Une marche à travers l'Europe
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
vélo de randonnée
voilier
randonnée/trek
/
Quand : 19/02/2023
Durée : 542 jours
Durée : 542 jours
Distance globale :
9403km
Dénivelées :
+217327m /
-214737m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK
le 08 oct. 2023
modifié le 14 oct. 2024
modifié le 14 oct. 2024
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions :
Pour me rendre au départ : bus Bordeaux > Tarifa.
Traversée d'Europe de Tarifa à Istanbul : 100% à pied !
Chemin retour d'Istanbul à la France : marche, voile, vélo, ferry et train.
Coup de coeur !
3285 lecteur(s)
-
Vue d'ensemble
Le topo : Bulgarie : Sopot > Sliven (Stara Planina) (mise à jour : 15 mars 2024)
Distance section :
209km
Dénivelées section :
+6321m /
-7690m
Section Alti min/max : 271m/2373m
Description :
08/02/2024 > 20/02/2024
212 km ; D+ 8,1 km ; D- 9,5 km
212 km ; D+ 8,1 km ; D- 9,5 km
Le compte-rendu : Bulgarie : Sopot > Sliven (Stara Planina) (mise à jour : 15 mars 2024)
Nous abordons à présent le cœur du massif du balkan central. Nous traversons la partie la plus haute et la plus technique du massif au cours d'une longue et fatiguante journée, où nous marcherons seulement treize petits kilomètres. Nous avançons sur une crête échancrée qui sépare deux flancs raides et enneigés. La roche est souvent découverte sur l'arrête elle-même, qui est aussi entrecoupée de sections neigeuses et verglassées. Notre progression est alors particulièrement lente et surtout délicate, voire franchement casse-gueule. Ce qui compose parfois de courts passages techniques au cours d'une journée en montagne, qui mobilisent toute notre concentration et notre adresse, est aujourd'hui une inlassable constance. Nous nous méprenons plusieurs fois en nous croyant sortis d'affaire en voyant la suite de l'arrête, avant de se rendre à l'évidence que la difficulté continue encore et encore. Il est troublant de voir la distance parcourue augmenter si lentement lorsque je consulte la carte. Heureusement, il fait globalement beau et les vues de part et d'autre sont belles et dégagées, nous nous sommes coordonnés avec la météo pour cette section. Tous ces passages techniques sont à petites doses agréables et même parfois grisants, mais lorsqu'ils sont continus deviennent usants pour le cerveau, fatigué par la concentration et le stress auquel il est soumis. En d'après-midi lorsque la luminosité diminue, nous avons un nouveau beau coucher de soleil, et heureusement nous pouvons marcher les derniers kilomètres sur un flanc de montagne à la pente très douce, entièrement recouvert de neige verglassée. C'est là-dessus que nous finissons de nuit notre étape du jour, marchant une nouvelle fois sur un désert éphémère de glace, profitant du plaisir contrasté de marcher confortablement avec nos crampons sans s'inquiéter de là où nous posons les pieds, absorbés par l'endroit et l'instant. Nous arrivons à un refuge au pieds du pic Botev où, une fois de plus, nous sommes les seuls locataires avec le gardien qui y vit seul en hiver, en dehors des week-ends où il accueille du monde. Je me découvre épuisé physiquement et mentalement par cette journée, davantage que ce que je pensais. Je ne fais pas long feu et tombe rapidement de sommeil.
Le lendemain nous montons au pic Botev, le plus haut sommet du balkan central à 2376m. Le sommet a été renommé ainsi en 1950 en hommage à Khristo Botev, poète et révolutionnaire né près d'ici, qui a mené des troupes contre l'occupant ottoman au 19ème siècle, et est aujourd'hui un héros national dont le portrait et le nom sont répandus. Alors que la difficulté technique de cette marche sur le grand balkan augmentait progressivement depuis deux semaines, à partir d'ici elle s'affaisse considérablement pour laisser la place à des pistes et des chemins plus ou moins enneigés. Cela nous est étrange de considérer que c'est déjà fini, non pas la marche mais l'aspect expédition, la rencontre avec des conditions un peu extrêmes, les passages délicats, l'utilisation des raquettes et des crampons, le quotidien dans cet environnement. C'était un peu court, bien que notre marche hivernale en montagne continue.
Après une nouvelle semaine de marche, nous descendons nous ravitailler au village de Shipka, autour duquel se situe plusieurs monuments historiques. Au col de Shipka au-dessus, un mémorial a été érigé pour honorer la bataille décisive lors de la guerre russo-turque de 1877-1878, où les insurgés bulgares aidés par les forces de l'empire russe vainquirent l'empire ottoman, ce qui aboutira à l'indépendance de la Bulgarie. Un grand monastère orthodoxe de style russe a également été édifié dans le village de Shipka en mémoire de cette bataille et de cette victoire, qui visiblement résonnent toujours aujourd'hui. À quelques kilomètres du mémorial de Shipka, se dresse l'immense ancien centre des congrès du parti communiste bulgare : le Bouzloudja, du nom du sommet sur lequel le bâtiment a été construit à 1441m d'altitude. Il s'agit une structure en béton colossale en forme de soucoupe volante, juxtaposée à une tour de 70m de hauteur, en haut de laquelle figuraient deux étoiles communistes en verre grandes de 12m. La construction de cet édifice a mobilisé 6000 travailleurs pendant 7 ans, pour être inauguré en 1981, et être abandonné 8 ans plus tard en 1989 à la chute du régime communiste... Le dôme était recouvert de 30 tonnes de cuivre, et l'intérieur décoré par une immense mosaïque à l'effigie de Marx, Engels et Lénine. Le bâtiment se détériore progressivement depuis son abandon. Apparemment des projets de restauration ont du mal à voir le jour faute d'accords politiques. Je rêvais de passer un bivouac insolite dans ce lieu insolite, mais le bâtiment auparavant libre d'accès est maintenant fermé depuis quelques années, avec caméras et un policier d'astreinte. Par ailleurs nous sommes plongés dans un white-out glacial lors de notre passage, qui nous masque le bâtiment et nous empêche de rester sur place dans ces conditions. Tant pis pour le fameux Bouzloudja.
Depuis Shipka nous repartons avec 6 jours de nourriture pour notre quatrième et dernière semaine de marche dans la "Stara Planina". Nous marchons principalement en forêt, sans difficultés, de belles forêts, souvent dans le brouillard, avec la neige qui fond et découvre le sol sur lequel apparaît une végétation qui a été tassée par le poids de cette même neige. Ce n'était pas calculé, notre dernier bivouac ensemble coïncidence avec mon anniversaire : cela fait exactement un an que je suis parti de Tarifa et que je marche à travers l'Europe. Le hasard des symboles a été avec moi sur ce coup-là. Le lendemain nous descendons à la ville de Sliven d'où William repartira en train et bus pour rentrer en France. Après cette dernière semaine de marche où nous avons davantage dormi dehors et où nous nous sommes un peu rationnés sur la fin, nous marquons la fin de notre aventure ensemble dans le confort urbain hotel-bar-restaurant, un vrai régal pour une soirée. En descendant des montagnes, le printemps semblait montrer le bout de son nez par quelques fleurs qui percent la végétation morte fraîchement dénudée de la neige hivernale, ou par quelques bourgeons qui débourrent et montrent leurs premières feuilles tendres. Serait-ce déjà la fin de l'hiver ? Une chose est sûre et troublante, c'est la fin des montagnes bulgares, de cette "Stara Planina" sur laquelle nous avons pris l'habitude de marcher vers l'est, dans la solitude et la relation à deux, dans la grandeur et la paisibilité des montagnes, des forêts, de paysages froids et enneigés. Je voudrais m'accrocher à cet environnement et y marcher avec un horizon encore loin, mais à présent ma route me mène au sud, à travers les plaines vers la frontière turque qui n'est qu'à une centaine de kilomètres.