Une marche à travers l'Europe
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
travel bike
yacht
tekking/hiking
/
When : 2/19/23
Length : 542 days
Length : 542 days
Total distance :
9403km
Height difference :
+217327m /
-214737m
Alti min/max : -1m/3013m
Guidebook created by SamuelK
on 08 Oct 2023
updated on 14 Oct
updated on 14 Oct
Eco travel
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Details :
Pour me rendre au départ : bus Bordeaux > Tarifa.
Traversée d'Europe de Tarifa à Istanbul : 100% à pied !
Chemin retour d'Istanbul à la France : marche, voile, vélo, ferry et train.
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Global view
Guidebook : Bosnie-Herzégovine : Sarajevo (updated : 23 Jan)
Description :
02/12/2023 > 16/12/2023
Report : Bosnie-Herzégovine : Sarajevo (updated : 23 Jan)
La première différence marquante en entrant en Bosnie, à la fois en parcourant la carte et en marchant dans le pays, est la présence de nombreuses mosquées, jusque dans les petits hammeaux qui ont généralement leur petite mosquée repérable de loin par leur minaret. Un peu à l'image de l'ex-Yougoslavie, la population de Bosnie-Herzégovine est composée de trois peuples principaux : les bosniaques musulmans, les serbes orthodoxes, et les croates catholiques, qui représentent respectivement 53%, 31% et 15% de la population. Toutes et tous sont appelé•es bosnien•nes et parlent la même langue. Aujourd'hui, environ la moitié de la population de 3,8 millions de personnes vivent et travaillent à l'étranger. Le pays est constitué deux régions géographiques aux frontières floues : l'Herzégovine dans la pointe sud du pays, et la Bosnie. Surtout, le pays se compose de trois entités administratives : la fédération de Bosnie-Herzégovine peuplée majoritairement de bosniaques (73%) et de croates (22%), la Republika Srpska - ou République serbe de Bosnie - peuplée majoritairement de serbes (82%), et le petit district de Brčko. Trois présidents représentatifs des trois peuples sont élus simultanément et occupent une présidence tournante pendant 4 ans. Cela explique en partie, d'après ce qu'on m'a dit et ce que j'ai lu, de paire avec la corruption et le nationalisme, la lente avancée politique du pays.
Ces frontières actuelles et ce système de gouvernance ont été établis par les accords de Dayton en 1995, qui ont marqué la fin de la guerre de Bosnie-Herzégovine, suite à levée de l'embargo des États-Unis sur la vente d'armes en Yougoslavie qui a permis aux forces croates et bosniaques de s'allier et de repousser les forces serbes, puis à l'intervention de l'OTAN qui a bombardé les positions serbes. Le président serbe de Yougoslavie Milošević - principal leader politique à l'origine des guerres de Yougoslavie - et le président croate Tuđman avaient auparavant passé un accord pour se partager la Bosnie-Herzégovine suite à la déclaration d'indépendance de celle-ci. Ces guerres opérées par purifications ethniques au nom de nationalismes exacerbés ont conduit en quelques années à plusieurs centaines de milliers de morts, dont la moitié de civils, et plusieurs millions de déplacés. Les accords de Dayton ont figé les frontières et la guerre a modifié les répartitions ethniques par rapport à la période avant-guerre. La plupart des villes sont majoritairement peuplées par un des trois peuples principaux, quelques-unes n'ont pas de majorité. En fédération de Bosnie-Herzégovine, presque toutes ont en tout cas au moins une mosquée, une église orthodoxe et une église catholique. On peut ainsi parfois entendre simultanément l'appel à la prière des mosquées et les cloches des églises résonner ensemble.
La cohabitation de ces trois peuples et religions apporte un regard sain et intelligent sur ce qu'est réellement la laïcité, loin de ce qui est agité en France de façon aussi stupide que raciste. Cela me fait du bien, me rend à la fois enthousiaste et optimiste pour le pays, mais également l'inverse lorsque j'entends les discours haineux et nationalistes sortir de la bouche de gens de mon âge, qui n'étaient pas nés ou alors bébé lors de la guerre, mais visiblement biberonés à la haine et à la vengeance par leurs aïeux qui ont fait ou subi la guerre. D'autres se fichent et méprisent tout ça, ne voient aucune raison de se détester, et ne souhaitent réellement que la paix. Je crois que ces deux réalités existent. Malheureusement, comme ailleurs et de façon croissante en Europe, bien qu'à l'origine des guerres récentes, cette merde de nationalisme a le vent en poupe et trouve sans relâche de nouvelles figures pour s'incarner, se propager et s'enraciner, aidée par les chaînes de télé proches du pouvoir ou directement possédées par celui-ci. Au cours de mon passage en fédération de Bosnie-Herzégovine, en Republika Srpska, puis en Serbie, j'entendrai de tout : des discours nationalistes de tout bord, faisant référence à une histoire allègrement revisionniste pour présenter son peuple comme pur et innocent, victime et prêt à reprendre les armes, des gens qui ont fait la guerre, des gens qui ont perdu leurs proches et leurs connaissances, des intégristes conservateurs, des éclairés qui méprisent la haine et veulent la paix, des gens qui soutiennent les nationalistes au pouvoir sans cesse à l'écran sur la télé allumée toute la journée, mais qui n'en sont pas moins très gentils et accueillants, etc. À part quelques nationalistes virulents, même si le sujet de la guerre récente est souvent évoqué, il n'en demeure heureusement pas central dans les échanges et dans la vie en général. Ma vision du pays, de la région, de l'Histoire et de la situation actuelle, ne sont que des impressions qui viennent de mes rencontres en chemin, de mes écoutes et lectures, et de ma sensibilité propre. Malgré ce que j'écris, je ne saurais dresser un tableau précis de ce mélange dans lequel je marche. Je ne souhaite évidemment que la paix entre ces peuples et ces pays, en repensant aujourd'hui, dans un autre contexte, à cette phrase que j'ai entendue dans un discours de Christiane Taubira sur la loi qui porte son nom : "Il n’est pas non plus un acte d’accusation, parce que la culpabilité n’est pas héréditaire et parce que nos intentions ne sont pas de revanche."
En arrivant à Sarajevo, je traverse la ville dans sa longueur d'est en ouest, jusqu'à arriver au petit centre-ville historique. La ville fût assiégée et bombardée de 1992 à 1995, et a donc du être reconstruite, et garde encore largement les traces de la guerre. Plus l'on s'éloigne du centre-ville, plus les impacts de balles et d'obus sur les facades d'immeubles sont encore présents. Le centre-ville est le symbole de l'Histoire de la ville et du pays qui a successivement appartenu à l'empire automman, à l'empire austro-hongrois puis à la Yougoslavie, avant de devenir indépendant. Des bâtiments de toutes ces époques cohabitent, ainsi que des mosquées, des églises catholiques et orthodoxes, et des synagogues.
Je reste deux semaines à Sarajevo, le temps d'attendre mon colis venant de France avec mon matériel hivernal. C'est mon plus long arrêt depuis mon départ il y a dix mois. Cela ne me dérange pas, je prends le temps de me reposer, de visiter la ville et d'y avoir mes habitudes. Comme je pouvais m'y attendre, je me sens en décalage avec les autres locataires de l'auberge de jeunesse où je loge. Je suis dans la communauté internationale de jeunes voyageurs et voyageuses venant de pays riches, comme moi, qui pour beaucoup "font les balkans", parcourent le monde d'avions en avions, d'auberges de jeunesse en auberges de jeunesse, de centres-villes en centres-villes. Ce qui me frappe, c'est l'entre-soi que je ressens, la volonté d'aller dans le monde entier comme dans une partie de Risk, et l'affirmation d'avoir découvert un pays, d'avoir vu ce qu'il y avait à voir, fait ce qu'il y avait à faire, et donc de pouvoir dire de grandes généralités à propos de la Bosnie et des bosnien•nes. On s'échange même des conseils sur les pays et leurs capitales, comme s'il s'agissait de biens de consommations qu'il n'y a qu'une manière de consommer. Pourtant, à mes yeux, et ça m'a frappé en arrivant progressivement ici, je considère que le centre-ville de Sarajevo n'est pas représentatif de Sarajevo, et que Sarajevo n'est pas représentatif de la Bosnie-Herzégovine. En restant quelques jours dans l'auberge de jeunesse et en sortant au bar le soir entre jeunes internationaux, je trouve ça surprenant et même dérangeant d'entendre des phrases du type "La Bosnie c'est comme ci" ou "Les bosniens sont comme ça".
En traçant une simple ligne sur la carte avec mes pieds, avec les détails que j'ai vus, avec les quelques villages, campagnes et montagnes que j'ai traversés, les quelques personnes que j'ai rencontrées, les quelques lectures sur Wikipedia ou 'Le courrier des Balkans', les quelques podcasts, les quelques semaines seulement dans ce pays, je me sens subitement bien plus sachant sur la Bosnie-Herzégovine que mes colocataires, ce qui est n'est pas agréable d'ailleurs. Mais surtout, je me sens infiniment ignorant du pays et de ses habitants. Certes je peux parler ou écrire beaucoup sur cette marche, mais en aucun cas je ne peux prétendre avoir une connaissance juste et exhaustive d'un des pays que j'ai traversés. Je n'en ai qu'une vague impression, un simple ressenti, d'après mes choix d'itinéraires, le hasard des rencontres, ma subjectivité. En y ayant vécu, grandi, étudié, déménagé, travaillé, etc. pendant trente ans, je ne pense pas être à même de dresser un tableau juste de la France et de ses habitants. Alors en marchant un mois sur une simple ligne continue de façon solitaire, infiniment moins. En visitant brièvement le centre-ville de
Sarajevo, et peut-être en prenant un bus pour aller une journée à Mostar, encore moins.
Malgré mon regard critique que je tente de diriger autant que possible vers ce que je viens de décrire et non vers les personnes qui recèlent forcément de richesses qu'il serait dommage de ne pas accoster, je parviens à mener ma vie d'un côté, et à rencontrer des personnes sympathiques à l'auberge. J'y rencontre notamment quelques cyclo-voyageurs avec lesquels nous nous rejoignons forcément dans nos démarches, et des francophones français ou canadiens. Après dix mois de voyage la plupart du temps solitaire, à parler au mieux en anglais, sinon en langue des signes et avec google translate, j'apprécie grandement de pouvoir discuter en français sans effort. Par ailleurs, j'ai la chance de recevoir une belle surprise : mon ami Mathieu qui rentre en France depuis la Géorgie en train/bus/stop me passe un coup de fil express : "T'es à Sarajevo ? Super, je suis à Athènes, je suis là dans trois jours !". Voilà qui fait très plaisir ! Nous passons trois journées ensemble à la croisée de nos chemins respectifs, et à son départ je reçois mon colis qui marque mon nouveau départ à moi aussi.
En parallèle lors de ce séjour à Sarajevo, j'ai un gros coup de déprime, un contre-coup soudain de ces dix mois de solitude. J'en ai assez, je n'en veux pas davantage, la solitude me pèse dorénavant, je crois atteindre mes limites, être avec des proches me manque, je ne vois pas ce que continuer m'apporterait. Mais tout cela est si soudain, alors que je me sentais si bien dans ma marche il n'y a pas si longtemps lorsque j'entrais en Bosnie, rentrant un peu plus profondément dans ce voyage, là je ressens douloureusement l'inverse. Je considère même la possibilité d'arrêter là. Perdu, je ne sais pas bien si continuer est de la persévérance ou de l'entêtement. Comme arrêter maintenant serait tout de même très soudain et que la phrase "il n'y a rien à perdre" reste vraie, je décide de continuer et de voir comment ça se passe. Je dessine la suite de mon itinéraire la veille de repartir, et sur un coup de tête, je décide de couper par la Serbie pour aller ensuite en Bulgarie. Mon idée initiale était de passer par le Monténégro, l'Albanie et la Macédoine, des pays montagneux qui m'attirent beaucoup. Je repars, et alors que je viens de recevoir mes raquettes, que je voyais mes passages précédents dans les montagnes enneigées comme un apéritif de la suite, je m'apprête à traverser un pays par la campagne, renonçant à ces autres montagnes, et à un pays où j'avais particulièrement à cœur d'aller : l'Albanie. Ce choix me questionne donc dans les premiers jours, mais c'est décidé, ça change de mes habitudes et réflexes, me sort d'une certaine zone de confort pour m'exposer à d'autres expériences et apprentissages qui font sens. Et puis après la Serbie, j'ai une carotte rassurante et motivante : le balkan central, une longue chaîne de montage en Bulgarie qui m'attire depuis longtemps aussi.
Avec un peu de recul, je crois que cet épisode m'a permis de me débarrasser d'un certain nombre d'attentes et d'exigences, et donc de repartir un peu plus lourd dans mon sac-à-dos, mais un peu plus léger dans ma tête.