Une marche à travers l'Europe
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
voilier
vélo de randonnée
randonnée/trek
/
Quand : 19/02/2023
Durée : 542 jours
Durée : 542 jours
Distance globale :
9403km
Dénivelées :
+217327m /
-214737m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK
le 08 oct. 2023
modifié le 14 oct. 2024
modifié le 14 oct. 2024
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions :
Pour me rendre au départ : bus Bordeaux > Tarifa.
Traversée d'Europe de Tarifa à Istanbul : 100% à pied !
Chemin retour d'Istanbul à la France : marche, voile, vélo, ferry et train.
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Vue d'ensemble
Le topo : Bulgarie : Belogradchik > Lakatnik (mise à jour : 27 févr. 2024)
Distance section :
138km
Dénivelées section :
+1699m /
-1832m
Section Alti min/max : 216m/848m
Description :
16/01/2024 > 22/01/2024
139 km ; D+ 2,4 km ; D- 2,5 km
139 km ; D+ 2,4 km ; D- 2,5 km
Le compte-rendu : Bulgarie : Belogradchik > Lakatnik (mise à jour : 27 févr. 2024)
Belogradchik est un lieu unique qui abrite une forteresse et des pierres du même nom. Construite sous l'empire romain, la forteresse tire avantage des formations rocheuses pour sa protection. Ces colonnes de grès aux tailles et formes variées parsèment et structurent un paysage étonnant que je prends le temps de découvrir. Chaque nouvelle vue est une surprise, et progresser librement à pieds dans cet endroit me procure à la fois une excitation et une sérénité. Ce lieu fabuleux, presque surnaturel, semble avoir été sculpté par une main divine et a naturellement fait l'objet de croyances. Sans me forcer mais de façon automatique, je vois des visages charismatiques et amusants dans presque chacune de ces pierres. Je marche lentement, m'arrêtant souvent, au rythme tranquille du soleil qui décide du temps que j'ai à ma disposition pour arriver au bivouac avant la nuit. Une nouvelle fois, j'ai repéré une grotte où je compte passer un beau bivouac. C'est chose réussie : je découvre une grotte à deux étages avec une grande ouverture, où je passe la soirée en profitant d'un feu et d'une vue sur les pierres éclairées par la lune. J'entends de nombreuses chauves-souris que je mets du temps à voir. Celles-ci ne se suspendent pas la tête en bas, mais logent serrées les unes contre les autres dans les fentes des parois de la grotte. Elles ont ici un bel abri. Nous passons la soirée ensemble, leurs cris aigus résonant dans la grotte jusqu'au matin.
Après en avoir bien profité, je dois bien me résoudre à quitter Belogradchik et continuer ma route. L'enneigement et la discontinuité des sentiers sur les crêtes ne me permet pas encore de monter sur les hauteurs du grand balkan. Comme je viens juste d'entrer en Bulgarie, ce n'est pas plus mal de marcher d'abord une semaine à travers les campagnes et les villages. Je marche ainsi cinq jours sur des longues routes goudronnées. Mis à part les quelques passages sur des gros axes routiers, c'est plutôt agréable, parfois un peu long. Beaucoup des villages que je traverse sont en grande partie vidés de leurs habitants, et beaucoup de maisons tombent en ruine. Il n'est pas rare que je n'y croise personne. Dans un village où je m'arrête prendre un café, un policier de Frontex vient à ma rencontre, me demande mes papiers, et se permet de me poser d'inlassables questions sur ce que je fais, d'où je viens, où je vais, etc. La courte scène qui suit m'a amusé :
Le flic, d'un ton autoritaire : "Tu viens avec moi au poste, on va vérifier tout ça."
La personne avec qui je discutais : "Attendez, il a commandé une pizza."
Le flic : "Bon d'accord... on attend ta pizza et puis tu viens avec moi."
Il m'emmène donc au poste Frontex, seul bâtiment moderne du village, et j'ai le temps de manger ma pizza dehors en attendant qu'il vérifie mes papiers. Je crains que le fait de ne pas être passé par un poste-frontière officiel m'apporte des ennuis. Non, il revient en me disant que tout est en règle. Bien sûr, j'ai aussi eu le droit au classique "Olala vous aussi en France vous avez de gros problèmes avec les migrants, ils sont dangereux".
Au bout de ces cinq jours de marche, j'arrive sur les hauteurs des falaises de Lakatnik. J'y découvre une vallée étroite qui sillonne entre les montagnes, au fond de laquelle circule un ruisseau et un chemin de fer. Sans regarder la carte, il m'aurait été impossible d'imaginer arriver en haut d'une telle vue où les gorges et les falaises succèdent sans prévenir à une campagne plus commune. J'assiste au coucher du soleil depuis le haut des falaises qui plogent dans le village de Lakatnik. Je descends ensuite à une nouvelle grotte située en plein milieu d'une de ces falaises, pour un nouveau bivouac de luxe. Après les cabanes, je me suis découvert une nouvelle passion : dormir dans des grottes. Elles aussi sont toutes uniques et propices à vivre de belles soirées, riches et inspirantes pour les pensées. Je me fais un petit feu à l'entrée de la grotte, tout en regardant les étoiles, les lumières du village en contrebas, et le train éclairé qui passe à intervalles réguliers. Je me lance ensuite dans une exploration de la grotte tel un spéléologue amateur. Une unique galerie s'enfonce profondément sous terre. Je la suis avec ma lampe frontale allumée au maximum, observant les formes calcaires, cherchant les meilleurs passages, pensant souvent être arrivé au bout avant de voir que la galerie continue encore. Peu avant la fin en cul-de-sac, j'entends puis découvre des centaines de chauves-souris accrochées sur le plafond, très serrées les unes contre les autres, formant une large tâche noire vivante. Certaines s'envolent et reviennent s'accrocher avec leurs consœurs. Voilà qui est captivant et mystérieux. Je suis même un peu intimidé en passant dessous pour poursuivre mon exploration. Après ce long aller-retour, je reviens dans le hall principal de la grotte où je m'installe pour dormir.
Durant cette section, j'ai ainsi dormi deux nuits dans des grottes, une nuit chez des gens qui m'ont invité, et cinq nuits en hôtel. Toutes ces nuits en hôtel étaient loin d'être nécessaires. J'y ai à chaque fois fini car cela était possible et que je n'avais pas trouvé d'autres endroit particulièrement bien. Toutefois, bien que profitant du confort, je crois que j'aurais préféré bivouaquer malgré le froid et une certaine monotonie de la région, car c'est ce que je souhaite vivre. Le bivouac offre toujours une atmosphère propice au sentiment d'aventure et de liberté, à une satisfaction, à une expérience et à des pensées constructives. N'importe quel lieu en apparence peut-être sans intérêt peut être apprivoisé et adopté pour un bivouac, un chez soi où l'on est l'humble locataire le temps d'une soirée, et où l'intérêt et le beau, toujours quelque part, finissent par se révéler. Je me suis retrouvé à chaque fois face au paradoxe de dormir dehors alors qu'il y a toujours un hôtel à quelques kilomètres, ou de payer une nuit d'hôtel alors que je n'en ai pas besoin. De façon récurrente à l'hôtel, et notamment lorsque je n'ai pas besoin d'un check-up corporel et matériel, je sens s'éteindre ma créativité dans mes émotions, mon écriture ou mes pensées, pour m'embourber dans une non-action stérile. Rien de grave. Cela me fait simplement considérer une fois de plus l'idée de volontairement me mettre dans des contextes qui m'obligent à vivre ce qui m'attire, à me confronter à ce que je crois fertile. Choisir de ne plus avoir le choix en faisant le premier pas, puis devoir m'adapter, aller vers les gens, trouver des ressources physiques, mentales ou sociales en moi. Pour plein d'aspects de la vie où notre volonté ne suffit pas en premier lieu, je crois en ce concept de choisir délibérément de se placer dans un contexte, un environnement, qui nous oblige ou nous contraint. Ici par exemple, je préférais ne pas avoir d'autre possibilité que de bivouaquer.
À Lakatnik, j'attends l'arrivée de mon ami William qui vient de France en train et bus, pour marcher ensemble un mois dans le balkan central, cette chaîne de montages qui coupe le pays en deux en allant de la frontière serbe jusqu'à la mer noire. Marcher autant que possible sur la crête de ce massif s'annonce être la partie la plus technique de cette traversée d'Europe, avec certainement des moments mémorables et des paysages grandioses à la clé.