Une marche à travers l'Europe
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
voilier
vélo de randonnée
randonnée/trek
/
Quand : 19/02/2023
Durée : 542 jours
Durée : 542 jours
Distance globale :
9403km
Dénivelées :
+217327m /
-214737m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK
le 08 oct. 2023
modifié le 14 oct. 2024
modifié le 14 oct. 2024
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions :
Pour me rendre au départ : bus Bordeaux > Tarifa.
Traversée d'Europe de Tarifa à Istanbul : 100% à pied !
Chemin retour d'Istanbul à la France : marche, voile, vélo, ferry et train.
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Vue d'ensemble
Le topo : France à vélo : Bagnères-de-Bigorre > Villegouge
(mise à jour : 14 oct. 2024)
Distance section :
286km
Dénivelées section :
+4264m /
-4996m
Section Alti min/max : 4m/3002m
Description :
06/07/2024 > 13/08/2024
À pied : 43 km ; D+ 3900 m ; D- 4200 m
À vélo : 247 km ; D+ 1400 m ; D- 1900 m
À pied : 43 km ; D+ 3900 m ; D- 4200 m
À vélo : 247 km ; D+ 1400 m ; D- 1900 m
Le compte-rendu : France à vélo : Bagnères-de-Bigorre > Villegouge
(mise à jour : 14 oct. 2024)
Au sein de la dernière section de mon itinérance et avant de rejoindre ma ligne d’arrivée symbolique en Gironde, je m’accorde une excursion bonus dans les Pyrénées. Après quelques jours de repos à Bagnères-de-Bigorre, nous partons à trois pour quatre jours de marche au-dessus de Bagnères-de-Luchon. Michel, 68 ans et montagnard ; Victor, 27 ans, sportif et novice de la marche ; et moi qui reviens d’une traversée d’Europe à pied mais avec l’envie de faire maintenant moins de sport. Nous formons un trio atypique et amusant. Nous bénéficions globalement d’une belle météo qui nous offre des vues quotidiennes sur les mers de nuages. Je nous ai prévu un itinéraire tranquille avec tout de même un sommet à 3000m pour la technique. Ce fameux pic des Crabioules nous fera vivre une vive épopée. Après cinq heures d’ascension dans les pierriers parfois délicats, à seulement deux cents mètres du sommet, nous sommes bloqués et obligés de faire demi-tour. Il est 18h et nous devons tout redescendre jusqu’à trouver un endroit propice au bivouac. Sur la crête saillante entre la France et l’Espagne, je m’octroie néanmoins le temps de contempler le contrebas espagnol sous le col du Litérole, là où j’avais failli perdre la vie par hypothermie dans une tempête il y a deux ans. Aujourd’hui la météo est idéale, et si les roches sont toujours les mêmes, le lieu a lui un tout autre caractère. Ce coin des Pyrénées réserve décidément son lot de mésaventures. Nous effectuons la descente sans encombres et installons le bivouac la nuit tombée, extenués mais heureux et amusés par cette péripétie. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait d’une voie d’alpinisme marquée par erreur sur la carte. Avec cette ascension aller-retour et le détour occasionné pour la suite de l’itinéraire, le séjour tranquille se transforme en séjour sportif. Heureusement que cela convient à chacun et n’altère en rien l’ambiance joyeuse et conviviale. Je suis admiratif de la capacité physique et mentale de mes coéquipiers retraité et débutant, et ai de la chance d’avoir partagé ce bout d’aventure et cette passion avec eux.
Avant de repartir marcher ces quelques jours ensemble, je ressentais une relation ambiguë avec la montagne. La montagne est habituellement un univers qui m’attire constamment, où je rêve sans relâche d’aller marcher, bivouaquer. Jamais je ne me suis lassé des montagnes. Et pourtant, j’éprouvais un certain manque d’entrain étonnant à la veille de ce séjour, comme une lassitude de quelque chose dont je ne pourrais me lasser. J’ai finalement vite été emballé de retrouver les hauteurs et la beauté des Pyrénées, de reprendre mon sac-à-dos et le temps de quatre jours, le rythme de la marche qui a été le mien pendant plus d’un an. Si je ressens certes une sorte de lassitude à marcher seul au long court et ai maintenant davantage envie de vivre autre chose, je ressens plus une habituation, qui est certes parfois troublante mais laisse bien vivant mon amour pour la montagne. J’ai traversé l’Europe à pied selon un itinéraire qui privilégiait les massifs montagneux. J’ai traversé le système central en Espagne, des massifs de faible altitude dans le sud-est de la France, le grand arc alpin de la France à la Slovénie, les Alpes juliennes et les Alpes dinariques en Slovénie, Croatie et Bosnie-Herzégovine, la chaîne du grand balkan en Bulgarie en plein hiver, ainsi que les massifs du mont Olympe et de l’Épire en Grèce. Chaque massif a sa géologie, son individualité, son âme, décuplés par la saison et la météo à l’instant où mes pas et mon regard visitent les lieux. J’ai découvert avec émotion des massifs inconnus et désirés, qui m’ont offert des paysages et des atmosphères exotiques et insoupçonnés. Je suis heureux de ces explorations pédestres et de m’être immergé, le temps de les traverser à pied, dans chacune de ces montagnes qui m’ont accueilli et à qui je porte contemplation et reconnaissance. Lors des derniers jours de marche dans l’Épire grec, évoluer dans ces paysages nus me donnait envie, par pure comparaison, de retourner marcher dans les Pyrénées que je chérie pour leur beauté intarissable. De retour dans cette chaîne presque natale, je suis conquis par l’architecture des montagnes, la hauteur des sommets, le relief des vallées, la beauté quotidienne de chaque nouvelle vue que nous découvrons avec admiration au fil de notre lente évolution dans cette immensité. Il s’agit bien d’un paradis sur terre, qui offre avec une générosité aveugle et totale une infinité fascinante d’émotions et d’aventures alpines. Il est ici possible de parcourir la chaîne dans sa longueur selon une myriade d’itinéraires, d’évoluer ainsi continuellement dans la magie des hauteurs, en changeant soudainement d’histoire géologique au passage d’un col, en traversant dans la même journée forêts, lacs et pierriers, tout en jouant avec la frontière entre deux pays, sillonnant les différentes régions qui composent cette forteresse. Finalement comme à mon habitude, je suis pris d'une tristesse reconnaissante et nostalgique lorsque nous redescendons de ces montagnes célestes pour rejoindre d’autres réalités, et je rêve alors déjà d’y retourner.
De retour à Bagnères-de-Bigorre, je me repose à nouveau le temps de laisser passer le pic d’une canicule, avant de repartir en vélo pour une ultime section vers ma destination finale. Je prévois de parcourir en deux jours les 300 km et 1500 m de dénivelé restants jusqu’à chez mes grands-parents. Je m’élance dans deux journées sportives pour traverser les Hautes-Pyrénées, le Gers, le Lot-et-Garonne et la Gironde. À la vitesse folle du vélo, je vois en une journée se transformer plusieurs fois le paysage, le type d’agriculture, l’architecture des bâtiments et les suffixes des noms des villages, car je traverse d’un trait rapide la diversité de ces départements. Malheureusement à la fin de la première étape de 160 km, ma tendinite au genoux se réveille et je peine à pédaler les derniers kilomètres jusqu’à trouver un spot de bivouac. Le lendemain la douleur est toujours là, je me résigne donc à m’avancer de 50 km en train. Puis la tendinite s’éteint mystérieusement dans la même journée, et c’est avec une énergie increvable que je parcours les 60 derniers kilomètres jusqu’à Villegouge, le village dans le vignoble bordelais où habitent mes grands-parents. La veille au matin encore au pied des Pyrénées, je suis maintenant dans les vignes après être passé comme un éclair dans des environnements contrastés. Je reconnais ressentir un mélange de stress et d’excitation à l’approche de mon arrivée, comme s’il y avait un enjeu auquel je n’étais pas prêt. Je suis à présent dans un lieu familier qui semble m’avoir vu hier. Je retrouve mes grands-parents qui attendaient sagement mon arrivée. Nous nous retrouvons avec émoi et naturel. L’extraordinaire se mêle à l’ordinaire. Rien n’a changé, un peu de temps a passé, le reste se manifestera petit à petit. Le voyage est symboliquement fini. Mes ami·es et ma famille arriveront d’ici quelques jours pour marquer le coup ou simplement pour se retrouver. Je termine un long voyage, à la fois immense et invisible, pour les autres comme pour moi-même. La ligne continue tracée sur l’Europe est abstraite et impalpable. Il s’agit d’une longue marche, de plusieurs centaines de jours de marche, à la fois répétitifs et tous uniques. Il s’agit de pays, de montagnes, de forêts, de campagnes, de lacs et de rivières, d’une quasi-infinité d’espaces et d'environnements. Il s’agit de centaines de nuits sous mon tarp, et beaucoup d’autres chez les gens, à la belle étoile, dans des cabanes, des abris de fortune, des grottes, des mosquées et des églises. Il s’agit de rencontres de tout bord, de discussions, de joie de rendre visite et de recevoir de la visite, de générosité, de surprises, de colères, de réflexions et de pensées qui ont le temps de se déployer au rythme de la marche. Tout cela est grand et invisible à la fois. Il s’agit d’un vécu, d’une expérience, d’un rêve, à présent de souvenirs et peut-être de changements, petits ou grands, qui ne sont pas manifestes comme l’on pourrait s’y attendre au retour d’une telle aventure, mais discrets et à cerner avec le temps.
Ma destination et mon objectif atteints, le cadre de l’itinérance qui a constitué mon quotidien et même une période de vie, s’efface à présent au profit d’une autre à construire. Je n’ai plus d’horizon lointain à atteindre à pied, qui procurait un cap et un sens à la marche. J’ai toujours du temps à ma disposition, et je compte prendre soin de cette ressource pour la suite quelle qu’elle soit. Je reviens avec des envies et des projets éparses en tête. Pour l’heure je souhaite vivre autre chose, tout en sachant que l’envie d’un long voyage itinérant reviendra avec le temps. Ce voyage sitôt terminé, il semble se dissiper dans ma mémoire. Et parfois, des souvenirs remontent subitement à la surface de mes pensées et me replongent dans un jour précis de ma marche, dans la sensation d’un instant où j'étais pleinement dans mon voyage, exactement là où j’étais. Une poésie savoureuse rejaillit alors, qui remplit mon corps d’une force et d’une confiance apaisées. Je sais alors que d’autre rêves naitrons des cartes et de l’imaginaire. Je me vois déjà parcourir d’autres longs itinéraires et traverser d’autres régions du monde, à la force de mes jambes et de mon être, dans la beauté et l’accueil du monde.
Avant de repartir marcher ces quelques jours ensemble, je ressentais une relation ambiguë avec la montagne. La montagne est habituellement un univers qui m’attire constamment, où je rêve sans relâche d’aller marcher, bivouaquer. Jamais je ne me suis lassé des montagnes. Et pourtant, j’éprouvais un certain manque d’entrain étonnant à la veille de ce séjour, comme une lassitude de quelque chose dont je ne pourrais me lasser. J’ai finalement vite été emballé de retrouver les hauteurs et la beauté des Pyrénées, de reprendre mon sac-à-dos et le temps de quatre jours, le rythme de la marche qui a été le mien pendant plus d’un an. Si je ressens certes une sorte de lassitude à marcher seul au long court et ai maintenant davantage envie de vivre autre chose, je ressens plus une habituation, qui est certes parfois troublante mais laisse bien vivant mon amour pour la montagne. J’ai traversé l’Europe à pied selon un itinéraire qui privilégiait les massifs montagneux. J’ai traversé le système central en Espagne, des massifs de faible altitude dans le sud-est de la France, le grand arc alpin de la France à la Slovénie, les Alpes juliennes et les Alpes dinariques en Slovénie, Croatie et Bosnie-Herzégovine, la chaîne du grand balkan en Bulgarie en plein hiver, ainsi que les massifs du mont Olympe et de l’Épire en Grèce. Chaque massif a sa géologie, son individualité, son âme, décuplés par la saison et la météo à l’instant où mes pas et mon regard visitent les lieux. J’ai découvert avec émotion des massifs inconnus et désirés, qui m’ont offert des paysages et des atmosphères exotiques et insoupçonnés. Je suis heureux de ces explorations pédestres et de m’être immergé, le temps de les traverser à pied, dans chacune de ces montagnes qui m’ont accueilli et à qui je porte contemplation et reconnaissance. Lors des derniers jours de marche dans l’Épire grec, évoluer dans ces paysages nus me donnait envie, par pure comparaison, de retourner marcher dans les Pyrénées que je chérie pour leur beauté intarissable. De retour dans cette chaîne presque natale, je suis conquis par l’architecture des montagnes, la hauteur des sommets, le relief des vallées, la beauté quotidienne de chaque nouvelle vue que nous découvrons avec admiration au fil de notre lente évolution dans cette immensité. Il s’agit bien d’un paradis sur terre, qui offre avec une générosité aveugle et totale une infinité fascinante d’émotions et d’aventures alpines. Il est ici possible de parcourir la chaîne dans sa longueur selon une myriade d’itinéraires, d’évoluer ainsi continuellement dans la magie des hauteurs, en changeant soudainement d’histoire géologique au passage d’un col, en traversant dans la même journée forêts, lacs et pierriers, tout en jouant avec la frontière entre deux pays, sillonnant les différentes régions qui composent cette forteresse. Finalement comme à mon habitude, je suis pris d'une tristesse reconnaissante et nostalgique lorsque nous redescendons de ces montagnes célestes pour rejoindre d’autres réalités, et je rêve alors déjà d’y retourner.
De retour à Bagnères-de-Bigorre, je me repose à nouveau le temps de laisser passer le pic d’une canicule, avant de repartir en vélo pour une ultime section vers ma destination finale. Je prévois de parcourir en deux jours les 300 km et 1500 m de dénivelé restants jusqu’à chez mes grands-parents. Je m’élance dans deux journées sportives pour traverser les Hautes-Pyrénées, le Gers, le Lot-et-Garonne et la Gironde. À la vitesse folle du vélo, je vois en une journée se transformer plusieurs fois le paysage, le type d’agriculture, l’architecture des bâtiments et les suffixes des noms des villages, car je traverse d’un trait rapide la diversité de ces départements. Malheureusement à la fin de la première étape de 160 km, ma tendinite au genoux se réveille et je peine à pédaler les derniers kilomètres jusqu’à trouver un spot de bivouac. Le lendemain la douleur est toujours là, je me résigne donc à m’avancer de 50 km en train. Puis la tendinite s’éteint mystérieusement dans la même journée, et c’est avec une énergie increvable que je parcours les 60 derniers kilomètres jusqu’à Villegouge, le village dans le vignoble bordelais où habitent mes grands-parents. La veille au matin encore au pied des Pyrénées, je suis maintenant dans les vignes après être passé comme un éclair dans des environnements contrastés. Je reconnais ressentir un mélange de stress et d’excitation à l’approche de mon arrivée, comme s’il y avait un enjeu auquel je n’étais pas prêt. Je suis à présent dans un lieu familier qui semble m’avoir vu hier. Je retrouve mes grands-parents qui attendaient sagement mon arrivée. Nous nous retrouvons avec émoi et naturel. L’extraordinaire se mêle à l’ordinaire. Rien n’a changé, un peu de temps a passé, le reste se manifestera petit à petit. Le voyage est symboliquement fini. Mes ami·es et ma famille arriveront d’ici quelques jours pour marquer le coup ou simplement pour se retrouver. Je termine un long voyage, à la fois immense et invisible, pour les autres comme pour moi-même. La ligne continue tracée sur l’Europe est abstraite et impalpable. Il s’agit d’une longue marche, de plusieurs centaines de jours de marche, à la fois répétitifs et tous uniques. Il s’agit de pays, de montagnes, de forêts, de campagnes, de lacs et de rivières, d’une quasi-infinité d’espaces et d'environnements. Il s’agit de centaines de nuits sous mon tarp, et beaucoup d’autres chez les gens, à la belle étoile, dans des cabanes, des abris de fortune, des grottes, des mosquées et des églises. Il s’agit de rencontres de tout bord, de discussions, de joie de rendre visite et de recevoir de la visite, de générosité, de surprises, de colères, de réflexions et de pensées qui ont le temps de se déployer au rythme de la marche. Tout cela est grand et invisible à la fois. Il s’agit d’un vécu, d’une expérience, d’un rêve, à présent de souvenirs et peut-être de changements, petits ou grands, qui ne sont pas manifestes comme l’on pourrait s’y attendre au retour d’une telle aventure, mais discrets et à cerner avec le temps.
Ma destination et mon objectif atteints, le cadre de l’itinérance qui a constitué mon quotidien et même une période de vie, s’efface à présent au profit d’une autre à construire. Je n’ai plus d’horizon lointain à atteindre à pied, qui procurait un cap et un sens à la marche. J’ai toujours du temps à ma disposition, et je compte prendre soin de cette ressource pour la suite quelle qu’elle soit. Je reviens avec des envies et des projets éparses en tête. Pour l’heure je souhaite vivre autre chose, tout en sachant que l’envie d’un long voyage itinérant reviendra avec le temps. Ce voyage sitôt terminé, il semble se dissiper dans ma mémoire. Et parfois, des souvenirs remontent subitement à la surface de mes pensées et me replongent dans un jour précis de ma marche, dans la sensation d’un instant où j'étais pleinement dans mon voyage, exactement là où j’étais. Une poésie savoureuse rejaillit alors, qui remplit mon corps d’une force et d’une confiance apaisées. Je sais alors que d’autre rêves naitrons des cartes et de l’imaginaire. Je me vois déjà parcourir d’autres longs itinéraires et traverser d’autres régions du monde, à la force de mes jambes et de mon être, dans la beauté et l’accueil du monde.