Une marche à travers l'Europe
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
yacht
travel bike
tekking/hiking
/
When : 2/19/23
Length : 542 days
Length : 542 days
Total distance :
9403km
Height difference :
+217327m /
-214737m
Alti min/max : -1m/3013m
Guidebook created by SamuelK
on 08 Oct 2023
updated on 14 Oct 2024
updated on 14 Oct 2024
Eco travel
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Details :
Pour me rendre au départ : bus Bordeaux > Tarifa.
Traversée d'Europe de Tarifa à Istanbul : 100% à pied !
Chemin retour d'Istanbul à la France : marche, voile, vélo, ferry et train.
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Global view
Guidebook : Serbie : Aleksinac > Belogradchik (updated : 26 Feb 2024)
Section distance :
100km
Height difference for this section :
+1997m /
-1701m
Section Alti min/max : 172m/802m
Description :
10/01/2024 > 14/01/2024
102 km ; D+ 2,4 km ; D- 2,1 km
102 km ; D+ 2,4 km ; D- 2,1 km
Report : Serbie : Aleksinac > Belogradchik (updated : 26 Feb 2024)
Après une vague de froid et une vague de chaud, voilà à nouveau une vague de froid. Même si dormir dehors était possible, j'ai toujours trouvé un endroit où passer la nuit à l'intérieur, souvent par surprise et au dernier moment. Le soleil lui, généreux, persiste en journée. Depuis Aleksinac, je traverse en une journée un petit massif jusqu'à Sokobanja. Je marche toute la journée seul dans la neige. Les arbres sont auréolés d'un blanc étincelant. L'épaisse couche de neige glacée qui les recouvre jusqu'aux plus petites ramifications semble amplifier la lumière du soleil. Chaque arbre est une œuvre. Il n'y aucune trace de pas ou de roues dans la neige, aujourd'hui je suis peut-être le seul à pouvoir les contempler. Évoluer dans une telle forêt est féerique, je me sens une fois de plus privilégié, même si ce lieu situé entre deux villes est simple d'accès. Depuis un sommet dégagé, je vois au loin la grande et vertigineuse forteresse montagneuse qui marque la frontière avec la Bulgarie, c'est ma direction. Il s'agit de l'extrémité est du grand balkan, une importante chaîne de montagnes qui poursuit son chemin jusqu'à la mer noire en Bulgarie. Je prevois de franchir la frontière à un col de faible altitude, puis de marcher une centaine de kilomètres dans le sillon d'une vallée avant de grimper dans le cœur du massif.
Quelques kilomètres après Sokobanja, je repère une grotte sur ma carte qui semble entourée d'infrastructures touristiques, j'espère pouvoir y trouver un abri. À mon arrivée au coucher du soleil, je découvre un lieu aménagé où tout est fermé en hiver. La grotte elle en revanche, aux entrées multiples et qui semblent faites pour des géants, est ouverte. Avec excitation, je pars alors à sa découverte avec ma lampe frontale, explorant toutes les galeries jusqu'à leurs extrémités. La grotte est immense et regorge de galeries. Dans une de celles-ci où je dois me courber pour avancer, j'observe avec fascination des chauves-souris suspendues au plafond par leur minuscules pattes. Un grand tunnel ouvert de part et d'autre accueille le lit d'un ruisseau gelé à l'extérieur, mais ici accessible sous une couche de glace, j'ai donc de l'eau sans avoir à faire fondre de la neige. Malgré ces ouvertures qui rendent à pripri impossible toute isolation, la différence de température avec l'extérieur est stupéfiante : -12°C dehors, +3°C dedans. J'imagine que la stagnation de l'air sous des mètres de roche rend la température stable. Je n'hésite alors pas à dormir à l'intérieur, et cherche avec exigence le meilleur endroit pour passer la soirée et dormir. Voilà un beau bivouac insolite !
Après une grasse matinée dans ma grotte, je repars sur les chemins enneigés, et après une petite journée de marche, au coucher du soleil et alors que je songeais de plus en plus à là où j'allais dormir, je tombe nez à nez avec une vieille cabane en parpaings à moitié abandonnée, avec à l'intérieur un poêle, un lit et une table. Ça ne se refuse pas. Pendant les derniers instants de lumière et malgré l'absence de scie, je parviens avec un peu d'effort et d'astuce à me constituer un stock de bois pour la soirée. Le bonheur : le poêle ne fume pas et fonctionnelle très bien malgré son âge certain et des trous ici et là. Je parviens à chauffer la cabane jusqu'à 5°C pendant qu'il fait -10°C dehors. Bien sûr, sans isolation et avec des ouvertures de partout, la température s'équilibre rapidement avec l'extérieur dès que le feu s'éteint. Mais être abrité du vent et de l'humidité constitue une différence énorme. Le poêle me permet aussi de faire fondre de la neige et de cuisiner. Je trouve un reste de rakija qui doit attendre là depuis des années. Tout est réuni pour passer une bonne soirée. Je sors de temps à temps regarder les étoiles dans le ciel dégagé, avec la satisfaction de pouvoir rentrer me réchauffer auprès du poêle. Je m'amuse à considérer l'improbabilité que quelqu'un traversant l'Europe à pieds s'offre une belle soirée en ce lieu autrement anonyme et invisible. J'aime ce genre de pensées.
Le jour d'après, c'est une longue étape de marche méditative qui se présente à moi, sur une route sans traffic dans des collines enneigées. Ne trouvant pas d'endroit pour m'abriter au coucher du soleil, je décide de ne pas planter le tarp et de continuer de nuit jusqu'au village de Minićevo. Plutôt optimiste, j'espère qu'il s'y passera quelque chose. Malheureusement l'unique bar-restaurant est fermé et les rues sont vides. J'erre un moment et repars rapidement par -5°C, pour quitter le village en direction de la frontière bulgare à 20km d'ici. La chance, aléatoire, ne sourit pas tous les soirs. Je prends alors de l'avance sur ma journée de demain, jusqu'à trouver de nouveau un endroit pour planter mon tarp. Je m'arrête tout de même demander aux quelques personnes que je croise s'ils connaissent un simple endroit où je pourrais m'abriter, ce n'est pas ce qui manque en général. C'est alors qu'une interaction étrange a lieu avec trois personnes, qui cherchent à m'aider mais s'énervent aussi, cherchant catégoriquement à me convaincre de pas franchir la frontière au col visé. Sans que je comprenne très bien, tout est évoqué : la police va m'arrêter et me mettre en prison, je vais me faire manger par des ours, et même... je vais me faire enlever par des talibans ! Celle-là on me l'avait encore jamais faite. C'est bien connu que ce sont les talibans fuient l'Afghanistan. Tout cela est incohérent. Puisqu'ils n'ont aucun abri à m'indiquer, je souhaite simplement mettre fin à la conversation et repartir sur cette route dont l'unique direction est la frontière, mais je les sens déterminés à m'en en empêcher par tous les moyens, pour ma sécurité et même ma survie. Sympathiques, agacés et inquiets - drôle de mélange -, sans que je comprenne le pourquoi du comment, ils m'emmènent chez un couple de retraités qui m'accueillent naturellement pour la soirée et la nuit, comme s'ils m'attendaient. Je me laisse porté par cette vague de changement de soirée qui me dépasse, et me voilà ici au chaud à recevoir un accueil aussi simple que royal. J'apprécie la chaleur du poêle comme cela m'est rarement arrivé. Il en est de même pour une pizza fraîchement sortie du four et un verre de vin. Mes sens sont aiguisés et je savoure pleinement la chaleur, un repas, une douche et un lit, dans ce qu'ils ont de si bons. Nous passons la soirée à parler à l'aide de nos traducteurs, et c'est émus que nous nous quittons le lendemain matin, évidemment après un généreux petit-déjeuner serbe et en emportant un pique-nique dans mon sac-à-dos. Je suis content d'avoir été invité une dernière fois chez des gens avant de passer en Bulgarie.
Mes hôtes m'ont formellement déconseillé - je peux même dire interdit - de passer la frontière au-dessus de Minićevo, si bien que pour pouvoir parler d'autre chose, j'ai du mentir en affirmant que j'irai au poste-frontière officiel qui impliquerait un détour de deux jours de marche sur du goudron. C'est tout de même curieux, je ne trouve aucune information sur internet et j'ai même la trace GPS d'un couple de français qui était aussi passé par là lors d'une traversée d'Europe. Le matin, je me dirige donc à nouveau vers cette fameuse route qui monte au col, en évitant soigneusement de repasser devant la maison des gens rencontrés la veille. Avec un petit suspens de voir ce qu'il y aura à cette frontière, j'y arrive et ne croise absolument personne. À côté d'un vieux bâtiment abandonné de l'époque communiste, un drapeau bulgare flotte dans un col très étendu qui forme une large vallée soufflée par le vent. Ce vaste paysage me surprend et constraste soudainement avec les lentes montées et descentes de part et d'autre. Je me sens comme dans une steppe à l'horizon lointain. Après avoir traversé un mystérieux village quasi-abadonné, je vais à la ville de Belogradchik où sont sont la forteresse et les pierres du même nom.
Me voilà en Bulgarie, avec la petite part d'intimidation et d'étonnement que procure, même à pieds, le passage soudain d'une frontière. L'alphabet cyrillique est presque le même qu'en Serbie et est désormais exclusif, et la langue possède de nombreuses similarités. Je ne repars donc pas totalement de zéro et me rend vite compte d'à quel point mes modestes rudiments de serbo-croate m'étaient utiles et me manquent à présent. Je suis content de ce passage en Serbie, pendant lequel les rencontres ont occupé une place bien plus importante, ce qui manquait d'une certaine manière à ma marche. Avoir traversé la Serbie me permet aussi d'être à présent à Belogradchik, un lieu que j'avais dans mon radar pour ses formations rocheuses, et bientôt dans le balkan central, cette longue chaîne de montage rectiligne qui coupe la Bulgarie en deux et m'attire depuis longtemps.
J'ai marché 410km sur 10km de dénivelé en Serbie. Mon itinéraire est consultable et téléchargeable ici : https://link.locusmap.app/t/i1bkp8