétaires, l’une se prénomme Ana. Alors là ! Ana et son barda !
Ana et son amie ont transformé leur camping en un musée atypique. D’innombrables objets sont exposés dehors, dans de petites dépendances et dans une immense grange-musée. Des sculptures en bois sont éparpillées dans la propriété. Elles évoquent des trolls qui sont représentés par de géants modernes de grande force, l’air un peu naïf ou malfaisant.
La maison des deux dames est magnifique avec de grandes baies vitrées, des balcons. Le camping ouvre sur la forêt et le fjord. Le petit chalet dans lequel je passerai la nuit est très coquet. Son intérieur est peint en blanc. Les dessus de lit sont bleu pastel. Les rideaux rouges s’harmonisent avec les abats jours des lampes murales, avec les vases et les fleurs. Il est embelli également par de multiples objets, porte-manteaux en forme de cœur et diverses choses en porcelaine. Dommage ! Je n’ai pas eu l’occasion de parler avec Ana pour en savoir un peu plus.
Vennesund / Berg / Brønnøysund – 50 km
Ana et son barda
Knut et Knut me doublent. Ils sont partis d’Oslo pour Bodø. Leurs vélos sont peu chargés. Ils ne transportent pas de matériel de camping. Ils louent systématiquement chaque soir un chalet. L’un me dit qu’il est étonné que je fasse autant de kilomètres par jour. Marine et Damien et leurs chiens me dépassent ensuite dans une côte. Il s’avère que Damien est un triathlonien. Tout s’explique ! Marine est aussi une excellente sportive.
A contrario des jours précédents les fermes sont prospères dans cette région.
J’arrive à la ville de Brønnøysund. Le Rootsfestivalen a commencé. Pendant quatre jours, on peut découvrir un mélange fantastique de musiciens locaux, de nouveaux talents et d'artistes nationaux et internationaux célèbres. J’entre sur les lieux du festival. Deux vigiles me suivent d’un regard bienveillant. Je dois ressembler à un ovni avec mon casque, mon vélo, mes habits vert fluo de cycliste et mes drapeaux. Le lieu est décoré de bâches noires, les grillages extérieurs en sont recouverts, les scènes des artistes sont noires, les comptoirs des bars sont aussi agrémentés de bâches noires.
Je poursuis mon chemin sans passer par la caisse. Je la verrai seulement en ressortant. Je me dirige vers un immense chapiteau où des centaines de Norvégiens sont attablés avec un verre de bière sans alcool devant eux. Il semble que l’alcool soit interdit en journée. Le feu de l’action devrait avoir lieu ce soir ! Je prends le temps d’écouter un groupe de musiciens. J’aime bien ce groupe. Le chanteur est un véritable éléphant sur la scène, avec une voix extrêmement puissante, à faire frémir.
Une dame accompagnée de ses deux gamines vient discuter avec moi. Elle parle parfaitement le français appris à l’Université. Elle s’intéresse à mon voyage, me demande mon âge. Elle me serre la main en me regardant intensément et me dit à plusieurs reprises « Incroyable ! Incroyable ! » Elle me conseille un bon restaurant. J’apprécie un délicieux Spritz et une excellente soupe de poissons. Il vaut mieux ne pas avoir trop faim et pas trop soif, car une petite soupe, mais délicieuse, vaut deux-cents Nok (vingt euros) et un Spritz cent-trente Nok (treize euros). Mais bon ! J’ai la chance de ne pas être à quatre sous près.
Je croise ensuite Rupert. Il va prendre un ferry cette nuit à la place de son étape à vélo du lendemain. C’est un gentil garçon, au physique de colosse, avec une pointe de nostalgie dans le regard. Il réalise des courts-métrages sur des sujets variés en fonction des demandes que l’on lui fait. Il pense arriver vers le dix août au cap Nord. On se frappe dans les mains, on se dit au revoir avec émotion ! On sait que nos chemins ne se croiseront plus.
Le camping de Brønnøysund est à la périphérie de la toute petite ville. Deux vieilles dames en sont les propriétaires, l’une se prénomme Ana. Alors là ! Ana et son barda !
Ana et son amie ont transformé leur camping en un musée atypique. D’innombrables objets sont exposés dehors, dans de petites dépendances et dans une immense grange-musée. Des sculptures en bois sont éparpillées dans la propriété. Elles évoquent des trolls qui sont représentés par de géants modernes de grande force, l’air un peu naïf ou malfaisant.
La maison des deux dames est magnifique avec de grandes baies vitrées, des balcons. Le camping ouvre sur la forêt et le fjord. Le petit chalet dans lequel je passerai la nuit est très coquet. Son intérieur est peint en blanc. Les dessus de lit sont bleu pastel. Les rideaux rouges s’harmonisent avec les abats jours des lampes murales, avec les vases et les fleurs. Il est embelli également par de multiples objets, porte-manteaux en forme de cœur et diverses choses en porcelaine. Dommage ! Je n’ai pas eu l’occasion de parler avec Ana pour en savoir un peu plus.
Dimanche 17 juillet – 64e jour
Brønnøysund / Mossem / Anddalsvågen / Alstahaug / Levang – 110 km
Soixante-quatre jours
J’arrive rapidement à un premier ferry pour la traversée d’un fjord. Je traverse ainsi quotidiennement un à deux fjords et j’aime bien cette petite distraction. Les annonces se font en norvégien et en anglais par le capitaine de bord que l’on ne voit pas. Pour la première fois, à la fin des annonces j’entends « Bon voyage » en français. Je suis la seule Française repérable grâce à mon drapeau. Cela me fait très plaisir.
De nombreux touristes se rendent sur les îles. Quatorze-mille îles en tout dans les environs. Une colonne de voitures me double avant d’atteindre le deuxième ferry. Les automobilistes sont à l’heure. Quant à moi, je ne cherche pas à connaître les horaires, ce serait une contrainte supplémentaire, je ne contrôle pas mon temps. La providence est souvent avec moi. Il est exceptionnel que j’attende longtemps. Depuis le ferry, j’aperçois des montagnes dentelées hérissant leurs herses. La colline de Trot est particulière parmi toutes. La roche est rouge et donne l’impression que le soleil darde un puissant rayon sur elle. Mais ce n’est pas le cas, le ciel est totalement fermé.
Sur ce ferry je fais la connaissance d’une famille française. Les parents ont pris un congé sabbatique de quelques mois pour voyager à bord de leur van. Ils m’ont doublée lorsque je descendais à toute vitesse la montagne du fjord. Le petit Simon, quatre ans, s’installe face à moi dans la cafétéria, et regarde avec envie mon plateau où est posée la célèbre vafler. Gaufre norvégienne, garnie d’une tranche de brunost, un fromage à pâte brune, au goût caramélisé. Lorsque je partage mon festin avec lui, je m’en fais un véritable allié, un complice, un camarade. Il me regardera pendant toute la durée de la traversée avec douceur.
Tous les ferries sont gratuits pour les cyclistes. Ils ont une petite cafétéria en libre-service ou avec buffet et personnel lorsque la traversée est longue et que le ferry est de grande taille.
Je poursuis ma route. J’aperçois un remarquable pont à haubans, le Helgelandsbrua. Il forme une longue et gracieuse courbe en son début et se pose délicatement sur l’autre versant du fjord. Vais-je arriver à grimper ? Sa hauteur est de cent-trente-huit mètres et sa longueur mille-soixante-cinq mètres. Il est élégant, il mérite qu’on l’admire, qu’on l’examine méticuleusement. La vue depuis le pont porte loin dans le fjord, mais mes coups d’œil sont furtifs, en effet je dois pédaler le plus vite possible, tout en gardant une trajectoire parfaite et éviter de cogner le trottoir au risque de chuter. Je suis ravie ! Je n’ai pas de difficulté pour cette escalade.
J’ai fait quelques progrès ces derniers jours, j’ai allégé mon vélo en renvoyant récemment quatre kilos de bagages par la Poste. Il ne me reste que le strict nécessaire. Plus de première carte de Norvège déjà terminée, plus de deuxième bouteille de gaz, plus de veste polaire, plus de livres, je n’ai d’ailleurs pas le temps de lire, plus de verre, d’assiette ni de petit saladier, je mangerai et boirai dans mon bol, plus de robe en coton achetée à Oslo, plus le petit boléro aux fils brillants. Mais en consolation, j’ai gardé précieusement dans ma sacoche, la robe à paillettes. Faut ce qu’il faut !
Mon vélo délesté est plus facile à pousser dans les côtes. Il est moins pénible pour moi de pédaler dans les montées. Je peux même grimper en danseuse. Je le contrôle mieux dans les descentes et je fais même quelques petites pointes de vitesse à 65 km/h lorsque l’asphalte de la route est parfait. Quelle délicieuse sensation donnée par la vitesse ! Mais je n’en abuse pas.
Je suis presque arrivée à la fin de mon étape lorsque Stéphane me téléphone. Il a loué une cabine pour deux nuits qu’il peut partager. Demain il pleuvra toute la journée. Je dois faire encore quarante-cinq kilomètres si je veux le rejoindre et c’est le début de l’après-midi.
Allez hop ! Je fonce, je redouble de dynamisme.
Cependant, je prends le temps d’entrer discrètement dans une église où se déroule un enterrement. J’arrive à un moment étrange. Le prêtre va de fleur en fleur, en lisant à haute voix le message écrit sur un long ruban de la composition florale, ainsi que le nom de la personne qui a offert l’arrangement. Ça prend du temps, il y en a beaucoup !
Tout le monde est élégant. Sauf moi !
Accompagnée par la voix du musicien qui semble avoir été embauché par la famille, je sors en catimini de l’église et me promène dans le cimetière où quatre-vingts pour cent des patronymes se terminent en EN, Hansen, Johansen, Nilsen.
Ce cimetière est un grand champ avec une belle herbe bien verte parfaitement tondue. Les petites pierres tombales sont fichées dans le sol à la verticale, comme dans la plupart des pays du Nord, donnant l’impression que les cercueils ont été enterrés debout. Quelques fleurs sont parfois déposées à la base de celles-ci. Aucune allée n’est prévue, je ne sais donc pas où je dois marcher.
Je ne dois plus traîner… Il pleut par alternance, ce qui me permet de sécher. Mais c’est toujours comme ça, il pleut systématiquement entre dix-sept et vingt heures. J’ai des chaussures Scarpa en Gore Tex. Mais elles ne sont pas parfaitement imperméables ! J’ai jeté mes surchaussures en lambeaux au profit d’autres achetées à Brønnøysund. Comme je parcours les montagnes norvégiennes à pied, en poussant mon vélo, les surchaussures se gorgent d’eau et mes chaussures l’absorbent. Bref ! Je n’ai pas de solutions pour remédier à ça. Cela n’a pas d’importance, je dois faire avec ce que j’ai et sauvegarder tout mon espace mental pour apprécier mon merveilleux voyage.
Bien trempée évidemment, mon arrivée vespérale au camping de Levang ne passe pas incognito. Stéphane parle de moi aux gens qu’il rencontre, de la dame de soixante-huit ans qui va au cap Nord. Celle qui arrive toujours après les autres ! À mon entrée dans la salle de séjour du camping, Marion et Gauthier me regardent avec une petite pointe guillerette dans le regard. Inutile de me présenter, cela a été fait par Stéphane bien avant mon arrivée. Ils sont partis de Lyon. Ils sont très agréables et Gauthier a une particularité, c’est un sensitif, il doit toucher. Il touche nos vêtements, il compare les textures… Il se retient pour ne rien toucher dans les musées, nous dit-il.
Emiel est là aussi, il est Néerlandais et il semble aussi doux que sa voix. Il m’a doublée la veille en restant à ma hauteur pendant quelques kilomètres. Ces trois jeunes gens sont ingénieurs, l’un en électricité et les deux autres en construction bois. Ils ont abandonné tous les trois leur travail. Ils me donnent l’impression d’être à un tournant de leur vie et ce voyage y participe.
Nous passons une excellente soirée, très conviviale. Tout le monde décide de s’offrir une journée de repos le lendemain bien à l’abri de la pluie dans ce chaleureux camping. J’ai fait cent-dix kilomètres aujourd’hui. Presque deux étapes. C’est toujours un peu un souci d’arriver en fin de journée avec les chaussures trempées. Quand le chauffage n’est pas au rendez-vous on repart le lendemain avec les pieds mouillés. Ce qu’on appelle dans les campings les cabines, sont en réalité de petits chalets, de jolies cabanes, des hytters. Et elles ont toutes le chauffage !
Cela fait soixante-quatre jours que je suis partie de Besançon. Je suis enchantée !
Brønnøysund / Mossem / Anddalsvågen / Alstahaug / Levang – 110 km
Soixante-quatre jours
J’arrive rapidement à un premier ferry pour la traversée d’un fjord. Je traverse ainsi quotidiennement un à deux fjords et j’aime bien cette petite distraction. Les annonces se font en norvégien et en anglais par le capitaine de bord que l’on ne voit pas. Pour la première fois, à la fin des annonces j’entends « Bon voyage » en français. Je suis la seule Française repérable grâce à mon drapeau. Cela me fait très plaisir.
De nombreux touristes se rendent sur les îles. Quatorze-mille îles en tout dans les environs. Une colonne de voitures me double avant d’atteindre le deuxième ferry. Les automobilistes sont à l’heure. Quant à moi, je ne cherche pas à connaître les horaires, ce serait une contrainte supplémentaire, je ne contrôle pas mon temps. La providence est souvent avec moi. Il est exceptionnel que j’attende longtemps. Depuis le ferry, j’aperçois des montagnes dentelées hérissant leurs herses. La colline de Trot est particulière parmi toutes. La roche est rouge et donne l’impression que le soleil darde un puissant rayon sur elle. Mais ce n’est pas le cas, le ciel est totalement fermé.
Sur ce ferry je fais la connaissance d’une famille française. Les parents ont pris un congé sabbatique de quelques mois pour voyager à bord de leur van. Ils m’ont doublée lorsque je descendais à toute vitesse la montagne du fjord. Le petit Simon, quatre ans, s’installe face à moi dans la cafétéria, et regarde avec envie mon plateau où est posée la célèbre vafler. Gaufre norvégienne, garnie d’une tranche de brunost, un fromage à pâte brune, au goût caramélisé. Lorsque je partage mon festin avec lui, je m’en fais un véritable allié, un complice, un camarade. Il me regardera pendant toute la durée de la traversée avec douceur.
Tous les ferries sont gratuits pour les cyclistes. Ils ont une petite cafétéria en libre-service ou avec buffet et personnel lorsque la traversée est longue et que le ferry est de grande taille.
Je poursuis ma route. J’aperçois un remarquable pont à haubans, le Helgelandsbrua. Il forme une longue et gracieuse courbe en son début et se pose délicatement sur l’autre versant du fjord. Vais-je arriver à grimper ? Sa hauteur est de cent-trente-huit mètres et sa longueur mille-soixante-cinq mètres. Il est élégant, il mérite qu’on l’admire, qu’on l’examine méticuleusement. La vue depuis le pont porte loin dans le fjord, mais mes coups d’œil sont furtifs, en effet je dois pédaler le plus vite possible, tout en gardant une trajectoire parfaite et éviter de cogner le trottoir au risque de chuter. Je suis ravie ! Je n’ai pas de difficulté pour cette escalade.
J’ai fait quelques progrès ces derniers jours, j’ai allégé mon vélo en renvoyant récemment quatre kilos de bagages par la Poste. Il ne me reste que le strict nécessaire. Plus de première carte de Norvège déjà terminée, plus de deuxième bouteille de gaz, plus de veste polaire, plus de livres, je n’ai d’ailleurs pas le temps de lire, plus de verre, d’assiette ni de petit saladier, je mangerai et boirai dans mon bol, plus de robe en coton achetée à Oslo, plus le petit boléro aux fils brillants. Mais en consolation, j’ai gardé précieusement dans ma sacoche, la robe à paillettes. Faut ce qu’il faut !
Mon vélo délesté est plus facile à pousser dans les côtes. Il est moins pénible pour moi de pédaler dans les montées. Je peux même grimper en danseuse. Je le contrôle mieux dans les descentes et je fais même quelques petites pointes de vitesse à 65 km/h lorsque l’asphalte de la route est parfait. Quelle délicieuse sensation donnée par la vitesse ! Mais je n’en abuse pas.
Je suis presque arrivée à la fin de mon étape lorsque Stéphane me téléphone. Il a loué une cabine pour deux nuits qu’il peut partager. Demain il pleuvra toute la journée. Je dois faire encore quarante-cinq kilomètres si je veux le rejoindre et c’est le début de l’après-midi.
Allez hop ! Je fonce, je redouble de dynamisme.
Cependant, je prends le temps d’entrer discrètement dans une église où se déroule un enterrement. J’arrive à un moment étrange. Le prêtre va de fleur en fleur, en lisant à haute voix le message écrit sur un long ruban de la composition florale, ainsi que le nom de la personne qui a offert l’arrangement. Ça prend du temps, il y en a beaucoup !
Tout le monde est élégant. Sauf moi !
Accompagnée par la voix du musicien qui semble avoir été embauché par la famille, je sors en catimini de l’église et me promène dans le cimetière où quatre-vingts pour cent des patronymes se terminent en EN, Hansen, Johansen, Nilsen.
Ce cimetière est un grand champ avec une belle herbe bien verte parfaitement tondue. Les petites pierres tombales sont fichées dans le sol à la verticale, comme dans la plupart des pays du Nord, donnant l’impression que les cercueils ont été enterrés debout. Quelques fleurs sont parfois déposées à la base de celles-ci. Aucune allée n’est prévue, je ne sais donc pas où je dois marcher.
Je ne dois plus traîner… Il pleut par alternance, ce qui me permet de sécher. Mais c’est toujours comme ça, il pleut systématiquement entre dix-sept et vingt heures. J’ai des chaussures Scarpa en Gore Tex. Mais elles ne sont pas parfaitement imperméables ! J’ai jeté mes surchaussures en lambeaux au profit d’autres achetées à Brønnøysund. Comme je parcours les montagnes norvégiennes à pied, en poussant mon vélo, les surchaussures se gorgent d’eau et mes chaussures l’absorbent. Bref ! Je n’ai pas de solutions pour remédier à ça. Cela n’a pas d’importance, je dois faire avec ce que j’ai et sauvegarder tout mon espace mental pour apprécier mon merveilleux voyage.
Bien trempée évidemment, mon arrivée vespérale au camping de Levang ne passe pas incognito. Stéphane parle de moi aux gens qu’il rencontre, de la dame de soixante-huit ans qui va au cap Nord. Celle qui arrive toujours après les autres ! À mon entrée dans la salle de séjour du camping, Marion et Gauthier me regardent avec une petite pointe guillerette dans le regard. Inutile de me présenter, cela a été fait par Stéphane bien avant mon arrivée. Ils sont partis de Lyon. Ils sont très agréables et Gauthier a une particularité, c’est un sensitif, il doit toucher. Il touche nos vêtements, il compare les textures… Il se retient pour ne rien toucher dans les musées, nous dit-il.
Emiel est là aussi, il est Néerlandais et il semble aussi doux que sa voix. Il m’a doublée la veille en restant à ma hauteur pendant quelques kilomètres. Ces trois jeunes gens sont ingénieurs, l’un en électricité et les deux autres en construction bois. Ils ont abandonné tous les trois leur travail. Ils me donnent l’impression d’être à un tournant de leur vie et ce voyage y participe.
Nous passons une excellente soirée, très conviviale. Tout le monde décide de s’offrir une journée de repos le lendemain bien à l’abri de la pluie dans ce chaleureux camping. J’ai fait cent-dix kilomètres aujourd’hui. Presque deux étapes. C’est toujours un peu un souci d’arriver en fin de journée avec les chaussures trempées. Quand le chauffage n’est pas au rendez-vous on repart le lendemain avec les pieds mouillés. Ce qu’on appelle dans les campings les cabines, sont en réalité de petits chalets, de jolies cabanes, des hytters. Et elles ont toutes le chauffage !
Cela fait soixante-quatre jours que je suis partie de Besançon. Je suis enchantée !
Lundi 18 juillet – 65e jour
Levang
Un zinzin et de l’humilité
Quelle belle journée en perspective… Je regarde tomber la pluie bien à l’abri et au chaud dans la pièce commune. Mes camarades de route sont très agréables. Chacun raconte un peu de sa vie et des anecdotes de son voyage.
Emiel nous montre une photo des montagnes enneigées qu’il a traversées à l’intérieur de la Norvège. Je reste stupéfaite par les murs de neige d’une hauteur d’environ six mètres, bordant la route, parfaitement à l’aplomb. Je regrette de ne pas lui avoir demandé comment il s’était sorti de cet enfermement.
L’arrivée d’un tracteur nous occupe un bon moment. C’est le tracteur de Hans qui est parti de sa ferme en Allemagne, pour une longue boucle passant par le cap Nord. En tracteur, oui ! J’en fais le tour et à ma grande surprise, je vois sur son flanc, accroché à hauteur de ma tête, un Solex. Un vrai bon vieux Solex des années soixante-dix, en état de fonctionnement. Un grand coffre est fixé à l’arrière du tracteur. Il s’avère qu’il renferme une minuscule cabine couchette et un fatras d’affaires. Je commence à penser que Hans est un vrai zinzin du cap Nord. C’est lui le plus fêlé d’entre nous. Avec simplement nos vélos de voyageurs, nous restons bien sobres, modérés et discrets. Hans récolte des fonds pour une cause humanitaire, il donne du sens à son voyage.
Quel bon moment drolatique ensemble, nous les cyclo-voyageurs et lui, le tracto-voyageur toujours en train de rire !
Le clou de la journée sera l’arrivée de Youn et Ewen, les deux Bretons rencontrés presque deux mois auparavant, au sud des Pays-Bas. Les deux, qui d’un regard, m’avaient clouée au pilori en me faisant comprendre qu’ils ne miseraient rien sur moi, persuadés que je n’atteindrais jamais le cap Nord. Parce que pour eux, seuls de fringants jeunes hommes pouvaient réussir ce genre d’aventure, alors, une grand-mère à son guidon, c’était hors de leur entendement.
Nous nous reconnaissons immédiatement. Nos bras nous en tombent ! Jamais, au grand jamais nous n’avions imaginé nous retrouver des milliers de kilomètres plus loin. Ils me racontent… Sans beaucoup d’argent, ils dormaient à la belle étoile avant de rencontrer dernièrement deux Espagnols, Juan Carlos et Rafael, avec qui, depuis, ils font équipe et qui les invitent dans les chalets qu’ils louent dans les campings. Dans le sud de la Norvège, Youn a joué de l’accordéon lors d’une fête Viking et ils ont été embauchés dans la ferme de l’organisateur pendant deux jours. Ils ont été surpris par les repas pris avec la famille, essentiellement composés de tartines. Ils ont fait quelques incursions à l’extrémité des fjords pour y découvrir quelques-uns des grands vergers de la Norvège. De ces magnifiques corbeilles de fruits, ils se sont empiffrés de pommes, poires, prunes, fraises, cerises… Ils relatent de nombreuses autres péripéties.
Aussitôt un lien profond nous unit. La cerise sur le gâteau est que je connais un de leur ami, Jean-Christophe d’Arzano, qui a rallié le Japon à vélo. Je l’avais rencontré en 2019 en Serbie, puis je l’ai suivi sur son blog pendant son interminable voyage à vélo. Youn et Ewen revisitent leur a priori ! Aujourd’hui les deux garçons ne me portent plus du tout le même regard. Leur humilité, leur intérêt eu égard à ma personne, me font leur pardonner l’arrogance qui m’avait irritée lors de notre première rencontre.
Je partagerai avec eux, au cours des semaines à venir, des moments inoubliables.
Levang
Un zinzin et de l’humilité
Quelle belle journée en perspective… Je regarde tomber la pluie bien à l’abri et au chaud dans la pièce commune. Mes camarades de route sont très agréables. Chacun raconte un peu de sa vie et des anecdotes de son voyage.
Emiel nous montre une photo des montagnes enneigées qu’il a traversées à l’intérieur de la Norvège. Je reste stupéfaite par les murs de neige d’une hauteur d’environ six mètres, bordant la route, parfaitement à l’aplomb. Je regrette de ne pas lui avoir demandé comment il s’était sorti de cet enfermement.
L’arrivée d’un tracteur nous occupe un bon moment. C’est le tracteur de Hans qui est parti de sa ferme en Allemagne, pour une longue boucle passant par le cap Nord. En tracteur, oui ! J’en fais le tour et à ma grande surprise, je vois sur son flanc, accroché à hauteur de ma tête, un Solex. Un vrai bon vieux Solex des années soixante-dix, en état de fonctionnement. Un grand coffre est fixé à l’arrière du tracteur. Il s’avère qu’il renferme une minuscule cabine couchette et un fatras d’affaires. Je commence à penser que Hans est un vrai zinzin du cap Nord. C’est lui le plus fêlé d’entre nous. Avec simplement nos vélos de voyageurs, nous restons bien sobres, modérés et discrets. Hans récolte des fonds pour une cause humanitaire, il donne du sens à son voyage.
Quel bon moment drolatique ensemble, nous les cyclo-voyageurs et lui, le tracto-voyageur toujours en train de rire !
Le clou de la journée sera l’arrivée de Youn et Ewen, les deux Bretons rencontrés presque deux mois auparavant, au sud des Pays-Bas. Les deux, qui d’un regard, m’avaient clouée au pilori en me faisant comprendre qu’ils ne miseraient rien sur moi, persuadés que je n’atteindrais jamais le cap Nord. Parce que pour eux, seuls de fringants jeunes hommes pouvaient réussir ce genre d’aventure, alors, une grand-mère à son guidon, c’était hors de leur entendement.
Nous nous reconnaissons immédiatement. Nos bras nous en tombent ! Jamais, au grand jamais nous n’avions imaginé nous retrouver des milliers de kilomètres plus loin. Ils me racontent… Sans beaucoup d’argent, ils dormaient à la belle étoile avant de rencontrer dernièrement deux Espagnols, Juan Carlos et Rafael, avec qui, depuis, ils font équipe et qui les invitent dans les chalets qu’ils louent dans les campings. Dans le sud de la Norvège, Youn a joué de l’accordéon lors d’une fête Viking et ils ont été embauchés dans la ferme de l’organisateur pendant deux jours. Ils ont été surpris par les repas pris avec la famille, essentiellement composés de tartines. Ils ont fait quelques incursions à l’extrémité des fjords pour y découvrir quelques-uns des grands vergers de la Norvège. De ces magnifiques corbeilles de fruits, ils se sont empiffrés de pommes, poires, prunes, fraises, cerises… Ils relatent de nombreuses autres péripéties.
Aussitôt un lien profond nous unit. La cerise sur le gâteau est que je connais un de leur ami, Jean-Christophe d’Arzano, qui a rallié le Japon à vélo. Je l’avais rencontré en 2019 en Serbie, puis je l’ai suivi sur son blog pendant son interminable voyage à vélo. Youn et Ewen revisitent leur a priori ! Aujourd’hui les deux garçons ne me portent plus du tout le même regard. Leur humilité, leur intérêt eu égard à ma personne, me font leur pardonner l’arrogance qui m’avait irritée lors de notre première rencontre.
Je partagerai avec eux, au cours des semaines à venir, des moments inoubliables.
Mardi 19 juillet – 66e jour
Levang / Nesna / Haugland – 84 km
Nuit magique
Stéphane, Marion et Gauthier se lèvent dès potron-minet pour prendre un ferry. Ils veulent faire un saut de plusieurs étapes. Il n’en est pas question pour moi ! Je regrette encore mon déplacement en bus qui, à mon insu, m’a fait éviter la ville d’Ålesund totalement reconstruite en 1904 après avoir été détruite par le feu et renommée depuis pour son architecture de style art nouveau. J’ai donc raté ça !
Peu après eux je quitte le camping. Il est temps de prendre le ferry pour passer de l’autre côté du fjord. Je rencontre Guillaume, néerlandais, qui revient du cap Nord. Il a perdu sa petite entreprise suisse à la suite de soucis industriels causés par l’épidémie de Covid. À neuf heures du matin, devant le supermarché où il vient de faire ses courses, il cuit trois steaks. Il partage avec moi ce petit-déjeuner ! Il refuse mes galettes de pomme-de-terre, étant donné qu’il évite les féculents. Il m’indique que cela n’a aucun apport nutritif pour un cycliste au long court. Voilà encore un excellent moment ! Je n’ai pas gardé de lien avec Guillaume, c’est dommage, car nous n’avions pas terminé le partage de nos expériences…
L’équipe des cinq champions me rattrape vers midi. Je suis à l’arrêt en haut d’une montée, j’ai le temps de les voir s’approcher et de les photographier. J’immortalise un gros camion frôlant Juan Carlos. Il me dira l’avoir senti beaucoup trop proche de lui. C’est l’exception qui confirme la règle de la conduite norvégienne. Cela occasionne un instant récréatif. Youn, Ewen, Rafael, Juan Carlos forment un groupe depuis dix jours. Ils viennent d’intégrer Emiel dans leur collectif. Quant à moi je ne m’immisce pas dans une équipe. Je préfère pédaler seule à mon propre rythme. Préserver ma liberté est capital. Je dois avouer aussi qu’ils vont trop vite pour moi.
Les cyclo-voyageurs roulent en principe sur la route côtière qui longe l’Atlantique, du sud au nord de la Norvège. La côte est une véritable dentelle. La route n’en est que plus sinueuse et nous jouons sans cesse à sauter d’une île à l’autre grâce aux ponts, aux ferries et aux tunnels. Les panoramas sont splendides, stupéfiants. En Norvège on s’habitue à voir les montagnes aux sommets enneigés et la mer réunies dans un écrin de verdure.
Aujourd’hui les glaciers se montrent entre les herses des montagnes enneigées plongeant dans la mer. Je circule au niveau du cercle polaire et la route ondule pour épouser totalement le relief. J’ai acquis de meilleures compétences dans les montées. Il fait froid, mais je supporte bien. Je me suis entraînée cet hiver le long du Doubs, sous la pluie et la neige, avec une température avoisinant le zéro degré.
Je m’arrête dans un camping qui est dorénavant réservé aux travailleurs. Il est dépeuplé et le propriétaire accepte de me louer un chalet. Les garçons me téléphonent, ils sont à une vingtaine de kilomètres. On décide de se retrouver le lendemain pour franchir le cercle arctique ensemble.
Une nuit d’insomnie est la bienvenue. Elle me permet d’apprécier le jour permanent. Décidée à rester éveillée, je m’installe sur la petite terrasse de mon chalet. Peu à peu, je me glisse dans le paysage. Et quel paysage !
Il est vingt-deux heures et le ciel est encore bleu, foncé, mais toujours éclairé. La nuit ne semble pas vouloir tomber. Minuit arrive, puis deux heures du matin… Éclairées par un soleil couchant, toutes les couleurs rougeoient. Le moindre arbre, la moindre maison s’imprègne de ce rayonnement particulier. Puis vient le matin. Le gris, le bleu reviennent petit à petit. La lumière a tout inondé d’une clarté spécifique.
Est-ce l’effet d’être au niveau du cercle polaire arctique ?
Levang / Nesna / Haugland – 84 km
Nuit magique
Stéphane, Marion et Gauthier se lèvent dès potron-minet pour prendre un ferry. Ils veulent faire un saut de plusieurs étapes. Il n’en est pas question pour moi ! Je regrette encore mon déplacement en bus qui, à mon insu, m’a fait éviter la ville d’Ålesund totalement reconstruite en 1904 après avoir été détruite par le feu et renommée depuis pour son architecture de style art nouveau. J’ai donc raté ça !
Peu après eux je quitte le camping. Il est temps de prendre le ferry pour passer de l’autre côté du fjord. Je rencontre Guillaume, néerlandais, qui revient du cap Nord. Il a perdu sa petite entreprise suisse à la suite de soucis industriels causés par l’épidémie de Covid. À neuf heures du matin, devant le supermarché où il vient de faire ses courses, il cuit trois steaks. Il partage avec moi ce petit-déjeuner ! Il refuse mes galettes de pomme-de-terre, étant donné qu’il évite les féculents. Il m’indique que cela n’a aucun apport nutritif pour un cycliste au long court. Voilà encore un excellent moment ! Je n’ai pas gardé de lien avec Guillaume, c’est dommage, car nous n’avions pas terminé le partage de nos expériences…
L’équipe des cinq champions me rattrape vers midi. Je suis à l’arrêt en haut d’une montée, j’ai le temps de les voir s’approcher et de les photographier. J’immortalise un gros camion frôlant Juan Carlos. Il me dira l’avoir senti beaucoup trop proche de lui. C’est l’exception qui confirme la règle de la conduite norvégienne. Cela occasionne un instant récréatif. Youn, Ewen, Rafael, Juan Carlos forment un groupe depuis dix jours. Ils viennent d’intégrer Emiel dans leur collectif. Quant à moi je ne m’immisce pas dans une équipe. Je préfère pédaler seule à mon propre rythme. Préserver ma liberté est capital. Je dois avouer aussi qu’ils vont trop vite pour moi.
Les cyclo-voyageurs roulent en principe sur la route côtière qui longe l’Atlantique, du sud au nord de la Norvège. La côte est une véritable dentelle. La route n’en est que plus sinueuse et nous jouons sans cesse à sauter d’une île à l’autre grâce aux ponts, aux ferries et aux tunnels. Les panoramas sont splendides, stupéfiants. En Norvège on s’habitue à voir les montagnes aux sommets enneigés et la mer réunies dans un écrin de verdure.
Aujourd’hui les glaciers se montrent entre les herses des montagnes enneigées plongeant dans la mer. Je circule au niveau du cercle polaire et la route ondule pour épouser totalement le relief. J’ai acquis de meilleures compétences dans les montées. Il fait froid, mais je supporte bien. Je me suis entraînée cet hiver le long du Doubs, sous la pluie et la neige, avec une température avoisinant le zéro degré.
Je m’arrête dans un camping qui est dorénavant réservé aux travailleurs. Il est dépeuplé et le propriétaire accepte de me louer un chalet. Les garçons me téléphonent, ils sont à une vingtaine de kilomètres. On décide de se retrouver le lendemain pour franchir le cercle arctique ensemble.
Une nuit d’insomnie est la bienvenue. Elle me permet d’apprécier le jour permanent. Décidée à rester éveillée, je m’installe sur la petite terrasse de mon chalet. Peu à peu, je me glisse dans le paysage. Et quel paysage !
Il est vingt-deux heures et le ciel est encore bleu, foncé, mais toujours éclairé. La nuit ne semble pas vouloir tomber. Minuit arrive, puis deux heures du matin… Éclairées par un soleil couchant, toutes les couleurs rougeoient. Le moindre arbre, la moindre maison s’imprègne de ce rayonnement particulier. Puis vient le matin. Le gris, le bleu reviennent petit à petit. La lumière a tout inondé d’une clarté spécifique.
Est-ce l’effet d’être au niveau du cercle polaire arctique ?
Mercredi 20 juillet – 67e jour
Haugland / Kilbogham / Jektvika / Ågskardet – 67 km
Cercle polaire arctique
Vite ! Vite ! Vite ! Je dois arriver au ferry à temps. Je pédale bien ce matin, j’avale rapidement mes premiers kilomètres.
Régulièrement quand la route ne trouve plus de place à l’extérieur, elle s’enfonce dans la terre pour un ou plusieurs kilomètres.
Et je n’aime pas les tunnels !
J’ai horreur des tunnels !
Le premier est bien éclairé. Sa construction est récente. À l’entrée j’actionne un bouton poussoir qui met en route les feux clignotants d’un panneau danger, mentionnant « cycliste dans le tunnel ». Les automobilistes sont donc avisés de ma présence. Parfois des gilets jaunes sont mis à notre disposition dans des coffres à l’entrée. Ils doivent être redéposés à la sortie. L’intérieur des tunnels récents est plus rassurant. Ils sont très illuminés. Les voies sont plus larges. Les véhicules nous frôlent moins. Ils restent cependant dangereux pour les cyclistes.
Ma première expérience dans le tunnel de Førde, perchée sur un passage étroit de sable, au sud de la Norvège fut épouvantable. La deuxième, dans un autre genre, fut pitoyable, en effet, ma lampe n’a pas réussi à percer la pénombre. La chaussée étant fortement endommagée, un trou m’a fait perdre le contrôle de ma bicyclette m’envoyant brusquement sur la voie de gauche. Fort heureusement je ne suis pas tombée et aucune voiture ne circulait à ce moment-là. C’est ainsi que d’entrée de jeu, j’ai construit mon aversion profonde des tunnels norvégiens.
À Trondheim j’ai acheté un puissant phare en supplément de mon éclairage. Il occasionnera quelques ricanements de la part de mes camarades de voyage. Paul l’Écossais et Rupert l’Allemand se sont moqués de moi, ils disaient : « Jacqueline a acheté un super laser pour son vélo ! » Au moins je sauve les meubles par un bon éclairage !
Je suis persuadée que jusqu’à la fin de mon voyage, je serai pétrifiée à l’entrée de chacun de ces fichus tunnels. Je ne savais pas encore que de pétrifiée je passerais à terrifiée.
Après ces pensées indésirables, je reviens à ma réalité du moment ; mon déplacement doux à vélo…
Les montagnes me surplombent, enneigées en leur sommet. Une maison au ton caramel posée au bord de la route parachève ce spectacle éblouissant. Elle donne une saveur par cette petite tache de couleur dans cette immensité de tons de vert des montagnes arborées et le fond de ciel paré de dizaines de nuances de gris.
Dès le premier coup d’œil, j’entre tranquillement à l’intérieur du tableau, attirée par la maison au premier plan. Puis elle disparaît… Emportée plus loin, je rencontre les plans intermédiaires. Ils m’absorbent progressivement. Quelle douce sensation même s’il faut appuyer avec force sur les pédales. Les derniers plans au loin, majestueux, existent simplement pour m’entrainer dans d’autres contrées.
C’est ainsi que je contourne le Sørfjorden. D’un côté ou de l’autre, le paysage n’est jamais le même et la luminosité change au gré des nombreux nuages qui vagabondent en cette matinée.
Les garçons arrivent peu après moi à l’embarcadère. La veille ils m’attendaient avec un poisson long de cinquante centimètres, pêché par Emiel. Les rencontres restent fortuites, cela me convient bien.
La traversée en ferry est assez longue. Nous sommes confortablement installés dans l’immense salon pour un excellent petit-déjeuner pour ados avec lait, céréales, Nutella, gâteaux, charcuterie… Youn me photographie sur le pont. J’ai peu de photos de moi, et mes quelques selfies ne sont pas une grande réussite.
On discerne au loin le globe matérialisant le passage du cercle polaire arctique. Nous sommes euphoriques. C’est encore une nouvelle étape. Le Grand Nord prend toute sa signification.
Deux heures après j’enfourche de nouveau ma bicyclette.
Bien à l’abri à l’intérieur d’un tunnel je suis surprise de la violence du vent m’attendant à la sortie. La vue n’en reste pas moins splendide à l’extrémité de ce bras de mer. Tout est en mouvement ; les vagues sur le fjord, l’herbe et les buissons se balançant en une danse effrénée, et moi, cheveux au vent, filmant afin de faire participer mes proches au mouvement et aux bruits magiques orchestrés par le vent.
Mon étape est très diversifiée. Elle est composée de fjords, de montagnes, de côtes à onze pour cent et surtout de glaciers. Le froid m’atteint, je me suis approchée d’eux. Je les vois en partie cachés derrière les montagnes. Ils sont encore là ! L’Arctique s’est réchauffé trois fois plus vite que le reste de la planète. Le territoire du Svalbard, à mi-chemin entre le cap Nord et le pôle Nord et où se trouve la Réserve mondiale de semences dans une chambre forte souterraine est à rude épreuve. Sous l’effet du réchauffement climatique, la fonte du pergélisol a inondé le tunnel menant à la chambre sécurisée. Heureusement sans dommage pour la réserve de graines.
Je rencontre rarement d’enfants norvégiens. Mais avant de reprendre un nouveau ferry, je m’arrête auprès de quelques gamines vendant des gaufres sous un abri de fortune. L’une m’accueille. Une autre cuisine. La troisième s’occupe de la caisse. Exceptionnellement il faut sortir sa monnaie et non sa carte bancaire. Ensemble, elles gèrent bien leur petite activité.
Sur la route, Paul me voit de loin. Il pense « Voilà Jacqueline ! La boule jaune ! » Il redouble d’intensité pour me rattraper, ce qui n’est pas très difficile. Ça lui fait plaisir de me retrouver. Après quelques mots, il me devance.
Et patatras ! J’arrive dix minutes en retard, le dernier ferry de la journée est déjà parti. Les garçons sont dépités de me savoir bloquée de l’autre côté du fjord. Puis tout s’illumine étant donné que Paul arrive. Il s’est arrêté faire quelques courses et cela lui a été fatal ! Nous décidons de passer la nuit dans la petite salle d’attente du ferry. C’est parfait pour nous. Un cyclo-voyageur doit s’adapter, il doit trouver des solutions à toutes les situations.
Le propriétaire d’un petit bateau nous ouvre un autre bâtiment réservé aux sanitaires. Peu après il revient avec plusieurs bouteilles d’eau et une grande barquette de fraises. Il m’a doublée en voiture dans la journée et me félicite, car je suis extrêmement visible sur la route. Je me souviens de l’expression rieuse de Stéphane, « Jacqueline c’est un vrai sapin de Noël illuminé ». En revanche, le monsieur sympathique sermonne Paul d’être tout de noir vêtu et imperceptible sur la route.
C’est à moi cette fois-ci d’être un peu facétieuse avec lui… je prends ma petite revanche !
Haugland / Kilbogham / Jektvika / Ågskardet – 67 km
Cercle polaire arctique
Vite ! Vite ! Vite ! Je dois arriver au ferry à temps. Je pédale bien ce matin, j’avale rapidement mes premiers kilomètres.
Régulièrement quand la route ne trouve plus de place à l’extérieur, elle s’enfonce dans la terre pour un ou plusieurs kilomètres.
Et je n’aime pas les tunnels !
J’ai horreur des tunnels !
Le premier est bien éclairé. Sa construction est récente. À l’entrée j’actionne un bouton poussoir qui met en route les feux clignotants d’un panneau danger, mentionnant « cycliste dans le tunnel ». Les automobilistes sont donc avisés de ma présence. Parfois des gilets jaunes sont mis à notre disposition dans des coffres à l’entrée. Ils doivent être redéposés à la sortie. L’intérieur des tunnels récents est plus rassurant. Ils sont très illuminés. Les voies sont plus larges. Les véhicules nous frôlent moins. Ils restent cependant dangereux pour les cyclistes.
Ma première expérience dans le tunnel de Førde, perchée sur un passage étroit de sable, au sud de la Norvège fut épouvantable. La deuxième, dans un autre genre, fut pitoyable, en effet, ma lampe n’a pas réussi à percer la pénombre. La chaussée étant fortement endommagée, un trou m’a fait perdre le contrôle de ma bicyclette m’envoyant brusquement sur la voie de gauche. Fort heureusement je ne suis pas tombée et aucune voiture ne circulait à ce moment-là. C’est ainsi que d’entrée de jeu, j’ai construit mon aversion profonde des tunnels norvégiens.
À Trondheim j’ai acheté un puissant phare en supplément de mon éclairage. Il occasionnera quelques ricanements de la part de mes camarades de voyage. Paul l’Écossais et Rupert l’Allemand se sont moqués de moi, ils disaient : « Jacqueline a acheté un super laser pour son vélo ! » Au moins je sauve les meubles par un bon éclairage !
Je suis persuadée que jusqu’à la fin de mon voyage, je serai pétrifiée à l’entrée de chacun de ces fichus tunnels. Je ne savais pas encore que de pétrifiée je passerais à terrifiée.
Après ces pensées indésirables, je reviens à ma réalité du moment ; mon déplacement doux à vélo…
Les montagnes me surplombent, enneigées en leur sommet. Une maison au ton caramel posée au bord de la route parachève ce spectacle éblouissant. Elle donne une saveur par cette petite tache de couleur dans cette immensité de tons de vert des montagnes arborées et le fond de ciel paré de dizaines de nuances de gris.
Dès le premier coup d’œil, j’entre tranquillement à l’intérieur du tableau, attirée par la maison au premier plan. Puis elle disparaît… Emportée plus loin, je rencontre les plans intermédiaires. Ils m’absorbent progressivement. Quelle douce sensation même s’il faut appuyer avec force sur les pédales. Les derniers plans au loin, majestueux, existent simplement pour m’entrainer dans d’autres contrées.
C’est ainsi que je contourne le Sørfjorden. D’un côté ou de l’autre, le paysage n’est jamais le même et la luminosité change au gré des nombreux nuages qui vagabondent en cette matinée.
Les garçons arrivent peu après moi à l’embarcadère. La veille ils m’attendaient avec un poisson long de cinquante centimètres, pêché par Emiel. Les rencontres restent fortuites, cela me convient bien.
La traversée en ferry est assez longue. Nous sommes confortablement installés dans l’immense salon pour un excellent petit-déjeuner pour ados avec lait, céréales, Nutella, gâteaux, charcuterie… Youn me photographie sur le pont. J’ai peu de photos de moi, et mes quelques selfies ne sont pas une grande réussite.
On discerne au loin le globe matérialisant le passage du cercle polaire arctique. Nous sommes euphoriques. C’est encore une nouvelle étape. Le Grand Nord prend toute sa signification.
Deux heures après j’enfourche de nouveau ma bicyclette.
Bien à l’abri à l’intérieur d’un tunnel je suis surprise de la violence du vent m’attendant à la sortie. La vue n’en reste pas moins splendide à l’extrémité de ce bras de mer. Tout est en mouvement ; les vagues sur le fjord, l’herbe et les buissons se balançant en une danse effrénée, et moi, cheveux au vent, filmant afin de faire participer mes proches au mouvement et aux bruits magiques orchestrés par le vent.
Mon étape est très diversifiée. Elle est composée de fjords, de montagnes, de côtes à onze pour cent et surtout de glaciers. Le froid m’atteint, je me suis approchée d’eux. Je les vois en partie cachés derrière les montagnes. Ils sont encore là ! L’Arctique s’est réchauffé trois fois plus vite que le reste de la planète. Le territoire du Svalbard, à mi-chemin entre le cap Nord et le pôle Nord et où se trouve la Réserve mondiale de semences dans une chambre forte souterraine est à rude épreuve. Sous l’effet du réchauffement climatique, la fonte du pergélisol a inondé le tunnel menant à la chambre sécurisée. Heureusement sans dommage pour la réserve de graines.
Je rencontre rarement d’enfants norvégiens. Mais avant de reprendre un nouveau ferry, je m’arrête auprès de quelques gamines vendant des gaufres sous un abri de fortune. L’une m’accueille. Une autre cuisine. La troisième s’occupe de la caisse. Exceptionnellement il faut sortir sa monnaie et non sa carte bancaire. Ensemble, elles gèrent bien leur petite activité.
Sur la route, Paul me voit de loin. Il pense « Voilà Jacqueline ! La boule jaune ! » Il redouble d’intensité pour me rattraper, ce qui n’est pas très difficile. Ça lui fait plaisir de me retrouver. Après quelques mots, il me devance.
Et patatras ! J’arrive dix minutes en retard, le dernier ferry de la journée est déjà parti. Les garçons sont dépités de me savoir bloquée de l’autre côté du fjord. Puis tout s’illumine étant donné que Paul arrive. Il s’est arrêté faire quelques courses et cela lui a été fatal ! Nous décidons de passer la nuit dans la petite salle d’attente du ferry. C’est parfait pour nous. Un cyclo-voyageur doit s’adapter, il doit trouver des solutions à toutes les situations.
Le propriétaire d’un petit bateau nous ouvre un autre bâtiment réservé aux sanitaires. Peu après il revient avec plusieurs bouteilles d’eau et une grande barquette de fraises. Il m’a doublée en voiture dans la journée et me félicite, car je suis extrêmement visible sur la route. Je me souviens de l’expression rieuse de Stéphane, « Jacqueline c’est un vrai sapin de Noël illuminé ». En revanche, le monsieur sympathique sermonne Paul d’être tout de noir vêtu et imperceptible sur la route.
C’est à moi cette fois-ci d’être un peu facétieuse avec lui… je prends ma petite revanche !